L’historien du droit, comme tout sociologue et comme tout historien, a affaire à des pratiques sociales – le droit incontestablement en est une. Mais il ne se donne pas pour tâche de mettre à nu, à travers le droit ou malgré le droit, les agents eux-mêmes et leurs actions propres, en restaurant une transparence que viendrait brouiller l’écart entre droit et réalité, entre normes et faits, entre représentation et présence: c’est cette transparence au contraire qu’il met en cause, en s’attachant très précisément à décrire et à comprendre cet écart, en faisant justement de cet écart son objet d’étude. Il ne s’essaye pas à déchiffrer, derrière les abstractions du droit (règles, procédures, concepts, systèmes de catégories), la réalité d’un jeu social où se donnerait à voir l’irréductible singularité de ses acteurs et l’irréductible réalité de leurs rapports: c’est cette singularité et cette réalité mêmes qu’il suspend au contraire et met provisoirement à distance. Non bien sûr pour nier que le droit se rapporte à des référents concrets, ce qui serait absurde, mais pour décrire les effets pratiques de toutes les médiations formelles par lesquelles il s’interpose entre les sujets et eux-mêmes, entre la société et elle-même. Pour décrire, en somme, le travail par lequel le droit agit en retour sur ces référents pour les transformer, à la manière dont toute technique sociale transforme la société à laquelle elle renvoie mais sur laquelle en même temps elle opère.