M. C.-E. Labrousse, à qui nous devions déjà cette Esquisse du mouvement des prix et des revenus en France au XVIIIe siècle, parue en 1933 cl dont l'importance a été signalée par les Annales, entreprend maintenant de publier les résultats de sa longue enquête sur la crise de l'économie française pendant le règne dé Louis XVI. Le premier volume de ce grand ouvrage qui, semble-t-il, en comportera au moins trois, mérite d'ores et déjà l'attention des historiens, et tout particulièrement celle des spécialistes de l'histoire révolutionnaire.

Je tiens pour excellent le petit livre que MIIe Amoudruz vient de consacrer, sous le titre de Proudhon et l'Europe, à l'examen historique et critique des idées de Proudhon en politique étrangère. Intéressant sujet, et toujours négligé. MIIe Amoudruz le traite avec beaucoup d'intelligence et de pénétration. En historienne et non point en juriste ou en sociologue. Son travail a commencé par être une thèse de diplôme, soumise à l'appréciation de Georges Lefebvre, et c'est Georges Lefebvre qui, lui ayant fait bon accueil, est à l'origine de la publication. Elle est justifiée de toutes façons.

Le canal Henri-lV on canal de Briare (1604-1943), tel est- le titre du volume dans lequel M. Pinsseau nous a retracé l∼histoire de cette voie d'eau, histoire qui est intéressante à plus d'un titre. Techniquement, c'est le premier canal de ligne de partage au monde ; économiquement, c'est un remarquable instrument du travail national ; juridiquement, il concrétise une des premières manifestations du capitalisme collectif à la fin de la société féodale ; politiquement, il démontre, par l'achèvement d'une oeuvre d'intérêt public de cette nature, la nécessité d'un véritable pouvoir, homogène et continu ; humainement, enfin, il peut être regardé comme un symbole de la science et du labeur français.

L'idée première de ce canal, comme celle d-autres travaux analogues, fut due à Sully dès 1604 : ce devait être un canal à point de partage réunissant deux rivières coulant dans des bassins différents. Creusé de 1604 à 1642, il le fut en trois étapes.

Dans le journal Le Monde, à la date du 6 février 1946, cette chronique : L'Histoire pour tous, par Émile Henriot. Comme je l'ai lue avec intérêt !

Émile Henriot n'est pas un historien. C'est un lettré curieux — et la curiosité d'esprit n'est certes pas une petite vertu. Émile Henriot, c'est un homme qui lit avec passion, et qui se fait, par goût et par profession, l'interprète du Français cultivé de 1946, « fatigué du roman, de l'imaginaire et du contemporain, curieux de livres instructifs», et, donc, se précipitant sur les livres d'histoire romancée ou vulgarisée, que des faiseurs — plus habiles les uns cl moins les autres — offrent au public avec une profuse générosité.

Pierre George, après sa Géographie économique et sociale de la France, vient de publier une courte, mais synthétique Géographie sociale, du Monde. Oser parler de géographie sociale ? « Aux armes, sociologues ! » Allons-nous voir reprendre la lutte entre la Morphologie sociale et la Géographie humaine ? Déjà, certains géographes prennent peur : « Après la géographie politique, la géographie religieuse, la géographie psychologique, la géographie médicale, la géographie littéraire, etc., nous fallait-il encore une géographie sociale ?… Les géographes ne risquent-ils pas de compromettre leur discipline, si bien lancée, en voulant tout embrasser ? » Et pourtant les novateurs ne veulent pas reculer — et l'on ne peut qu'applaudir un tel enthousiasme sinon une telle audace.

Etienne Gilson vient de publier chez Payot, — sous forme, cette fois, d'un gros traité de 782 pages in-8°, — une seconde édition, entièrement revue, amplifiée et augmentée, du très utile petit manuel que, chez le même Payot, en 1922, il avait présenté sohs forme de modestes livrets extrêmement précieux à consulter déjà, mais que l'ceuvre actuelle dépasse de beaucoup.

Il s'agissait, alors comme aujourd'hui, de donner dé La Philosophie au moyen âge, des origines patristiqu.es à la fin du XIVe siècle, une vue d'ensemble qui ne constitue ni un guide érudit, comme l'Ueberweg, ni un guide philosophique et systématique à la façon de Maurice de Wulf, ni une étude sur les rapports de la pensée médiévale, et de la pensée grecque, à la mode d'Emile Bréhier. Etienne Gilson, lui, s'est attaché avant tout à dérouler sous les yeux du lecteur le film chronologique de la philosophie médiévale depuis son premier contact avec la philosophie grecque, au IIe siècle de notre ère, « dès qu'il y eut des convertis de culture grecque », jusqu'à cette fin du XIVe siècle qui voit se lever l'aurore de temps nouveaux.

