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Terres Communales et Pouvoirs Villageois à la Fin du 19e Siècle Le cas du village vietnamien de Quynh Lôi

Published online by Cambridge University Press:  26 July 2017

Philippe Papin*
Affiliation:
École française d'Extrême-Orient, Hanoi

Extract

Les công diên et công thô, rizières et terrains collectifs et inaliénables, régulièrement répartis entre les villageois et qu'il est d'usage de désigner aussi sous le nom de terres communales, représentaient d'après une enquête officielle de 1931 près d'un demi-million d'hectares en Indochine, soit environ 3 % des terres en Cochinchine, 25 % en Annam et 21 % au Tonkin. Avant cette date, la question des terres collectives est complexe car si la documentation officielle — impériale ou coloniale — ne manque pas, on ne sait en revanche presque rien des conditions réelles de leur répartition « derrière la haie de bambous du village ».

Summary

Summary

Communal lands in Viêt-Nam hâve a long history and, what is moreover exceptional in Asia, continued to exist well into the 20th century. The case ofthe village of Quynh Loi allows for a step by step, level by level inquiry, so that we can understand a bit better how collective land and individual ownership were articulated. In violation ofrepeated juridical ordonnances from the State, communal lands were, infact, not largely distributed among the inhabitants (10 %). A detailed study offamily names and limages nevertheless make it apparent that the disguised privatisations did not ultimately lead to concentrations oflanded property. Major land owners did not exist and it was rather in terms ofauthority and political prestige that the question should beposed: in the village,real power consisted not in the accumulation of land, but, on the contrary, in giving the land away (to the inhabitants) or in selling it.

Type
Terres et Paysans au Viêt-Nam et en Galice au 19e Siècle
Copyright
Copyright © École des Hautes Études en Sciences Sociales, Paris, 1996

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References

1. Henri, Y., Économie agricole de l'Indochine, Hanoi, Ideo, 1932, p. 109 ss.Google Scholar

2. A proprement parler, les terres communales seraient les bon thon diên et bon thon thô. Mais comme elles étaient, elles aussi, soumises aux Règlements impériaux, il est peu opératoire de les distinguer de l'ensemble des công diên et công thô.

3. Entretien avec le professeur Truong Huu Quynh publié en annexe de l'ouvrage de TRân Tu, Co câu tô chue cua làng Viêt cô truyên o Bac Bô (Les structures d'organisation du village vietnamien traditionnel au nord Viêt-nam), Hanoi, Éditions des Sciences sociales/Institut du Sud-Est asiatique, 1984,163 p. (pp. 153-154). Sur l'évolution des désignations, voir aussi Hà Van Tân et Pham Thi Tâm, Vài nhân xet vê ruông dât tu huu o Viêt Nam thoi Ly-Trân (Nghiên Cuu Lich Su, 52,1963, pp. 20-30), p. 24 et Vu Huy Phuc, Thu phân loai va xac dinh hinh thai so huu ruông dât thoi Ly-Trân (Nghiên Cuu Lich Su, 168,1976, pp. 23-41), p. 37 ss.

4. Voir les nombreux articles de Nguyên Duc Nghinh, dont « Thinh hinh phân phôi ruông dât Dinh Công giua hai thoi diêm » (Situation de la répartition des terres de la commune de Dinh Công à deux dates différentes, 1790 et 1805), Nghiên Cuu Lich Su, n°161,1975, pp. 44-53. « Xa Thuong Phuc giua hai thoi diêm 1790-1905 » (La commune de Thuong Phuc entre 1790 et 1805), Nghiên Cuu Lich Su, n°173,1977, pp. 80-84. « Mây vân de vê tinh hinh so huu ruông dât cua mot sô thon xa thuôc huyên Tu Liêm » (Quelques problèmes à propos de la propriété de la terre dans quelques communes et hameaux du district de Tu Liêm), dans Nông thon Viêt Nam trong lich su (La campagne vietnamienne à travers l'histoire), Hanoi, Éditions des Sciences sociales, 1977,1.1,416 p. (pp. 97-135). Ces données pionnières (30 % de terres publiques) ont été parfaitement confirmées par un ouvrage récent, Phan Huy Le (sous la direction de), He thông tu lieu dia ba — dia ba Hà Dông (Système de documents cadastraux anciens du Viêt-nam — cadastres de la province de Hà Dông), Hanoi, Université nationale de Hanoi, 1995, 630 p.

