À la fin de 2015, le gouvernement québécois, formé alors par le Parti Libéral du Québec de Philippe Couillard, adoptait une politique portant notamment sur « l’affirmation de l’interculturalisme »Footnote 1. Trente-trois ans après l’adoption de l’article 27 de la Charte canadienne des droits et libertés Footnote 2 sur la valorisation du patrimoine multiculturelFootnote 3, trente ans après l’adoption de la Loi sur le multiculturalisme canadien Footnote 4 et à l’heure où le premier ministre fédéral Justin Trudeau arrivait en poste avec sa vision d’un Canada multiculturel et postnationalFootnote 5, le Québec consacrait, à travers cet interculturalisme, un modèle qui apparaissait compatible avec le multiculturalismeFootnote 6.
Cela n’a pas mis fin aux controverses autour du modèle québécois d’intégrationFootnote 7. Parmi les nombreux motifs pouvant expliquer que cette politique n’ait pas clos ces controverses, il y a sans doute le moyen choisi, soit non pas l’adoption d’une loi destinée à durer, mais la publication d’une simple politique. Cette publication n’a donc pas été précédée d’un débat parlementaire au cours duquel le gouvernement aurait justifié son choix d’un interculturalisme plutôt compatible avec le multiculturalisme canadien et le type de libéralisme qui y est sous-jacentFootnote 8. Et, puisqu’il ne s’agissait pas d’une loi imposant aux gouvernements subséquents des obligations susceptibles de judiciarisation et ne pouvant être abrogée qu’au moyen de la procédure prévue pour l’adoption des lois, cette politique a pu être tablettée par le gouvernement actuel formé par la Coalition Avenir Québec (CAQ), un parti nationaliste dirigé par François Legault.
De plus, le gouvernement actuel de la CAQ a clairement quoiqu’implicitement pris ses distances avec cet interculturalisme prôné par le gouvernement libéral précédent en prenant différentes initiatives potentiellement importantes. Nous pensons à l’adoption de la Loi sur la laïcité de l’État Footnote 9 et à l’annonce de l’abolition du cours d’éthique et culture religieuseFootnote 10. Il semblerait dès lors incohérent, pour le gouvernement de la CAQ, de se réclamer de cet interculturalisme après de telles initiatives d’inspiration plus républicaineFootnote 11. Pour autant, ce gouvernement n’a pas proposé l’adoption d’une loi-cadre qui aurait constitué une réponse québécoise à cette Loi sur le multiculturalisme canadien en plus de remplacer officiellement la politique québécoise portant sur « l’affirmation de l’interculturalisme ». Bref, le gouvernement actuel de la CAQ est très différent du gouvernement libéral précédent eu égard à plusieurs enjeux identitaires, mais il n’a pas encore adopté une loi ou une politique qui, outre une rupture explicite avec le multiculturalisme canadien et l’interculturalisme du gouvernement précédent, présenterait une proposition véritablement différente. Cela pourrait laisser croire, à tort, qu’en dehors du multiculturalisme et de l’interculturalisme, il n’existe aucun modèle cohérent possible.
Pourtant, au cours des années 1970, un tel modèle a existé autour du concept de convergence culturelleFootnote 12, lui aussi consacré par une simple politiqueFootnote 13. Ce concept a par la suite été l’objet de critiques, notamment par des auteurs en sciences sociales, puis abandonné par les gouvernements subséquents et, de façon plus large, par des acteurs politiques qui ont fait écho à ces critiquesFootnote 14.
Néanmoins, à l’heure où un gouvernement québécois se qualifiant ouvertement de nationaliste a pris des initiatives fortes pouvant être interprétées comme rompant avec l’interculturalisme du gouvernement libéral précédent, il est plus pertinent que jamais de reposer la question de la possibilité, pour le Québec, de se doter d’un instrument normatif qui expliciterait les fondements d’un modèle d’intégration vraiment distinct du multiculturalisme. Le concept qui a permis d’élaborer un tel modèle étant la convergence culturelle, il convient d’y revenir et de l’actualiser. D’autant plus que ce concept a alors été mis de l’avant à titre de complément logiqueFootnote 15 de la Charte de la langue française Footnote 16 et que le gouvernement actuel de la CAQ vient de déposer un projet de loi renforçant cette charte et contenant plusieurs éléments allant dans le sens de la convergence culturelle, par exemple avec son article 1 qui affirme que la « culture québécoise », au singulier, est avec la langue française un des « liants de la société »Footnote 17. Comme cette dernière charte peut être associée à une forme de républicanismeFootnote 18, et que l’interculturalisme est parfois critiqué parce qu’il se rapprocherait davantage du multiculturalisme que du républicanismeFootnote 19, tout cela renforce la pertinence d’une réflexion portant sur la convergence culturelle, analysée notamment à la lumière d’autres propositions normatives.
