En français parisien, on parle depuis quelques décennies déjà d'un changement affectant le système des voyelles dites ‘à double timbre’. Ces voyelles comptent quatre paires (/e/-/ɛ/ comme dans parlé-parlait, /ø/-/œ/ comme dans jeûne-jeune, /o/-/ɔ/ comme dans saute-sotte et /ɑ/-/a/ comme dans mâle-mal). La différence interne dans chaque paire peut s'exprimer comme une distance physique plus ou moins grande sur le lieu d'articulation, les autres traits restant constants (différence d'aperture pour les trois premières, différence en termes de postériorisation de la racine de la langue vers le pharynx pour la dernière), ce qui explique partiellement pourquoi elles sont souvent réunies dans les descriptions traditionnelles du français standard: elles consistent toutes d'une voyelle avec un timbre fermé et d'une voyelle avec un timbre ouvert. Elles partagent, en outre, certains principes de distribution allophonique dans les cas où elles ne forment pas de paires minimales (par exemple pour /Ø/, /O/: uniquement le timbre fermé en finale absolue). Depuis l'enquête de Martinet en 1941, qui avait la forme d'une auto-évaluation de la part de 250 informateurs adultes de Paris et de la France du Nord (questions du type: ‘Prononcez-vous de façon identique pâte et patte ?’, Martinet, 1945 [1971]), et les enquêtes successives à méthodologie semblable de Reichstein (1960) (sur 556 élèves, âgées de 13 à 15 ans) et de Deyhime (1967a, b) (sur 500 étudiants de la Cité Universitaire à Paris), nous avons des preuves que de moins en moins de Parisiens font la distinction entre les deux /A/. Martinet (1969) a fait la synthèse de ces trois enquêtes. D'autres études, se servant d'analyses phonétiques auditives, ont confirmé ceci et ont élargi l'observation: les /E/ sont également touchés. Dans leurs enquêtes parisiennes, Léon (1973), Peretz (1977a), Peretz-Juillard (1985) et Landick (1995) ont noté des timbres intermédiaires là où on s'attendrait à une distinction entre timbre fermé, /e/, et timbre ouvert, /ɛ/. Les deux dernières paires de voyelles sont probablement concernées aussi, mais à un moindre degré: selon le témoignage de Landick (1995), basé sur des données de la fin des années 1980, l'opposition des deux /Ø/ n'est stable que parmi les locuteurs ayant fait des études supérieures, et l'opposition des deux /O/ est entamée aussi, mais reste la plus forte des quatre.