5. Voir Truong Huu Quynh, Chê dô ruông dât o Viêt Nam thê ky XI-XVIll, Hanoi, Éditions des Sciences sociales, 1.1,1982, 342 p. et t. 2,1983,223 p.

6. Dai Viêt Su Ky Toàn Thu (Annales complètes du Dai Viêt, rédigé au 17e siècle) (trad. Phan Huy Le. Hanoi), Hanoi, Éditions des Sciences sociales, 1993,4 vols, vol. 1, p. 308.

7. Chu, Phan Huy, Lich Triêu Hiên Chuong Loai Chi, Hanoi, Éditions des Sciences sociales, 1992, 3 t.,Google Scholar Ordonnance de la 11e année de Quang Thai (1398), t. II, Quôc dung chi — chê dô ruông dât, p. 246.

8. Chu, Phan Huy, op. cit., p. 246. Et Vu Van Hiên, La propriété communale au Tonkin, Hanoi-Paris, Études indochinoises et extrêmes-orientales, sd, 222 p. (p. 29).Google Scholar

9. Maspéro, H., Les régimes fonciers en Chine des origines aux Temps modernes, dans Mélanges posthumes sur les religions et l'histoire de la Chine, vol. III, Études historiques, Paris, Publications du musée Guimet, t. LIX, 1950,270 p. (pp. 149-192).Google Scholar

10. Cartier, Michel, « L'exploitation agricole chinoise de l'Antiquité au XIVe siècle : évolution d'un modèle », Annales ESC, 1978, n° 2, pp. 365388 (p. 371).Google Scholar

11. H. Maspero, op. cit., p. 167. Notons aussi que le lot public (k'eou-fen) était accompagné d'un lopin privé (che-ye). Les deux tenures étaient inaliénables, mais la seconde était héréditaire. C'est sans doute cette coexistence du public et du privé au sein d'un même patrimoine familial qui fut la cause de l'absorption du premier par le second. A notre connaissance, rien de tel n'existait au Viêt-nam. En Chine, les terres publiques subsistèrent sans doute par la suite (sous les Song), mais sous une forme qui n'avait plus rien à voir avec la situation ancienne : elles étaient louées aux paysans par l'Etat qui percevait une rente (H. Maspero, op. cit., p. 179). Notons au passage la spécificité vietnamienne : alors qu'en Chine le lopin privé coexistait avec le terrain public, il en allait tout autrement au Viêt-nam où le Règlement de 1711 prévoyait au contraire que les villageois pourvus de terres privées en quantité suffisante pour vivre seraient exclus du partage des terres communales (Phan Huy Chu, op. cit., p. 248).

12. En 1711, une grande réforme des terres communales rappelait d'abord tous les principes antérieurs (inaliénabilité, imprescriptibilité, partage périodique) mais les articles 3 et 8 de la loi autorisaient les villages à partager les terres selon leurs coutumes, ce qui consacrait de fait l'autonomie du village face au pouvoir central. En 1732, significativement, le choix du maire revint au village lui-même. Ces renseignements sont tirés de Phan Huy Chu, op. cit., pp. 245-251.

13. Le tri-huyên est le fonctionnaire vietnamien en charge du huyên (district). Il y avait en général une dizaine de huyên par province (tinh), et 4 ou 5 tông par huyên. La zone suburbaine (anciennement huyên de Vinh Thuân) désignait, entre 1899 et 1915, la banlieue autour de Hanoi située entre les limites de la ville et la route circulaire. Elle couvrait environ 4 000 hectares et comprenait une soixantaine de villages, dont Quynh Loi. En 1915, elle prit officiellement le nom de huyên de Hoàn-Long.

14. Archives nationales du Viêt-nam (ANV), Résidence de Hà Dông 1294, village de Quynh Loi 1901-1903. Dossier non coté : Répartition des Communaux à Quynh Loi.

15. ld., Déclaration des notables et du ly-truong de Quynh Loi sur la répartition des terres communales (15/08/1901) ; liste des détenteurs de terrains communaux à Quynh Loi dressée par le ly-truong (22/08/1901) ; liste des habitants de Quynh Loi pour répartition des terrains communaux (10/01/1902) et liste des 275 actes d'engagement de terrains communaux du village de Quynh Loi, à des habitants de Quynh Loi, annulés pour dépassement du délai de trois ans (10/01/1902).