Puisqu’il s’agirait de répondre à la Loi sur le multiculturalisme canadien et que l’histoire nous apprend que dans ce domaine, au Québec, les politiques ont tendance à ne pas toujours survivre aux transitions d’un gouvernement à l’autre, outre qu’elles n’imposent pas d’obligations susceptibles de judiciarisation, c’est plus précisément l’idée d’une loi-cadre sur la convergence culturelle qu’il convient de développer. Tout en ayant une force juridique et symbolique supérieure à celle d’une simple politique, ce type de loi implique l’adoption ultérieure d’une politique et donc, dans le cas sous étude, celle d’une politique sur la convergence culturelle qui remplacerait les aspects de la politique de 2015 sur l’interculturalisme. Cela nous amène à proposer un exercice de rédaction législative, donc de légistique, et à faire un détour par des auteurs œuvrant dans cette discipline. Tout cela sera aussi l’occasion de situer théoriquement cette idée sur le plan de la philosophie politique.
L’objectif du présent article est donc de bonifier considérablement les études portant sur cette questionFootnote 20 en exposant à quoi pourrait ressembler une loi-cadre sur la convergence culturelle rédigée de manière à tenir compte, d’une part, des critiques visant ce concept par des auteurs en sciences sociales et des réponses à ces critiques et, d’autre part, de critères relevant de la légistique.
I. Le concept de convergence culturelle
Afin de bien saisir le concept de convergence culturelle, il convient de s’attarder à ses origines et à ses évolutions, à ses critiques et à certaines réponses à ces critiques.
1. La convergence culturelle : origines et évolution du concept
Si les origines du concept de convergence culturelle au Québec remontent à la Politique québécoise du développement culturel, en revanche ses évolutions sont davantage liées à des auteurs en sciences socialesFootnote 21.
1.1 Les origines du concept de convergence culturelle au Québec
Cette Politique québécoise du développement culturel, élaborée principalement par les sociologues Fernand Dumont et Guy Rocher alors qu’ils étaient sous-ministresFootnote 22, est adoptée en 1978. Elle s’oppose au multiculturalisme canadien, entre autres, parce que, selon cette politique, ce multiculturalisme cacherait une supercherie : égales en droit, les cultures sont inégales en fait. Ainsi, les communautés culturelles, tout en préservant les sources de leurs cultures d’origine, doivent s’intégrer à l’une ou l’autre des vastes cultures « de tradition française ou anglo‑saxonne »Footnote 23. Cette politique propose non pas de méconnaître la pluralité des sources de la culture, mais de repérer un lieu de culture qui puisse représenter leur convergence. Comme le Québec vient alors de se doter d’une Charte de la langue française et qu’une « langue ne saurait vivre dans un milieu culturel qui lui est étranger », il faut en accepter la suite logique. Le français devant être la langue commune, la « culture de tradition française » devrait servir de « foyer de convergence »Footnote 24.
Si la convergence culturelle n’est pas une forme de multiculturalisme, elle n’est pas non plus une forme d’assimilationnisme : « Entre l’assimilation lente ou brutale et la conservation d’originalités encloses dans les murailles des ségrégations, il est une autre voie praticable : celle des échanges au sein d’une culture québécoise »Footnote 25. Cette dernière est dès lors destinée à recevoir les apports féconds des minoritésFootnote 26, et donc à évoluer à l’image du concept de convergence culturelle.
1.2 Les évolutions du concept de convergence culturelle
En 1988, Julien Harvey affirme qu’avec la convergence culturelle, il est reconnu que la culture québécoise peut être enrichie par les immigrants, pourvu qu’elle demeure le point de convergence. Pour lui, la convergence culturelle exige non pas l’assimilation, mais le fait d’être QuébécoisFootnote 27. Il mentionne qu’il conviendrait que tous les organismes qui s’occupent d’immigration aient une composition paritaire de Québécois de vieille souche et d’immigrantsFootnote 28. En 1988 toujours, Gabriel Gagnon rédige un article intitulé « Plaidoyer pour la convergence culturelle » dans lequel il affirme qu’« il n’est pas question que le Québec devienne un réseau de ghettos culturels où les francophones de souche et d’adoption ne seraient plus qu’une minorité un peu plus importante que les autres »Footnote 29. Il mentionne aussi l’apport étranger « qui a enrichi nos syndicats, nos collèges, nos universités, nos hôpitaux, notre cuisine, notre littérature et notre cinéma » avant d’ajouter que c’est dans les écoles « qu’immigrants et Québécois francophones devraient tisser dès aujourd’hui les convergences de demain »Footnote 30.
Au milieu des années 1990, Dumont est revenu sur le concept de culture de convergence en précisant qu’elle devrait se traduire par une double orientation : « dans les pratiques quotidiennes, la langue française, connue de tous et médiation indispensable de citoyenneté au sein de la diversité; dans l’enseignement, la connaissance de l’histoire du Québec, de ses régions et de sa culture, des institutions politiques et juridiques qui nous régissent »Footnote 31.
