Réparties dans trois volets précédés d'une introduction, les contributions de ce recueil dénouent peu ou prou la complexité linguistique de la notion de ‘verbe’ (partie 1), notion dont la transposition dans l'enseignement soulève deux questions: celle des connaissances des élèves en la matière (partie 3) et celle de la didactique à élaborer (partie 2). L'objectif était de penser une didactique centrée sur des savoirs en construction relatifs à ce qu'est un verbe et à l'appréhension de son fonctionnement morphologique, syntaxique et sémantique. Ce retour par l’élève devait permettre non seulement de s'interroger sur l'enseignement de la grammaire aujourd'hui, mais aussi de revenir à la linguistique de la catégorie verbale à l’étude.
L'introduction de Marie-Noëlle Roubaud et Jean-Pierre Sautot (11–19) interpelle le lecteur. Comment appréhender le verbe: via son sens lexical (étude de mot), via l’étude de la phrase (description d'un procès, des formes de phrase), du récit (temps, modes, aspect, cohésion entre les phrases), du discours (énonciation)? Comment le décrire: approche morphologique, logico-syntaxique, lexicale, sémantique, énonciative? Le vrai problème, selon Edgar Morin, c'est que nous avons ‘trop bien appris à séparer’ et qu'il vaut mieux ‘apprendre à relier’. D'où l'objectif affiché de l'ouvrage: unir les voies et les voix en identifiant les ‘concepts unificateurs’ linguistiques et/ou didactiques permettant d'appréhender le verbe dans sa complexité.
La première partie questionne la notion de ‘verbe’ à travers les recherches linguistiques de Sofía Moncó Taracena (23–38) sur les verbes ‘pro-complémentaires’ (s'y connaître, en vouloir, l'emporter), de Wajih Guehria (57–68) sur le verbe attributif devenir et de Rémi Camus (69–81) sur l'injonction La ferme! et son indétermination catégorielle. L’étude de Marc Tsirlin (39–55) au sujet des séquences ‘verbe + nom’ (prendre peur, poser problème) est centrée davantage sur la question de l'article zéro.
La deuxième partie privilégie la didactique du verbe, avec les contributions d'Emmanuel Deronne (85–109) sur l'orientation de la phrase verbale (avec pour illustration le passif), de Sonia Gerolimich et Isabelle Stabarin (111–131) sur une nouvelle méthodologie d'apprentissage de la conjugaison en classe de FLE, d'Audrey Roig (133–160) sur une nécessaire didactisation (FLE, FLM) des emplois non interrogatifs de l'inversion sujet-verbe (Comme disent mes deux mamans, la famille c'est sacré) et de Dan Van Raemdonck et Lionel Meinertzhagen (161–174) sur l'approche du verbe dans le cadre d'un référentiel de grammaire ‘qui dit et montre le savoir autrement’.
La troisième partie revient sur ce que les élèves savent au sujet du verbe. Quels sont les savoirs mobilisés (sémantique, morphologique, syntaxique et phonologique)? Quels critères linguistiques sont utilisés au CP (Marie-Noëlle Roubaud et Corinne Gomila, 177–192), au CE2 (Patrice Gourdet, 217–234), au cycle 3 (Belinda Lavieu-Gwozdz, 193–215)? Jean-Pierre Sautot (235–250) démontre les limites de l'approche morphologique à partir d'une étude de performances d’élèves âgés de 6 à 16 ans dont les compétences linguistiques relatives aux formes composées du verbe (je suis allé faire les courses) sont confrontées aux prescriptions officielles de la grammaire scolaire.
D'une lecture instructive et stimulante, les contributions ont cependant le défaut de manquer de lien entre elles. Puisqu'il s'agissait d'identifier les ‘concepts unificateurs’ permettant de saisir le verbe dans sa complexité, on aurait aimé que des avancées soient proposées. Il y a des ébauches dans ce sens dans les deuxième et troisième parties: Gerolimich & Stabarin, Roig, Roubaud & Gomila, Gourdet et Sautot donnent des indications quant aux leçons que les linguistes peuvent tirer des écueils révélés par les didacticiens. Rien de comparable dans la première partie, linguistique, où les auteurs ne s'interrogent sur la place de leur objet d’étude dans les programmes scolaires ni ne mentionnent les implications didactiques de leur recherche.
La première partie étant ainsi déconnectée de la préoccupation d'ensemble de l'ouvrage, les deux autres lui donnent sens par des retours d'expériences et des propositions d'innovation pédagogique (mâtinées de linguistique et de didactique) et abordent le verbe dans tous ses états (phonologie, morphologie, syntaxe, sémantique, discours). Dans la deuxième partie, il manque néanmoins des propositions d'exploitation concrète des faits observés: l'inclusion de séquences pédagogiques aurait permis d'offrir aux enseignants/formateurs des outils d'expérimentation. De même, on regrette que le regard de l'apprenant n'ait pas été pris en compte. Comment exploite-t-il telle nouvelle façon d'appréhender la conjugaison verbale? Comment s'imprègne-t-il du nouveau référentiel grammatical, qui (de par l'innovation et l'approche qu'il propose) ne correspond pas à l'approche traditionnelle?
La troisième partie confronte savoirs enseignés, savoirs appris et regard de l'apprenant sur la langue. Ces confrontations, absentes de la deuxième partie, permettent de révéler les innovations et les procédures mises en œuvre par l'apprenant pour identifier le verbe dans une phrase (Roubaud & Gomila, Lavieu-Gwozdz, Gourdet) et invitent, indirectement, les enseignants/formateurs à interroger leur façon d'appréhender le verbe. La réflexion se poursuit dans certaines contributions (Gourdet, Sautot) qui reviennent sur le décalage entre attentes institutionnelles et explications fournies par les élèves au regard des acquis prescrits dans le socle commun; d'autres (Lavieu-Gwozdz, Gourdet) insistent sur l'importance des phases d'interaction en classe qui donnent l'occasion à l'apprenant de verbaliser sa pensée et à l'enseignant d'en révéler les imprécisions. Si Patrice Gourdet, dans sa contribution aboutie, propose des critères explicites et synthétise un ensemble de réflexions soulevées par le recueil dans son ensemble, d'autres ne font malheureusement qu’établir des constats, sans proposer de réelles pistes de réflexion, de propositions constructives ni d'alternatives aux actuels programmes de grammaire.
Du point de vue de la forme, la préparation de copie présente bien des failles. Les italiques qui mettent en évidence les mots ou les phrases à l’étude font défaut dans la plupart des articles, mais aussi dans un tableau où l'absence de gras et italique, qui devaient permettre de distinguer des données, rend celles-ci inexploitables (204). Toutes les références ne figurent pas forcément en bibliographie (cf. les contributions de Moncó Taracena, Camus, Deronne, Roig, Lavieu-Gwozdz, Sautot). Des erreurs dans la numérotation des exemples (Guehria), un ‘Erreur! Signet non défini’ (Lavieu-Gwozdz), des codes inconnus (Sautot) et une mise en page de figures décalée (Roig, Gourdet) sont également gênants pour la lecture et la démonstration.