Keynes observait que Ricardo avait conquis son siècle aussi complètement que la Sainte Inquisition avait conquis l'Espagne ; sans doute est-ce en pensant à cela que Michel Morineau part en guerre dans son récent ouvrage contre « une cristallisation des esprits, analogue à celle dont les idées de Ricardo bénéficièrent de la part des économistes classiques au XIXe siècle, et qui, en fin de compte, a paralysé et la vigilance critique, et la progression de la recherche » (p. 567). Quelle est cette idée fixe? Celle selon laquelle les arrivages de métaux précieux d'Amérique sont le déterminant principal du mouvement économique en Europe du XVIe au XVIIIe siècle. A partir des informations mises au jour dans les gazettes hollandaises, l'auteur conteste cette affirmation d'un point de vue historique, et élargit sa critique à la théorie quantitative de la monnaie. C'est cette visée économique, plus que le parallèle avec Ricardo, qui autorise peut-être des économistes à prendre cet ouvrage comme angle d'attaque d'un problème qui les concerne aussi ; encore faut-il préciser tout de suite que nous ne le ferons pas d'un point de vue quantitativiste, mais au contraire avec le souci de radicaliser encore les conclusions de l'auteur.