La Révolution célèbre ses héros et honore ses morts. Dans une gloire souvent éphémère, le chevalier Desilles rejoint Mirabeau, et le jeune Bara se trouve associé à Marat. Mais à ces hommages officiels s'opposent des cultes spontanés, souvent localisés sur le théâtre des guerres civiles, durables par ailleurs car insensibles aux modes politiques et aux risques de dépanthéonisation : ainsi de ces anonymes, « saints » blancs et bleus, objets d'une canonisation populaire après leur mort violente dans l'Ouest de la France. Autour de leurs tombes ou de ce qui en tient lieu s'est développé tout un légendaire fixant sur quelques protagonistes la mémoire collective d'un conflit qui a laissé des traces profondes. Mais l'imaginaire social travaille de multiples façons : il donne aux morts des vertus qu'ils n'avaient point de leur vivant ; il crée aussi, de toute pièce, le héros qui manque lorsque la réalité n'est pas à la hauteur des espérances. C'est ce qui s'est passé au lendemain de la prise de la Bastille, quand l'opinion publique, déçue de ne trouver comme victimes de l'arbitraire de l'Ancien Régime que sept personnages falots, « invente » le comte de Lorges, prisonnier éponyme, dont les malheurs sont à la dimension de l'investissement symbolique mis dans la forteresse détestée.