Published online by Cambridge University Press: 26 July 2017
Depuis le début des années quatre-vingt, « représentation » est devenu, dans le domaine des sciences humaines, un véritable mot clé — on dirait presque un mot à la mode. On pense à Représentations,la revue lancée en 1983 par un groupe d'historien, de philosophes et de littéraires de l'université de Berkeley ; ou, dans un contexte européen, à l'article de Roger Chartier paru dans les Annales l'année dernière, sous le titre allusif « Le monde comme représentation ». On pourrait aisément multiplier les exemples. Cette fascination est quelque peu surprenante, « représentation » étant un mot vénérable, qui fait partie de notre outillage intellectuel depuis des siècles. Mais tout récemment il a acquis, paraît-il, des résonances nouvelles.
The paper analyzes the implications of the mannikins (“representations”) which were displayed in the funerals of French and English kings since the 14th and 15th centuries. These mannikins can be connected to a much longer historical series, showing how, in different cultural contexts, images could act as mediators with the beyond. In medieval Europe the status of images, closely connected on one hand to the condemnation of idolatry, on the other to the veneration of relies, was deeply affected by the crucial role attributed more and more to the eucharist. The “disenchantement of the images” triggered by this process was a precondition of the deep changes which emerged in the 13th and 14th centuries both in painting and sculpture.
1. Chartier, R., « Le monde comme représentation », Annales ESC , 1989, n° 6, pp. 1514– 1515.Google Scholar
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3. Giesey, R. E., Le roi ne meurt jamais, Paris, Flammarion, 1987.Google Scholar (The royal funeral ceremony in Renaissance France, Genève, 1960 ; je cite toujours d'après la traduction française), pp. 127-193, qui rejette (pp. 130-131) d'une façon convaincante l'hypothèse, avancée par St. John Hope d'anticiper le premier usage du mannequin royal aux funérailles d'Henri III (1272) : cf. On the funeral effigies, pp. 526-528. Goesey, R. E. est revenu sur la question de l'effigie dans un livre récent, Cérémonial et puissance souveraine. France XVe-XVIIe siècles, Paris, Cahiers des Annales, 1987.Google Scholar
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5. Zadoks-Josephus, A. N. Jitta, Ancestral portraiture in Rome and the art of the lastcentury of the Republic, Amsterdam, 1932, p. 90 Google Scholar qui renvoie à Gay, V., Glossaire archéologique du Moyen Age et de la Renaissance, II, Paris, 1928, p. 297.Google Scholar
6. Kantorowicz, E., The king's two bodies. A study in médiévalpolitical theology, Princeton, 1957 (trad. frse, Paris, 1988).Google Scholar
7. Giesey, Le Roi, p. 176.
8. Ibid., pp.129, 161.
9. Ibid., p. 137.
10. St. John Hope, On the funeral effigies, pp. 530-531 ; Kantorowicz, The king's, pp. 419- 420 ; Giesey, Le roi, pp. 131-133. Une rumeur qui circulait à l'époque (et qui fut recueillie par certains chroniqueurs contemporains), rapportait qu'Edouard II avait été assassiné : les conditions du cadavre avaient peut-être empêché de l'exhiber dans le cortège funèbre. Mais si on croit à la relation (qui n'est mentionnée ni par Kantorowicz ni par Giesey) écrite dans les mêmes années par le notaire pontifical Manuele del Fiesco, l'impossibilité d'exhiber le cadavre du roi aurait été absolue. Selon cette version, Edouard II avait échappé de sa prison bafouant ses ennemis, qui avaient tué le concierge à sa place : cf. Germain, A., Lettre de Manuel de Fiesque concernant les dernières années du roi d'Angleterre Edouard II, Montpellier, 1878 Google Scholar ; Niora, C., « Uno degli Edoardi in Italia : favola o storia ? », La nuova Antologia , s. IV, vol. XCII, 1901, pp. 403–425 Google Scholar ; Cuttino, G. P. et Lyman, T. W., « Where is EdwardII ? », Spéculum , III, 1958, pp. 522–544 Google Scholar. En tout cas, ces circonstances n'expliqueraient ni le recours au mannequin ni, évidemment, la survivance de la coutume.
