Les sociétés d’Ancien Régime ont été traditionnellement réprésentées comme des sociétés immobiles, caractérisées par un rigide compartimentage en ordres, corps, corporations ; les comportements des individus y étaient dominés par le poids des rôles et des hiérarchies sociales et productives. Cette image repose sur le double postulat d’une mobilité sociale contenue et d’une mobilité professionnelle quasiment inexistante : on donne pour assuré le fait que les métiers se seraient mécaniquement transmis de père en fils. Le but de cet article est de mettre à l’épreuve ce postulat à partir d’une étude de cas : la ville de Turin entre la fin du XVIIIe et le début du XIXe siècle.À travers l’analyse croisée des sources, nous avons essayé d’appliquer au cas turinois les méthodes quantitatives de mesure de la mobilité professionnelle adoptées par les sciences sociales. Par rapport à celles-ci, toutefois, nous avons changé d’unité de mesure. Au lieu de comparer les professions à l’intérieur du couple père-fils, nous avons choisi de focaliser l’attention sur le noyau domestique. Cette perspective permet de mettre au jour au moins trois aspects du problème qui, jusqu’à présent, ont été largement négligés. En repérant l’éventail des choix professionnels pour tous les membres de chaque famille, nous avons individualisé des stratégies d’entrée des fils sur le marché du travail. En croisant les données concernant les professions et l’origine géographique des époux, il devient possible de proposer un modèle multi-factoriel d’explication de la mobilité. En prenant en considération la profession des femmes, enfin, on introduit une variable décisive, et jusqu’ici négligée, des processus de mobilité intergénérationnelle. Le stéréotype d’une société fermée et monolithique se révèle ainsi dépourvu de fondement. L’Ancien Régime nous apparaît plutôt comme une société mobile et ouverte, dans laquelle les individus semblent jouir d’une grande liberté d’accès au marché du travail, et les mécanismes de mobilité ascendante paraissent largement dépendants de la position professionnelle des femmes.