16. Quelques points de méthode : comme toujours, les données chiffrées ont été calculées au plus sûr, c'est-à-dire en éliminant les incertitudes qui, ici, sont d'ordre paléographique : l'orthographe étant encore mal fixée, nous n'avons rapproché que les noms dont d'autres documents nous prouvent qu'il s'agissait de la même personne : par exemple le nom Nguyên Van Duc sur le rôle des terres engagées peut se reconnaître en Nguyên Van Giua sur rôle de répartition, mais nous n'avons fusionné les deux noms que parce que des documents annexes nous donnaient la preuve qu'il s'agissait du même homme. D'autre part, pour des raisons statistiques, nous n'avons pas tenu compte des miêng (36 m2 soit un centième de mâu) mais cette unité de surface est peu importante et quelques sondages ont montré que cela ne modifiait en rien les résultats globaux (il s'agit là, au total, de quelques sào sur près de 300 mâu). Enfin, à l'intérieur des rôles, il a fallu opérer des regroupements et des classements afin de faire apparaître des catégories qui n'existent pas en tant que telles mais qui constituent le seul instrument possible de comparaison.

17. En 1903, Boussard-Bonnefoy estimait la population de Quynh Loi à 486 personnes, ce qui donne une densité de 3,5 personnes par hectare. D'après les rôles, ily aurait eu environ 900 habitants, la densité passant alors à 6. Quoi qu'il en soit, c'était inférieur à la moyenne qui se situait autour de 8,2 pour l'ensemble de la zone suburbaine de Hanoi.

18. ANV, Résidence de Hà Dông 4048, rôle d'impôt du huyên de Tho Xuong et Vinh Thuân en 1894. Les chiffres que nous donnons ici ne sont pas inscrits tels quels dans le rôle mais résultent de regroupements effectués par nous : ils ne fournissent donc que des estimations.

19. Un mâu (3600 m2) = 10 sào = 100 miêng. 3 mâu font donc environ un hectare.

20. Phuc, Vu Huy, Tim hiêu chê dô ruông dât Viêt Nam nua dâu thê ky XIX, Hanoi, Éditions des Sciences sociales, 415 p. (pp. 188-208).Google Scholar

21. ANV, Résidence de Hà Dông 1294. Les chiffres sont ceux donnés par une note au brouillon de l'Administrateur.

22. Groupe d'habitants qui se réunissaient pour des motifs variables : liens familiaux, classe d'âge ou intérêts divers (religieux, économiques, etc.).

23. La décision datée de 1844, exemplaire de ce point de vue, rappelait très clairement ces dispositions. Voir Khâm Dinh Dai Nam Hôi Diên Su Le, q. 38, Bo Hô — lênh câm (Répertoire des Institutions et Règlements du Grand État du Sud, livre 38, ministère des Finances), Huê, Ed. Thuân Hoa, 15 vols, 1993, vol. 4, p. 118.

24. ANV, Résidence de Hà Dông 1293 : village de Quynh Loi, 1884-1900, chemise 1. Contrats en Nom.

25. Budget du village de Quynh Loi en 1924, ANV, Résidence de Hà Dông 2400. Le budget total était cette année-là de 1562 piastres. Les deux plus grosses dépenses étaient les frais de construction (26 %) et les réparations aux temples, pagodes et maisons communales (13 %).

26. Rôle des terres engagées, article 4 : Nguyên Van So

27. Un rapport pour le résident supérieur sur cette question (signé : illisible) évoquait l'aliénation des communaux comme un « danger social et politique » : ANV, Fonds de la Résidence Supérieure au Tonkin, 72865, Biens communaux. Notes sur les Công Diên et Công Thô, seul moyen d'existence de la masse paysanne au Tonkin, 1932, introduction, p. 1.

28. Ordonnance du 20/4/1894 qui prescrivait notamment l'enregistrement des contrats au cheflieu — et non au village même — afin de renforcer le contrôle administratif sur le mouvement d'aliénation des communaux. Il était accordé un délai de trois mois pour faire enregistrer les contrats d'engagement, y compris les contrats passés avant l'ordonnance : trois mois plus tard, aucun contrat n'était présenté dans tout le Tonkin. L'ordonnance fut suspendue quelques mois plus tard.

29. L'affaire fut déclenchée par la plainte de Nguyên Van Huê contre un nommé Ngoc pour usurpation d'un sào de terre communale. L'affaire était vénielle, mais, menant son enquête, l'administration découvrit qu'une part infime des terrains communaux avait été distribuée parce que l'essentiel était engagé auprès des particuliers : d'où une seconde enquête, détaillée, qui mit à jour le système foncier du village.