Au cours des années 2000, Sylvana Villata publie un texte critique de l’interculturalisme allant dans le sens de la convergence culturelle. Pour elle, le français et l’espace culturel, « lieu de convergence », sont importants pour les artistes issus de l’immigration qui désirent « s’intégrer », « être considérés comme des artistes citoyens à part entière sans être stigmatisés par une connotation ethnique » et « se fondre aux autres »Footnote 32. Malgré ce désir bien réel, l’intégration culturelle au sens plus large ne va pas de soi, car :
Si, par le biais du Programme de soutien à l’interculturalisme, les organismes professionnels s’identifiant aux communautés culturelles ont réussi à intéresser des publics de souche majoritairement française, mais aussi britannique, avec des résultats indéniables, à de nouvelles formes de cultures créées par des artistes issus de l’immigration, l’objectif inverse, celui de sensibiliser ce nouveau public aux productions québécoises n’a pas connu, sauf exception, beaucoup de succès jusqu’à présentFootnote 33.
Cette citation illustre bien une des raisons de préférer à l’interculturalisme la convergence culturelle et ses principes. Ces derniers sont le lien consubstantiel entre la langue française et la culture québécoise présent depuis la Politique québécoise de développement culturel; l’impératif de la préservation du statut majoritaire de la culture québécoise et de la langue française, que l’on retrouve notamment sous la plume de Gagnon; le refus de l’assimilation des minorités; l’appropriation identitaire et la mixité, mises en valeur particulièrement par Harvey, ainsi que l’intégration et le rôle vital des œuvres et productions artistiques soulignés entre autres par Villata. Autant de principes susceptibles de faire l’objet de critiques.
2. La convergence culturelle : un concept critiqué et défendu
Le concept de convergence culturelle a fait l’objet de nombreuses critiques qui ont été suivies par des réponses.
2.1 Les critiques du concept de convergence culturelle
Parmi les auteurs critiques de la convergence culturelle, trois ressortent du lot : Daniel Gay, Denise Helly et Gérard Bouchard.
Dès 1985, Gay estime que « le rejet du modèle d’assimilation peut aussi masquer d’autres ambitions inavouées – dont celle de tracer un cordon sanitaire autour d’un Québec “essentiellement” français », car cet auteur voit dans la convergence culturelle un refus des apports incompatiblesFootnote 34. Par la suite, il critique la convergence culturelle parce que sa vision du développement serait essentiellement culturaliste : « percevant les groupes ethniques sous le signe de « communautés culturelles » (…), cette doctrine suppose que ceux-ci ont d’abord et avant tout des revendications d’ordre culturel au même titre que certaines élites de la « majorité française » »Footnote 35. Il conclut en mentionnant que « la doctrine de la convergence culturelle (…) est traversée par un puissant souffle de conservatisme organique teinté de libéralisme réformateur » et qu’elle est « le fruit des cogitations d’une école de pensée ethnocentriste et messianique »Footnote 36.
Dans la même lignée, Helly critique la convergence culturelle, la vision de la nation de Dumont et la Politique québécoise du développement culturel, parce qu’elles seraient trop axées sur le communautaire et le culturel, voire l’ethnique. Selon elle, cette politique aurait interprété « l’adoption d’une langue commune (…) comme un instrument de consolidation de la préséance culturelle, voire politique, d’une majorité sur des minorités »Footnote 37. Elle viserait même « la dissolution de la pluralité culturelle existant au Québec »Footnote 38.
Par ailleurs, Bouchard voit en Dumont un défenseur des nations ethniques. Et, pense-t-il, « [s]i une telle proposition devait prévaloir, elle viendrait en quelque sorte confirmer tout le mal que l’on entend ici et là à propos du nationalisme québécois, tous ces préjugés et stéréotypes malveillants qui l’associent au repli, à l’ethnicisme, au refus de la différence »Footnote 39. Selon lui, cette proposition s’explique par le fait que Dumont « repoussait vigoureusement le modèle de la nation québécoise qu’il accusait d’aliéner l’identité, la référence canadienne‑française »Footnote 40. Paraphrasant Dumont selon qui « une culture de convergence se constituerait néanmoins, mais ce serait la culture française », Bouchard ajoute « autant qu’on puisse voir, il faut comprendre ici : la culture canadienne-française »Footnote 41. C’est donc dire que, pour Bouchard, il existe une nation québécoise essentiellement civique et que par conséquent, à ses yeux, le rejet par Dumont de cette notion de nation québécoise ne peut que traduire l’attachement à celle de nation ethnique canadienne-française. D’ailleurs, plus loin il enchaîne en mentionnant qu’« il semble bien que, sous la plume de F. Dumont, l’intégration des immigrants soit en réalité synonyme d’assimilation pure et simple à la culture canadienne-française »Footnote 42.
La convergence culturelle ayant été associée par ces auteurs qui l’ont critiquée au conservatisme, au libéralisme, à l’ethnocentrisme et à l’assimilationnisme, ces critiques et ces associations ont appelé des réponses.
2.2 Les réponses aux critiques du concept de convergence culturelle
Parmi les auteurs qui ont répondu indirectement ou directement aux auteurs critiquant la convergence culturelle, on compte Yvon Grenier, Jean Daudelin, Micheline Labelle et Serge Cantin.