Les lecteurs du premier volume de cette Introduction à l'Histoire de la Pratique religieuse, dont nous avons vu les mérites et l'intérêt, ne seront, certes, pas déçus par la fréquentation du second. Gabriel Le Bras y retrace les grands cadres d'une Sociologie de la Pratique Française et compte quatre chapitres : l'un, de généralités, qui se subdivise en trois sections : la première, posant les problèmes de pratique dont la solution relève, ou peut relever, de la géographie humaine ou de cette morphologie sociale dont Maurice Halbwachs s'était fait, au sein de notre école de sociologie, le propagandiste convaincu ; la. seconde, évaluant la forcé des pressions qu'exercent sur les membres de la communauté naturelle ces trois grands engins d'unification : l'Eglise, l'Etat, la Civilisation, dont l'accord, s'il était réalisé, tendrait à produire automatiquement l'unanimité des attitudes ; la troisième, étudiant les discordances, les crises, les impuissances qui contrarient en fait, si souvent, cette action discordante et, donc, qui réagissent directement sur l'état de la pratique.

L'Amérique nous envoie, depuis quelque temps, des livres, des brochures, des pamphlets, toute une littérature que l'on serait tenté de qualifier de propagande, si ce mot n'avait pris depuis une dizaine d'années une valeur détestable. C'est pourtant bien d'une sorte de dumping intellectuel qu'il s'agit, d'une importation forcée dans les pays, libérés par les armées américaines, de la pensée officielle de l'Amérique en guerre, d'une manière d'évangélisation, en somme, car il s'agit d'amener la vieille Europe inourable à ebjurer ses erreurs, et à repenser ses problèmes en termes américains. La guerre et la paix, l'avenir de l'humanité, capitalisme ou socialisme, autorité ou liberté, bien-être et valeurs, tels sont quelques-uns des thèmes qui reviennent comme des leit-motiv dans cette prédication.

Le domaine de la propriété foncière au XVIIIe siècle est un domaine d'accès difficile, malaisé à explorer, et'le chercheur soucieux de précision ne s'y aventure pas sans inquiétude. Deux problèmes se posent généralement : déterminer l'état de la propriété à une date donnée, trouver le sens de son évolution : statique, cinématique. Depuis cinquante ans, l'étude dè∼ la Révolution et de ses causes a conféré à cette double recherche une importance capitale que l'histoire du xvnie siècle lui-même suffirait à justifier.

A vrai dire, les historiens se sont surtout préoccupés de la première enquête. Ils ont essayé de fixer, grâce à des calculs habiles et patients, la répartition des biens fonciers à la fin de l-Ancien Régime. Ils ont fait appel aux terriers, aux rôles de vingtièmes et de taille, aux pieds de taille, aux états de sections, à la vente des biens nationaux.

L'idée est heureuse d'avoir traduit en français le Journal politique de Ciano ; et il faut remercier de son initiative le professeur Stelling-Michaud, de l'Université de Genève, qui, de plus, a écrit pour le livre une excellente Introduction. Le tome I, qui vient de paraître, couvre deux années, 1939 et 1940, tragiques entre toutes. Le témoignage du ministre des Affaires Etrangères de Mussolini est, naturellement, d'importance.

Sur la nuance même de sa politique personnelle, dans la mesure où la totale soumission du gendre aux caprices du beau-père — même quand il les jugeait dangereux ou puérils — permet de parler de politique personnelle ; sur l'attitude du Duce ; ses variations, mais aussi ses constantes, pendant ces deux années fertiles pour lui en espérances comme en amères déceptions ; sur la débâcle française vue de Rome, et sur la’ politique d'Hitler jugée du même observatoire — on trouve dans le Journal de multiples notations d'intérêt capital.

J'ai commencé à correspondre avec l'abbé M. Berthet, curé de Châleau-Chalon, dans le Jura, en février 1945. Travailleur isolé, sans grande bibliothèque dans son voisinage, sans appui intellectuel, ni guide, ni conseil, il cherchait à assurer des connaissances qu'il entendait puiser aux meilleures sources. J'ai été tout de suite frappé par une qualilé de pensée, une acuité d'observation assez rares : celle d'un « homme qui, m'écrivait-il, ne savait pas bien si ce qui l'intéressait devait s'appeler histoire, économie, sociologie ou géographie humaine » (il s'intéresse d'ailleurs à bien des questions et, fort utilement, à de grands problèmes d'histoire religieuse) ; mais, précisément, son peu de souci des étiquettes, son grand souci des réalités faisaient de lui, par avance, un correspondant de choix pour les Annales. Il était voué à les rencontrer.

