Published online by Cambridge University Press: 13 April 2010
L'histoire de la philosophie voit d'abord en Hobbes un spécialiste de la philosophie politique, au point qu'on en oublie souvent l'importance du reste de son oeuvre. Sans doute, il n'est pas faux d'insister sur la contribution hobbienne à la philosophie politique. Et de l'avis de Hobbes lui-même, c'est dans ce domaine qu'il avait été particulièrement novateur. Cependant, son ambition était plus large: il voulait construire un système entier de philosophie, dont la politique ne devait représenter que la dernière partie. En effet, selon l'ordre de sa grande oeuvre, les Eléments de la philosophie, l'exposé du système total se divisait en trois grands livres: Du corps, De l'homme et Du citoyen. Apparemment, le système devait donc se composer des trois parties suivantes: une physique, une anthropologie et une science politique. En fait, le premier volume, sur le corps, comporte également la méthodologie, la logique et la philosophie première. La division en trois a pourtant sa vérité, et même une vérité troublante si l'on prend au sérieux la volonté hobbienne de constituer un système rigoureux dans lequel les sciences de l'homme et de la politique résulteraient de celle des corps en général, en ce sens du moins que les dernières sciences supposeraient les principes des premières. Car il semble que Hobbes ait admis une certaine autonomie des trois grandes parties de son système, au point que, par exemple, la politique paraît pouvoir trouver son propre fondement en elle-même, sans référence particulière aux développements de la physique.
1 SirMolesworth, William, ed., Thomae Hobbes malmesburiensis Opera philosophica quae latine scripsit omnia (Londres: J. Bohn, 1839), vol. 1–2Google Scholar; réimpression: Aalen: Scientia, 1966; abréviation: OP. Pour Du corps et Du citoyen, cf. également SirMolesworth, William, ed., The English Works of Thomas Hobbes of Malmesbury (Londres: J. Bohn, 1839), vol. 1–2Google Scholar; réimpression: Aalen: Scientia, 1966; abréviation: EW.
2 Cf. par exemple Strauss, L., Hobbes' politische Wissenschaft (Neuwied-Berlin, 1965)Google Scholar; Weiss, U., Das philosophische System von Thomas Hobbes (Stuttgart-Bad Cannstatt: Frommann-Holzboog, 1980)Google Scholar; ou Malherbe, M., Thomas Hobbes ou l'oeuvre de la raison (Paris: Vrin, 1984).Google Scholar
3 De corpore, 4, 25, 1Google Scholar; 4, 26, 11 et 4, 30, 15.
4 Cf. aussi Human Nature or the Fundamental Elements of Policy, dans EW, vol. 4.
5 De cive, 1, 7. Cf. également De corpore politico or The Elements of Law, Moral and Politics, 1, 6Google Scholar, dans EW, vol. 4; et De corpore, 1, 6, 7.Google Scholar
6 Ce point de départ absolu de la science est d'ailleurs clairement indiqué par Hobbes lui-même: «Principia itaque scientiae omnium prima, sunt phantasmata sensus et imaginations, quae quidem cognoscimus naturaliter quod sunt» (Decorpore, 1, 6, 1).Google Scholar
7 Cf. De corpore, 2, 7–8.Google Scholar
8 Ibid., 2, 7, 1.
9 Ibid., 2, 7, 2.
10 Ibid., 2, 8, 1.
11 Ibid., 1, 1, 6–7.
12 Cette relation entre le pouvoir politique et le sens des mots et des discours est si intime que Hobbes va jusqu'à écrire que les doctrines contraires à la paix—c'est-à-dire à l'ordre politique—ne peuvent pas être vraies (Leviathan, 2, 18Google Scholar, dans EW, vol. 3; OP, vol. 3), ce qui justifie d'ailleurs la censure aux yeux de Hobbes.
13 Si pour être vraie, en effet, une doctrine doit respecter l'ordre de la paix, alors elle doit se justifier aussi, dans sa manière de traiter la religion elle-même, par la religion officielle. Et c'est pourquoi les principaux ouvrages politiques de Hobbes se terminent sur une interprétation politico-religieuse des textes sacrés de la religion de son pays (De cive, 15–18Google Scholar; Leviathan, 3–4).Google Scholar
14 Objectiones ad cartesii Meditationes, 2Google Scholar, dans OP, vol. 5.Google Scholar
15 Nous avons développé ce rapport entre la logique et la physique dans «Les principes de la philosophie chez Hobbes et chez Spinoza», Studia Spinozana 3 (1987), 87–123.Google Scholar
16 Noton d'ailleurs que cette distinction conduit également à un autre cercle très serré, vu que les corps doivent se comprendre à partir des phantasmes, tandis que les phan tasmes s'expliquent par la physique, c'est-à-dire par les mouvements des corps, ainsi que Hobbes le remarque avec son sens habituel de la profonde circularité de sa philosophie, au moment de commencer l'explication physique de la sensation: «Phaenomenon autem omnium quae prope nos existunt, id ipsum, to phainesthai est admirabilissimum, nimirum, in corporibus naturalibus alia omnium fere rerum, alia nullarum in seipsis exemplaria habere; adeo ut si phaenomena principia sint cognoscendi caetera, sensionem cognoscendi ipsa principia principium esse, scientiamque omnem ab ea derivari dicendum est, et ad causarum ejus investigationem ab alio phaenomeno, praeter earn ipsam initium sumi non posse» (De corpore, 4, 25, 1).Google Scholar
17 Cf. particulièrement U. Weiss, Dai philosophische System von Thomas Hobbes.
18 De corpore, 3, 15, 7.Google Scholar
19 Ibid., 2, 7, 9–13.