Grenier et Daudelin critiquent Daniel Gay parce qu’il utilise un cadre d’analyse néo-marxiste dans son œuvre dont une bonne partie est consacrée à la société québécoise. Un de ses ouvrages marquants, Les élites québécoises et l’Amérique latine Footnote 43, qui est cité dans son texte sur la convergence culturelleFootnote 44, a été critiqué, entre autres, en raison de ce cadre d’analyse. Pour Grenier et Daudelin, inspirée des réflexions de Louis Althusser sur les appareils idéologiques d’État, « [l]a “grille” néo‑marxiste de Gay nous semble quelquefois tituber devant les durs pépins de la réalité »Footnote 45. Ces auteurs donnent comme exemple « l’abbé Théophile Montminy, curé de Saint‑Agapit » qui « nous est présenté comme un représentant de la « fraction québécoise du grand capital industriel et financier » »Footnote 46. Grenier et Daudelin semblent avoir du mal à saisir comment, à la fin du XIXe siècle, le curé d’une paroisse canadienne-française, composée à l’époque essentiellement d’agriculteurs plutôt pauvres, pouvait représenter le grand capital industriel et financier, à moins que le choix de cet exemple et son interprétation soient moins influencés par la réalité que par la théorie. Ils critiquent aussi Gay en raison de ce qu’il reproche au discours des élites québécoises, qui serait trop culturaliste, en se référant à des concepts comme la nation et les Québécois, alors qu’il emploie lui-même des concepts comparablesFootnote 47.
À notre avis, par analogie, ces éléments sont pertinents pour répondre aux critiques adressées par Gay à la convergence culturelle, puisque celles-ci sont également liées à sa grille néo-marxisteFootnote 48, laquelle tient trop peu compte des réalités particulières du Québec, et à son « anti-culturalisme » proclamé. Concernant cette grille, il nous semble évident qu’elle amène Gay à tenir trop peu compte du fait que la majorité dont la convergence culturelle fait le centre d’attraction est une minorité à l’échelle du pays et du continent où domine la majorité anglophone, dont la minorité anglo-québécoise fait partie. Ne serait-ce que pour cette raison, il nous semble simpliste d’associer la convergence culturelle et son souci pour les Québécois de culture française à un « conservatisme organique teinté de libéralisme ». D’autant plus que Dumont, soit l’intellectuel le plus reconnu pour sa défense et sa théorisation de cette convergence, fut aussi à l’origine du concept de « socialisme d’ici », qui, s’inscrivant comme celui de convergence culturelle dans sa philosophie humaniste, visait à proposer une solution adaptée au Québec et à sa réalité culturelleFootnote 49. Convenons tout de même que certaines expressions parfois employées pour décrire la convergence culturelle, comme celle de culture « de tradition » française, prêtent flanc à une critique l’associant au conservatisme.
Cela dit, c’est Labelle qui répond le plus précisément à Gay. Après avoir cité plus tôt dans son texte les critiques d’inspiration néo-marxiste ou anti-culturaliste de Gay contre la convergence culturelle, sans défendre ce dernier concept, Labelle affirme que le nationalisme québécois est forcément à la fois culturel et civique, en ce sens qu’il est lié à une histoire particulière tout en étant orienté vers le projet d’avenir d’une citoyenneté partagéeFootnote 50. De même, dans le cadre d’une recension d’écrits de Helly portant sur des politiques québécoises de gestion de la diversité, dont celle misant sur la convergence culturelle, que cette dernière auteure interprète comme étant quelque peu ethnicistes et homogénéisantes, Labelle souligne que cette interprétation ne tient pas compte de la coexistence des logiques particularistes et universalistes inhérentes à ce genre de politiques. Plus loin, Labelle mentionne que d’autres critiques de Helly visant des notions employées dans ces politiques québécoises, comme celle trop vague de « communauté culturelle », s’accompagnent d’incohérences, par exemple lorsque Helly s’oppose à l’usage de référent racial tout en y ayant elle-même recours dans ces écritsFootnote 51. En plus de souligner l’incohérence de cette critique de Helly, Labelle prend soin d’employer des mots moins susceptibles d’être l’objet de telles interprétations ou de telles critiques, par exemple en parlant de culture « d’expression française » plutôt que de « tradition française » et de « minorités culturelles » plutôt que de « communautés culturelles » ou de « minorités ethniques »Footnote 52.
Concernant l’accusation d’ethnicisme formulée par Bouchard à l’encontre de la convergence culturelle et de Dumont, Cantin rappelle que dans Raisons communes, livre où il revient sur le concept de convergence culturelle, Dumont défend plutôt une conception de la nation explicitement inspirée de Renan, reconnue pour sa conception française de la nation opposée à la conception allemande plus ethnique :
Renan ne croyait pas plus que nous aux impératifs de la race. La communauté nationale n’est pas faite de cette fraternité du sang dont parlait naguère Trudeau pour nous inviter à dépasser les vues bornées dont il ne cessait de nous soupçonner. Les Français ne descendent pas tous des Gaulois. Dans les solidarités nationales comptent le choix des personnes, l’acceptation ou l’élection d’une identité (…). Des descendants d’Anglais, d’Écossais, d’Irlandais, d’Italiens, etc., sont de ma nation; des descendants de Français sont devenus des Anglais ou des Américains. Constatation digne de ce bon M. de La Palice, mais qui rappelle utilement que les nations sont des entités historiques mouvantesFootnote 53.