La démographie de la France aux XIXe et XXe siècles s'appuie, depuis 1801, sur des recensements quinquennaux ordonnés et organisés par l'Etat, qui semblent apporter une sûreté d'information. Que valent ces statistiques ? Sont-elles suffisantes par elles-mêmes ? Les archives peuventelles aider la démographie et dans quelle mesure ? L'analyse d'un dossier, celui du recensement de 1846 en Maine-et-Loire, montre, par des détails curieux et intéressants, combien les documents d'archives peuvent jeter de lumière sur la valeur et l’interprétation des résultats statistiques.

Nous l'avons dit pour l'Histoire, redit pour l'Economie : tant vaut la Méthode, tant vaut la Solution.

Voici un fait. Un fait français. Un fait récent. Il no s'agit pas, naturellement, de le traiter, ici, d'un point de vue partisan. Annales, revue d'Histoire. Mais l'Histoire a son mot à dire sur tout. Comment le Gouvernement français a-t-il pu, en 1946, et dans les conditions que l'on sait, annoncer la suppression définitive de la carte de pain, si peu de temps avant de la rétablir avec sévérité ? Je dis : curieux problème d'Histoire.

M. Georges Sadoul, l'un des meilleurs spécialistes et critiques français du cinématographe, commence la publication d'une importante Histoire, générale du Cinéma, qui comprendra plusieurs volumes. Le premier, qui vient de paraìtre, relate l'Invention du Cinéma (1832-1897), depuis les travaux des précurseurs jusqu'aux débuts de l'essor planétaire du cinéma, à l'aube d'une époque à laquelle il se trouve (non par l'effet du hasard) si remarquablement adapté.

Un instituteur de l'Aube, M. Pierre Dautriat, vient de faire paraître une monographie de sa commune, Neuville-sur-Seine , modeste village du Batséquanais, à la charnière dé la Champagne et de la Bourgogne. Ce travail de caractère Scolaire, mais préparé avec soin, nous permet de dégager certaines données chiffrées sur la décadence d'un village de la Champagne méridionale aux XIXe et XXe siècles, et par là de soulever un coin du problème, trop, mal étudié, de l'économie rurale de la Champagne contemporaine.

Décadence démographique d'abord. A la veille de la Révolution, Neuville comptait 994 habitants ; ce chiffre se maintient dans la première moitié du XIXe siècle (1 018 h. en 1836), puis s'abaisse (sauf une éphémère remontée au milieu du second Empire) jusqu'à la fin du “ siècle (816 Ji. en 1896) ; coefficient de dépopulation, 20 p. 100 en 60 ans.

La grandeur de l'homme et son bonheur sont-ils inconciliables ? Cette question résume en quelques mots le conflit de deux civilisations. C'est la seule qui aille véritablement au fond des choses. On peut dire qu'au delà des incidents quotidiens de la politique et même de la guerre, le conflit entre deux conceptions de l'homme est le drame prodigieux qui divise la Jerre. La revendication fondamentale de tous les malheureux, de tous les déshérités, de tous les prolétaires, c'est le bonheur pour l'homme, pour tous les hommes. Dépourvus de tout, ce bonheur se présente à eux sous la forme plus ou moins vague d'une terre promise, où les besoins essentiels seront enfin satisfaits.

L'industrie textile de Leyde : la plus importante des industries qui formèrent l'une des bases de la puissance hollandaise au XVIIe siècle . Dans la seconde moitié du XVIe, la ville voyait décliner sa draperie, qui s'était développée à partir du XIVe et avait eu son apogée à la fin du XVe et dans le premier tiers du XVIe . Après le siège de 1573, pour stimuler des techniques nouvelles à peine représentées jusque-là .dans ses murs, elle s'appliqua, suivant une pratique liabituelle à l'époque, à attirer des travailleurs du dehors.

Elle réussit d'une façon exceptionnelle. Des régions voisines désolées par la guerre et surtout par les luttes religieuses, les immigrants affluèrent.

L'érudition américaine n'a pas connu un black mit total comme celui qui est descendu sur l'Europe — tout au plus un semi-obscurcissement (dim. ont). On dit couramment que les Américains ne réduisirent que peu leur production et leur consommation civiles, tout en accroissant puissamment leur demande et leurs fournitures de guerre. Vrai de l'économie en général, ceci l'est aussi de la vie universitaire. Jusqu'à Pearl Harbour et à l'entrée officielle du pays dans le conflit, il n'y eut qu'une faible saignée de jeunes maîtres et d'étudiants, diplômés ou non, au profit de l'armée et du gouvernement. Puis les vides se multiplièrent dans les sections de nos Universités, celles des sciences économiques, historiques et politiques comme celles des sciences physiques. Un personnel enseignant réduit eut à faire face à une grande affluence de jeunes gens sous l'uniforme : «détachés » des services ordinaires de l'armée et de la marine, spécialistes ayant besoin de connaissances techniques, groupes à exercer dans les langues habituellement peu enseignées en Amérique, ou des matières indispensables au personnel d-un gouvernement militaire ou de services d'occupation.