Published online by Cambridge University Press: 25 May 2018
On sait depuis longtemps le rôle joué par l'État monarchique dans la destruction des cultures périphériques, par l'imposition systématique de la langue française dans les actes publics. Alors que l'ordonnance de Villers- Cotterêts (1539) ne visait qu'à interdire l'usage du latin et prescrivait celui du « langage maternel françois » — c'est-à-dire laissait place aux idiomes particuliers —, les édits qui suivent l'annexion des provinces nouvellement conquises exigent tous, depuis la moitié du XVIIIe siècle, l'emploi exclusif de la langue française. On peut s'interroger cependant sur le but réel que se fixaient de telles directives. Il est évident qu'à Strasbourg l'exclusion linguistique tend, sous la pression des intendants, à devenir le signe de l'exclusion religieuse.
Extrait d'un ouvrage à paraître dans la Bibliothèque des Histoires (Gallimard), Une politique de la langue, La Révolution française et les patois, cet article n'en a retenu que ce qui concerne le « regard » ethnographique d'un milieu de petits notables. C'est l'aspect le moins riche d'un dossier surtout linguistique, mais le plus caractéristique d'un lieu social et mental.
* Le paragraphe « Sociologie des correspondants » dû à D. Julia ; le paragraphe « Une France sauvage », à J. Revel ; le reste, à M. de Certeau.
1. Sur ce point, cf. Peyre, Henri, La royauté et les langues provinciales, Paris, Les Presses Modernes, 1933, pp. 59–91 Google Scholar, qui s'appuie sur Pierre Rebuffé, Commentaria in Constitutiones seu ordinationes regias, 1599, t. II, p. 574.
2. Pour la Flandre Maritime, édit de décembre 1684 ; pour l'Alsace, édit du 30 janvier 1685 ; pour le Roussillon, édit de février 1700 ; pour la Lorraine allemande, édit du 27 septembre 1748 ; pour la Corse, ordonnance de juin 1768.
3. Arrêt du Conseil Souverain d'Alsace du 28 septembre 1691 interdisant aux Catholiques d'envoyer leurs enfants aux écoles luthériennes.
4. Un effort fut toutefois tenté en Roussillon. Cf. Philippe Torreilles, La diffusion du français à Perpignan (1600-1700), 1914, p. 5, qui cite une lettre de l'intendant Carlier de 1672 : « Comme il n'y a rien qui entretienne l'union et l'amitié entre les peuples des différentes nations que la conformité du langage,… Sa Majesté a ordonné l'établissement de petites écoles dans la ville de Perpignan où les enfants de l'un et l'autre sexe puissent être instruits,… tant en langue française qu'en celle du pays et même en l'écriture desdites deux langues ». Maintenu par un arrêt du Conseil Souverain du Roussillon en date du 12 janvier 1682, ce programme n'eut qu'une réalisation limitée.
5. Archives Parlementaires, Première Série, t. XXX, p. 448.
6. Sur la politique linguistique de la Révolution, on se reportera à Ferdinand Brunot, Histoire de la langue française des origines à nos jours, t. IX, Première Partie, Paris, Armand Colin, 1967, qui reste fondamental. Sur l'entreprise de Dugas, cf. Archives Nationales, AA 32. En 1792, suivant l'inventaire fait par Rondonneau, la collection établie par Dugas et ses collaborateurs avait atteint 96 volumes de décrets et 18 volumes d'actes constitutionnels.
7. Archives Parlementaires, Première Série, t. LXXXIII, p. 715, Paris, C.N.R.S., 1961.
8. Ibid. : « Ce n'est pas qu'il n'existe d'autres idiomes plus ou moins grossiers dans d'autres départements ; mais ils ne sont pas exclusifs, mais ils n'ont pas empêché de connaître la langue nationale. Si elle n'est pas également bien parlée partout, elle est du moins facilement entendue. Le législateur doit voir d'en haut, et ne doit ainsi apercevoir que les nuances très prononcées, que les différences énormes ; il ne doit des instituteurs de langue qu'au pays qui habitué exclusivement à un idiome, est pour ainsi dire isolé et séparé de la grande famille ». Au cours de la discussion qui suit, le rapport Grégoire s'élève contre cette restriction aux seuls idiomes en faisant observer que « bien d'autres départements ont besoin d'un pareil bienfait » (ibid., p. 717).
