Il vient de paraître à Genève, chez Eugène Droz, un des livres les plus nourrissants et les plus intelligents que j'aie lus depuis longtemps. Conrad André Beerli, son auteur, l'intitule Le Peintre-Poète Nicolas Manuel et l’Évolution sociale de son temps. Titre parfait? Non certes. On peut même trouver qu'il ne traduit excellemment ni le dessein de l'auteur ni la richesse de son ouvrage. Mais quand on cherche une formule meilleure, on ne la trouve pas. Et il faut avouer qu'elle est difficile à trouver.
De quoi s'agit-il donc? Au point de départ, d'un curieux personnage. Nous l'appelions jadis Nicolas Manuel Deutsch : c'est un Bernois d'honnête famille qui, entre 1484, date traditionnelle, et 1530, vécut d'une vie triple : il fut soldat mercenaire, comme tant de ses compatriotes à l'époque, et suivit les armées au temps des guerres d'Italie, avec tout ce que cela impliquait d'indépendance morale, de vaillance physique, de dynamisme vital et de participation à un monde viril à la fois séduisant et trouble, généreux et cynique, avide d'argent, soucieux d'honneur, mais indulgent au pillage et indifférent à la cruauté.