L'amitié ne saurait m'empêcher, au contraire, de parler avec équité et impartialité — j'aurais dit hier, avec objectivité —de la pensée compliquée, théorique mais riche de contenu concret, révolutionnaire mais en même temps constructive, catégorique et cependant nuancée de Georges Gurvitch.

J'ai l'avantage, depuis des années, de vivre de plain-pied dans ce monde de pensées hérissées de difficultés, ouvert sur des spéculations étrangères souvent, sinon toujours, à l'historien —dans cet univers que Georges Gurvitch a fabriqué à l'image de son esprit vif, batailleur, volontiers algébriste, ennemi jusqu'aux dernières conséquences de la formule poétique ou de l'image qui peut cacher souvent d'insuffisantes exigences ou des erreurs de raisonnement.

La question que soulèvent les pages qu'on va lire — denses et lucides, comme tout ce qui porte la signature Berthet — est d'importance. D'abord elles relient à des considérations techniques très précises et bien datées, certains partis adoptés par les maîtres d'oeuvre du Jura. Nous ne sommes pas très gâtés par les historiens de l'art, généralement, sous ce rapport. L'influence est pourtant énorme d'un gros chantier, ou plutôt de deux, comme ceux qui s'ouvrirent au début du XVe siècle à Saint-Claude du Jura, sur la vie économique de la contrée grâce à la substitution des grosses enselles de bois, maintenues par des pierres, aux lourdes toitures de « laves » — puis des enselles à clavins aux enselles à pierre.

La question des constantes qui peuvent exister dans la politique extérieure de telle ou telle nation ne doit être posée qu'avec beaucoup de circonspection. La découverte dans le passé de certaines constantes ne doit jamais faire croire que l'on peut se livrer à des prophéties quant à l'avenir. Deux éléments sont à la base de la politique d'une nation : d'une part, ses ambitions en tant que société, qui tiennent elles-mêmes à sa composition sociale et à, ses conceptions idéologiques ; d'autre part, le rapport de forces existant entre elle et les puissances qui sont ses concurrentes sur le plan régional ou sur le plan mondial.

Ceux qui, de plus en plus nombreux, suivent dans son effort Georges Dumézil — et les Annales le suivent dès la première heure — seront heureux d'apprendre qu'il vient de publier aux Presses Universitaires de France, dans l'inégale mais utile Collection Mythes et Religions, un petit livre intitulé Les dieux des Indo-Européens. Il s'apparente par son dessin à cette vivante introduction à l'œuvre proprement romaine de l'auteur, qui s'appelle l'Héritage indo-européen à Rome et qui parut chez Gallimard en 1949. — Le livre nouveau est élégant et lucide à souhait. Il reproduit, en le remaniant, le texte de quatre conférences prononcées à Londres en 1951 ; les deux dernières sont consacrées à des problèmes de méthode ; vides de polémique agressive, elles ne le sont pas de discussions serrées qui ne manquent pas de nous intéresser très directement parfois.

Lucien Goldmann n'est certes pas un inconnu. Il nous a dotés en 1948 d'un ouvrage original sur un grand sujet : La communauté humaine et l'univers chez Kant. Bonne occasion pour se poser déjà de grands problèmes ; «philosophie classique et bourgeoisie occidentale », ce titre du premier chapitre les résume en partie. Aujourd'hui, dans la collection de petits mémoires philosophiques qu'Henri Delacroix a fondée et baptisée du nom d'Encyclopédie philosophique (le regretté Emile Bréhier l'a dirigée après lui), il nous apporte sur ce thème général, Sciences humaines et Philosophie, une série de remarquables notations.

M. Sutherland, dans son important travail, The Romans in Spain, me semble sous-estimer l'importance des mines d'Espagne dans l'économie romaine du 11e siècle av. J.-C. Il se réfère à une évaluation contenue dans la collection de M. Tenney-Franck : le revenu de ces mines représenterait « a trifle more than 5 p. 100 of the estimated entire State income ». Les chiffres sur lesquels repose cette estimation, 35 millions de deniers et 562 millions, appellent, je crois, quelques réserves. Mais ce n'est pas pour le vain plaisir de la critique que je relève ces appréciations : elles sont seulement une occasion de revenir sur le régime des mines d'Espagne à l'époque républicaine.

A en juger par son titre, l'ouvrage que M. J. Schneider a consacré à l'histoire de la ville de Metz n'intéresse que les XIIIe et XIVe siècles, mais, comme l'auteur a poursuivi son étude jusqu'à la tentative de gouvernement populaire de 1405-1406, comme d'autre part il n'a pas hésité, dans une série de chapitres préliminaires, à remonter jusqu'aux siècles du haut moyen âge, son étude, d'une exceptionnelle ampleur, dépasse les limites chronologiques que son titre de prime abord paraît lui assigner.