9. Une partie de cette enquête a été publiée dans Lettres à Grégoire sur les patois de France, documents inédits sur la langue, les moeurs et l'état des esprits dans les diverses régions de la France au début de la Révolution, suivie du rapport de Grégoire à la Convention, avec une introduction et des notes par A. Gazier, Paris, Pedone, 1880 (réimpr. Slatkine, Genève, Droz, 1969). Cette publication doit être complétée par les dossiers manuscrits signalés plus loin (notes 14, 15 et 16) : Bibl. de la Soc. de Port-Royal, Mss., R.E.V. 222 et 223 ; Bibl. Nat, Mss., N.A.F. 2798. Désormais les réponses publiées par Gazier seront désignées sous la lettre G., le recueil manuscrit de la Bibl. de Port-Royal sous le sigle P.R.,le recueil de la Bibl. Nationale sous le sigle B.N.L'indication de la source sera suivie du numéro de la page ou du folio.
10. Le texte du questionnaire est donné dans les Lettres à Grégoire sur les patois de France, éditées par A. Gazier, réimpr. Slatkine, Genève, Droz. 1969.
11. Cf. Louis Maggiolo, La vie et les oeuvres de l'abbé Grégoire, Nancy, Berger-Levrault, 1873, 3 t. ; Gazier, A., Études sur l'histoire religieuse de la Révolution française, Paris, A. Colin, 1887 Google Scholar ; Paul Grunebaum-Balun, Henri Grégoire. L'ami des hommes de toutes les couleurs, Paris, Coll. de la Société des Amis de l'Abbé Grégoire, n° 1, 1958 ; Ruth F. Necheles, «The Abbé Grégoire's work in behalf of Jews », dans French historical studies, 1969, pp. 172-184 ; Ruth F. Necheles, The Abbé Grégoire, 1787-1831. The Odyssey of an Egalitarian, Westpoint (Conn.), Greenwood Publ.. 1971 12. Problématique essentielle chez Grégoire, comme le montrent ses trois « Rapports sur les destructions opérées par le vandalisme… » en 1794 et 1795. Sur ce mouvement « ethnologique » ou « folklorique », cf. M. de Certeau, D. Julia et J. Revel, « La beauté du mort », dans de Certeau, M., La culture au pluriel, Paris, 10-18, 1974, pp. 55–94 Google Scholar.
13. Cf. les réflexions de Jean-Yves Guiomar, L'idéologie nationale. Champ Libre, 1974, pp. 191-194, 227-228, etc.
14. Grégoire, curé des Palais ; Morel, procureur à Lyon ; Oberlin à Strasbourg ; Grùnwald à Bouillon.
15. B.N., f 60 r°.
16. B.N., f° 27 r°, réponse de Morel.
17. B.N., f° 65.
18. L'abbé Andriès, professeur de poésie au collège de Bergues, répond au nom de la Société des Amis de la Constitution de ladite ville : il est donc classé dans trois catégories à la fois : clergé, professeur et Société des Amis de la Constitution. Inversement, la réponse de la Société des Amis de la Constitution de Limoges est de la main de Juge de Saint-Martin qui est désigné dans le procès-verbal de la séance du 20 septembre 1790 sous le titre de « magistrat et agriculteur ». Cf. A. Fray-Fournier, Le club des Jacobins de Limoges, 1790-1795, Limoges, Charles Lavauzelle, 1903, p. 38.
19. « J'étais encore affublé des livrées de Saint François et ce costume me mettait dans le cas de me faire écouter d'un peuple qui m'avait vu en chaire avec quelque satisfaction et qui avait fait entendre les expressions de son mécontentement lorsque M. Colbert notre évêque m'honora d'un interdit pour avoir tonné contre le despotisme sur une place publique » (G. 51). Sans doute fait-il allusion au panégyrique de saint Jérôme prononcé le 30 juillet 1788 ; cf. Vicomte de Bonald, François Chabot membre de la Convention, Emile Paul, 1908. Chabot était le fils d'un cabaretier.