Cantin explique même que Dumont rejette clairement le concept d’ethnie pour y préférer celui de cultureFootnote 54. Au sujet de la référence à la culture canadienne-française, qui serait implicite dans la convergence culturelle de Dumont selon Bouchard, Cantin affirme « qu’un penseur du calibre de Fernand Dumont prend la peine de réfléchir avant d’écrire, et que lorsqu’il écrit “la culture française” il n’a pas la culture “canadienne-française” derrière la tête »Footnote 55. Quant à l’association entre convergence culturelle et assimilation, Cantin y oppose une autre longue citation de Dumont :
En refusant le multiculturalisme et l’assimilation autoritaire des immigrants, en insistant sur la spécificité des communautés nationales, je n’ai énuméré que des critères pour ainsi dire négatifs. Comment envisager des caractéristiques positives ? Comment répondre au problème crucial que l’on commence à percevoir dans toute son acuité : qu’est-ce qui maintient ensemble les QuébécoisFootnote 56.
Selon Cantin, la réponse de Dumont à ces questions est une culture commune à l’intersection du culturel et du politiqueFootnote 57; ce qui nous ramène à une conception de la nation plus française qu’allemande.
C’est donc dire qu’il existe plusieurs éléments permettant de répondre aux critiques visant la convergence culturelle et ses principes. Puisque ces critiques, ou d’autres semblables, feraient sans doute surface si une loi venait consacrer ces principes, une telle loi devrait être rédigée de manière à refléter certains de leurs éléments. Outre le refus de l’assimilation des minorités, on compte, parmi ces éléments, le statut à la fois minoritaire et majoritaire de la culture québécoise; une référence à l’importance de l’État et des valeurs sociales (pour éviter une association trop étroite avec le libéralisme); des formulations modernes évitant une telle association avec le conservatisme (pensons à l’expression « de tradition française » pouvant être remplacée par celle « d’expression française »); un refus de tout ethnicisme; une insistance sur la coexistence des logiques particularistes et universalistes au sein du modèle québécois d’intégration, ainsi qu’un rappel que la culture québécoise est l’œuvre de Québécois de toutes origines.
II. Une traduction législative possible du concept de convergence culturelle
Pour concevoir une traduction législative de la convergence culturelle, il faut se prêter à un exercice de légistique. C’est pourquoi nous nous attardons au concept de légistique et à des exemples de lois-cadres.
1. La légistique : définitions, critères et modèles
Aux fins de notre exercice de légistique, des définitions, des critères ainsi que des modèles associés à ce concept sont exposés.
1.1 La légistique : des définitions et des critères
Richard Tremblay définit la légistique matérielle comme la détermination des orientations politiques et la légistique formelle comme la mise en forme de ces orientationsFootnote 58.
Le premier des critères de légistique formelle promus par Charles-Albert Morand, celui de la clarté, est illustré notamment par la recommandation d’éviter les synonymes et de diminuer les risques liés à la polysémie, par exemple en évitant d’utiliser deux mots pour désigner la même choseFootnote 59. Ainsi, plutôt que de parler tantôt de convergence culturelle et tantôt de culture de convergence, nos propositions de dispositions législatives parleront uniquement de convergence culturelle. Cependant, nous inspirant cette fois plutôt de Tremblay et de sa critique du formalisme linguistique excessif qui marque la légistiqueFootnote 60, nous n’hésiterons pas à parfois employer des expressions nouvelles plutôt que de reprendre celles de précédents législatifs.
La cohérence, qui constitue le second critère, se divise en deux sous-critères : la cohérence interne, donc entre les normes d’une même loi, et la cohérence externe, avec les normes figurant dans d’autres loisFootnote 61. Le respect de la cohérence interne à une loi misant sur le concept de culture mène ainsi à employer l’expression « minorités culturelles » plutôt que « minorités ethniques ». Et pour respecter celui de la cohérence externe, nous proposons de modifier dans le même sens les dispositions de la Charte de la langue française Footnote 62 et de la Charte des droits et libertés de la personne Footnote 63 qui contiennent le mot « ethnique ». En plus de favoriser la cohérence, ce choix de mot permet de tenir compte des critiques de la convergence culturelle qui voient en elle un concept ethniciste et des réponses à ces critiques qui associent plutôt ce concept à la culture; pensons entre autres à Labelle qui, au sujet de la convergence culturelle, parle de « minorités culturelles » plutôt que de « minorités ethniques »Footnote 64.
Le troisième critère proposé par Morand, celui dit de la concision, favorise la communication de toute l’information requise, sans plus, et conduit généralement à des phrases courtesFootnote 65. Tremblay prône aussi ce critère de la concision et celui de la simplicité, qu’il associe aux énoncés généraux et principesFootnote 66. Notre proposition de loi sur la convergence culturelle reposera donc sur des principes qui seront définis succinctement.