La question, évidemment, peut prêter à sourire. On verra par surcroît qu'elle ne comporte pas de réponse ferme. Mais, telle quelle, si elle traduit librement le titre de l'article intéressant, à plus d'un égard, d'Erich Hassinger, elle n'en trahit pas trop le sens. Cet article, riche d'idées et de remarques heureuses, représente l'introduction par quoi doit commencer un gros manuel sous la direction de Gerhard Ritter, à paraître dans les Westermanns Studienhefte, et consacré à la période 1494-1660. Ainsi, sans le connaître encore, savons-nous qu'il commence par la descente de Charles VIII en Italie pour se clore, si le programme est respecté, par la paix du Nord, arrêtée en 1660 dans le monastère d'Oliva, près de Dantzig.

Il est surprenant de constater combien les problèmes de main-d'oeuvre ont été négligés par les historiens lorsqu'il s'agit d'étudier les grands travaux du XIXe siècle et particulièrement les chemins de fer. L'histoire économique de Sée ignore le problème, tout comme l'ouvrage, pourtant très approfondi en certains domaines, de L.-M. Jouffroy.

Tous les problèmes importants de la construction des chemins de fer ont été abordés : politiques, financiers, techniques, agricoles, industriels, commerciaux, sociaux, etc…. Mais le problème de base, au moment où l'usage de machines pour les travaux est,encore faible, demeure oublié ; la main-d'œuvre ne semble pas compter.

Les éditeurs de la Nouvelle Critique et le Centre culturel de « l'Association France-U. R. S. S. » ont publié récemment, comme premier d'une série, un recueil intitulé Questions d'Histoire. Il présente un certain nombre d'articles d'historiens soviétiques relatifs à, l'histoire de France. Le but de cette collection est de contribuer à rétablir les relations intellectuelles, fâcheusement raréfiées actuellement, avec un pays où la recherche est fort active — et concuremment, de nous faire connaître l'application par ses auteurs de l'interprétation dialectique de l'histoire, conformément aux principes fondamentaux du marxisme.

Un de nos jeunes collaborateurs nous reprochait hier, à Lucien Febvre et à moi, de ne point avoir assisté en personne au IIe Congrès International des Sciences Historiques qui s'est tenu à Paris (comme le temps passe vite !) en 1950. Dirons-nous, une fois de plus, qu'en cette fin d'été nous étions l'un et l'autre durement fatigués par le labeur qui pèse sur nos épaules? L'excuse n'est que trop valable.

D'anciens juristes et des historiens du début de ce siècle avaient signalé que la vente des offices était un fait universel ; M. Mousnier l'avait indiqué en quelques mots à la fin de sa thèse. Le Dr K.-W. Swart nous apporte une réponse, provisoire sans doute, mais d'un large et durable intérêt.

Un essai d'histoire comparative, qui vise à expliquer le phénomène « planétaire » de la vente des offices, principalement au XVIIe siècle : ainsi se présente ce livre court et clair.

Sous le titre L'aménagement de l'espace : planification et géographie, M. J. Gottmann a rassemblé des études de MM. A. Sestini, O. Tulippe, E. C. Willats et M. A. Vila sur divers essais d'organisation rationnelle du territoire, auxquels des géographes ont été conviés par les services publics de leurs pays. Il s'agit de rapports établis, à la demande de l'« Union Géographique Internationale », dont la « Fondation Nationale des Sciences Politiques » a assumé la publication, en considération de l'intérêt présenté pour l'information du haut personnel administratif par les problèmes soulevés.

L''Éducation Nationale est un bon journal et bien fait. Instructif et alerte, varié et solide. Il a aussi, parfois, le mot pour rire. C'est ainsi que, dernièrement, on a pu lire dans ses colonnes une prose précieuse consacrée par M. Gustave Cohen à deux morts récents : l'un, Henri Chamard, digne universitaire à, qui l'on doit de fort estimables travaux sur la Pléiade — l'autre, Abel Lefranc, esprit curieux, chercheur souvent heureux, promoteur bienfaisant d'études et d'entreprises qui ont renouvelé, entre autres, la -connaissance de Rabelais, de sa vie et de son oeuvre. Glissons sur son gros effort vain pour substituer un Shakespeare de son choix au Shakespeare traditionnel ; Abel Lefranc s'y est entêté des années durant, et on peut le regretter. Mais il avait encore d'autres curiosités, qui attestaient un besoin d'horizons plus vastes que ceux d'un « seiziémiste » condamné à, Rabelais à, perpétuité.

Le volume jubilaire qui célèbre le cinquantième anniversaire du Laboratoire de Géographie de l'Université de Rennes est fort sympathique dans son ensemble. Il s'ouvre — laissons de côté les pages circonstancielles du début — par un important article de notre collègue et collaborateur André Meynier, directeur du Laboratoire depuis 1938 et qui sut le maintenir et l'élargir remarquablement au cours d'années lourdes d'événements.

Le travail qu'Aldo de Maddalena a consacré aux prix à Milan durant le XVIIe siècle se réfère aux archives d'établissements d'assistance. Autant qu'on puisse risquer actuellement une vue d'ensemble, il s'est trouvé ici une chance exceptionnelle. Cette chance est que l'administration charitable procédât tous les semestres à une véritable « appréciation » de la valeur marchande de certains produits. Comme le montre A. de Maddalena, il s'agit évidemment de moyennes, résumant les chiffres des prix pratiqués durant le semestre écoulé.