11. von Schlosser, J., Geschichte der Porträtbildnerei in Wachs, Jahrbuch der kunsthistorischen Sammlungen des allerhöchsten Kaiserhauses , 29, 1910-1911, pp. 171–258, surtout pp. 202- 203.Google Scholar
12. Giesey, Le roi, p.229 ; voir aussi pp. 127-128, 223-243.
13. Ibid., pp. 8-9.
14. Bickerman, E., Die römische Kaiserapotheose , « Archiv für Religionswissenschaft », XXVII, 1929, pp. 1–34 Google Scholar ; idem., “ Consecratio ”, le culte des souverains dans l'Empire romain, « Entretiens de la Fondation Hardt, XIX », Vandoeuvres-Genève, 1972, pp. 3-25. Cf. aussi Giesey, Le roi, p. 7.
15. Hertz, R., Mélanges de sociologie religieuse et de folklore, Paris, 1928, pp. 1–98.Google Scholar Autant que je sache, cet essai n'a jamais été utilisé dans les discussions sur les funérailles royales, avec une seule exception (malheureusement assez superficielle) : Huntington, R. et Metcalf, P., Célébrations ofdeath, Cambridge, 1979, p. 159 ssGoogle Scholar (sur Kantorowicz et Giesey, pour la dette à l'égard de Hertz, voir p. 13).
16. Bickerman, Die römische, p. 4.
17. R. Hertz, Mélanges, p. 22.
18. F. Dupont, L'autre corps de l'empereur-dieu, « Le temps de la réflexion », 1986, « Le corps des dieux », pp. 231-252.
19. Giesey, Le roi, p. 223.
20. Le passage est cité par Giesey, Le roi, pp. 228-229.
21. Ibid., pp.226-227.
22. Ibid., p.19 (relation de Pierre du Chastel).
23. Ibid., pp. 253,309-311.
24. Ibid., pp. 240-241.
25. Pizarro, P., Relation del Descubrimiento y Conquista de los Reinos del Perû, éd. par Lohmann Viiaena, G., Lima, 1978, pp. 89–90 Google Scholar cité par Conrad, G. W. et Demarest, A. A., The Dynamics of Aztec and Inca Expansionism, Cambridge, 1984, pp. 112–113 Google Scholar (ce texte m'a été signalé par Âaron Segal, que je remercie chaleureusement). Voir aussi Relation, pp. 51-52.
26. Ibid., p.113 (cité presque à la lettre).
27. Giesey, Le roi, p.276 ss.
28. J'ai analysé un problème semblable dans mon livre Storia notturna. Una decifrazione del sabba, Turin, 1989, pp. 197-198, 205 (où l'on peut trouver les références à Bloch et à Lévi-Strauss).
29. Dupont, L'autre corps, pp. 240-241.
30. M. Mauss, Une catégorie de l'esprit humain : la notion de personne, celle de « moi », dans le recueil du même auteur Anthropologie et sociologie, Paris, 1960, pp. 352-353 (avec des renvois précis à Cicéron, Pro Cluentio, 72 et à la Table de Lyonde l'empereur Claude). Voir aussi Rambaud, M., Masques et imagines. Essai sur certains usages funéraires de l'Afrique Noire et de la Rome ancienne , « Les études classiques », XLVI, 1978, pp. 3–21 Google Scholar, surtout pp. 12-13. Dans l'opposition formulée par Florence Dupont (” Un homme romain a un nom qui le signifie arbitrairement (…) il aura peut-être à sa mort une imagoqui conservera son empreinte, c'est-à-dire lui-même », L'autre corps, p.242), le premier terme me paraît anachronique ; le second partiel.
31. Zadoks-Josephus Jitta, Ancestralportraiture, pp. 97-110 (où l'on démontre l'inexistence du prétendus ius imaginumsupposé par Mommsen).
32. Bickerman, Die römische, pp. 6-7 ; Dupont, L'autre corps, p.240. On « burial clubs », cf. Hopkins, K., Death and renewal, Cambridge, 1983, p. 211 CrossRefGoogle Scholar (où funus imaginariumest traduit par imaginary body).
