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Histoire des savoirs et relations de pouvoir

Les métamorphoses de la science administrative italienne (1875-1935)

Published online by Cambridge University Press:  20 September 2024

Andrea Rapini
Affiliation:
Université de Bologne, Département de Sociologie et Droit de l’économie [email protected]
Pierre-Édouard Weill
Affiliation:
Université de Bretagne occidentale, Lab-LEX (EA 7480/université de Bretagne occidentale-université de Bretagne Sud) et SAGE (UMR 7363 CNRS/université de Strasbourg) [email protected]
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Abstract

Cet article apporte une contribution à l’histoire des savoirs fondée sur l’analyse de relations de pouvoir à la croisée des champs académique et politique. Il prend pour objet les métamorphoses de la science administrative (SA) italienne, de son imposition dans le cursus juridique (1875) à sa disparition provisoire des facultés de droit (1935). Il esquisse d’abord les grandes lignes du modèle universitaire italien naissant et ses influences étrangères. Il analyse ensuite la controverse sur les fondements épistémologiques et les frontières d’une SA émergente et contestée, ces débats étant liés à des enjeux politiques sur la souveraineté de l’État et la légitimité de son intervention sociale. Si l’enseignement de la SA connaît un essor jusque dans les années 1880, des transformations réglementaires affectent les rapports de force dans le recrutement professoral et amorcent son déclin. C’est ce qu’objective la reconstitution de la structure des liens de coparticipation aux jurys de recrutement, grâce aux outils de l’analyse de réseaux. Combinant l’exploitation de ces résultats et de données biographiques, l’article montre comment les défenseurs d’une méthode juridique des plus formalistes imposent leurs principes de définition et de classement des disciplines administratives. L’étude de trajectoires exemplaires oppose enfin la perpétuation de la marginalité des promoteurs d’une SA interventionniste à la consécration de ses contempteurs, qui légitiment l’État libéral, mais adoptent des postures contrastées face à l’avènement du fascisme.

This article contributes to the history of knowledge by analyzing power relations at the intersection of the academic and political fields. It focuses on the evolution of Italian administrative science (AS) from its introduction into the legal curriculum in 1875 to its temporary removal from law faculties in 1935. The article begins by describing the naissance of the Italian university model and its foreign influences. It then analyzes the controversy surrounding the epistemological foundations and boundaries of an emerging and contested AS, tracing debates linked to political issues of state sovereignty and the legitimacy of welfare policies. The teaching of AS flourished into the 1880s. However, regulatory changes affected the balance of power in the recruitment of professors, and the field began to decline. This is illustrated by a reconstruction of the links between coparticipants in recruitment juries, based on network analysis. Combined with biographical data, these results show how defenders of a highly formalist legal method imposed their vision on the definition and classification of administrative disciplines. Finally, a study of representative individual trajectories contrasts the ongoing marginalization of those who favored an interventionist AS with the legitimation of its detractors: supporters of the liberal state, who nevertheless adopted disparate positions in the face of the rising tide of Fascism.

Type
État et administration
Copyright
© Éditions de l’EHESS

En 1875, soit quatorze ans après la naissance de l’État italien, le ministre de l’Instruction publique Ruggiero Bonghi intègre, pour la première fois, la science administrative (SA) aux cours optionnels du cursus juridique universitaire s’étalant sur quatre ans. Dix ans plus tard, un nouveau règlement ministériel rend la SA obligatoire dans le cadre d’un enseignement biennal Footnote 1. Cette intervention gouvernementale dans les programmes universitaires se conjugue à un processus de légitimation académique. Dans la première édition du Digesto italiano – la plus importante encyclopédie juridique nationale –, le professeur Guido Capitani réserve à la SA une entrée spécifi et la présente comme une discipline autonome parmi les sciences sociales et juridiques. La SA a pour objet la « question sociale » et doit fournir aux élites italiennes les connaissances nécessaires à la réduction des inégalités dans l’objectif d’éloigner le « spectre de la révolution » Footnote 2. La SA apparaît donc, à l’origine, comme une science de gouvernement syncrétique, qui s’inscrit dans une tradition caméraliste et qui affiche très clairement les visées de réforme et de légitimation du jeune État italien. Le processus d’autonomisation et d’institutionnalisation académique de cette discipline est cependant peu à peu remis en cause par un déplacement de ses frontières, préalable à sa désinstitutionalisation. Une conception restreinte de l’objet de la SA – centrée désormais sur la seule administration publique – finit par s’imposer à l’entre-deux-guerres. En 1935, un décret Footnote 3 du ministre Cesare Maria De Vecchi fait disparaître les cours de SA des facultés de droit. En outre, le Nuovo digesto italiano, publié en 1937, réduit cette discipline à un sous-champ de la science politique relatif à l’étude de l’administration Footnote 4. Cet article retrace la trajectoire de la SA entre ces deux décrets ministériels (1875 et 1935), qui marquent respectivement son avènement et son déclin. En soixante ans, la SA a vu son objet réduit tout en étant privée de son autonomie scientifi et reléguée dans l’ombre du droit administratif. Avant même l’avènement du fascisme, son projet réformateur est ainsi neutralisé par l’élite libérale et conservatrice au pouvoir. Si la SA renaît lentement dans les années 1960 et s’avère encore aujourd’hui enseignée dans les facultés d’économie et de sciences politiques – plus rarement de droit –, son domaine d’application s’y limite à l’administration publique.

Cette évolution illustre bien la mise en garde d’Andrew Abbott contre la réification des objets disciplinaires sur la seule base de la continuité d’un intitulé Footnote 5. Notre étude de cas permet, en ce sens, d’avancer quelques réponses « locales » à des questions d’ordre plus « général »Footnote 6. Comment surmonter les écueils descriptifs ou téléologiques de certaines approches disciplinaires de l’histoire des savoirs Footnote 7 ? Pourquoi refuser de souscrire à l’hypothèse fonctionnaliste d’une évolution linéaire de la science comme processus de différenciation au sein du « système moderne des disciplines scientifi »Footnote 8 ? Dans une telle perspective, le déclin de la SA s’expliquerait principalement par son « éclectisme »Footnote 9. Cet effacement progressif se serait fait au profit de disciplines aux méthodes plus spécifiques et au statut scientifique mieux affirmé. Adoptant un point de vue différent, nous envisageons plutôt la SA comme un objet de rapports de pouvoir. Si l’on suit Pierre Bourdieu, ce pouvoir s’exerce « sur les instances de reproduction du corps universitaire » – parmi lesquelles le sociologue inscrit en bonne place les commissions de recrutement des enseignants – et « assure à ses détenteurs une autorité statutaire »Footnote 10. Le contrôle de l’entrée et de l’avancement dans le corps professoral permet en effet d’orienter la production de savoirs et la définition de frontières disciplinaires. Nous inscrivons cependant la genèse et l’autonomisation fortement contrariée de la SA italienne dans un contexte académique et politique élargi à travers la mise en valeur des relations et trajectoires d’individus déployant des stratégies pour asseoir leur autorité dans le champ juridique et au-delàFootnote 11. Les transformations de l’État et le capital social extra-universitaire des enseignants apparaissent ainsi comme d’importants paramètres d’analyse du développement d’une disciplineFootnote 12. En portant la focale sur l’Université et les instances de recrutement professoralFootnote 13, nous analysons donc comment la genèse et les transformations de la SA sont structurellement liées à la construction et aux métamorphoses de l’État italien, du libéralisme conservateur au fascisme.

Notre enquête s’inscrit en outre dans le sillage du travail d’Olivier Godechot et Nicolas Mariot sur l’incidence des réseaux d’invitation aux jurys de thèses sur le recrutement des docteurs en science politique, qui montre comment la constitution d’un réseau dense et cohésif favorise la défense, la reproduction ou l’extension d’un groupe dans sa concurrence contre d’autres groupes Footnote 14. Elle s’inspire également de la démarche plus historicisée de Pierre Verschueren sur les jurys de thèses de la Faculté des sciences de Paris à l’après-guerre, qui décrit les logiques de l’imperium physicien sur le champ scientifiqueFootnote 15. Nous mobilisons en effet l’analyse structurale des réseaux pour reconstituer l’espace des concours de recrutement des enseignants de SA et objectiver différents états des rapports de pouvoir disciplinaires. Des juristes ouverts aux sciences sociales parviennent, un temps, à contester l’hégémonie d’une conception plus formaliste du droit, avant que les défenseurs de celle-ci n’en reprennent le contrôle. Si les individus concernés ne sont pas nécessairement conscients de ces réseaux et de leurs effets, un tel artefact de méthode permet de mieux saisir les dynamiques de pouvoir dans la reproduction des formes de savoirs. En se limitant aux relations entre les membres des commissions concernées, l’analyse de réseaux pourrait conduire à surestimer le poids des interactions interindividuellesFootnote 16. Nous montrons cependant qu’un système d’interdépendances de ce type s’avère « indissociable du contexte organisé, culturel, institutionnel et historique dans lequel il se développeFootnote 17 ». L’usage de sources documentaires variées éclaire les clivages et asymétries qui traversent non seulement l’espace des concours, mais aussi la discipline dans son ensemble. Les évolutions morphologiques des réseaux formés par les professeurs qui gouvernent la SA à travers les recrutements de leurs pairs sont ainsi liées à des transformations plus larges des champs scientifique et politiqueFootnote 18.

Nous avons, pour cette raison, recours à différentes sources. Le croisement du Bollettino ufficiale. Ministero della Pubblica Istruzione sous ses dénominations variées, des actes de concours conservés à l’Archivio centrale dello StatoFootnote 19 et de l’Annuario des universités permet de reconstituer les jurys de recrutement professoral et l’évolution de la répartition des cours proposés dans les disciplines administratives durant la période étudiée. En outre, des manuels universitaires sur la SA et le droit administratif, des articles de revues juridiques ainsi que des retranscriptions de leçons inaugurales ou de discours de commémoration de décès de professeurs constituent autant d’accès aux prises de position et aux relations de patronage académiques. Enfin, des caractéristiques biographiques des membres des jurys de recrutement ont été identifiées dans les archives du « Ministero della PI », le Dizionario Biografico degli italiani et le Dizionario biografico dei giuristi italiani.

Cet article esquisse d’abord les grandes lignes du modèle universitaire italien naissant et ses influences étrangères avant d’analyser l’émergence d’une controverse sur les disciplines administratives et leurs frontières sur fond de transformations réglementaires, qui affectent la répartition des cours entre ces disciplines et les modalités de recrutement de leurs enseignants. La reconstitution de l’espace des relations entre membres des commissions en charge de ces recrutements avant et après la Première Guerre mondiale permet ensuite de montrer qui s’avère en mesure d’imposer des principes de définition et de classement des disciplines administratives, puis d’approfondir l’étude de trajectoires académiques exemplaires.

L’Université italienne, entre Paris et Berlin

Les modèles français et allemands ont fortement inspiré l’organisation des universités italiennes depuis l’avènement de l’État unitaire en 1861. Leur influence s’exerce dans un contexte plus général de domination symbolique des puissances limitrophes, qui perdure tout au long du xixe siècle. Le modèle universitaire anglais s’avérant difficilement reproductible en Italie, en raison notamment du poids du secteur privé dans son développement, la France et l’Allemagne polarisent l’essentiel de l’attention des élites politiques et académiquesFootnote 20. Il s’agit cependant de comprendre comment, malgré un attrait durable pour ces modèles voisins, certaines spécificités de l’organisation politique du système universitaire en Italie y déterminent une trajectoire disciplinaire singulière de la SA.

L’influence du modèle français, caractérisé par un fort centralisme, précède l’unification, les conquêtes napoléoniennes de la fin du xviiie siècle ayant laissé un important héritage culturel. Cette inspiration se fait sentir dès la loi Casati sur la réforme scolaire de 1859Footnote 21, dont l’application s’étend du Piémont au reste de la péninsule après l’unité. Ce texte affirme le monopole de l’État sur le financement et la réglementation des universités – il ne sera d’ailleurs pas remis en cause par la réforme du gouvernement fasciste de 1923Footnote 22. La concentration massive des ressources politiques et symboliques au sein de la capitale administrative, observée en France, se révèle néanmoins plus difficilement transposable. En Italie, contrairement au cas français où la centralité parisienne est presque totale, le poids de Rome dans l’espace académique se trouve ainsi contrebalancé par celui d’autres centralités, comme Milan, Padoue, Naples, Pise ou Bologne, qui accueille la plus ancienne université d’Europe. Cette organisation territoriale reflète la géographie politique du pays, où l’autonomie des villes est profondément enracinée depuis le bas Moyen ÂgeFootnote 23.

Par ailleurs, le dualisme entre universités et « grandes écoles » Footnote 24 peine à s’institutionnaliser en Italie, où le développement d’établissements aux effectifs restreints voués à former la classe dirigeante fait peu d’émules. À l’École libre des sciences politiques créée en 1871 à Paris, la SA n’apparaît cependant guère en tant que telle dans les programmes d’enseignement des années qui suivent son ouvertureFootnote 25. Son fondateur, Émile Boutmy, attribue de fait aux sciences administratives « un péril propre qui est d’exagérer l’idée de l’État », selon le témoignage d’Émile Cheysson, qui y enseigne l’économie à partir de 1882Footnote 26. Il est par ailleurs significatif que l’œuvre majeure de Lorenz von SteinFootnote 27 – reconnu en Allemagne et en Italie comme le père de la SAFootnote 28 – n’ait pas été traduite en France. Tout se passe comme si l’espace au croisement des champs académique et politique, qui aurait pu être dévolu à la SA, avait été occupé par d’autres disciplines, au moins jusque sous la IVe RépubliqueFootnote 29, à commencer par l’économie politique. Si cette discipline est initialement enseignée dans les facultés de droit, elle s’en émancipe et trouve précisément à s’épanouir au sein de l’École libre des sciences politiques, restant à l’écart non seulement de l’orthodoxie libérale, mais aussi du socialismeFootnote 30.