Enfin, le critère de la véracité défavorise le fait de déguiser la pensée du législateur pour mieux faire accepter sa loiFootnote 67. Une loi sur la convergence culturelle devra, de ce fait, dire les choses franchement, sans emprunter au langage politiquement correct qui pourrait la trahir. Ce principe ne proscrit toutefois pas les lois symboliques, soient celles qui ne sont pas toujours appelées à produire beaucoup d’effets directsFootnote 68, comme c’est le cas de certaines lois-cadres.
1.2 La légistique : une définition et des modèles de lois-cadres inspirants, notamment un titre et un préambule
Une loi-cadre est une « Loi définissant les principes généraux d’une matière et laissant à l’exécutif le soin d’en fixer les modalités d’application en utilisant son pouvoir réglementaire »Footnote 69.
Parmi les lois-cadres pouvant logiquement servir d’inspiration pour une proposition de loi-cadre québécoise sur la convergence culturelle se trouvent la Loi sur le multiculturalisme canadien et deux lois-cadres québécoises, soit la Loi sur le développement durable Footnote 70 et la Loi pour assurer l’occupation et la vitalité des territoires Footnote 71. Une analyse de ces lois révèle que certains des principaux éléments d’une loi-cadre sont le titre, les considérants, l’objet, les principes et leurs définitions.
Ces lois-cadres montrent qu’un titre court se référant à l’objet de la loi est approprié. Notre proposition de loi s’intitule donc Loi sur la convergence culturelle. Pour ce qui est des considérants, la Loi sur le multiculturalisme canadien se réfère notamment aux autochtones, aux minorités, à la Charte canadienne des droits et libertés et à des lois ou politiques fédérales pertinentes l’ayant précédé, dont la Loi sur les langues officielles Footnote 72. Le préambule de la Loi pour assurer l’occupation et la vitalité des territoires s’attarde sur l’histoire, les peuples autochtones, les premiers Européens, les nouveaux arrivants provenant de territoires voisins comme du monde entier, ainsi qu’à leurs descendances et interpelle la « population et tous les acteurs socioéconomiques ».
En s’inspirant de cela, le préambule de la Loi sur la convergence culturelle pourrait se lire comme suitFootnote 73 :
CONSIDÉRANT que la culture québécoise d’expression française est le fruit d’une fidélité à l’héritage des premiers colons français et d’une ouverture à l’apport des nouveaux arrivants provenus de territoires voisins comme du monde entier, ainsi que de leurs descendances de toutes origines;
CONSIDÉRANT que la Loi sur la laïcité de l’État énonce que la nation québécoise a des caractéristiques propres, dont sa tradition civiliste, des valeurs sociales distinctes et un parcours historique spécifique; Footnote 74
CONSIDÉRANT que la Charte de la langue française consacre le français comme langue officielle du Québec;
CONSIDÉRANT que la culture québécoise d’expression française et la langue française sont à la fois majoritaires à l’échelle du Québec et minoritaires à l’échelle du Canada et de l’Amérique du Nord;
CONSIDÉRANT l’existence au sein du Québec des nations abénaquise, algonquine, attikamek, crie, huronne, innue, malécite, micmaque, mohawk, naskapi et inuit, et les principes associés à cette reconnaissance énoncés dans la résolution du 20 mars 1985 de l’Assemblée nationale, notamment leur droit à l’autonomie au sein du Québec;
CONSIDÉRANT l’existence d’une communauté québécoise d’expression anglaise jouissant de droits consacrés;
CONSIDÉRANT que la Charte des droits et libertés de la personne reconnaît aux personnes appartenant à des minorités culturelles le droit de maintenir et de faire progresser leur propre vie culturelle avec les autres membres de leur groupe;
CONSIDÉRANT que ces principes s’inscrivent dans le mouvement universel de revalorisation des cultures nationales qui confère à chaque peuple l’obligation d’apporter une contribution particulière à la communauté internationale; Footnote 75
CONSIDÉRANT que la Politique québécoise de développement culturel a jeté les bases d’un modèle d’intégration fondé sur la convergence culturelle;
CONSIDÉRANT que la convergence culturelle interpelle l’État, la population, les acteurs et les institutions de la société;
Ce préambule annonce bien l’objet de notre proposition de loi.
2. La Loi sur la convergence culturelle : objet et principes
Il convient d’exposer ce qui pourrait constituer, d’une part, l’objet d’une Loi sur la convergence culturelle, et, d’autre part, ses principes.