33. Chantraine, P., « Grec kolossôs », Bulletin de l'Institut français d'archéologie orientale , XXX, 1931, pp. 449–452.Google Scholar
34. Benveniste, E., « Le sens du mot kolossôs et les noms grecs de la statue », Revue de Philologie, de Littérature et d'Histoire anciennes, 3e série, V, 1931, pp. 118–135, surtout pp. 118-119.Google Scholar La discussion est poursuivie avec les interventions, parmi d'autres, de Ch. Picard, « Le cénotaphe de Midéa et les “ colosses ” de Ménélas », ibid., 3e série, VII, 1933, pp. 341-354 ; Servais, J., « Les suppliants dans la “ loi sacrée ” de Cyrène », Bulletin de correspondance hellénique , 84, 1960, pp. 112–147 Google Scholar (très utile mise au point) ; J. Ducat, « Fonctions de la statue dans la Grèce archaïque : kouros et kolossôs », ibid., 100, 1976, pp. 239-251.
35. La même remarque a été déjà faite, dans un autre contexte, par Brown, P., CÎ.,A darkage crisis : aspects of the iconoclastic controversy, dans le recueil du même auteur Society and the holy in late Antiquity, Berkeley-Los Angeles, 1982, p. 261.Google Scholar
36. E. H. Gombrich, Méditations on a hobby horse, Londres, 1963, pp. 1-11 (l'essai qui donne le titre au recueil date de 1951) ; voir surtout p. 1 (« A portrayal of a horse ? Surely not. A substitute for a forse ? Yes. That it is. Perhaps there is more in this formula than meets the eye »), 3 (« the clay horse or servant, buried in the tomb of the mighty, takes the place of the living »), 5 (« We may sum up the moral of this “ just so story ” by saying that substitution may précède portrayal, and création communication »), 9 (« The change is implicit in the émergence of the idéal of the image as “ représentation ” in our modem sensé of the word »). Sur le rapport avec Art and illusion, Londres, 1960, cf. Méditations, p.XI.
37. Pomian, K., Collectionneurs, amateurs et curieux, Paris, 1978, pp. 15–59 Google Scholar (” Entre l'invisible et le visible : la collection ». Le passage cité se trouve à la p. 32.
38. Vernant, J.-P., Mythe et pensée chez les Grecs. Études de psychologie historique, Paris, 1966, pp. 251–264 Google Scholar (” Figuration de l'invisible et catégorie psychologique du double : le colossos »).
39. Ibid., pp. 255-256,264.
40. Dupont, L'autre corps, pp. 234-235, 237.
41. J.Guyon, « La vente des tombes à travers l'épigraphie de la Rome chrétienne », Mélanges d'archéologie et d'histoire : Antiquité, 86, 1974, p. 594, cité par Brown, P., Le culte des saints : son essor et sa fonction dans la chrétienté latine, trad. frse d'Aline Rousselle, Paris, Éditions du Cerf, 1984, 164 p.Google Scholar (The cuit of the saints, Chicago, 1982, p. 133, n. 16).
42. Ibid., pp. 3-4.
43. H. Bultwg, Bild und Kult, Munich, 1990.
44. A cet égard il faut partir du remarquable dossier rassemblé par D. Freedberg, Thepower of images, Chicago, 1989 (le côté théorique du livre est au contraire assez décevant). Le livre de Camille, M., The gothic idol, Cambridge, 1989 Google Scholar, exhibe quelques idées stimulantes et beaucoup de platitudes. L'ouvrage est souillé par toutes sortes d'erreurs. Il n'y a presque pas de citation latine qui ne soit exempte de coquilles, ou pire : cf. par exemple p. 21 (« contra ydolatrium ») ; pp. 21- 22 (« ydola(ris) fecit homo», où il faut lire « ydola fecit homo») ; p. 221 (« The statue made “ by the hands of the Egyptians ”, however, is labeled not ydolabut imaginez», ce dernier mot trahissant une connaissance moins qu'élémentaire de la langue latine et de la paléographie : il faut lire « Egyptii fecerunt ymaginem ») ; p. 227 (« depincting the bishop blessing ymaginis sancte marie») ; p. 228 (« a bishop blessing an ymaginis sancte mari») ; p. 229 (« The image “ in intima sacello ” »), etc.