Quant au système universitaire allemand, il devient particulièrement attrayant pour l’Italie à partir des années 1870, favorisant le transfert de savoirs administratifs universitaires d’un pays à l’autre. Trois raisons principales expliquent cette situation. Le polycentrisme allemand fait tout d’abord écho au modèle italien, au contraire du dualisme centre/périphérie propre à la France. L’unification récente de l’Allemagne implique ensuite des enjeux similaires et contemporains à ceux auxquels est confronté le jeune État italien. Des universitaires sont ainsi impliqués dans le processus de légitimation du régime politique et dans l’intervention publique face à l’émergence de la question sociale. Enfin, la troisième raison tient aux rapports de force internationaux : après la victoire sur la France en 1870, l’Allemagne tend à constituer un pôle d’influence hégémonique dans l’espace européen, tant sur le plan politique qu’académique, et cela plus particulièrement en Italie.

C’est d’ailleurs sur le modèle prussien qu’est refondée la fameuse université de la ville de Padoue, reprise à l’Empire austro-hongrois en 1866. Parmi les enseignements dispensés, on retrouve la SA, qui s’est précédemment institutionnalisée en tant que discipline autonome dans les universités autrichiennes et des territoires unifiés au sein de l’AllemagneFootnote 31. Prolongeant, à l’ère de l’État-nation, la longue tradition du caméralisme visant à garantir la sécurité, la stabilité, le bonheur et le bien-être du prince et de ses sujets Footnote 32, la SA rencontre les préoccupations d’une certaine frange des élites politiques italiennes. Celles-ci regardent avec beaucoup d’intérêt les thèses d’auteurs tels que von Stein Footnote 33, comme en témoignent la traduction de son Handbuch der Verwaltungslehre en 1888Footnote 34 et la laurea honoris causa qui lui est décernée par l’université de Bologne cette même annéeFootnote 35.

L’influence de ces modèles étrangers, combinée à la persistance de traditions locales, génère un système universitaire hybride marqué par une forte volonté centralisatrice, conditionnant les modalités de recrutement universitaires et, partant, les trajectoires disciplinaires. Il s’agit pour les élites politiques d’homogénéiser un territoire diversifi et d’endiguer les poussées centrifuges, tout en créant les conditions de production d’une science nationaleFootnote 36. L’Université italienne naissante étant financée par l’État, ses représentants veillent en outre à la protéger de l’ingérence de l’Église catholique, encore omniprésente dans l’enseignement primaire et secondaire. L’élite du Risorgimento est en effet majoritairement laïque et l’avènement de l’État italien se fait contre le Vatican, obligé de céder une grande partie de ses territoires et de son pouvoir temporel. Les programmes universitaires gouvernementaux, qui établissent une liste de facultés au sein des universités et de matières obligatoires, refl alors ces grandes orientations. L’on distingue, au moment de l’unification, des facultés de droit, de médecine, de sciences mathématiques, physiques et naturelles, de sciences humaines et de théologie. Ces dernières sont rapidement supprimées à cause de l’orientation laïque du Risorgmento. À l’inverse, les facultés de droit accueillent un nombre croissant d’étudiants et leur fréquentation s’avère de plus en plus déterminante pour la carrière des élites politiques nationalesFootnote 37. Parmi les 21 universités recensées en 1870, seules 4 d’entre elles, dites « libres », relèvent de l’ancien territoire pontifical. Si elles sont financées par les administrations locales, leurs statuts doivent néanmoins être approuvés par le ministère de l’Instruction publique et bien que leur offre pédagogique soit limitée, elles proposent toutes un cursus en droit, preuve de la centralité grandissante de cette discipline.

Concernant le corps enseignant, quatre grades peuvent être distingués entre la naissance de l’État italien et l’avènement du régime fasciste. Au sommet de la hiérarchie du prestige et des salaires figurent les professeurs ordinari (ordinaires). Ils précèdent les professeurs straordinari (extraordinaires) également titulaires, mais définis par la loi Casati comme « externes » au corps professoral. Ces derniers sont initialement censés faire l’objet d’une nomination ministérielle pour une période d’un an, éventuellement reconductible. Toutefois, les postes correspondants sont rapidement mis au concours. Le statut de professeur straordinario se stabilise en tant que grade de second rang. Le passage au statut de professeur ordinario par la décision d’une commission de spécialistes est légalement officialisé en 1904. Le régime fasciste remplace ensuite les expressions ordinario et straordinario par celles de stabile (stable) et non stabile (non stable).

Aux échelons inférieurs, on retrouve les enseignants incaricati (chargés de cours) et les liberi docenti (enseignants libres). De fait, les premiers ont pris en charge ce que prévoyait la loi Casati pour les professeurs straordinari : l’enseignement d’un cours à la demande du Conseil de la faculté, pour une durée déterminée. Enfin, le statut des liberi docenti répond à l’opportunité d’exploiter les connaissances de professionnels dans différents champs disciplinaires, le plus souvent sans perspective d’intégration au corps professoralFootnote 38.

Les concours locaux constituent ainsi la modalité la plus répandue du recrutement des enseignants permanents. Si la loi Casati permet au ministre de nommer directement des professeurs selon une procédure dite de « chiara fama » (réputation évidente), il s’agit d’un choix résolument minoritaire, signe d’une autonomie du champ académique par rapport au politique, qui s’avère toutefois aussi relative que fluctuante. Proposés par les universités, le financement de la création des postes et les règlements du recrutement sont établis au niveau national, conformément aux velléités centralisatrices des gouvernements successifs de la période étudiée. Ces règlements font du reste l’objet de réformes dont les effets se répercutent sur les enjeux et les frontières des disciplines académiques, a fortiori les plus politiques d’entre elles.

Une controverse disciplinaire

À partir des années 1880, l’usage de l’expression « disciplines administratives » s’intensifie et une controverse scientifique prend durablement forme au sein du champ juridique sur les enjeux relatifs à la définition de l’administration, de ses modalités d’étude et d’enseignement, ainsi que de leurs finalitésFootnote 39. Les évolutions de cette controverse et de la répartition des disciplines administratives enseignées peuvent être liées aux modifications réglementaires dans la composition des jurys de recrutement, sur fond de transformations politiques plus largesFootnote 40.

En 1885, la SA est érigée au rang de matière obligatoire pour l’obtention d’un diplôme de droit. Le règlement du ministre Michele Coppino accorde cependant aux universités la liberté de proposer cet enseignement selon trois modalités : il peut être intégré au cours de droit administratif (DA) ; combiné à ce dernier dans un cours intitulé « Droit administratif et science administrative » (DA et SA) ; faire l’objet d’un cours distinct à l’intitulé spécifi (SA). Quelle que soit l’option retenue par chaque université, le recrutement des professeurs voués à dispenser cet enseignement est confié à une commission unique. Les membres de cette instance sont chargés de définir les contenus scientifiques qu’il est indispensable de maîtriser et de promouvoir en cours. Ils déterminent par là même l’importance à accorder respectivement à deux disciplines concurrentes, DA et SA, qui partagent comme objet l’administration et dont les limites sont alors loin d’être unanimement circonscritesFootnote 41. Les commissions de recrutement deviennent ainsi le terrain d’une confrontation entre défenseurs de l’hégémonie du DA dans ce champ disciplinaire et promoteurs d’une SA autonome, notamment au sujet de leurs frontières respectives.

En fin de compte, la controverse tient tout autant à des enjeux scientifiques qu’aux finalités politiques associées à ces disciplines administratives. Les promoteurs de l’autonomie de la SA prônent en effet l’avènement d’un État interventionniste et réformateur. C’est en particulier le cas de Carlo Francesco Ferraris, le mieux doté en capital symbolique d’entre eux. Nous reviendrons plus en détail sur sa trajectoire académique, marquée par une formation pluridisciplinaire effectuée pour partie en Allemagne et un passage par la haute fonction publique. Inaugurant le premier cours de SA italien en 1878 à Pavie, il prononce un discours paradigmatique : La Science administrative utilise la science politique, la statistique et l’économie sociale. Tenant compte de leurs préceptes, elle analyse comment l’État peut devenir l’organe et l’instrument de l’action collective du peuple, du demos, et comment aider la société à progresser de manière ordonnée et rapide.» Il ajoute que l’État « doit veiller à donner autant d’égalité de facto que possible pour assurer l’égalité juridique », considérant que « l’égalité juridique ne suffit pas, car entre les mains des classes riches et cultivées, il reste toujours un grand pouvoir, une supériorité de fait, qui, bien que non reconnue juridiquement, est la cause des antagonismes et des rapports de dépendance »Footnote 42. Dans cette perspective, le programme du cours de SA dispensé par Ferraris au tournant du xxe siècle (fi 1) débute par l’introduction de concepts généraux, tels que l’État, mais aussi par une méthode d’enquête visant à « explorer les conditions sociales » sur lesquelles il convient d’intervenir. Il est suivi d’un chapitre consacré à l’assistance publique, traitant du paupérisme ainsi que de l’hygiène et du bien-être de la population.

Le chapitre suivant aborde l’assurance des travailleurs, avant que le cours ne revienne sur les enjeux de santé publique, de classification administrative des maladies – y compris mentales – et de protection de la santé au travailFootnote 43.

À l’inverse, les défenseurs de l’hégémonie du DA sur les savoirs de gouvernement tiennent des positions plus libérales, hostiles à l’expansion des missions sociales de l’État comme à un rapprochement avec les sciences socialesFootnote 44. C’est en premier lieu le cas de Vittorio Emanuele Orlando, fondateur de l’école italienne de droit public et acteur politique majeur du champ libéral, jusqu’à sa mise en retrait durant le fascismeFootnote 45. Introduisant son cours de droit administratif et constitutionnel à l’université de Palerme en 1889, il affirme que le principal défaut des juristes italiens est d’être à la fois « trop philosophes, trop politiciens, trop historiens, trop sociologues et trop peu juristesFootnote 46 ». Ayant dirigé la rédaction du Primo Trattato completo di Diritto amministrativo italiano en dix volumesFootnote 47 – nous reviendrons sur le caractère structurant de la collaboration à cet ouvrage pour l’espace étudié –, il énonce dans son introduction un « avertissement d’une importance toute particulière en ce qui concerne les monographies sur l’administration sociale et financière, pour lesquelles le manque presque absolu de précédents scientifiques en Italie augmente le danger d’échanger une méthodologie socio-économique contre le raisonnement juridiqueFootnote 48 ». L’objectif d’Orlando est, plus largement, de fonder une doctrine juridique aux apparences de scientificité vouée à légitimer le jeune État italienFootnote 49. Or la souveraineté de cet État ne repose pas, selon lui, sur le peuple ou le monarque, mais sur sa propre personnalité juridique, soumise au seul droit et non remise en cause dans ses fondements ou ses fonctions par l’émergence de la « question sociale »Footnote 50. S’il reconnaît la légitimité et la nécessité d’« une intervention sociale de l’État », il défend la précellence du DA pour l’étudier et rejette toute velléité d’autonomisation de la SA, envisageant de façon plus générale les sciences sociales comme subalternes à des sciences juridiques placées sous le magistère du droit romainFootnote 51.

Le DA et la SA coexistent néanmoins au sein des universités italiennes jusqu’à la remise en question, en 1935, du caractère obligatoire de cette dernière dans le cursus juridique par le ministre Cesare Maria De Vecchi. Le DA survit donc au régime fasciste, contrairement à la SA qui ne sera plus qu’un cours facultatif dans de rares universités jusqu’à la Libération. L’enseignement de celle-ci s’est pourtant largement diffusé durant les cinquante ans qui séparent la loi Casati de ce règlement ministériel, comme le montre l’analyse de l’offre des cours dispensés dans les universités italiennes sur cette période, recensée dans l’Annuario del Ministero della pubblica istruzione, renommé dell’Educazione nazionale sous le régime fasciste (fig. 2).

Figure 1 – Couverture du fascicule de cours de science administrative de Carlo Francesco Ferraris

Source : Bibliothèque centrale de droit de l’université de Parme. Photographie : Andrea Rapini.

Figure 2 – Répartition des disciplines administratives enseignées dans les universités italiennes (1885-1935)

Source : Annuario del ministero della Pubblica Istruzione.

Note : Les cours dispensés par les enseignants non permanents et titulaires des différents grades sont agrégés. Les données sont indisponibles entre 1915 et 1922, période durant laquelle cet annuaire n’est pas actualisé.

Alors qu’en 1878 l’université de Pavie est la seule à proposer un cours de SA, on observe une généralisation progressive de son enseignement à partir de la publication du règlement de 1885, jusqu’au milieu des années 1920. L’enseignement de la SA en tant que discipline autonome reste cependant très minoritaire durant l’ensemble de la période étudiée. Il est d’ailleurs largement le fait de « liberi docenti » et revêt essentiellement un caractère complémentaire aux cours obligatoires. C’est en effet le choix d’un cours commun à la SA et au DA qui prévaut longtemps, représentant jusqu’à environ 78 % des cours correspondant aux disciplines administratives en 1924Footnote 52. Cette tendance s’inverse toutefois avec l’avènement du fascisme. La part des cours de DA progresse jusqu’à redevenir majoritaire au milieu des années 1930, cette perte de terrain de la SA se révélant irréversible.

Un lien peut toutefois être établi entre l’évolution de cette répartition des enseignements et les modifications réglementaires de la composition des commissions de juristes chargés de recruter ou de promouvoir leurs pairs. Jusqu’en 1890, les règlements des concours attribuent en effet un rôle prépondérant aux facultés de droit. Le représentant de la faculté où le poste est créé propose au ministre une liste de cinq professeurs ordinari pour former la commission, ce qui permet d’orienter localement la nomination des recruteurs et de favoriser l’émergence de bastions de défenseurs de l’autonomie de la SA, par exemple à Pavie. L’évolution du cadre légal tourne cependant assez rapidement en leur défaveur.

