Les chercheurs qui étudient sous différents aspects la renaissance de l’islam dans l’Asie centrale post-soviétique sont loin de s’entendre sur son évolution. Certains en perçoivent bien la valeur d’enjeu politique ; d’autres, plus nombreux, voient une menace directe dans « l’extrémisme islamique» et le « fondamentalisme intolérant» ; l’attitude négative envers l’islam en général qui en résulte est volontiers adoptée par les journalistes et les hommes politiques, surtout ceux qui dès l’époque soviétique étaient accoutumés à l’islamophobie. L’aspiration des peuples de l’ex-URSS à opérer un retour aux sources culturelles et religieuses de leur civilisation, sévèrement réprimé, et déjà interrompu par les bolcheviks, inspire une grande peur, d’autant que cette nouvelle renaissance se produit dans un milieu ethnique, politique et mental qui n’est plus « traditionnel». La collecte récente d’archives originales (discours, contacts personnels avec les militants religieux) permet de se faire une idée plus complète des débuts du processus de ré-islamisation en Ouzbékistan et dans quelques pays voisins, de suivre l’évolution des points de vue théologiques et politiques des principaux leaders religieux, de scruter la réaction intellectuelle des théologiens à l’affaiblissement des normes et des règlements religieux dans la communauté ou aux nouvelles formes d’opposition religieuse, en comparant le processus aux conditions de l’islam avant et après la Perestroïka, de considérer les opinions des théologiens « réformateurs» et leur aspiration à conférer un statut politique à l’islam. On examinera ici les bases dogmatiques de leurs prétentions politiques et la dissidence qui en est résultée avec les traditionalistes, qui préféraient s’en tenir à des positions conformistes et collaborer avec l’État.