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Yann Sordet, Histoire du livre et de l’édition. Production et circulation, formes et mutations, Paris, Albin Michel, 2021, 798 p. et 32 p. de pl.

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Yann Sordet, Histoire du livre et de l’édition. Production et circulation, formes et mutations, Paris, Albin Michel, 2021, 798 p. et 32 p. de pl.

Published online by Cambridge University Press:  12 January 2023

Angela Nuovo
Affiliation:
Renaud Milazzo
Affiliation:
Rights & Permissions [Opens in a new window]

Abstract

Type
Livres et circulation des savoirs (comptes rendus)
Copyright
© Éditions de l’EHESS

L’histoire du livre est une discipline en constante évolution et, depuis la publication en 1958 aux éditions Albin Michel de L’apparition du livre, incontournable classique de Lucien Febvre et Henri-Jean MartinFootnote 1, de nombreux ouvrages ont suivi. Ainsi manquait-il une synthèse et mise à jour des connaissances dans ce domaine, ce à quoi Yann Sordet, directeur de la bibliothèque Mazarine, conservateur des bibliothèques et rédacteur en chef de la revue Histoire et civilisation du livre, s’est attelé avec une remarquable réussite. En choisissant une approche interdisciplinaire à la fois culturelle, sociale, économique et politique, cet ouvrage retrace en 7 parties, 53 chapitres et 798 pages les grandes étapes de la production, dissémination et conservation de l’écrit dans le long terme. Prendre comme point de départ chronologique l’invention de l’écriture et la révolution numérique comme terminus ad quem permet à l’auteur de faire ressortir les avancées et ruptures qui jalonnent l’histoire du livre. Cette dernière ne peut en effet s’envisager que de concert avec celle de l’écriture.

Y. Sordet propose dans la première partie de son étude une histoire de l’écriture au sens large : la mise au point des systèmes graphiques, les évolutions paléographiques médiévales ainsi que les différents supports (papyrus, tablette, parchemin, papier, etc.) et formes de l’écrit (volumen, codex, entre autres) rassemblent progressivement toutes les conditions nécessaires à l’émergence d’un monde du livre. La naissance d’un marché de l’écrit, en ce que le livre est un objet manufacturé diffusé, contrôlé, conservé, s’inscrit dans un processus économique et repose sur une organisation socio-professionnelle.

Reprenant Frédéric Barbier, les « trois révolutions du livreFootnote 2 » déterminent ensuite l’analyse de l’auteur qui consacre à la première, la « révolution gutenbergienne », trois grandes parties couvrant chronologiquement un peu plus de trois siècles de production livresque, du début du xve siècle à la veille de la Révolution française. Le procédé typographique ouvre graduellement les portes à une nouvelle économie qui implique la mobilisation d’importants capitaux (donnant une place nouvelle aux financiers), la mise en place de politiques éditoriales efficaces, l’utilisation de réseaux de distribution transnationaux et une connaissance des marchés de diffusion. Par rapport au manuscrit, on assiste alors à un véritable changement d’échelle qui se mesure par le nombre d’éditions et d’exemplaires mis en circulation, mais aussi par les nouveaux besoins d’expertises professionnelles liées au développement de l’imprimé, qui nécessite des compétences dans le domaine de la métallurgie, de la finance, du grand commerce, de l’enluminure et du monde de l’université. Y. Sordet décrit avec érudition toutes les caractéristiques propres à l’univers du livre qui se mettent en place sous l’Ancien Régime, ne néglige aucun des aspects culturels, économiques et sociaux et contextualise avec précision les événements historiques qui président, dans certains cas, aux évolutions formelles et usages des livres (diffusion d’un message à des fins de propagande, contrôle des livres par les pouvoirs en place, naissance de la presse, usage pédagogique, etc.). Non sans difficulté se mettent en place durant cette longue période les éléments propices à une diffusion massive des imprimés.

La fin du xviiie siècle est non seulement marquée par l’affirmation des États-nations et des logiques linguistiques et politiques qui se concrétisent dans le domaine du livre par la place de plus en plus importante accordée aux publications vernaculaires (cinquième partie), mais aussi par une lente affirmation du statut de l’auteur et de la figure de l’éditeur au sens actuel du terme – à ce titre, Johann Friedrich Cotta est exemplaire. Ces facteurs, couplés aux nombreuses expérimentations et évolutions technologiques qui bouleversent l’industrie du livre aux alentours de 1830 préparent la deuxième révolution du livre, celle de la communication de masse (sixième partie). La demande, liée à une forte croissance sociale et médiatique (presse, publicité, éditions techniques et pédagogiques), ouvre la voie au règne de l’image, qui bénéficie d’innovations technologiques majeures (lithographie, photographie). Un nouveau changement d’échelle s’opère, d’une part avec la naissance de grandes maisons d’édition hiérarchisant la production selon des compétences spécifiques et dont certaines perdurent encore aujourd’hui et d’autre part, avec l’apparition de nouveaux répertoires (presse de masse, invention de collections, guides de voyages, manuels scolaires et universitaires, etc.). Mais ce sont surtout les politiques de réduction des prix qui contribuent à démocratiser le livre et à concevoir un nouvel écosystème éditorial nourrissant les espoirs d’une demande exponentielle. Tous ces changements nécessitent un cadre juridique aux contours mieux définis, et les débats sur la propriété littéraire opèrent un tournant à la fin du xixe siècle avec la reconnaissance du « droit d’auteur ».