Le règlement du ministre Paolo Boselli de 1890Footnote 53 marque un tournant de grande envergure : l’introduction du principe électif. Pour chaque concours, la liste de membres de la commission soumise au ministre – qui conserve ses prérogatives dans leur nomination finale – contient désormais une liste de dix professeurs ordinari, résultat du vote de l’ensemble de leurs homologues des facultés de droit italiennes. De sorte que des spécialistes de disciplines juridiques relativement éloignées, telles que le droit romain et le droit privé, sont désormais amenés à prendre position sur le contenu et les frontières de la SA, aux côtés des spécialistes de droit public. Un tel mode de désignation des commissaires, le plus durable sur la période étudiée, favorise la nomination de représentants des disciplines administratives les plus en phase avec leurs collègues d’autres sous-disciplines juridiques. Les défenseurs de l’hégémonie du DA sur les sciences administratives tirent dès lors profit de leurs ressources éditoriales – offrant à leurs pairs plus de débouchés en termes de publications que leurs adversaires – comme de leurs investissements dans le champ politique.

Alors que la controverse a déjà tourné à l’avantage du premier camp, le fascisme entérine le déclin de la SA, en générant un nouvel équilibre dans la composition des commissions de recrutement. Le ministre Pietro Fedele redonne d’abord, en 1925, un rôle déterminant aux facultés où sont ouverts les postes de professeurs ordinario et straordinario : deux membres des commissions sont en effet de nouveau nommés parmi leurs enseignants. Divers professeurs de facultés de droit du royaume en désignent deux autres et le Conseil supérieur de l’instruction publique un dernier, le ministre conservant sa prérogative de désignation finale. Si cet équilibre tripartite est confirmé en 1933 par le ministre Francesco Ercole, son successeur remet tout à plat deux ans plus tard. Dans le cadre d’un régime totalitaire où la centralisation des pouvoirs se renforce, De Vecchi se réserve en effet la possibilité de décider en toute discrétion des postes à créer, de la composition des commissions et de l’approbation de leur choixFootnote 54.

Il convient désormais de reconstituer plus précisément les modalités d’accès et de participation aux jurys de recrutement sur l’ensemble de la période étudiée. L’évolution du cadre légal se mêle en effet à des dynamiques propres aux systèmes de relations que constituent les membres des commissions pour conditionner à la fois leurs trajectoires individuelles et la définition des frontières entre les disciplines administratives.

L’espace relationnel des concours

La trajectoire de la SA, depuis ses origines jusqu’à l’avènement du fascisme, s’explique non seulement par l’évolution des réglementations universitaires sur fond de transformations politiques majeures, mais aussi par des dynamiques internes à l’espace des disciplines administratives. Notre enquête fonde l’analyse des relations de pouvoir et de domination symbolique au sein de l’espace des disciplines administratives sur la reconstitution du système d’interdépendance entre professeurs ayant participé au recrutement et à la promotion de leurs pairs. Nous avons pour cela recensé tous les concours pour les postes de professeurs straordinari et ordinari – non stabili et stabili selon le lexique des années 1920 – ouverts afin de dispenser les enseignements de SA et de DA entre 1885 et 1935. Ce faisant, nous avons mis en valeur deux réseaux complets. La trajectoire de la SA est en effet divisée en deux périodes distinctes, la Première Guerre mondiale interrompant l’ensemble des recrutements académiques, qui ne reprennent qu’en 1922 dans le cas de la SA. Un total de 41 concours et de 42 professeurs participant aux commissions afférentes est ainsi pris en compte : 24 commissions de recrutement se réunissent entre 1885 et 1915 et impliquent 31 professeurs différents ; 17 concours ont lieu de 1922 à 1935, nécessitant la participation de 19 professeurs aux diverses commissions. Malgré les changements du cadre légal, qui modifient les conditions de leur nomination au fil du temps, les juristes recensés sont unis de facto par leur responsabilité commune : celle de recruter, promouvoir ou rejeter des candidats au sein des disciplines administrativesFootnote 55.

L’ampleur de la période étudiée suppose l’implication de plusieurs générations de juristes, n’ayant pas toujours, loin de là, interagi les uns avec les autres. La durée de titularisation des membres des commissions depuis leur propre recrutement est d’ailleurs prise en compte. Elle s’élève en moyenne à un peu plus de 19 ans à l’issue de la première phase des concours, soit en 1915, et à près de 29 ans en 1935. On observe cependant de larges disparités : certains juristes ne sont titularisés que peu avant la Première Guerre mondiale et n’interviennent plus ensuite dans les jurys, tandis que d’autres voient leur carrière s’étaler sur une grande partie des deux périodes distinguées. Seuls huit professeurs participent à des commissions de recrutement avant et après la Grande Guerre, essentiellement pour des raisons convergentes d’âge et de reconnaissance au sein des disciplines administratives et du champ juridique dans son ensemble.

Les réseaux bimodaux qui correspondent à ces deux périodes sont représentés sous la forme de graphes bipartis (fig. 3 et 4) Footnote 56.

Figures 3 et 4 – Graphes biparti du réseau des jurys de recrutement professoral en SA (1885-1915 et 1922-1935)

Les cercles y figurent les professeurs, dont les noms de famille apparaissent, et les carrés les commissions de recrutement, accompagnées de la mention de leurs dates et du type de poste (S = straordinario, O = ordinario, NS = non stabile, ST = stabile). La participation d’un professeur à un jury de concours est représentée par une flèche reliant le cercle et le carré leur correspondant. Recenser la participation de chacun des professeurs aux différentes commissions durant les périodes distinguées permet d’établir une première mesure de leur activité relationnelle, proportionnelle à la taille des cercles sur les graphes. Cette mesure correspond au cumul de la participation à des jurys de recrutement de professeurs de premier ou de second rang pour chaque commissaire. Cette moyenne de participation se maintient de façon remarquablement stable à 3,7 – 2,4 jurys de recrutement de professeur de premier rang et 1,3 de second rang – pour la première et la seconde période, mais l’écart-type connaît une légère augmentation de 3,2 à 3,5. Il en va de même pour la densité – soit le ratio entre les nombres de liens présents et possibles – des réseaux correspondants, qui s’avère plus élevée après la Première Guerre mondiale (0,214 contre 0,156). Cette différence se reflète dans la forme des graphes bipartis : la structure d’ensemble du premier est moins compacte que celle du second (fig. 2 et 3). Une telle différence est logique au regard du ratio acteurs/événements, soit entre le nombre de professeurs impliqués et celui des commissions (31 professeurs pour 24 commissions entre 1885 et 1915 contre seulement 19 pour 17 entre 1922 et 1935). L’évaluation de la réglementation permet en effet de réduire à 3 membres au lieu de 5 la taille de certains jurysFootnote 57, ce qui tend à la fois à limiter la diversité des professeurs impliqués et à intensifier la présence de certains d’entre eux.

La transformation des réseaux bimodaux en réseaux unimodaux permet de valoriser la centralité des acteurs pour chacune des périodes étudiées et, partant, l’importance de leur contribution aux processus de recrutement. Les professeurs impliqués sont alors liés entre eux par leur participation aux jurys communs, et la taille des liens apparaît proportionnelle à leur nombre. On peut ainsi d’abord calculer la centralité de degré des juristes observés, soit le nombre de collègues différents avec lesquels ils siègent en commissions. La diversité des liens de coparticipation tend à se concentrer chez un nombre restreint de juristes après la Première Guerre mondiale, comme on peut l’observer à travers la comparaison des graphes des réseaux unimodaux des deux périodes (fig. 5 et 6), sur lesquelles la taille des nœuds représentant les juristes apparaît proportionnelle à leur centralité de degré, dont l’écart-type passe de 3,2 à 4.

Figures 5 et 6 – Graphes monoparti du réseau des jurys de recrutement professoral en SA (1885-1915 et 1922-1935)

Un autre indicateur de centralité d’intermédiarité permet cependant de rendre plus précisément compte de la capacité variable à assurer un rôle de coordination et de contrôle des acteurs des réseaux Footnote 58. Il montre dans quelle mesure la présence répétée de certains professeurs dans les jurys de l’espace de recrutement de l’entre-deux-guerres en fait des acteurs à la fois centraux et incontournables. Cet indicateur est, lui aussi, fortement lié au nombre de participation à des jurys. Cette centralité d’intermédiarité présente une variance plus importante que celle de la centralité de degré, entre les scores très faibles, voire nuls, des individus les moins impliqués et ceux des individus les plus à même d’assurer la coordination du recrutement (fig. 7). Ceci rend d’autant plus intéressant de croiser cet indicateur avec certaines caractéristiques personnelles des juristes observés.

Figure 7 – Participation à des commissions de recrutement et centralité d’intermédiarité (1885-1935)

L’examen systématique des cours dispensés, des universités d’affectation, ou encore des engagements politiques constitue un faisceau d’indices pour expliquer les transformations des rapports de force dans le recrutement et la controverse disciplinaire. De la première à la seconde des périodes préalablement distinguées, on observe un renforcement des corrélations entre la centralité d’intermédiarité et certaines de ces caractéristiques des membres des commissions (tabl. 1).

Tableau 1 – Caractéristiques des membres des jurys de recrutement et centralité d’intermédiarité

Note : De 1885 à 1915, le ratio entre la moyenne de centralité d’intermédiarité des membres des jurys de recrutement dans les disciplines administratives ayant dispensé au moins un cours de SA et la moyenne de l’ensemble des membres de ces jurys est de 1,72.

C’est tout d’abord le cas de l’enseignement des disciplines administratives, et notamment des cours de SA dispensés de manière distincte du DA, qui présente une corrélation négative avec la centralité d’intermédiarité après la Première Guerre mondiale. Ces cours concernent en effet une part de plus en plus minoritaire des juristes observés à partir des années 1920, les professeurs en question perdant en outre en influence sur le recrutement au regard de la période précédente. Les partisans de l’autonomie de la SA, qui persistent à ne pas combiner son enseignement à celui du DA, apparaissent ainsi relégués en périphérie des graphes correspondants aux réseaux de cette seconde période (fig. 4 et 6). De même, la contribution au Primo Trattato completo di Diritto amministrativo italiano dirigé par Orlando, dont on a souligné l’orientation profondément juridiciste du contenu, représente une part croissante des membres des jurys après la Première Guerre mondiale et s’avère alors encore plus fortement liée à la centralité d’intermédiarité. Quant à la région des universités qui emploient les membres des commissions – sachant que 29 des 42 professeurs recensés ont connu une mobilité académique –, nous observons un basculement du Sud vers le Nord durant l’entre-deux-guerres, pour ce qui est de la fréquence d’affectation et du lien de cette variable géographique avec la centralité d’intermédiarité. Cette évolution des corrélations renvoie probablement à une perte d’influence plus générale des universités du Sud sur la formation des élites académiques et politiques. Autre variable systématiquement renseignée, l’exercice d’un mandat parlementaire, plus fréquent durant la première période que durant la seconde, demeure négativement lié à la centralité d’intermédiarité des membres des commissions. Cela témoigne moins d’une autonomie de l’espace des disciplines administratives par rapport au champ politique que d’un affaiblissement de l’investissement personnel des parlementaires dans la gestion des carrières académiques du fait de leur élection. Durant la seconde période observée, dont l’ouverture en 1922 précède de peu la Marche sur Rome, ne pas adhérer au Parti national fasciste (PNF) – attitude très minoritaire a fortiori lorsque cette adhésion devient obligatoire pour les professeurs d’université en 1932 – condamne à un rôle périphérique dans les recrutements universitaires. Qu’il s’agisse d’enseignement ou d’engagement dans le champ politique, la présentation de ces corrélations offre un cadrage à une exploration des réseaux plus attentive aux parcours individuels. La mise en perspective de leur structure et d’éléments biographiques diversifiés sur les juristes étudiés vise alors à mieux saisir les logiques de leur positionnement dans l’espace des disciplines administratives et à différencier leurs trajectoires.

Vers un renforcement du droit

La mise en valeur de la structure de l’espace relationnel des commissions de recrutement fait apparaître les membres qui les composent comme plus ou moins centraux ou périphériques. On peut en ce sens opposer des portions ou sous-graphes au sein des réseaux des deux périodes distinguées (tabl. 2) : une portion dont la densité est particulièrement élevée et qui inclut les acteurs les plus centraux (cœur), et d’autres plus éparses, où l’on retrouve une majorité d’individus peu connectés entre eux et moins centraux (périphérie)Footnote 59. De tels positionnements déterminent la contribution à la coordination des processus de recrutement professoral et, partant, l’imposition de points de vue dans l’espace des disciplines administratives.

Tableau 2 – Cœur/périphérie du réseau et centralité des membres des jurys de recrutement

Le réseau unimodal correspondant à la période antérieure à la Première Guerre mondiale inclut une majorité de 26 professeurs dans une position relativement périphérique. Siégeant le plus souvent dans un faible nombre de commissions, ils ne s’inscrivent pas dans un tissu de relations suffisamment dense pour exercer une influence décisive sur les processus de recrutement. On peut cependant distinguer trois types de juristes parmi eux.

