Peu de livres plus évocateurs que celui dont André Siegried, de géographe se faisant historien, vient de doter ses lecteurs : Mes souvenirs de la troisième République ; mon père et son temps. Jules Siegfried, 1836-1922. Je n'ajoute pas : peu de livres moins difficiles à lire, car il coule de source, et c'est par la simplicité qu'André Siegfried, avec une singulière élégance, résout la difficulté. Ou les difficultés.

Le père, dont il retrace à larges traits la carrière et la vie, ce Jules Siegfried, porte-parole des grands intérêts du Havre, dont les hommes de ma génération se rappellent les luttes acharnées contre le protectionnisme agrarien de Méline, cet homme ne présentait, certes pas, à ses contemporains, une figure banale et sans relief.

En 1932, le sujet suivant fut proposé aux candidats à l'École coloniale, comme on l'appelait encore : « Montrez, en étudiant dans ses grandes lignes la politique coloniale de la France de ses origines (XIe siècle) à nos jours, la continuité de cette politique. » Il fournit l'occasion d'une replique1 judicieuse d'un collaborateur des Annales, dont l'argumentation aboutissait facilement à nier la thèse déterministe qu'on avait insinué les candidats à adopter. « L'histoire coloniale, remarque encore l'auteur d'un manuel récent, est étrangement complexe. Elle empiète sur l'histoire diplomatique, elle est étroitement liée à l'histoire intérieure et aux mouvements d'une opinion publique particulièrement influençable, elle ne saurait se séparer de l'histoire militaire de la conquête, elle ne saurait ignorer les peuples qui sont l'objet des entreprises coloniales, non plus que leurs coutumes; enfin, elle ne doit pas négliger l'action de personnalités puissantes quj ont soit créé, soit interprété une doctrine coloniale en constante évolution. C'est dire la difficulté d'une tâche qui consiste à faire. à ces multiples éléments une place variable avec les époques et avec les événements » (Préface).

Nous avons publié ici même, voici un an, une petite note intitulée : Le part de la carte de pain. « Comment, écrivions-nous, le Gouvernement a-t-il pu supprimer la carte de pain, en 1946, si peu de temps avant de la rétablir avec sévérité ? Curieux problème d'histoire. » Et nous disions le vice fondamental de notre service de ravitaillement, qui n'est, sans plus, qu'un service de répartition ou de transport et qui se contente, en matière de consommation, d'un pari dont les risques d'erreur se répercutent sur l'évaluation de la production. Depuis, on a supprimé le ministère du Ravitaillement. On l'a remplacé par un commissariat à la Répartition.

Bibliographie Périodique. — La Bibliothèque des Nations Unies (United Nations Library), à Genève, publie une Liste mensuelle d'articles sélectionnés. Au sommaire des derniers numéros figurent les rubriques suivantes : Nations Unies, Paix internationale ; Questions politiques, juridiques, humanitaires, d'enseignement et d'éducation ; économiques, financières; Communications et transit. A dize .vrai, la Liste en question n'est pas actuellement publiée chaque mois, mais paraît sous forme de fascicules couvrant chacun une période de plusieurs mois (par. ex. 18e année, volume XVIII. , Ier octobre-31 décembre 1946, numéros 10-12, Genève, Nations Unies, Service des ventes, p. 89-124).

Ciel, qu'il est difficile d'écrire l'Histoire... et de composer les Annales ! A peine un article est-il retenu par nous, amis et moins amis s'en viennent le flairer : concert d'éloges d'une part, protestations de l'autre : « Comme les Annales servent bien l'Histoire !» — « Comme les Annales trahissent malement la Science ! »

Nous pourrions dire, accusant le coup : le grand tort des Annales, c'est qu'elles ne reculent jamais devant l'idée. Et qu'en la présentant avec sa force et sa faiblesse, elles acceptent d'en courir tous les risques. Elles ne disent pas, comme le prudent candidat : « Nous n'avançons rien qui vienne de nous.

L'auteur nous indique dans sa Préface que son livre a été écrit durant l'occupation allemande, en un temps où il manquait de documentation et alors que la jeunesse était livrée, comme une proie, « aux sombres missionnaires de Hitler et de Pétaiti ». C'est ce qui en explique les développements parfois un peu généraux et le ton polémique dont maintes expressions, au reste, demeurent actuelles dans les conditions de notre nouvel après-guerre.

M. Naville, qui est l'auteur de plusieurs intéressants essais, centrés sur la psychologie et son histoire, fait ici, d'un point de vue marxiste, une mise au point des problèmes théoriques posés actuellement par l'orientation professionnelle (O. P.), après avoir, dans un premier chapitre, donné une esquisse de ses rudiments (ou de ce qui la remplaçait) dans quelques civilisations : chez les primitifs, dans l'Inde des castes, dans l'antiquité, dans l'Europe féodale et enfin à la veille de la Révolution française.

Gaston Roupnel s'est éteint à soixante-quinze ans, au printemps de 46, dans son cher pays bourguignon de Gevrey. Originale figure dans la galerie des historiens français contemporains. Romancier d'une part et historien de l'autre, disaient ceux qui le connaissaient ou le comprenaient mal. En fait, le portraitiste de Nono, vigneron de la Côte (1910) et du Facteur Garain (1913) était bien ‘le même homme que l'historien de La Ville et la Campagne (1922), cette originale thèse de Sorbonne qui révéla brusquement un historien, un vrai, à ceux qui en Roupnel ne voyaient qu'un amateur un peu fantaisiste. Cette étude sur « les populations du pays dijonnais », comme dit le sous-titre, est en réalité un des très rares livres nourrissants d'histoire sociaïe à qui notre XVIIe siècle paysan et bourgeois (ce déshérité) a jusqu'à présent donné lieu chez nous. Roupnel me sut gré (il me l'écrivit) d'avoir, dans le compte rendu que j'en fis paraître dans la Revue Critique, réuni dans un même éloge ses romans bourguignons à sa thèse d'histoire. Quand parut son Histoire dela Campagne française, je fus très séduit.