45. Seznec, J., La survivance des dieux antiques, Londres, 1940 Google Scholar, dont il faut voir la traduction italienne (La sopravvivenza degli antichi dei, Turin, 1980), précédée par une importante introduction de S. Settis ; Saxl, F., Lectures, Londres, 1957 Google Scholar ; Panofsky, E., Renaissance and renascenses, Stockholm, 1965.Google Scholar
46. Liber miraculorum Sancte Fidis publié d'après le manuscrit de la Bibliothèque de Schlestatt par M. l'abbé Bouillet, A., Paris, 1897, introduction.Google Scholar
47. Ibid., pp. 46-49.
48. P. Brown, Society and the holy, pp. 302-332 (voir surtout pp. 318-321, 330).
49. Voilà le titre complet : Quod sanctorum statuae propter invincibilem ingenitamque idiotarum consuetudinem fieri permittantur, presertim cum nichil ob id de religione depereat, et de coelesti vindicta.
50. Stock, B., The implication of literacy, Princeton, 1983, pp. 64–72 Google Scholar, qui donne un important commentaire du chapitre de Bernard.
51. E. Bickerman, « Sur la théologie de l'art figuratif. A propos de l'ouvrage de E. R. Goodenough », Studies in Jewish and Christian history, III, Leyde, 1986, p. 248, n. 7.
52. Sur tout cela, cf. l'excellent article de J. Taralon, « La majesté d'or de Sainte-Foy du trésor de Conques », Revue de l'Art, 40-41, 1978, pp. 9-22 surtout p. 16 ; Dahl, E., « Heavenly images. The statue of St. Foy of Conques and the signification of the médiéval cuit in the West », Acta ad archaeologiam et artium historiam pertinentia , VIII, 1978, pp. 175–191 Google Scholar ; Wirth, J., L'image médiévale, Paris, 1989, pp. 171–194.Google Scholar
53. Ibid., p.19.
54. I. H. Forsyth, The throne of Wisdom, Princeton, 1972.
55. J. Wirth, « La représentation de l'image dans l'art du Haut Moyen Age », Revue de l'Art, 1988, p. 15.
56. Liber miraculorum, pp. 9-10, 18, 49-51.
57. Ibid., pp. 40-41.
58. Ibid., p.47.
59. Cf. le bel article de Bugge, R., « Effigiem Christi, qui transis, semper honora. Verses condemning the cuit of sacred images in art and literature », Acta ad archaeologiam et artium historiampertinentia , VI, 1975, pp. 127–139.Google Scholar J'ai corrigé la traduction.
60. Durig, W., Imago. Ein Beitrag zur Terminologie und Theologie der Römischen Liturgie, Munich, 1952 Google Scholar ; Daut, R., Imago. Untersuchungen zum Bildbegriff der Römer, Heidelbert, 1975 Google Scholar ; Auerbach, E., « Figura », dans le recueil du même auteur Scènes from the Drama of European literature, New York, 1959, pp. 11–76.Google Scholar
61. Liber miraculorum, cité p. 26. A. Bouiixet et Servieres, L., Sainte Foy vierge et martyre, Rodez, 1900, p. 458 Google Scholar donnent la traduction suivante : « non dans l'abstraction, mais substantiellement incarné dans un corps », aussi Stock, The implications, p. 69, qui traduit : « not in an image (…) but genuinely présent in substance ».
62. Ambroise, In psalmum 38, n. 25 (PL, 14, 1051-1052), cité par H. de Lubac, Corpus mysticum, Paris, 1949, p. 218 (voir aussi ibid., p. 217 ss).
63. Dahl, Heavenly images, p. 191.
64. de Lubac, Corpus mysticum, p. 275.
65. Stock, The implications, p.244 ss.
66. PL, 156, 631, cité par Stock, The implications, p. 250. Voir aussi Geiselmann, J., Die Stellung des Guibert de Nogent , « Theologische Quartalschrift », 110, 1929, pp. 67–84, 279-305.Google Scholar
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71. Chronique du religieux de Saint-Denys, I, Paris, 1839, p. 600 (je reviendrai prochainement sur ce texte). Le religieux de Saint-Denis mourut entre 1430 et 1435 : cf., Nordberg, M., « Les sources bourguignonnes des accusations portées contre la mémoire de Louis d'Orléans », Annales de Bourgogne , XXXI, 1959, pp. 81–98.Google Scholar