Le premier rassemble des membres de jurys de la fin du xixe siècle, phase d’ascension de la SA, qui s’effacent ensuite au gré du basculement des rapports de force disciplinaires, mais aussi en raison de leur âge. Venus tardivement au droit, ces hommes ont une approche de la SA qui se caractérise par une perméabilité à la philosophie et aux sciences économiques et sociales. On retrouve parmi eux Domenico Mantovani Orsetti (1832-1915), à l’origine de la création en 1883 de l’École libre des sciences politiques, sur le modèle parisien, au sein de la faculté de droit de l’université de Bologne. Les enseignements de SA y sont dispensés au départ par Mantovani Orsetti lui-même, avant d’être repris quelques années plus tard par Luigi Rava. Si ces cours demeurent au cœur des programmes de l’établissement jusqu’à la Première Guerre mondiale, Mantovani Orsetti ne participe plus aux jurys de recrutement depuis la seconde moitié des années 1880. Également hostile au formalisme juridique, Adeodato Bonasi (1838-1920) présente un score de centralité d’intermédiarité particulièrement élevé – y compris par rapport aux membres du cœur, du fait de sa participation à six commissions de 1886 à 1892. En effet, il siège aussi bien aux côtés de promoteurs de l’autonomie de la SA comme Ferraris que de défenseurs des thèses d’Orlando, dont la présence devient progressivement dominante dans les jurys. Bonasi apparaît donc comme une figure de transition. Ancré politiquement à droite, il s’engage ensuite dans une longue carrière au sein des institutions politiques et administratives nationalesFootnote 60. Il se rapproche en cela de Ferraris, dont la trajectoire, à la fois exemplaire et marginale, fera bientôt l’objet d’un développement plus détailléFootnote 61.

Un deuxième type de professeurs périphériques au cours de cette première période représente les domaines juridiques connexes, tels que le droit constitutionnel, le droit international ou encore le droit romain. Ils ne sont en cela que ponctuellement mobilisés dans les commissions par leurs collègues administrativistes plus centraux, avec lesquels ils entretiennent des affinitésFootnote 62. Un troisième type de membres des commissions occupe des positions périphériques en raison d’un jeune âge académique du fait de leur recrutement au tournant du xxe siècle. Oreste Ranelletti (1868-1956), Federico Cammeo (1872-1939) et Santi Romano (1875-1947) sont intellectuellement proches d’Orlando, si ce n’est dans une relation de maître à élève. Après la Première Guerre mondiale, ils accèdent à des positions centrales dans l’espace du recrutement propre aux disciplines administrativesFootnote 63.

Enfin, le cas d’Antonio Salandra (1853-1931) échappe à ces trois types et demande une attention particulière : formé à Naples et à Rome auprès des frères Bertrando et Silvio Spaventa Footnote 64, Salandra enseigne la SA à Rome une vingtaine d’années à partir de 1879Footnote 65. Sa périphérie dans l’espace des commissions, au sein desquelles il ne siège que deux fois, tient à l’intensité et à la continuité de son engagement politique dans les rangs du libéralisme conservateur. Élu député dès 1886, il conserve son mandat jusqu’en 1925 et occupe différents ministères ainsi que la Présidence du Conseil lors de l’entrée en guerre de l’Italie.

Concernant le cœur du réseau de cette première période, on y trouve Federico Persico, Alfredo Codacci Pisanelli, Giuseppe Leporini, Vittorio Emanuele Orlando et Lorenzo Meucci. Ces juristes apparaissent tous connectés les uns aux autres par une relation de coparticipation aux jurys, qui peut être très fréquente : Codacci Pisanelli et Persico siègent ensemble dans huit commissions entre 1890 et 1899. Les cinq professeurs du cœur représentent 39,7 % de la composition de l’ensemble des jurys de cette première période. Ils y retrouvent divers collègues, souvent dans des positions plus périphériques, et leurs scores de centralité d’intermédiarité s’avèrent donc particulièrement élevés (tabl. 3).

Tableau 3 – Membres des cœurs de réseaux de jurys de recrutement (1885-1915 et 1922-1935)

Jusqu’au début du xxe siècle, les personnalités les plus centrales de l’espace étudié sont cependant Persico (1829-1919) et Codacci Pisanelli (1861-1929). Originaire de Naples, le premier est la figure de proue de la deuxième génération de spécialistes des disciplines administratives, après Gian Domenico RomagnosiFootnote 66. Devenu professeur extraordinaire de DA dans sa ville natale en 1862, il est promu au grade supérieur six ans plus tard, après avoir fondé la revue Il Filangieri. Persico peut être considéré comme l’archétype à la fois des juristes influencés par les sciences humaines et sociales – bien qu’il se soit clairement exprimé contre l’autonomie de la SAFootnote 67 – et des personnalités politiques libérales, conservatrices et catholiques qui défendent une conception de l’État réformatrice afin de prévenir le risque révolutionnaireFootnote 68. Entre 1895 et 1915, il siège dans onze commissions et présente le score de centralité d’intermédiarité le plus élevé (tabl. 3). Il entre en effet aussi bien en contact avec Mantovani Orsetti, Bonasi et Jacopo Silvestri (1821-1901) qu’avec Meucci (1835-1905), privatiste d’orientation libérale convergeant vers les positions d’Orlando. Persico est également en lien avec les disciples d’Orlando, qui critiquent les définitions d’une SA empiétant sur le territoire du DA. Il privilégie les alliances avec ces nouveaux entrants, pour lesquels il fait parfois office de mentor. C’est le cas de Codacci Pisanelli, qu’il contribue à recruter lors du concours de Pavie de 1886, et dont la trajectoire fera l’objet d’un développement ultérieur, ainsi que de Leporini (1852-1917). Ces deux juristes apparaissent centraux du fait de leur participation intense aux commissions à partir des années 1900. Leur influence est le résultat de la politique de recrutement des années précédentes et l’expression de nouveaux rapports de force au sein des disciplines administratives, entretenus par des alliances et des relations de patronage académiques. Cooptés par Orlando pour contribuer à son Primo Trattato completo di Diritto amministrativo italiano, ils deviennent des acteurs majeurs d’un nouvel ordre disciplinaire. En ce qui concerne Orlando lui-même, il ne fait pas partie des membres de commission les plus sollicités, n’ayant siégé qu’au sein de huit jurys de recrutement. Nous avons cependant précédemment souligné à quel point il constitue une figure incontournable de l’espace des disciplines administratives et exerce une autorité intellectuelle sur certains des juristes recrutés au tournant du xxe siècle, qui deviennent les plus influents à l’issue du conflit mondial.

Après la Première Guerre mondiale se forme une opposition entre, d’une part, des acteurs périphériques en raison de leur éloignement disciplinaire ou de leur investissement dans le champ politique et, d’autre part, des juristes particulièrement centraux, qui ne cultivent toutefois guère la neutralité à l’égard du régime fasciste. Les quinze juristes relégués à la périphérie du réseau unimodal de la seconde période ne siègent en moyenne que dans deux commissions et diversifient peu leurs liens de coparticipation (tabl. 2). Étant donné les évolutions réglementaires précédemment mentionnées, la participation de juristes non spécialistes des disciplines administratives aux commissions se révèle en effet encore plus limitée que durant la première période, ce qui les relègue à la périphérie du réseauFootnote 69. Bien qu’il soit très proche d’Orlando, la participation de Vittorio Brondi, spécialiste de droit romain, se limite par exemple à deux commissions au début des années 1920. Son élection comme sénateur à vie contribue en outre à limiter son intervention dans le champ académique. La participation des partisans de l’autonomie de la SA s’avère encore plus sporadique, seul pouvant être cité Ferraris, qui siège uniquement à l’occasion du recrutement d’un professeur straordinario à Macerata en 1921. Tous les autres sont liés à l’école orlandienne et à son évolution des années 1920, marquée par sa rencontre avec le fascisme.

Parmi eux, le cas de Giovanni Vacchelli mérite un aperçu, sa trajectoire ressortant comme particulièrement significative des transformations des rapports de pouvoir au sein des disciplines administratives. Diplômé en droit à Rome en 1887, il défend l’autonomie de la SA dans ses premiers ouvrages avant de se tourner vers une conception plus strictement juridique de l’administration, sans doute en raison d’appréciations négatives formulées par des membres de jurys contrôlés par Orlando et ses proches à l’issue de candidatures infructueuses Footnote 70. Vacchelli est cependant titularisé à Macerata en 1896 par une commission composée de Codacci Pisanelli, Meucci, Persico, Leporini et Orlando lui-même, ce dernier le cooptant ensuite pour contribuer à son Primo Trattato. Vacchelli se présente dès lors comme un gardien fi de la « méthode juridique » en matière de recrutement. Siégeant dans neuf commissions entre 1900 et 1915, puis cinq après la guerre, son score de centralité d’intermédiarité apparaît assez élevé durant la seconde période, peut-être en raison de son rôle de passeur intergénérationnel. Il apparaît toutefois à l’écart du noyau de jeunes juristes qui prennent le contrôle du recrutement dans les années 1920. Durant cette période, il s’attaque en effet à une refonte critique de la méthode juridique, qui ne fera l’objet de publications qu’à la faveur de sa retraite Footnote 71.

Le cœur du réseau apparaît quant à lui fortement restreint et cohésif, rassemblant un quatuor de juristes nés entre 1868 et 1878 : Umberto Borsi, Cammeo, Ranelletti et Romano. Leurs liens de coparticipation aux jurys sont particulièrement forts (fig. 6). Ces juristes représentent à eux seuls 56,5 % de la composition des jurys, dans lesquels ils sont toujours au moins deux à siéger. Ils atteignent ainsi des scores de centralité de degré et d’intermédiarité particulièrement élevés. Fervents défenseurs du formalisme juridique et pour la plupart hostiles aux sciences sociales, ces administrativistes sont tous des produits de l’école orlandienne et des stratégies de recrutement académique afférentes à sa construction. S’ils sont généralement formés ou obtiennent leurs premiers postes dans les régions méridionales ou centrales, leur mobilité académique s’effectue vers les universités du Nord. Par ailleurs, les membres de ce sous-groupe influent ont fait allégeance au régime fasciste et collaboré avec ses institutions. Présentant un degré d’adhésion divers, ils trouvent, chacun à leur manière, des motivations personnelles à un tel ralliement. Sur le plan disciplinaire, ils peuvent être rattachés plus ou moins directement à Orlando, ayant tous participé à son Primo Trattato.

Diplômé de Pise en 1894, Cammeo y a suivi les enseignements de Codacci Pisanelli. Il devient Professeur straordinario à Cagliari en 1900, poste pour l’attribution duquel son maître siège en commission aux côtés de Vacchelli, Longo, Leporini et Orlando lui-même. Il est ensuite nommé à Padoue, puis à Bologne, dont il préside la faculté de droit. Borsi (1878-1961) est quant à lui recruté en 1905 à Macerata. Très influencé par les travaux de Leporini et Ranelleti, il y est nommé professeur ordinaire quatre ans plus tard par une commission dans laquelle figurent ce dernier ainsi que Longo et Vacchelli. Durant les années 1920, Borsi prend plusieurs fois des positions publiques très proches de celles de Codacci Pisanelli sur l’incohérence scientifique de la SA et la nécessité de fusionner son enseignement avec celui du DA Footnote 72. Pour ce qui est de Romano (1875-1947), le plus renommé du groupe et le plus investi en dehors du champ juridique, il possède aussi la personnalité la plus complexe et la plus troublante Footnote 73. Élève d’Orlando, il obtient son diplôme à Palerme en 1896. Après avoir enseigné le DA en tant que libero docente, il est nommé professeur extraordinaire en droit constitutionnel à Camerino en 1899 avant d’être muté à Modène en 1902, où il enseigne également le droit international. Durant cette période, il adopte une position ambiguë sur la SA, en décalage avec celle de son maître. Romano admet en effet la pertinence d’une approche globale et interdisciplinaire de l’administration à travers la synthèse de connaissances juridiques, économiques et sociologiques. Il refuse néanmoins d’envisager un statut disciplinaire autonome pour la SA. Nommé à l’université de Pise en 1909, il y prononce une conférence inaugurale, restée célèbre, lors de son cours de DA sur l’« État moderne et sa crise » qui confirme cette ambiguïté Footnote 74. Au-delà de l’hommage formel à l’approche orlandienne, Romano reconnaît implicitement la pertinence d’une mise en valeur des risques pour la souveraineté de l’État liés à l’émergence de la question sociale et des organisations syndicales de masse. Il apparaît par ailleurs sensible au corporatisme, également défendu par certains promoteurs de la SA et qui deviendra un axe idéologique majeur du fascisme. Malgré cette forme de légitimation d’objets d’étude construits par les partisans de l’autonomie de la SA, et quand bien même il lui consacre un cours spécifi à la faculté de science politique de l’université de Rome en 1931Footnote 75, Romano devient l’un de ses principaux fossoyeurs, comme en témoignent les procès-verbaux des jurys auxquels ils participent. Durant les années 1920, il siège dans une dizaine de commissions de recrutement avant d’être nommé par le gouvernement fasciste à la présidence du Conseil d’État en 1928, qu’il conserve jusqu’en 1944Footnote 76. Romano siège dans neuf de ces jurys aux côtés de Ranelletti, avec lequel il partage de grandes orientations disciplinaires et politiques. Nous examinerons la trajectoire de ce dernier au sein de l’espace du recrutement, qui évolue d’une position marginale après la Première Guerre mondiale à un niveau de centralité et d’influence maximal.

Des trajectoires exemplaires

La participation des juristes au recrutement de leurs pairs et, partant, aux luttes pour la définition des enjeux, méthodes et frontières légitimes de la SA s’étend sur une durée variable. Certains d’entre eux ne participent qu’à une ou deux commissions sur un laps de temps très limité, tandis que Codacci Pisanelli siège pour la première fois dans un jury à Macerata en 1890 et pour la douzième et dernière fois à Milan en 1928. Seuls 8 professeurs parmi les 42 recensés enjambent la Première Guerre mondiale et l’arrêt des recrutements qui sépare les deux périodes distinguées par l’analyse des réseaux. Le croisement de leur durée de titularisation et de leurs scores de centralité d’intermédiarité rend possible la comparaison de leurs positionnements respectifs à l’issue de chacune de ces deux périodes, en tenant compte de la temporalité de leurs carrières académiques (fig. 8).