Les pratiques communautaires étaient de règle dans l'agriculture des pays de champs ouverts. Elles s'observent aussi en certains pays, comme le Limousin, où dominent les, champs clos. Sur les « coutures, — lieux défrichés (au milieu d'autres restés longtemps stériles), — les champs cultivés, les « terres » constituent des zones de plusieurs dizaines d'hectares, où les champs sont ouverts et où l'on retrouve lés pratiques communautaires des pays de champs ouverts.

Sous les auspices du Centre International de Synthèse, dirigé par Henri Berr, une circulaire récente a été adressée aux travailleurs de nos provinces. Elle a provoqué, très peu de temps après son lancement, une fort intéressante réponse rédigée par feu l'abbé Chaume, l'historien regretté de la Bourgogne. Je souhaite personnellement que d'autres réponses nous soient faites — et que l'exemple bourguignon, qui est une fois de plus un excellent exemple, soit suivi.

Voici un nouveau volume de la collection publiée par le Comité Scientifique International de l'histoire des prix, présidée par sir William Beveridge, dirigée par le professeur E. Gay et publiée par la fondation Laura-Spelman-Rockefeller. C'est certainement le plus copieux et sans doute celui qui est présenté avec le plus de rigueur scientifique.

Il se rapporte à une seule place, Amsterdam, éminemment représentative des mouvements du commerce, et la masse des prix présentés n'en est que plus homogène. Elle l'est d'autant plus que la plus grande partie des données est puisée dans des documents qui, quelles qu'aient été les inévitables vicissitudes de l'histoire, ont été établis suivant des principes et des méthodes traditionnelles qui sont restés sensiblement identiques : il s'agit des listes de prix courants, dont un exemplaire de 1585 comptait déjà deux cent cinq marchandises différentes.

Les études qui, depuis vingt ans, ont renouvelé complètement l'histoire et la géographie des structures agraires commenceraient-elles à avoir une influence pratique ? Pour l'équipe des Annales, qui a toujours combattu contre l'isolement intellectuel et les cloisons étanches, c'est une satisfaction profonde de constater que certains des urbanistes, architectes, géomètres, qui ont à rebâtir les provinces dévastées, font reposer leur travail sur une analyse sérieuse et inspirée des méthodes modernes, du dessin cadastral et des types d'habitations. C'est à ce titre que nous nous devons de signaler les travaux de M. Paul Dufournet sur le village picard et ses applications au remembrement des communes sinistrées.

Aux Frontières de la France, Roger Dion vient de consacrer un petit livre plein de choses. On y trouve des textes et d'excellentes analyses de paysage ; des faits historiques et de remarquables photographies d'avion ; des coupes de terrain, des paradoxes et de sages réflexions — des choses fines, ingénieuses et justes, d'autres qui le sont moins ; le tout très « Roger Dion », si j'ose dire, traduisons : vivant, attrayant, séducteur. Peut-être un peu moins construit que d'habitude, et un peu décevant. Roger Dion me permettra de le dire : il sait que je ne lui mâche pas les éloges, ordinairement ; ce qui, d'ailleurs, n'est pas ma faute, mais la sienne.

Achevant l'introduction de sa Société féodale, Marc Bloch écrivait: « Ce livre-ci n'a pas de voeu plus cher que de mettre quelques travailleurs en appétit. » Depuis 1939, date de ces lignes, plusieurs travaux portant sur cette société féodale ont été publiés. Que nous apportent-ils ?

Voici, sortie en 1942 des presses de l'Université Gornell, une alerte synthèse due à M. Carl Stephenson. Elle reprend et développe plusieurs articles consacrés par cet auteur aux origines de’ la féodalité. Les thèses en ont été discutées, et continueront à l'être. Insistant, comme Marc Bloch, sur l'aspect primordial du lien personnel, de la vassalité, M. Ste. phenson affirme délibérément que ses origines sont purement germaniques. Dans le dilemme « Rome ou les forêts de la Germanie », il adopte donc une attitude très nette. Peut-être lui reprochera-t-on surtout de ne pas faire.assez de place aux évolutions, de nous présenter une Europe féodale sortie trop directement de la Germanie de Tacite, un système féodal bien établi dès l'époque carolingienne.

Une collection de Documents, textes et mémoires pour servir à l'histoire de Cannes et de sa région, dirigée par M. Hubert Dhumez, nous présente pdur son premier fascicule Les chartes de franchise et actes d'habitation, par M. R. Aubenas. Les campagnes de Provence, si prospères au début du xiv8 siècle, de 1290 à la fin du premier tiers du xv° siècle, connurent, en raison des troubles, intérieurs., des « dévastations inouïes » qui finirent par les « transformer en déserts ». Alors, souverain et seigneurs s'attelèrent à une immense tâche de reconstruction, de remise en culture des terres délaissées, de repeuplement des villages abandonnés. De là, avec l'accomplissement d'un travail extérieur, l'apparition de nouvelles formes sociales, — les aiïrèrements2, — la conclusion de contrats favorables aux agriculteurs, l'octroi de chartes de franchises devant empêcher l'exode des habitants, et des chartes de peuplement, d'où les actes d'habitation. Les immigrés viennent des régions transalpines et liguriennes.