2.1 L’objet d’une Loi sur la convergence culturelle
L’objet de la loi que nous proposons est évidemment la convergence culturelle. Il serait enchâssé dans un article inspiré, quant à la forme, par la Loi sur le développement durable. Selon son article 1, l’objet de cette loi est « d’instaurer un nouveau cadre de gestion au sein de l’Administration afin que l’exercice de ses pouvoirs et de ses responsabilités s’inscrive dans la recherche d’un développement durable ». Dans sa disposition consacrée à son objet, la Loi sur la convergence culturelle pourrait à la fois s’inspirer de cette loi et s’en différencier, car l’objet d’une telle Loi sur la convergence culturelle dépasserait le cadre administratif et embrasserait tout l’État ainsi que la société. Il serait donc possible de définir cet objet de manière à annoncer les principes de cette loi comme suit :
[X] Footnote 76 La présente loi vise à favoriser l’action de l’État et de la société pour faire en sorte que la culture québécoise d’expression française constitue la culture commune et le foyer de convergence des minorités culturelles présentes au Québec et, pour ce faire, qu’elle s’enrichisse d’apports provenant de ces minorités. Footnote 77
2.2 Les principes d’une Loi sur la convergence culturelle
Concernant les principes d’une Loi sur la convergence culturelle, il va de soi qu’ils devraient être explicités et définis autant que possible succinctement. C’est ce qu’on observe en général dans une loi-cadre québécoise qui, en plus de préciser que la politique ou la stratégie qui en découlera devra respecter des principes, explicite chaque principe en quelques mots et le définit ensuite en une ou deux phrases. Notre proposition de loi devrait donc inclure un chapitre contenant un article portant sur des principes et commençant comme ceci :
[X]. Les principes sur lesquels repose la politique de la convergence culturelle sont les suivants :
Puis, étant donné l’importance de rappeler le lien qui unit la langue française à la culture québécoise, la Loi sur la convergence culturelle pourrait faire de ce lien son premier principe et le définir comme suit :
a) « lien consubstantiel entre la langue française et la culture québécoise » : la langue française, en plus d’être un outil de communications indispensable au Québec, est le principal véhicule de la culture québécoise; Footnote 78
Ensuite, il serait primordial d’évoquer l’impératif de la reconnaissance et du maintien de leur statut majoritaire :
b) « impératif de la préservation du statut majoritaire de la culture québécoise et de la langue française » : la culture québécoise d’expression française et la langue française devraient être largement majoritaires dans l’ensemble des régions du Québec; Footnote 79
Puisque ce principe du maintien du statut majoritaire et la convergence culturelle en général sont susceptibles d’être perçus comme ayant des visées assimilationnistes, alors que ce n’est pas le cas, il importe de prévoir un principe à cet effet :
c) « refus de l’assimilation des minorités culturelles » : l’assimilation forcée, au sens de fusion des personnes appartenant à des minorités culturelles dans la majorité qui mène à la disparition de ces minorités sans laisser de traces, est refusée; Footnote 80
Puisque la convergence culturelle refuse l’assimilation forcée, elle propose une autre voie aux immigrants, celle de l’intégration. Pour se faire, elle doit se rapprocher, mais pas trop, des définitions de l’intégration liées au multiculturalisme ou à l’interculturalisme qui se réfèrent à l’adaptation réciproque des immigrants et de la société d’accueil, de même qu’à la participation de tous à la vie socialeFootnote 81. Dans la perspective de la convergence culturelle, il convient de définir l’intégration comme suit :
d) « intégration » : Un processus continu marqué par la participation du plus grand nombre, y compris des personnes appartenant à des minorités culturelles, à des institutions sociales fondées sur une langue commune, dont les établissements d’enseignement. Ce processus favorise une adaptation réciproque, mais asymétrique, en ce sens que ces minorités sont appelées à faire des efforts d’adaptation culturelle plus grands que ceux déployés par la majorité, le tout dans le but de partager des valeurs communes portées par la culture commune; Footnote 82
Même si la définition de l’intégration ne fait pas référence à l’identité nationale, il va de soi que celle-ci est concernée par la convergence culturelle. C’est pourquoi un autre principe pourrait se lire comme suit :
e) « appropriation identitaire » : l’identité nationale québécoise devrait occuper une place centrale parmi les multiples appartenances que peut avoir un citoyen du Québec, qu’il soit ou non issu d’une minorité culturelle; Footnote 83
Dans la même optique, le principe de la mixité pourrait être défini comme ceci :
f) « mixité » : au sein de l’école et des autres institutions importantes tant pour les minorités culturelles que pour la majorité, il convient que les personnes appartenant à ces minorités soient autant que possible amenées à fréquenter sur une base régulière des personnes appartenant à la majorité et inversement; Footnote 84
Enfin, de manière à préciser que la convergence culturelle se préoccupe des œuvres de l’esprit (musique, littérature, etc.), et afin que ses mots soient cohérents avec ceux de l’article 19 du projet de loi no 96 qui parle des « œuvres culturelles québécoises »Footnote 85, il y aurait lieu d’inclure un article se lisant ainsi :
g) « rôle vital des œuvres culturelles québécoises » : les œuvres culturelles québécoises, notamment dans le domaine des arts et des lettres, jouent un rôle vital au Québec, entre autres, en favorisant l’intégration et l’expression de la culture dans toute sa richesse. Footnote 86
À ces principes s’ajouteraient des dispositions plus techniques (disposition habilitante permettant au gouvernement d’adopter une politique mettant en œuvre ces principes, mécanismes de reddition de comptes, etc.) dont le détail dépasse l’ambition du présent texte. Mentionnons simplement que les conséquences concrètes de cette politique de convergence culturelle dépendraient de son contenu précis. Sans entrer dans le détail du contenu possible d’une telle politique, soulignons tout de même un exemple récent illustrant le genre de conséquences concrètes qu’elle pourrait avoir. Peu après le dépôt du projet de loi no 96, qui annonce à son article 19 une politique relative à « la mise en place d’un environnement de langue française, notamment en ce qui a trait à la musique vocale ainsi qu’à la priorité qui doit être accordée aux œuvres culturelles québécoises »Footnote 87, le gouvernement de la CAQ a annoncé que désormais, seule la musique québécoise pourra être jouée sur les lignes téléphoniques ainsi que dans les établissements gouvernementaux, et que cette musique sera à 90 % en français (les 10 % restant étant réservés aux langues autochtones et à l’anglais)Footnote 88. La politique découlant de notre proposition de Loi sur la convergence culturelle multiplierait les mesures de ce genre.