Figure 8 – Durée de titularisation et centralité d’intermédiarité (1885-1935)

La durée des trajectoires de ces professeurs correspond à celle de leur titularisation durant l’ensemble des deux périodes observées. Cette durée varie ainsi entre 14 ans pour Cammeo et 44 ans pour Vacchelli – écart-type de 10 – pour des raisons générationnelles, mais aussi pour des raisons plus spécifiques aux rapports de force disciplinaires. On constate d’emblée que 7 des 8 juristes dont la présence en commission de recrutement se perpétue après la Première Guerre mondiale appartiennent à l’école d’Orlando. Parmi les disciples et les alliés de ce dernier, l’unique juriste extérieur aux disciplines administratives est Luigi Rossi. Il est toutefois significatif qu’il soit constitutionnaliste, dans la mesure où cette branche du droit public est longtemps maintenue à l’écart de l’influence des sciences sociales en Italie. Seul Ferraris s’oppose à l’hégémonie de la « méthode juridique » préconisée par Orlando et ses disciples. Saisir l’évolution de l’influence des membres des commissions sur le recrutement passe en effet par l’étude des trajectoires les plus exemplaires. Celles de Ferraris, Ranelletti et Codacci Pisanelli correspondent respectivement à la perpétuation d’une certaine marginalité, à un déplacement marqué vers le cœur de l’espace étudié ou, au contraire, vers sa périphérie. Elles offrent ainsi toutes les trois des éléments d’explication supplémentaires aux transformations des disciplines administratives, notamment celles liées à des investissements académiques dans un champ politique mouvant.

Ferraris (1850-1924) appartient à la deuxième génération de spécialistes de l’administration. Né à Moncalvo (Asti), il est diplômé de droit à Turin en 1870 et poursuit une formation pluridisciplinaire en sciences économiques et politiques en Allemagne. Dans un contexte d’unification de l’État allemand et d’essor des sciences camérales aux orientations politiques diversifiéesFootnote 77, Ferraris opte pour le « socialisme de chaire » d’Adolph Wagner Footnote 78, soit la tendance la plus interventionniste et hostile au libéralisme économique de ce courant. De retour en Italie, il se rapproche d’un réseau de savants et personnalités politiques opposés aux partisans du « laisserfaire »Footnote 79. Cet engagement et ses compétences en sciences sociales et économiques lui valent d’être appelé par Luigi Bodio à la direction des Statistiques du ministère de l’Agriculture, de l’Industrie et du Commerce de 1874 à 1876Footnote 80. En 1878, à l’initiative de son mentor, Angelo Messedaglia, député et infl professeur d’économie et de statistique à Rome et Padoue Footnote 81, il obtient la première chaire de SA d’Italie à Pavie. Cette université est alors, avec celle de Padoue, l’une des plus perméables aux sciences camérales germaniques. Les conférences de Ferraris deviennent une référence des plus légitimes en Italie quant aux fonctions et objectifs de l’État et d’une science vouée à son étude, en opposition aux doctrines libérales et aux théories de la personnalité juridique de l’État développées par l’école orlandienne Footnote 82. Comme l’a formulé le statisticien Corrado Gini, don’t Ferraris était proche, ce dernier se situait « loin des tendances modernes des peaufineurs de concepts juridiques » Footnote 83.

En 1880, Ferraris fonde l’Annuario delle scienze giuridiche, sociali e politiche. Cette revue, dont le titre indique l’ouverture interdisciplinaire, connaît cependant une existence très éphémère Footnote 84. Au cours des années suivantes, il partage ses activités entre l’Université – en 1885, il devient professeur titulaire de statistique à Padoue puis recteur, reprenant en même temps son enseignement de SA –, ses fonctions nationales d’expert en statistiques et son activité parlementaire. En 1904, il est en effet élu à la Chambre des députés avant d’être nommé sénateur en 1913, ayant entre-temps brièvement occupé le poste de ministre des Travaux publics. Il meurt deux ans après la Marche sur Rome, en 1924, sans avoir jamais adhéré au PNF. Au cours de sa carrière universitaire, Ferraris n’a finalement participé qu’à deux commissions de recrutement. En 1886, son nom avait été proposé directement par la faculté de droit de Pise en vertu du règlement Baccelli, puis choisi par le ministre. À cette occasion, Codacci Pisanelli avait décidé de retirer sa candidature, probablement pour manifester une certaine distance disciplinaire. La commission avait alors confirmé l’éligibilité au concours de Salvatore Francone et Carmine Soro-Delitala, deux candidats très éloignés des défenseurs de la « méthode juridique » orlandienne. Bien plus tard, en 1921, il contribue à l’attribution d’un poste de professeur straordinario à l’université de Macerata en faveur de Silvio Trentin, militant socialiste et antifasciste qui émigre en France peu après l’avènement du fascisme Footnote 85.

Concernant Codacci Pisanelli, sa trajectoire contraste en grande partie avec celle de Ferraris. Le déclin de son influence sur le recrutement après la Première Guerre mondiale, alors même qu’il avait acquis une position particulièrement centrale dans l’espace des disciplines administratives au début du xxe siècle, s’explique par les transformations du champ politique national et par son propre désengagement. Fils adoptif du juriste et ministre de la Justice libéral-conservateur Giuseppe Pisanelli, il est diplômé en 1883 de la faculté de droit de Naples avant de poursuivre – comme Ferraris dix ans plus tôt – sa formation en Allemagne. Recruté dès 1885 à l’université de Camerino, il est promu ordinario un an plus tard à Pavie, où il s’oppose notamment à Ferraris par ses refus de la « contamination » du droit par les sciences sociales et de l’autonomie de la SA. Lors de la conférence inaugurale de son cours de droit public, il présente cette discipline comme partie intégrante du DA, correspondant à l’étude de « l’administration sociale », soit « l’action de l’État sur la vie physique, économique et intellectuelle » Footnote 86. Dans cette perspective, il adhère à la fusion des enseignements préconisée par le règlement Bonghi de 1885. Codacci Pisanelli parvient dans les années suivantes à imposer ses convictions à travers le recrutement et la promotion de ses pairs, siégeant dans l’ensemble des onze commissions réunies entre 1890 et 1903, au sein desquelles il peut faire alliance avec d’autres disciples d’Orlando.

Militant dans les rangs du libéralisme le plus conservateur, il publie plusieurs ouvrages aux thèses réactionnaires contre les théories démocratiques et le « dogme de la souveraineté populaire »Footnote 87. Le déroulement de sa carrière politique est toutefois probablement la cause majeure de sa disparition des jurys des concours des décennies suivantes, à l’exception d’une participation à un jury de recrutement de professeur stabile à l’université catholique de Milan en 1928. À cette occasion, il conteste le profi insuffi juridique du seul candidat, Romeo Vuoli, pourtant fortement désiré par cette université privéeFootnote 88. À la fi du xixe siècle, Codacci Pisanelli est élu député et poursuit sa carrière politique jusqu’en 1929, occupant différents postes de soussecrétaire d’État au sein des ministères du Trésor (1904-1905 et 1906), puis de l’Agriculture, de l’Industrie et du Commerce (1909-1910). Il continue de partager le formalisme juridique du groupe de disciples d’Orlando, désormais fermement établi au cœur du réseau. Néanmoins, à une époque où le contrôle du pouvoir politique sur l’Université s’accentue avec l’avènement du fascisme, son repositionnement dépend de la relation ambiguë qu’il entretient avec le régime mussolinien. Bien qu’il adhère au PNF, il est mis à l’écart en raison d’une loyauté parlementaire limitéeFootnote 89. Réélu député dans le cadre de la 27e législature sur la liste fasciste (1924-1929), Codacci Pisanelli vote en 1925 contre les projets de réforme électorale, de limitation de la liberté d’association et de dispense de service des fonctionnaires d’État soupçonnés d’antifascisme. Faisant montre d’une allégeance au régime insuffi il est marginalisé dès lors que celui-ci amorce une transition de l’autoritarisme vers une dictature totalitaire. Codacci Pisanelli décède quelques années plus tard, en 1929.

À l’inverse de son aîné, Oreste Ranelletti (1868-1956) occupe une position très périphérique dans l’espace du recrutement des disciplines administratives avant la Première Guerre mondiale, essentiellement du fait de son jeune âge. Il siège ensuite dans douze commissions de 1923 à 1935 et atteint le score de centralité d’intermédiarité le plus élevé des juristes du réseau (200,4). Un tel déplacement vers le cœur de l’espace relationnel des recrutements d’une période à l’autre justifie de s’attarder sur son parcours (fig. 8). Originaire du petit village de Celano, dans la province de L’Aquila, Ranelletti obtient son diplôme de droit en 1891 à l’université La Sapienza de Rome, alors creuset de la controverse disciplinaire sur l’autonomie de la SA. Sa formation s’effectue sous l’étroite direction de Vittorio Scialoja, l’une des figures dominantes de la science juridique italienne à la fin du xixe siècle. Ce dernier dirige une école puissante aux ramifications étendues, centre majeur de formation et de dissémination d’une approche du droit romain fondée sur deux pierres angulaires : le formalisme et l’abstractionFootnote 90. Scialoja contribue ainsi au recrutement de son plus proche disciple dès 1893, alors qu’il n’est âgé que de 25 ans, comme professeur extraordinaire en DA et SA à l’université libre de Camerino. Il y passe au rang de professeur ordinaire seulement deux ans plus tard, mais s’installe au tournant du xxe siècle à Macerata, où il est nommé à l’université par une commission formée d’Orlando, de trois de ses plus loyaux fidèles (Codacci Pisanelli, Leporini et Longo) ainsi que de Persico. Ranelletti y devient également doyen et recteur de l’université.

En 1904, il rédige le chapitre consacré au maintien de l’ordre public dans le traité d’Orlando. La convergence est quasi naturelle entre l’élève de Scialoja et le juriste de Palerme, car durant ces mêmes années, ce dernier travaille à fonder son école de droit public en y transférant des présupposés méthodologiques propres au droit civil Footnote 91. Cette voie est aussi peu ou prou celle qu’emprunte un autre juriste particulièrement central de l’entre-deux-guerres, à savoir Romano. Ces convergences méthodologiques portent Ranelletti à se considérer comme cofondateur d’une approche juridique de l’État et de l’administration, plutôt que comme disciple d’Orlando ou d’autres figures majeures du droit public italien. Une telle convergence opère également autour du partage de la conception d’une souveraineté de l’État fondée sur sa seule personnalité juridique. Ce qui revient à se désintéresser, si ce n’est à délégitimer les revendications de citoyenneté sociale émanant des classes populaires Footnote 92.

Ranelletti s’installe ensuite à Pavie, où il occupe là encore les fonctions de doyen (1907-1914), puis de recteur de l’université (1915-1920), ce qui lui permet de renforcer son emprise sur la faculté de droit. Pendant cette période, il s’est consacré à la rédaction d’une de ses œuvres majeures : Principii di diritto amministrativo. Dans le premier volume consacré aux « notions les plus générales et fondamentales », il prend position dans la controverse sur la SA, dont il admet à l’époque sa légitimité à étudier « l’ordre de l’administration publique» sans « contamination réciproque » avec le droit Footnote 93. Ranelletti rallie cependant plus tard le point de vue majoritaire des opposants à son autonomie disciplinaire. Devenu membre du Conseil supérieur de l’Instruction publique, grâce à l’intervention de Scialoja, il passe ensuite quelques années à l’université de Naples avant de finir sa carrière à celle de Milan, où il devient doyen de la faculté de droit jusqu’à sa retraite, en 1938. Dans les multiples rééditions de ses « Principes », publiées au cours des années 1920-1930, la discussion méthodologique sur les sciences de l’administration s’efface progressivement jusqu’à sa disparition. Comme si, de toute évidence, la controverse n’avait plus lieu d’être. Au cours de sa carrière, Ranelletti participe à 18 commissions de recrutement dans les disciplines administratives, dont 8 en tant que président. Bien qu’il ait revendiqué quelques années avant sa mort une fidélité indéfectible à la « méthode juridique »Footnote 94, une légère fissure semble se dessiner dans la préface d’une réédition de son dernier ouvrage Istituzioni di diritto pubblico. S’adressant à un hypothétique jeune lecteur d’une nouvelle ère politique postSeconde Guerre mondiale, l’auteur reconnaît l’« aridité formelle » de l’école qu’il a lui-même contribué à créerFootnote 95. Si le terme « fascisme » n’apparaît jamais dans ce texte, il n’en est pas moins clair qu’une telle « aridité » s’avère parfaitement compatible avec la légitimation juridique et politique du fascisme, à laquelle Ranelletti, membre du PNF depuis 1931, a apporté sa contribution.

Pour résumer la contribution de ces trajectoires exemplaires, Ferraris personnifie une conception marginale de la SA et de son rapport aux autres disciplines administratives, mais aussi aux transformations politiques en cours, du moins jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Ranelletti en incarne quant à lui une version triomphante, notamment face à certains de ses aînés, tel Codacci Pisanelli. Dans ces deux derniers cas, la divergence de parcours tient moins à des nuances théoriques qu’à un stade d’avancement différent dans la carrière et à l’ajustement d’investissements personnels dans le champ politique avec l’avènement du régime fasciste. Ainsi, l’approfondissement de trajectoires individuelles montre clairement comment la SA se désinstitutionnalise parce que les partisans de son autonomie sont progressivement évincés des jurys de recrutement où se décide l’avenir des disciplines administratives. De purs publicistes les remplacent et limitent les velléités réformatrices de ces dernières, lorsqu’ils ne s’efforcent pas de les ajuster à un ordre social et politique en transformation.

