« Tout cela pour souligner que si la monnaie, comme il apparaît, est née non
point comme l'instrument de mesure arithmétique de la valeur des biens
échangés dans le commerce, mais d'abord comme un élément de rapports sociaux
où le quantitatif n'était au fond qu'un aspect matériel de rapports
irrationnels de puissance, puis comme un instrument, parmi d'autres, de
codification de ces rapports, elle n'a pas pu ne point conserver à travers
toute son histoire, un reflet de cette irrationalité des structures
sociologiques primitives ». Cette citation d'Edouard Will, placée en exergue
à la contribution d'André Orléan, résume assez bien les intentions du
collectif qui a signé cet ouvrage. Leur objectif est en effet de montrer que
la monnaie n'est pas le produit de processus exclusivement liés à l'échange
marchand et à la mesure des valeurs, comme le prétend la pensée économique
orthodoxe. De son aveu même, cette dernière ne comprend pas grand-chose au
fait monétaire et, du coup, elle a tendance à n'accorder qu'un rôle mineur —
ou pour mieux dire transparent — à la monnaie. Les auteurs de La
monnaie souveraine entendent au contraire montrer que la monnaie
est au sens fort une institution humaine, ce qui signifie à la fois qu'elle
est toujours le reflet d'une certaine totalité sociale et qu'elle intègre
des composantes que les auteurs qualifient d'irrationnelles. De ce fait, une
analyse pertinente de la monnaie, actuelle ou ancienne, ne peut pas être
qu'économique. Bien plus, même pour un économiste, un point de vue sur la
monnaie suppose que le chercheur se situe d'abord à l'extérieur de sa
discipline, exigence fortement rappelée dès l'introduction : « La monnaie
n'est pas une entité économique, y compris dans nos sociétés, car elle est
ce par quoi l'économique est pensable, ce qui ne peut se faire que d'un
ailleurs non économique » (p. 20).