Les écrits récents sur l'histoire urbaine africaine, celle-ci d'ailleurs souvent abordée en chapitre liminaire par de solides études géographiques, ont eu tendance à mettre l'accent sur les phénomènes d'hypertrophie urbaine contemporains issus de la colonisation. Or non seulement l'urbanisation africaine subsaharienne est ancienne (des découvertes archéologiques récentes ont notamment démontré qu'elle préexistait à l'influence musulmane), mais elle a pu dans certains cas présenter des formes mercantiles relativement complexes bien antérieures au fait colonial.

Je pars d'un constat : le Fuuta Jaloo théocratique (actuelle république de Guinée) — un État qui se constitue en Afrique de l'Ouest dans la première moitié du xviiiie siècle — n'a pu naître, se maintenir, s'affirmer et se développer qu'en établissant un système économique fondé à la fois sur l'esclavage et la traite négrière. J'entends par là un régime où l'État et la société des hommes libres tout entière vont bénéficier des captifs, soit en les exploitant comme esclaves soit en les vendant comme marchandises. D'où une organisation particulière reposant — principalement par la guerre — sur la production de captifs pour le marché intérieur et pour l'exportation. La question de l'esclavage interne, ce que C. Meillassoux définit justement comme l'esclavagisme, ne sera pas abordée ici ; seules m'intéressent les relations que l'État africain entretenait avec la traite négrière atlantique : des relations que l'on pourrait considérer comme la forme originelle des rapports Nord-Sud.

L'Amour et la Justice est un livre qui demande beaucoup à son lecteur. D'abord à cause de la densité de la réflexion qui fait sa richesse, mais surtout parce que la construction du texte n'est pas linéaire car elle ne suit pas les temps et le déroulement de la recherche. C'est la troisième et dernière partie qui en constitue le pôle principal, autour duquel le livre entier est bâti et tous les chapitres prennent sens. La dénonciation publiqueétait parue, bien que sous une forme différente, dans les Actes de la recherche en sciences socialesen 1984 ; ce texte relativement ancien est précédé par deux longs essais, Ce dont les gens sont capables,qui lui sert d'introduction et en même temps de lien avec la deuxième partie, l'Agapé, écrite en 1989.