Un destin paradoxal

Avant de résumer les résultats de cette enquête, une énigme demeure : pourquoi le régime fasciste a-t-il laissé se tarir la SA en dépit de convergences idéologiques potentielles ? Pour avancer une réponse, on peut notamment prendre appui sur l’étude des origines de la faculté des sciences politiques de Rome. Celle-ci a vu le jour après la réforme du ministre de l’Instruction publique et philosophe Giovanni Gentile (1924), visant à former une classe dirigeante fasciste. Le nouveau régime juge en effet la faculté de droit de Rome trop imprégnée de libéralisme. Selon Gentile, qui se définit lui-même comme libéral mais en faveur d’un « État fort », la fondation de la nouvelle faculté doit néanmoins procéder d’un compromis avec les juristes libéraux en privilégiant la « science» à des approches trop « militantes». C’est pourquoi la commission chargée de rédiger le cursus est majoritairement composée de professeurs aux orientations libérales-conservatrices. Une part substantielle des enseignements est également empruntée à la faculté de droit, à commencer par un cours de SA initialement confié à Codacci Pisanelli. En dépit de l’autorité intellectuelle de Gentile, la réaction des représentants fascistes les plus déterminés à rompre la continuité avec l’ère libérale est violente : ils se déchaînent contre les propositions de la commission qui, à leurs yeux, porte les stigmates d’un passé rétrogradeFootnote 96. La SA connaît ainsi le paradoxe d’être née pour s’opposer à la conception de l’État propre à des juristes libéraux dominants, mais de s’éclipser quelques décennies plus tard parce qu’elle y est identifiée.

L’enseignement de Codacci Pisanelli se montre pourtant bien éloigné des contenus disciplinaires inspirés de von Stein. La comparaison entre le programme du cours de SA que le juriste libéral dispense durant l’année académique 1920 à l’université de Rome et celui que Ferraris proposait vingt ans plus tôt est à cet égard éclairante. Après avoir affirmé dans son introduction que la SA ne peut être autonome et doit être associée au droit administratif, Codacci Pisanelli présente l’administration publique à travers une perspective strictement juridique. La première partie du cours porte ainsi sur les « concepts généraux de l’État », la deuxième sur son « organisation » Footnote 97 et la troisième sur ses « organes » Footnote 98. Seule la quatrième partie du cours partage une thématique commune à celui de Ferraris, à savoir la « charité publique ». Envisagée dans un contexte historique antérieur à la création d’assurances sociales obligatoires, cette notion ne renvoie cependant chez Codacci Pisanelli à aucun impératif d’intervention étatique. En outre, son traitement d’un tel objet s’avère encore une fois essentiellement juridiqueFootnote 99.

La SA est ainsi évincée du cursus de la faculté de sciences politiques dès son ouverture, à la fin de l’année 1925, soit lorsque le régime fasciste entame sa métamorphose totalitaire, en adoptant notamment la loi syndicale de 1926, puis la Charte du travail énonçant les principes du corporatismeFootnote 100. En sont également expurgés les juristes libéraux de la faculté de droit, à commencer par Orlando. C’est aussi le cas du droit administratif, qui effectue une brève réapparition en 1933 dans les programmes de la faculté de sciences politiques, puis dans un cours commun avec la SA en 1935, avant que l’enseignement de ces deux disciplines ne soit remplacé par celui d’un « droit corporatif»Footnote 101. Le tournant totalitaire du régime fasciste amène à privilégier une forme de savoir appliqué au corporatisme, en tant que dispositif mobilisé pour donner corps au projet de contrôle et de gestion de l’ensemble de la société nationale. Le droit administratif conserve néanmoins un bastion dans toutes les facultés de droit. Les juristes du noyau libéral recrutés durant les années précédentes y poursuivent leurs carrières, pratiquant une forme de compromis politique et « scientifique » avec la dictature. Ils contribuent en effet à légitimer formellement le régime fasciste, la loyauté des plus zélés étant récompensée par leur insertion dans les rouages les plus sensibles de l’État.

Savoirs, réseaux, pouvoirs

Au terme de ce voyage à travers les métamorphoses de la SA, il convient de résumer les principaux résultats de l’enquête et de mettre en valeur ses implications pour de futures recherches. Cet article contribue d’abord à l’histoire des rapports de pouvoir dans le recrutement académique, a fortiori dans les disciplines comme le droit et les sciences sociales. Notre étude de cas éclaire en effet comment et dans quelles conditions leurs représentants « en sont venus à [se] disputer le monopole de la pensée et du discours légitime sur le monde social Footnote 102 », et plus particulièrement sur l’État. Cette conclusion valorise également un usage de l’analyse de réseau moins « scientométrique » et adossé à des matériaux qualitatifs, pour une histoire des savoirs scientifiques ou juridiques attentive au poids des normes et des attributs individuelsFootnote 103.

Dans les années 1870, une controverse scientifique s’ouvre en Italie sur les fondements épistémologiques et les frontières de la SA, en tant que discipline émergente. Ces débats académiques sont inextricablement liés à des enjeux politiques majeurs sur la souveraineté de l’État et la légitimité de son intervention sociale. Les facultés de droit constituent le cadre privilégié de cette controverse, car s’y exerce une double fonction stratégique de production des connaissances mobilisées pour la légitimation du jeune État italien et de formation des élites politico-administratives. Cette controverse est également influencée par l’évolution des rapports de force internationaux. Dans une phase délicate de son histoire politique, la France cesse d’être le modèle de référence pour les élites italiennes – et la science juridique –, qui se tournent désormais vers l’Allemagne, le nouveau pôle dominant. La SA s’inscrit dans une perspective caméraliste en se présentant comme une science syncrétique de l’administration, entendue non pas tant comme un simple organe de l’État, que comme une activité de gouvernement de la société visant la sécurité et le bien-être des masses. Des juristes hétérodoxes comme Ferraris traduisent pour cela des savoirs administratifs allemands et les implantent dans une tradition nationale, venant par là même contrer l’hégémonie du droit, et du droit romain en particulier. Ils demandent à leurs pairs, dont la présence est déjà fortement marquée au sein des structures politico-administratives les plus centrales, d’être moins juristes et plus statisticiens, économistes, sociologues ou encore historiens. À l’heure où les programmes des cours de SA fleurissent dans les universités italiennes et nourrissent des oppositions, la ligne de démarcation politique entre partisans et adversaires de la SA ne coïncide guère avec le clivage droite-gauche. Ses défenseurs, aux orientations politiques diversifiées, convergent plutôt vers la promotion d’une intervention de l’État dans le traitement de la question sociale grâce au développement d’une expertise fondée sur un syncrétisme disciplinaire.

Si son enseignement connaît un essor jusque dans les années 1880, la SA s’avère rapidement neutralisée du fait d’un basculement des rapports de force dans l’espace du recrutement professoral, à la croisée des champs académique et politique. Les règlements établis par les gouvernements libéraux favorisent un groupe de professeurs défendant l’hégémonie d’une approche juridique des plus formalistes pour l’étude de l’État. Le contrôle de cet espace de reproduction du savoir leur permet de transmettre de génération en génération la « méthode juridique » à laquelle ils ont été formés et de vérifier à leur tour l’adhésion des aspirants au recrutement académique. Or, les implications politiques de cette méthode, qui se manifestent à travers une critique de la souveraineté populaire et l’insensibilité à la question sociale, correspondent parfaitement aux intérêts des élites économiques et favorisent la légitimation idéologique de l’État libéral jusqu’à l’avènement du fascisme. Lorsque Mussolini prend le pouvoir, la SA n’apparaît déjà plus que comme une coquille vide. Enseignée par des juristes libéraux, la discipline se présente désormais comme auxiliaire du droit, sans autonomie scientifique. La dictature fasciste qui, sur les cendres de l’État libéral, se mesure à la gestion et au contrôle d’une population secouée par la question sociale, préfère promouvoir d’autres savoirs tels que les doctrines corporatistes, au sein desquelles infusent toutefois des contenus issus des courants de la SA les plus étroitement liés au catholicismeFootnote 104.

Après la Seconde Guerre mondiale, la SA réapparaît très lentement. En 1955, une conférence à laquelle participent des juristes parmi les spécialistes de l’administration les plus reconnus Footnote 105 se conclut par un appel commun à la renaissance d’une SA conforme à sa conception originelleFootnote 106. Sa réémergence revêt néanmoins des contenus plus cohérents avec le positionnement de l’Italie dans l’espace international. Cette même année, des rencontres entre représentants des gouvernements étasunien et italien relatives aux transferts de savoirs orientés vers la « modernisation » de l’Italie donnent en effet lieu au financement par l’International Cooperation Administration (ICA) d’un cours de troisième cycle à l’université de BologneFootnote 107. Le département de science politique de l’université de Berkeley envoie dans ce cadre quelques professeurs – dont Dwight Waldo – pour enseigner le Public management. Les étudiants les plus prometteurs sont envoyés aux États-Unis pour diffuser ensuite en Italie ces nouvelles doctrines au sein des universités et de l’administration publique. Si ce programme se poursuit grâce à une subvention de cinq ans (1959-1963) de la Fondation FordFootnote 108, ce n’est que dans les décennies suivantes que des cours de SA s’ancreront de nouveau dans certaines universités italiennes. Quoi qu’il en soit, la SA demeure centrée sur l’étude de l’État et son organisation. Elle ne renoue pas avec son ambition première consistant à envisager concomitamment les transformations de la société nationale. De plus, elle est en partie colonisée par la science politique et surtout par l’économie, qui remplace bientôt le droit comme discipline dominante dans le champ des savoirs académiques sur l’ÉtatFootnote 109.

Le recours à l’analyse de réseaux s’est enfin montré efficace pour objectiver les structures agissantes dans l’espace de reproduction des savoirs et les enjeux de pouvoir afférents. Les résultats de l’analyse peuvent néanmoins difficilement s’interpréter en se limitant à l’espace des jurys de recrutement professoral. Ils ne s’avèrent intelligibles qu’à la lumière de matériaux plus qualitatifs, permettant d’envisager de façon concomitante la genèse des disciplines administratives et les transformations du jeune État italien. Premièrement, la prise en compte des réformes gouvernementales des réglementations universitaires, qui pèsent lourdement sur l’évolution de la composition des commissions, relativise le caractère souverain des décisions de leurs membres, y compris des plus centraux. Façonnant en amont les relations de pouvoir dans les disciplines administratives, ces réformes gouvernementales créent les conditions pour qu’en soient remodelés les principes fondamentaux par les partisans de la « méthode juridique », qui cumulent plus de ressources liées à un réseau de relations stables dans les champs juridique et politique. Deuxièmement, le croisement des approches quantitatives et qualitatives permet de nuancer l’interprétation des mesures de centralité, en montrant notamment que l’influence d’Orlando sur le recrutement ne se limite pas à sa seule présence dans quelques commissions. De même, la centralité de Ranelletti dans le réseau correspondant aux recrutements post-Première Guerre mondiale n’en fait guère l’unique responsable de l’extinction de la SA. Sa trajectoire vers une position centrale est le produit de logiques complexes, portées par de multiples juristes, personnalités politiques et institutions. À travers ces observations, le recours à l’analyse de réseaux apparaît profitable à l’étude d’autres controverses et champs académiques, de manière à contribuer à une histoire des savoirs attentive au terrain rugueux des relations de pouvoir.

References

1. Regio decreto (Décret royal, ci-après Rd), 11 oct. 1875, no 2742. Les cours obligatoires étaient alors : « Encyclopédie et éléments philosophiques du droit » ; « Institutions du droit romain » ; « Droit romain » ; « Histoire du droit » ; « Droit civil » ; « Droit commercial » ; « Procédure civile et ordre judiciaire» ; « Droit pénal et procédure pénale» ; « Médecine légale » ; « Économie politique - Statistiques » ; « Droit constitutionnel - Droit admi- nistratif » ; « Droit international ». Les cours optionnels : « SA et hygiène publique » ; « Encyclopédie de la science politique » ; « Science des finances » ; « Comptabilité de l’État » ; « Diplomatie et histoire des traités » (Rd, 22 oct. 1885, no 3444).

2. Guido Capitani, « Scienza dell’amministrazione », in L. Lucchini (dir.), Il Digesto italiano. Enciclopedia metodica e alfabetica di Legislazione, Dottrina e Giurisprudenza, Parte Prima, vol. 21, Turin, Unione Tipografico Editrice Torinese, 1891, p. 795-797.

3. Rd, 28 nov. 1935, no 2044.

4. Ugo Forti, « Amministrazione (Scienza dell’) », in M. d’Amelio et A. Azara (dir.), Nuovo digesto italiano, vol. 1, Turin, UTET, 1937, p. 403-404.

5. Pour reprendre ses termes : « La transposition d’un domaine étranger dans sa propre terminologie peut prendre plusieurs formes » (Andrew Abbott, Chaos of Disciplines, Chicago, The University of Chicago Press, 2001, p. 19).

6. Giovanni Levi, « La storia. Scienza delle domande generali e delle risposte locali», Psiche. Rivista di cultura psicoanalitica, 2, 2018, p. 361-378.

7. Pour une critique des approches disciplinaires, voir l’introduction de Christian Topalov, « Une histoire sociale des savoirs et des savants », in C. Topalov (dir.), Histoires d’enquêtes. Londres, Paris, Chicago, 1880-1930, Paris, Classiques Garnier, 2015, p. 11-47. Concernant plus spécifiquement la SA, nous retrouvons cette approche dans plusieurs contributions d’historiens du droit : Massimo Severo Giannini, « Profili storici della scienza del diritto amministrativo » [1940], Quaderni fiorentini per la storia del pensiero giuridico moderno, 2, 1973, p. 179-274 ; Sabino Cassese, « Lo smarrimento di Oreste e la furia delle Eumenidi : la vicenda intellettuale della scienza dell’amministrazione », Il Foro Italiano, 115-5, 1992, p. 41-48 ; Luca Mannori et Bernardo Sordi, Storia del diritto amministrativo, Rome, Laterza, 2001 ; Bernardo Sordi, « Dall’attività sociale ai pubblici servizi : alle radici ottocentesche dello Stato sociale », Quaderni fiorentini per la storia del pensiero giuridico moderno, 46-1, 2017, p. 175-198.

8. Tel que l’appelle Rudolf Stichweh dans la première partie de ses Études sur la genèse du système scientifique moderne (trad. de F. Blaise, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires de Lille, [1984] 1991), « La genèse du système moderne des disciplines scientifiques», p. 13-108.