30. On ne dénombre que 6 mâu et 3 sào loués aux « étrangers » des villages mitoyens de Lac Trung, Vinh Thuy et Thanh Nhàn. (Liste des détenteurs de terrains communaux).

31. Ces regroupements par noms ne sont pas tout à fait satisfaisants car des terres appartenant à un même propriétaire pouvaient être classées à des noms différents. Nous n'avons par exemple trouvé aucune indication concernant la nommée Nguyên Thiù Chien, certainement épouse d'un autre bénéficiaire de terres engagées.

32. En 1893, le sào de rizière se vendait à réméré 42 ligatures en moyenne. A la même date, l'impôt personnel s'élevait à 5 ligatures 2 tien. L'achat à réméré était donc assez coûteux: 8 années d'impôt personnel. C'est alors la grande époque du « retour au village » et la ruée vers les terres cultivables. En 1900 en revanche, les tarifs semblent avoir baissé : 25 ligatures le sào, au moment même où l'administration tentait de mettre fin à cette pratique.

33. Article 40 du rôle.

34. Ces données sont fournies par Gourou, P., dans L'utilisation du sol en Indochine, Paris, Hartmann, 1940,466 p. (pp. 232-234).Google Scholar

35. Il s'agit des articles 106,130,131,134,135,181,260,275 et 276.

36. Le poids des notables (24 personnes sur 132 et moins de 34 mâu sur 127,5) nous dispense d'établir une statistique portant sur les non-notables car les résultats en seraient peu modifiés.

37. En 1911, sous prétexte de fondre une cloche pour le village, le ly-truong Nguyên Van Chinh vendit 13 places de vieillards pour la somme totale de 414 piastres. ANV, Résidence de Hà Dông, village de Quynh Loi (années 1911-1913), dossier 1297, Rapport n° 224 du Tri-Huyên à l'Administrateur de la zone suburbaine. Pièce en caractères traduite en vietnamien.

38. Par exemple : détournement de 77,5 piastres sur les 258,34 piastres représentant l'impôt, ANV, Quynh Loi 1884-1900, pièce 271. Détournement de 117 piastres issues de la vente de places d'honneur au village. ANV, Quynh Loi 1908-1910, Lettre des habitants au Délégué, 2/06/1908.

39. Parmi mille exemples, voir ANV, Résidence de Hà Dông, village de Quynh Loi (années 1908-1910), dossier 1296, plainte des habitants à l'Administrateur, 2 juin 1908 : détournement de deux mâu par le ly-truong Sai Van Vu. Pour les affermages en sous-main : id., 1297,1911-1913 : Le Van Hao loue à Nguyên Van Du 5 sào et 2 miêng pour 10 piastres par an entre 1908 et 1911 (Rapport 243,18/07/1911).

40. Sur ces questions de lignages et de patronymes, voir « Tinh hinh zong ho o làng bien Du Xuyên » (Situation des lignages familiaux dans le village maritime de Du Xuyên), DIêp Dinh Hoa (sous la direction de), Tim hiêu làng Viêt (Recherches sur le village vietnamien), Hanoi, Éditions des Sciences sociales, 289 p. (pp. 194-212).

41. Philippe Papin, « Hanoi et ses territoires », Bulletin de l'École française d'Extrême-Orient, 1995, pp. 201-230.

42. L'Ordonnance du 20e jour du 4e mois de la 8e année Khai Dinh (4/06/1923) prévoyait en effet que toutes les terres communales occupées depuis le 08/02/1923 et depuis 20 ans seraient attribuées à leurs occupants en toute propriété, par jugement du tribunal compétent. La prescription pouvait même être inférieure à 20 ans si ce terrain avait été bâti en maçonnerie. Comme on l'imagine, ceux qui avaient un titre se sont empressés de transformer leur usurpation en propriété, et ceux qui n'en avaient pas encore l'ont fait faire, moyennant quelques piastres, auprès des notables du village. Ce mouvement fut très fort aux environs de Hanoi, là où le terrain avait une forte valeur spéculative : 79 jugements attributifs de propriété du 1/10/1930 au 31/03/1931 dans la zone suburbaine (huyên de Hoàn Long).

43. Pierre Gourou, op. cit., p. 229.