Le xxe siècle est marqué quant à lui par la situation d’oligopole d’un petit nombre d’acteurs puissants et une forte dispersion des opérateurs secondaires ainsi que par l’apparition de nouveaux acteurs de l’économie du livre à la fin du siècle (Amazon). Cependant, la « révolution numérique » que nous connaissons actuellement, objet de la septième partie, vient à nouveau bouleverser le monde du livre et transforme radicalement son économie ainsi que ses formes de consommation.

On le constate, cette histoire du livre et de l’édition est loin d’être linéaire et, en ce sens, Y. Sordet s’éloigne avec justesse d’une présentation de l’histoire de l’évolution de l’imprimé typographique envisagée comme une progression continue. A contrario, chaque étape de cette évolution est marquée par une « résistance » à la nouveauté, leitmotiv récurrent qui témoigne du caractère cyclique, au sens platonicien du terme, de l’histoire du livre : procès de l’écrit face à la transmission orale (Grèce antique), procès du papier face au papyrus, procès de l’imprimé face au manuscrit à l’époque moderne, procès du numérique face au support matériel de nos jours. Ces tensions entraînent donc la cohabitation de plusieurs supports durant plusieurs décennies ou siècles, à l’instar du parchemin que l’on retrouve utilisé jusqu’à la fin du xviiie siècle comme support privilégié des « actes définitifs », c’est-à-dire de certains actes notariés, ordonnances royales et brefs pontificaux.

L’aspect purement économique de l’histoire du livre était totalement absent du bilan historiographique proposé dans les actes d’un colloque datant de 2008 et dont l’objectif était de célébrer le cinquantenaire de « L’apparition du livreFootnote 3 ». Ce manque, pour le moins étonnant, témoigne du travail qui reste à accomplir dans ce domaine. L’un des apports essentiels de l’ouvrage de Y. Sordet est d’éviter cet écueil. Bien au contraire, « le livre, cette marchandise », et les questions économiques ainsi que commerciales qui en découlent couplées à une analyse richement documentée des facteurs qui régulent ce marché, structurent ce récit.

En effet, en se référant aux concepts schumpétériens « d’innovation de produit, de procédé et d’innovation organisationnelle » (p. 12), sous-entendant de facto que le livre ne peut se comprendre et s’évaluer qu’au sein d’un marché, Y. Sordet se positionne dans la continuité de F. Barbier et de son Histoire du livre en Occident, devenu lui aussi un classique depuis sa sortie en 2000. Ces deux ouvrages ont en commun de constituer une synthèse soulignant les liens étroits entre techniques, politiques, sociétés et cultures qui, par leurs interactions, définissent une économie de l’imprimé. L’ouvrage de Y. Sordet possède une véritable valeur encyclopédique caractérisée par un immense effort de structuration et de rationalisation des connaissances.

Une grande attention est portée aux questions des illustrations et de la mise au point des procédés de transferts et de réplications. Le chapitre consacré à l’apparition de la photographie peu avant le mitan du xixe siècle éclaire de manière significative comment cette dernière ouvre la voie à une diffusion de masse des images envahissant la presse, les livres et les panneaux publicitaires, et ses répercussions sur l’économie de l’édition.

S’il est vrai que cette histoire du livre et de l’édition est centrée sur la France, de nombreuses références pertinentes aux pratiques commerciales en vigueur dans d’importants centres de production européens (Venise, Anvers, Londres, entre autres) ainsi que de multiples incursions en Asie et dans le Moyen-Orient permettent d’offrir une vision d’ensemble fiable et rigoureuse du monde du livre dans le long terme. Il convient aussi de souligner la fluidité d’écriture de l’auteur, qui facilite la lecture complète de ce travail exigeant et le rend accessible à un lectorat dont le français ne serait pas la langue natale. Enfin, la qualité des illustrations – dont le choix n’est jamais évident et anodin pour un auteur –, regroupées en différents cahiers et imprimées en couleurs sur un papier glacé, permet d’apprécier à leur juste valeur ces exemples sélectionnés par un grand expert du livre.

References

1 Lucien Febvre et Henri-Jean Martin, L’apparition du livre, Paris, Albin Michel, 1958.

2 Frédéric Barbier (dir.), Les trois révolutions du livre. Actes du colloque international de Lyon/Villeurbanne (1998), Genève, Droz, 2000.

3 Dominique Varry (dir.), 50 ans d’histoire du livre : 1958-2008, Villeurbanne, Presses de l’Enssib, 2014.