9. La notion d’« éclectisme » est encore aujourd’hui utilisée par certains juristes en Italie comme un stigmate pour dénoncer un manque de scientificité de la discipline.

10. Pierre Bourdieu, Homo academicus, Paris, Éd. de Minuit, 1984, p. 112.

11. Pour une approche similaire de l’autonomisation du droit administratif en France, voir Jacques Chevallier, « Le droit administratif entre science administrative et droit constitutionnel », in CERSA, Le droit administratif en mutation, Paris, PUF, 1993, p. 11-40.

12. Christelle Dormoy-Rajramanan et Laurent Jeanpierre, « Excentrée ou excentrique ? Positions de l’Université de Vincennes dans la science politique française des années 1970 », in A. Cohen (dir.), no spécial « Pour une socio-histoire de la science politique », Revue française de science politique, 67-1, 2017, p. 121-143.

13. Pour une esquisse de l’histoire sociale du droit public italien avant la Première Guerre mondiale empruntant une voie similaire, voir Marco Santoro, « Per una storia sociale della giuspubblicistica italiana. Appunti sugli insegnamenti di Diritto ammi- nistrativo e Scienza dell’amministrazione nell’Italia liberale (1870-1915) », Cheiron, 16, 1991, p. 115-152.

14. Olivier Godechot et Nicolas Mariot, « Les deux formes du capital social. Structure relationnelle des jurys de thèses et recrutement en science politique », Revue française de sociologie, 45-2, 2004, p. 243-282.

15. Pierre Verschueren, « Des savants aux chercheurs. Les sciences physiques comme métier (France, 1945-1968)», thèse de doctorat, université Paris 1-Panthéon-Sorbonne, 2017.

16. Wouter de Nooy, « Fields and Networks : Correspondence Analysis and Social Network Analysis in the Framework of Field Theory », Poetics, 31-5/6, 2003, p. 305-327.

17. Fabien Eloire, Élise Penalva-Icher et Emmanuel Lazega, «Application de l’analyse des réseaux complets, à l’échelle interorganisationnelle. Apports et limites», Terrains & Travaux. Revue de sciences sociales, 19, 2011, p. 77-98, ici p. 79.

18. Pour une approche comparable, voir Jérôme Aust et al., « Des patrons aux ex-pairs. Réformes de l’État, mobilisations professionnelles et transformations de l’élite du gou- vernement de la recherche en biomédecine en France (fin des années 1940-début des années 2000) », Gouvernement et action publique, 10-3, 2021, p. 9-42.

19. Rome, Archivio Centrale dello Stato (ci-après ACS), Ministero della Pubblica Istruzione (ci-après MPI), Direzione Generale Istruzione Superiore (ci-après DGIS), Archivio Generale, Università e istituti superiori : affari generali, concorsi a cattedre, libere docenze, onorificenze, personale, locali, spese e affari diversi 1882-1910 ; ACS, MPI, DGIS, Divisione prima (1900-1954), Concorsi a cattedra nelle Università 1912-1954 ; ACS, MPI, DGIS, Fascicoli personale insegnante e professori ordinari e miscellanea di divisioni diverse (I, II, III) 1929-1945.

20. Christophe Charle, « Patterns », in W. Rüegg (dir.), A History of the University in Europe, vol. 3, Universities in the Nineteenth and Early Twentieth Centuries, 1800-1945, Cambridge, Cambridge University Press, 2004, p. 33-81.

21. Loi du 13 novembre 1859 no 3725.

22. Rd, 30 sept. 1923, no 2102 et Rd, 6 avr. 1924, no 674.

23. Mauro Moretti et Ilaria Porciani, « Il sistema universitario tra nazione e città : un campo di tensione », in M. Meriggi et P. Schiera (dir.), Dalla città alla nazione. Borghesie ottocentesche in Italia e in Germania, Bologne, Il Mulino, 1993, p. 289-306.

24. Christophe Charle, La République des universitaires, 1870-1940, Paris, Éd. du Seuil, 1994.

25. Un discours similaire s’applique aux facultés de droit : Jean-Louis Halpérin, « Les Allemands et les Français font-ils la même science du droit avec une cartogra- phie des disciplines différentes? », in F. Audren et S. Barbou des Places (dir.), Qu’est-ce qu’une discipline juridique ? Fondation et recomposition des disciplines dans les facultés de droit, Issy-les-Moulineaux, LGDJ, 2018, p. 119-133 ; Guillaume Sacriste, La République des constitutionnalistes. Professeurs de droit et légitimation de l’État en France, 1870-1914, Paris, Presses de Sciences Po, 2011.

26. Émile Cheysson, « De l’économie politique », in Œuvres choisies, vol. 1, Paris, Rousseau, 1911, cité dans Dominique Damamme, « D’une école des sciences politiques », Politix, 1-3/4, 1988, p. 6-12, ici p. 10.

27. Lorenz von Stein, Die Verwaltungslehre, 8 vol., Stuttgart, Cotta, 1865-1888.

28. Andrea Rapini, A Social History of Administrative Science in Italy : Planning a State of Happiness from Liberalism to Fascism, Cham, Palgrave Macmillan, 2022, p. 14-17 et 22-26 ; Pierangelo Schiera, Dall’arte di governo alle scienze dello stato. Il cameralismo e l’assolutismo tedesco, Milan, Giuffrè, 1968, p. 85-97.

29. André Molitor, « L’enseignement des sciences administratives et l’étude de l’admi- nistration en France et en Belgique », in La scienza della amministrazione : Atti del 1 convegno di studi di scienza dell’amministrazione. Varenna, Villa Monastero, 26-29 settembre 1955, Milan, Giuffrè, 1957, p. 234-246.

30. É. Cheysson, « De l’économie politique », art. cit., p. 10.

31. David F. Lindenfeld, The Practical Imagination : The German Sciences of State in the Nineteenth Century, Chicago, The University of Chicago Press, 1997.

32. Sur les conditions de développement et de circulation de ces « sciences de gouvernement » en Europe au xixe siècle, voir Olivier Ihl et Martine Kaluszynski, « Pour une sociologie historique des sciences de gouvernement », Revue française d’administration publique, 102-2, 2002, p. 229-243 ; Pascale Laborier et al. (dir.), Les sciences camérales. Activités pratiques et histoire des dispositifs publics, Paris, PUF, 2011.

33. Angelo Messedaglia, Della necessità di un insegnamento speciale politico-amministrativo e del suo ordinamento scientifico, Milan, Francesco Vallardi, 1851.

34. Lorenz von Stein, La scienza della pubblica amministrazione. Compendio del Trattato e del Manuale di scienza della pubblica amministrazione ad uso degli italiani, Turin, Unione tipografico-editrice, 1897.

35. Bologne, Archives de l’université de Bologne, Cartella Titolo VI Lauree d’onore, fascicolo Rubrica III Designazione dei dottori ; fascicolo Rubrica IV Ringraziamenti dei dottori ; fascicolo 43 con l’estratto del Consiglio di facoltà di Giurisprudenza.

36. Marie Bossaert et Antonin Durand (dir.), no spécial « La fabrique transnationale de la ‘science nationale’ en Italie (1839-fin des années 1920)», Mélanges de l’École française de Rome. Italie et Méditerranée modernes et contemporaines, 130-2, 2018.

37. Andrea Cammelli et Angelo di Francia, « Studenti, università, professioni : 1861-1993 », in M. Malatesta (dir.), Storia d’Italia. Annali 10. I professionisti, Turin, Einaudi, 1996, p. 27-30.

38. Mauro Moretti, « I cadetti della scienza. Sul reclutamento dei docenti non ufficiali nell’università postunitaria », in I. Porciani (dir.), Università e scienza nazionale, Naples, Jovene, 2001, p. 151-203.

39. Pour une synthèse des prises de position les plus importantes, voir Cesare Mozzarelli et Stefano Nespor, Giuristi e scienze sociali nell’Italia liberale. Il dibattito sulla scienza dell’amministrazione e l’organizzazione dello Stato, Venise, Marsilio, 1981, p. 19-28.

40. Mauro Moretti et Ilaria Porciani, « Il reclutamento accademico in Italia. Uno sguardo retrospettivo », Annali di storia delle università italiane, 1, 1997, p. 11-39. À propos des règlements des facultés de droit, voir Mario Ghiron, Studi sull’ordinamento della facoltà giuridica, Rome, Athenaeum, 1913.

41. Igor Moullier, « Administration », in O. Christin (dir.), Dictionnaire des concepts nomades en sciences humaines, Paris, Métailié, 2010, p. 39-50.

42. Carlo Francesco Ferraris, « La scienza dell’amministrazione. Oggetto, limiti ed ufficio », in Scienza dell’amministrazione, critica del socialismo scientifico e teoria del decentramento. Scritti 1873-1898, éd. par F. Ingravalle, Turin, Claudiana, 2007, p. 83-92.

43. C. F. Ferraris, Lezioni di scienza dell’amministrazione, Padoue, Regia Università di Padova, 1900, p. 2.

44. À l’encontre de la tentative de légitimation scientifique du droit administratif par l’adoption d’un parti pris empirique et de méthodes sociologiques en France sur la même période. Voir sur ce point Rachel Vanneuville, « Le droit administratif comme savoir de gouvernement ? René Worms et le Conseil d’État devant l’Académie des sciences morales et politiques au début du 20e siècle», Revue française de science politique, 53-2, 2003, p. 219-235.

45. Siégeant sans interruption au Parlement de 1897 à 1925, il occupe successivement les postes de ministre de l’Instruction publique (1903-1905) et de la Justice (1907-1909), puis de Président du Conseil des ministres (1917-1919) et de la Chambre des députés (1919-1920). Il s’éloigne du fascisme en 1924 et, en 1931, demande la retraite pour ne pas jurer fi au régime. Il reste quoi qu’il en soit le représentant d’un libéralisme conservateur et autoritaire.

46. Vittorio Emanuele Orlando, « I criteri tecnici per la ricostruzione giuridica del diritto pubblico. Prolusione ai corsi di Diritto amministrativo e costituzionale, letta nell’università di Palermo, 8 gennaio 1889 », in Diritto pubblico generale. Scritti varii, 1881-1940, coordinati in sistema, Milan, Giuffrè, 1954, p. 9 ; id., « Diritto amministrativo e Scienza dell’amministrazione », Archivio giuridico, 38, 1887, p. 360-397.

47. Vittorio Emanuele Orlando (dir.), Primo Trattato completo di Diritto amministrativo italiano, 10 vol., Milan, Società editrice libraria, 1897-1930.

48. Vittorio Emanuele Orlando, « Per un trattato di diritto amministrativo italiano », Archivio di diritto pubblico, 6, 1896, cit. par Giulio Cianferotti, Il pensiero di V.E. Orlando e la giuspubblicistica italiana fra Ottocento e Novecento, Milan, Giuffrè, 1980, p. 466.

49. Sur la dimension politique de la doctrine juridique d’Orlando, voir Pasquale Beneduce, « Culture dei giuristi e ‘revisione’ orlandiana : le immagini della crisi », in A. Mazzacane (dir.), I giuristi e la crisi dello Stato liberale in Italia fra otto e novecento, Naples, Liguori, 1986, p. 57-106.

50. Vittorio Emanuele Orlando, « Sul concetto di stato », discours inaugural de l’année universitaire à l’université de Rome, 1910, in Diritto pubblico generale. Scritti vari (1881-1940) coordinati in sistema, Milan, Giuffré, 1954, p. 219 et 221. Pour une mise en perspective historique, voir Luisa Mangoni, « La crisi dello Stato liberale e i giuristi italiani », Studi storici, 23-1, 1982, p. 75-100.

51. Vittorio Emanuele Orlando, Principi di diritto amministrativo, Florence, Barbera, 1891, p. 274-275.

52. Les cours sont parfois intitulés SA et DA, d’autres fois DA et SA, sans ordre hiérarchique formel précis.

53. Rd, 26 oct. 1890, no 7337.

54. Elisa Signori, « Università e fascismo », in G. P. Brizzi, P. Del Negro et A. Romano (dir.), Storia delle università in Italia, t. 3, Messine, Sicania, 2007, p. 381-424.

55. Sur cette tactique dite « interlock » d’élaboration de réseaux complets, voir Edward O. Laumann, Peter V. Marsden et David Prensky, « The Boundary Specifi Problem in Network Analysis », in R. S. Burt et M. J. Minor, Applied Network Analysis : A Methodological Introduction, Beverly Hills, Sage, 1983, p. 18-34.

56. Le logiciel NetDraw a permis de générer les visualisations des graphes. Le package Statnet de R a été utilisé pour les mesures de densité et la transformation des réseaux bimodaux en réseaux unimodaux, ainsi que pour les calculs des centralités de degré et d’intermédiarité correspondants.

57. C’est le cas pour les postes ouverts dans les universités de Camerino en 1923, Cattolica de Milan en 1925 et 1928, Messine en 1927, Ferrare en 1928 ou Sienne en 1931.

58. Sur les indicateurs de centralité de degré et d’intermédiarité, voir Linton C. Freeman, « Centrality in Social Networks Conceptual Clarification », Social Networks, 1-3, 1978-1979, p. 215-239.

59. Le logiciel UNICET a été utilisé pour la modélisation core/periphery des réseaux unimodaux. Sur cet outil, voir Stephen P. Borgatti et Martin G. Everett, « Models of Core/Periphery Structures », Social Networks, 21-4, 2000, p. 375-395.

60. Bonasi est élu au Sénat en 1896, avant d’y être nommé président de session (1898) et, enfin, de présider cette instance parlementaire. Brièvement ministre de la Justice (1899-1900), il est ministre de l’Instruction publique à deux reprises (1910-1911, 1913-1917), intégrant le Conseil d’État dans l’interstice (1911-1913).