Conclusion
Au cours des années 1980, l’interculturalisme québécois a pu paraître comme une troisième voie plutôt consensuelle entre le républicanisme français, plus assimilationniste, et le multiculturalisme canadien, plus différentialisteFootnote 89. Mais ce consensus a plus que jamais éclaté à partir de 2008, suite au dépôt du rapport Bouchard-TaylorFootnote 90. Cet éclatement a été causé, entre autres, par la recrudescence des critiques envers l’interculturalisme perçu par des auteurs ou des élus comme étant proche du multiculturalisme et accordant trop peu d’importance à la culture majoritaire, et ensuite par la réémergence du concept de convergence culturelleFootnote 91. Ces auteurs et ces élus semblaient chercher une proposition véritablement différente du multiculturalisme, sans pour autant tomber dans l’assimilationnisme.
Cette réémergence de la convergence culturelle peut être vue à la lumière de la réémergence du républicanisme dans le champ de la philosophie politique. La fin du XXe siècle et le début du XXIe ont été marqués par un renouveau de la pensée républicaineFootnote 92, au point où cette dernière serait devenue la principale proposition philosophique alternative face au libéralismeFootnote 93. Il serait cependant sans doute plus juste de parler des républicanismes, vu qu’il y en a au moins deux types distincts : l’athénien et le néo-romainFootnote 94. Ces deux types de républicanisme peuvent, dans une certaine mesure, être associés à la convergence culturelle parce qu’ils valorisent intensément la participation à la vie politique et, qu’aux yeux de Dominique Schnapper (une auteure française influente au QuébecFootnote 95 dont la pensée puise dans ces deux types de républicanisme), la participation est concrètement fondée sur des éléments comme une langue et une culture communes qui s’imposent aux langues et cultures particulières et à l’égard desquelles l’État n’a pas à être neutreFootnote 96.
Est-ce à dire que la convergence culturelle ne peut aucunement être considérée comme une troisième voie entre le multiculturalisme canadien plus différentialiste et le républicanisme français plus assimilationniste ? Non, elle pourrait l’être, car une loi et une politique québécoises sur la convergence culturelle rejetteraient explicitement l’assimilationnisme et s’inscriraient dans un contexte québécois, canadien et nord-américain. Or, ce contexte est marqué par une présence de la culture anglo-américaine très forte, encore plus forte qu’en France, au point où cette culture fragilise autant les cultures minoritaires issues de l’immigration que la culture québécoise d’expression française, surtout là où cette dernière est elle-même minoritaire, comme c’est le cas dans certains quartiers de Montréal. C’est dans ce contexte bien précis qu’il devient plus que jamais approprié de s’assurer, grâce à une loi, que l’État québécois pèse en faveur de la culture québécoise d’expression française et qu’ainsi il fasse contre‑poids à la culture anglo‑américaine qui, à l’heure de son triomphe dans l’univers numérique mondialisé, est appuyée par la puissance du marché. Sans parler du fait que les cultures minoritaires issues de l’immigration sont, quant à elles, appuyées par l’État fédéral avec sa loi et sa politique du multiculturalisme. On peut même penser que, face à cette culture anglo-américaine quasi‑hégémonique, la culture majoritaire d’expression française et les cultures minoritaires ont intérêt à combiner leurs forces pour résister. C’est justement ce que propose la convergence culturelle qui implique une telle combinaison plutôt qu’une imposition de la première aux dépens des secondes, telle que prônée par Schnapper.
Pour cela, et en raison de son rejet de l’assimilation, la convergence culturelle ne peut être associée trop étroitement au républicanisme à la française portée par Schnapper. Tout au plus pourrait-elle être associée à une variante précise de ce républicanisme également évoquée par Schnapper, celle dite du « républicanisme tolérant »Footnote 97, ou encore au républicanisme à la québécoise d’un Marc Chevrier, lequel est marqué par une recherche d’équilibre notamment entre la liberté du citoyen et l’importance de sa participation à la citéFootnote 98. Cette question dépassant largement l’ambition du présent texte, nous ne prétendons nullement clore ce débat. Notre objectif est simplement d’indiquer où se situe théoriquement la convergence culturelle, soit quelque part dans la galaxie des républicanismes. Cela ne signifie pas pour autant qu’elle soit complètement antinomique avec le libéralisme. Après tout, l’épanouissement de la culture québécoise d’expression française que prône la convergence culturelle vise aussi à offrir aux individus davantage de choix en matière culturelleFootnote 99.