Si nous énoncions notre sujet sous forme d'une question: l'évangile johannique connaît-il une histoire du salut, nous serions tentés, de prime abord, d'y donner une réponse négative. En effet, le quatrième évangile ne se distingue-t il pas des autres évangiles précisément par le fait que tout se passe, ici, en dehors d'une histoire ‘horizontale’? Ne s'agit-il pas d'un ‘nunc aeternum’, d'une irruption du ‘tout autre’ dans chaque instant, d'une histoire dont le symbole ne serait pas la ligne, mais le point? Le prologue de cet évangile ne place-t-il pas, à priori, la pensée johannique sur un plan opposé à celui de l'histoire du salut? L'affirmation concernant la relation entre Jésus et Jean-Baptiste à la fin de ce prologue: ‘celui qui vient après moi a été avant moi, car il a été le premier par rapport à moi’, ne prouve-t-elle pas que Jésus-Christ, pour cet évangéliste, signifie ‘fin de l'histoire’? La déclaration du Christ johannique au chap. viii. 58: ‘avant qu'Abraham ne füt, je suis’, ne confirme-t-elle pas que la perspective n'est plus celle de l'histoire du salut? D'autre part, la tension entre ‘ce qui est déjà accompli’ et ‘ce qui n'est pas encore achevé’, cette tension si caractéristique de toute la pensée du Nouveau Testament et qui marque une évolution temporelle, ne disparaît-elle pas dans notre évangile, puisque tout y est accompli en Christ? Le jugement qui a lieu déjà (chap. xii. 31, νυν κρίσıς έστίν), la résurrection déjà réalisée (chap. xi. 25), ne mettent-ils pas en évidence que l'eschatologie johannique n'est plus une eschatologie temporelle dans le sens d'une histoire du salut?