61. On retrouve également dans ce groupe : Garelli della Morea, Pasquale De Murtas Zichina, Alessandro Malgarini, Francesco Saverio Scolari, Pio Sabbatini et Jacopo Silvestri.

62. Il s’agit plus précisément des juristes suivants : Dioniso Anzilotti, Vittorio Ellena et Pietro Esperson (Droit international) ; Gaetano Arangio Ruiz, Giorgio Arcoleo, Livio Minguzzi, Luigi Rossi et Francesco Racioppi (Droit constitutionnel) ; Gaetano Mosca (Droit constitutionnel et histoire des idées politiques), Guglielmo Raisini (Droit romain).

63. Si Vittorio Brondi, Giovanni Vacchelli et Antonio Longo répondent aussi à ce type, leur proximité particulièrement forte avec Orlando contribuera cependant à freiner leur accession aux positions les plus centrales de l’espace du recrutement après la Première Guerre mondiale.

64. Bertrando Spaventa était un admirateur de l’économiste et sociologue allemand Lorenz von Stein, dont il s’est fait l’importateur en Italie des travaux sur l’État social : Bertrando Spaventa, Scritti inediti e rari, 1840-1880, éd. par D. D’Orsi, Padoue, CEDAM, 1966, p. 27.

65. Federico Lucarini, La carriera di un gentiluomo. Antonio Salandra e la ricerca di un liberalismo nazionale, 1875-1922, Bologne, Il Mulino, 2012.

66. Gian Domenico Romagnosi (1761-1835) appartient à une époque où les disciplines administratives, philosophiques et les sciences sociales sont encore peu différenciées en Italie. En effet, il y est à la fois considéré comme le père du DA et de la SA.

67. Federico Persico, Il diritto amministrativo e la scienza dell’amministrazione. Memoria letta alla R. accademia di scienze morali e politiche della società Reale di Napoli, Naples, Federico Sangiovanni & Figlio, 1914.

68. Pasquale Beneduce, « Federico Persico », Dizionario Biografico degli Italiani, 82, 2015, http://www.treccani.it/enciclopedia/federico-persico_%28Dizionario-Biografico%29/.

69. Parmi eux, Luigi Rossi et Donato Donati (Droit constitutionnel), Luigi Genuardi (Histoire du droit), Flaminio Mancaleoni (Droit romain).

70. Sienne, 1891 : Codacci Pisanelli, Meucci, Orlando, Persico et Silvestri. Pavie, 1892 : Codacci Pisanelli, Meucci, Persico, Silvestri et Bonasi. Bollettino ufficiale del Ministero dell’istruzione pubblica n. 18, Diritto amministrativo e Scienze dell’amministrazione, b. 32, f. 614, Pavia 1892.

71. Giovanni Vacchelli, « Per un nuovo indirizzo nella scienza del diritto pubblico », in Raccolta di scritti di diritto pubblico in onore di Giovanni Vacchelli, Milan, Vita e pensiero, 1938, p. 1-19.

72. Umberto Borsi, « L’Unità didattica del diritto amministrativo e della scienza dell’amministrazione », Il Filangieri, 7, 1906, p. 509-522 ; id., Sul carattere della scienza dell’amministrazione. Replica al Prof. Presutti, Rome, D. Ripamonti, 1911 ; id., Il primo secolo della letteratura giuridica amministrativa italiana, Turin, Fratelli Bocca Editori, 1914.

73. Maurizio Fioravanti, « Costituzione, amministrazione e trasformazioni dello Stato», in A. Schiavone (dir.), Stato e cultura giuridica in Italia dall’Unità alla Repubblica, Rome, Laterza, 1990, p. 43-45 ; Paolo Grossi, Scienza giuridica italiana. Un profilo storico, 1860-1950, Milan, Giuffrè, 2000, p. 109-117 et 171-184.

74. Santi Romano, « Lo stato moderno e la sua crisi », discours inaugural de l’année universitaire 1909-1910 prononcé à l’université de Pise, in Lo stato moderno e la sua crisi, Milan, Giuffrè, 1969, p. 5-26.

75. Cours sans lequel la corrélation entre ce type d’enseignement et le degré de centralité d’intermédiarité dans le réseau correspondant à cette période (1922-1935) serait bien plus fortement négative (tabl. 1). Les facultés de sciences politiques ont été créées en 1924, la première à Rome : Rd, 23 mars 1924, no 527.

76. Guido Melis, La macchina imperfetta. Immagine e realtà dello Stato fascista, Bologne, Il Mulino, 2018, p. 323-330.

77. Michael Stolleis, Histoire du droit public en Allemagne, vol. 2, 1800-1914, trad. par M.-A. Maillet et M. A. Roy, Paris, Dalloz, [1992] 2014, chap. 9 et 10.

78. Pasquale Beneduce,« Carlo Francesco Ferraris »,Dizionario biografi degli Italiani,46,1996, https://www.treccani.it/enciclopedia/carlo-francesco-ferraris_(Dizionario-Biografico)/.

79. Andrea Rapini, « Science ‘pour’ l’État ou science ‘sur’ l’État ? Guido Cavaglieri et la défaite de la science administrative en Italie », in M. Bossaert et A. Durand (dir.), no spécial « La fabrique transnationale de la ‘science nationale’ en Italie (1839-fin des années 1920) », Mélanges de l’École française de Rome. Italie et Méditerranée modernes et contemporaines, 130-2, 2018, p. 349-360.

80. Luigi Bodio (1840-1920) est l’un des fondateurs de la statistique italienne. Il a été le premier secrétaire général de l’Institut international de statistique (IIS) en 1885 et le président de ce même institut de 1909 à sa mort.

81. Carlo Francesco Ferraris, « Onoranze ad Angelo Messedaglia », Nuova Antologia, 58, 1895, p. 355-361.

82. Giovanni Favero, « La statistica fra scienza e amministrazione », in C. Pogliano et F. Cassata (dir.), Storia d’Italia. Annali 26. Scienze e cultura dell’Italia unita, Turin, Einaudi, 2011, p. 705-738.

83. Corrado Gini, Commemorazione del Ministro e Prof. Sen. CCarlo Francesco Ferraris, Venise, Tip. Ferrari, 1925, p. 44-45.

84. Cesare Mozzarelli, « L’Annuario delle scienze giuridiche, sociali e politiche (1880-1883). Viaggio nella cattiva coscienza», Quaderni fiorentini per la storia del pensiero giuridico moderno, 16-1, 1987, p. 7-46.

85. Fulvio Cortese, Libertà individuale e organizzazione pubblica in Silvio Trentin, Milan, F. Angeli, 2008.

86. Alfredo Codacci Pisanelli, Come il diritto amministrativo si distingua dal costituzionale, e che sia la scienza dell’amministrazione. Prelezione letta nella R. Università di Pavia il dì 11 gennaio 1887, Milan, L. Vallardi, 1887, p. 11, 15 et 17 ; id., Lezioni di Scienza dell’amministrazione, 1926-1927, Rome, Sanpaolesi, 1927, p. 46-47.

87. Alfredo Codacci Pisanelli, Il dogma della sovranità popolare, Pise, Tip. T. Nistri e C., 1891. Lors d’un discours de commémoration post-mortem, Orlando qualifie la critique de la « souveraineté populaire » et des « écoles démocratiques » de Codacci Pisanelli comme des éléments « pivots » des enseignements de « l’école juridique nationale » : « Alfredo Codacci-Pisanelli », Annuario della Regia Università degli studi di Roma, 1929, p. 393-396, ici p. 394.

88. Ministero della Pubblica Istruzione, Bollettino ufficiale, Rome, Libreria dello Stato, 1928, p. 1096.

89. Francesca Socrate,«Alfredo Codacci Pisanelli »,Dizionario biografi degli Italiani,26,1982 https://www.treccani.it/enciclopedia/alfredo-codacci-pisanelli_(Dizionario-Biografico)/.

90. Vittorio Scialoja, « Oreste Ranelletti », in Studi di diritto pubblico in onore di Oreste Ranelletti nel 35. Anno d’insegnamento, Padoue, CEDAM, 1931, p. 8-17 ; Massimo Brutti, Vittorio Scialoja, Emilio Betti. Due visioni del diritto civile, Turin, Giappichelli, 2013.

91. Vittorio Emanuele Orlando, Oreste Ranelletti compiendosi il trentennio del suo insegnamento, Milan, Domus, 1936 ; Oreste Ranelletti et Arturo Carlo Jemolo, Vittorio Emanuele Orlando. Nel compimento dell’ottantesimo anno di età, Tivoli, Off. graf. Mantero, 1940, p. 5-14.

92. Giulio Cianferotti, « Stato di diritto, formalismo e pandettistica. Ranelletti e la costruzione dell’atto amministrativo», in R. Gherardi et G. Gozzi (dir.), I concetti fondamentali delle scienze sociali e dello Stato in Italia e in Germania tra Otto e Novecento, Bologne, Il Mulino, 1992, p. 37-84, ici p. 82.

93. Oreste Ranelletti, Principii di diritto amministrativo, vol. 1, Naples, Luigi Pierro, 1912, p. 529. Ce premier volume est dédicacé à Vittorio Scialoja.

94. Id., Oreste Ranelletti nell’opera sua, Varese, Soc. tip. Multa paucis, 1955, p. 29 et Arnaldo De Valles, Oreste Ranelletti, Milan, Giuffrè, 1956.

95. Oreste Ranelletti, « Al giovane lettore », in Istituzioni di diritto pubblico, Milan, Giuffrè, 1953, p. v-ix, ici p. v.

96. Mario D’Addio, « Gaetano Mosca e l’istituzione della facoltà romana di Scienze politiche (1924-1926) », Il Politico, 58-3, 1993, p. 329-373 ; Emilio Gentile, « La Facoltà di Scienze politiche nel periodo fascista », in F. Lanchester (dir.), Passato e presente delle facoltà di scienze politiche, Milan, Giuffrè, 2003, p. 45-85.

97. Chap. 1 : L’action de l’administration publique (règles régissant l’administration publique, formes qu’elles peuvent prendre, coutume, loi, formes mineures de l’activité législative : règlements, instructions, traités internationaux, jurisprudence, impossibilité de codifier le droit administratif) ; chap. 2 : Notion de droit matériel ; chap. 3 : Processus génétique de la loi sur le plan formel ; chap. 4 : Nature et historique du pouvoir réglementaire ; chap. 5 : Le pouvoir réglementaire dans le droit actuel ; chap. 6 : Organes et contrôles du pouvoir réglementaire.

98. Chap. 1 : Les organes administratifs ; chap. 2 : La hiérarchie centrale ; chap. 3 : Organisation de l’administration publique ; chap. 4 : La hiérarchie locale.

99. Chap. 1 : Concept de charité ; chap. 2 : Évolution historique de la charité ; chap. 3 : La loi sur les organismes publics de charité (17 juillet 1890) ; chap. 4 : Administration et comptabilité ; chap. 5 : Protection et supervision du gouvernement des organismes de charité (loi n. 390 du 18 juillet 1904) ; chap. 6 : Dispositions générales.

100. Sur le lien entre totalitarisme, corporatisme et science juridique, voir Pietro Costa, « Lo ‘Stato totalitario’ : un campo semantico nella giuspubblicistica del fascismo », Quaderni fiorentini per la storia del pensiero giuridico moderno, 28-1, 1999, p. 61-174.

101. Il s’agit du professeur Guido Zanobini.

102. P. Bourdieu, Homo academicus, op. cit., p. 96.

103. Claire Lemercier, « Analyse de réseaux et histoire », Revue d’histoire moderne & contemporaine, 52-2, 2005, p. 88-112 ; Karine Karila-Cohen et al., « Nouvelles cuisines de l’histoire quantitative », Annales HSS, 73-4, 2018, p. 771-783.

104. A. Rapini, A Social History of Administrative Science in Italy, op. cit., p. 91-103.

105. On peut citer Feliciano Benvenuti, Massimo Severo Giannini ou Gianfranco Miglio.

106. La scienza della amministazine : Atti del I Convegno…, op. cit.

107. En 1988, ce cours donne lieu à la création de la Scuola di Specializzazione in Studi sull’Amministrazione Pubblica (SPISA).

108. Giuliana Gemelli (dir.), Nuove scienze per l’amministrazione. Le origini della SPISA tra innovazione istituzionale e normalizzazione accademica, Bologne, Bononia University Press, 2006.

109. Fulvio Cortese, « Diritto amministrativo e altri saperi : nuove opportunità per la Scienza dell’amministrazione ? », Milan Law Review, 3-2, 2022, p. 19-51.

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Figure 1 – Couverture du fascicule de cours de science administrative de Carlo Francesco FerrarisSource : Bibliothèque centrale de droit de l’université de Parme. Photographie : Andrea Rapini.

Figure 1

Figure 2 – Répartition des disciplines administratives enseignées dans les universités italiennes (1885-1935)Source : Annuario del ministero della Pubblica Istruzione.Note : Les cours dispensés par les enseignants non permanents et titulaires des différents grades sont agrégés. Les données sont indisponibles entre 1915 et 1922, période durant laquelle cet annuaire n’est pas actualisé.

Figure 2

Figures 3 et 4 – Graphes biparti du réseau des jurys de recrutement professoral en SA (1885-1915 et 1922-1935)

Figure 3

Figures 5 et 6 – Graphes monoparti du réseau des jurys de recrutement professoral en SA (1885-1915 et 1922-1935)

Figure 4

Figure 7 – Participation à des commissions de recrutement et centralité d’intermédiarité (1885-1935)

Figure 5

Tableau 1 – Caractéristiques des membres des jurys de recrutement et centralité d’intermédiarité

Figure 6

Tableau 2 – Cœur/périphérie du réseau et centralité des membres des jurys de recrutement

Figure 7

Tableau 3 – Membres des cœurs de réseaux de jurys de recrutement (1885-1915 et 1922-1935)

Figure 8

Figure 8 – Durée de titularisation et centralité d’intermédiarité (1885-1935)