20. Cf. Archives historiques du Rouergue, III, Procès-verbaux…, op. cit., par B. Combes de Patris. Voir sa notice dans A. Kuczinski, Dictionnaire des Conventionnels, Société de l'Histoire de la Révolution Française, Paris, 1916, pp. 121-124. Chabot, vicaire épiscopal de Grégoire à Blois, prête serment le 24 juillet 1791 mais il est presque aussitôt envoyé par les électeurs du Loir-et-Cher à l'Assemblée Législative puis à la Convention. On sait le rôle qu'il y joua, et le sort que lui valurent ses prévarications dans la liquidation de la Compagnie des Indes. Arrêté le 27 Brumaire an II (17 novembre 1793), Chabot alla,à la guillotine dans la même charrette que les Indulgents, le 16 Germinal an II (5 avril 1794).
21. D'après A. N., MM 592, il est facile de suivre le cursus oratorien du confrère Marie- Joseph Philibert Rochejean : 1779-1780 Étudiant en philosophie, Maison d'Étude de Montmorency 1780-1781 Préfet de pension à l'École Royale Militaire de Tournon 1781-1782 Régent de sixième, 1” division 1782-1783 Régent de cinquième, 1” division, à l'École Royale M. de Tournon 1783-1784 Suppléant à la pension 1784-1785 1785-1786 Régent de mathématiques 1786-1787 1787-1788 1788-1789 Sous-Directeur au Séminaire Saint-Magloire 1789-1790 D'après A. D. Loir-et-Cher, L 323, où sont conservées toutes les lettres d'ordres de Rochejean, il est tonsuré à Saint-Nicolas du Chardonnet le 25 septembre 1779, ordonné sous-diacre le 10 juin 1786 et prêtre le 22 décembre 1787 dans la chapelle des Pénitents de Valence. Il n'a été définitivement agrégé comme confrère à la Congrégation de l'Oratoire qu'en 1783 à l'âge de 21 ans, suivant les règles de l'édit de 1768.
22. Rochejean, après avoir répondu intégralement au questionnaire pour la Franche-Comté dont il est originaire, donne quelques indications relatives aux différents lieux où il a ensuite résidé : Tournon, Beaumarchais dans la Brie (où il fut peut-être l'hôte du duc de Penthièvre auquel il fait allusion) et Sully-sur-Loire (G. 212-224). Il apparaît sur la liste des Jacobins en date du 21 décembre 1790. Cf. Alphonse Aulard, La Société des Jacobins, Paris, 1889, t. I, p. LXXI.
Nommé vicaire épiscopal et supérieur du séminaire de Blois, il part le 26 juin 1791 de Notre- Dame des Vertus avec son confrère Repécaud (cf. lettre de ce dernier à Grégoire, Bibliothèque municipale de Nancy, mss 469 (532) P 39 v” en date du 21 juin 1791) et prête serment les 17 juillet et 14 août 1791. A partir d'octobre 1792, le séminaire étant vide, il se lance dans l'action politique. D'abord envoyé comme commissaire par le Directoire du district de Blois puis par le Conseil Général du Loir-et-Cher pour hâter les opérations de la levée en masse en mars 1793, il devient à partir d'octobre de la même année l'un des principaux animateurs du Comité de Surveillance de Blois, en compagnie du célèbre Hésine. Cf. A. D. Loir-et-Cher, L 323, Procès-verbal des séances tenues dans l'Eglise cathédrale de Blois par le citoyen Guimberteau représentant du peuple investi des pouvoirs illimités dans les départements du Loir-et-Cher et de l'Indre-et-Loire le 9 brumaire an II (30 octobre 1793). Dès décembre 1792, Grégoire lui avait retiré sa confiance comme en témoigne une lettre d'Alexandre Ysabeau à Rochejean : « La veille de son départ je llGrégoire] ai abordé pour lui parler de toi. Ses yeux se sont enflammés de colère. Je lui ai retiré mon estime m'a-t-il dit. Il ne la mérite plus. Il a fait briser les tableaux, les statues de la maison commune et… il a empêché les jeunes gens de se rendre à mon séminaire. Mon homme a répété épiscopalement son premier propos et s'en est tenu là. Je me suis permis de te l'écrire et je te l'écris. Je cherche le moment et je le trouverai ne fût-ce que pour te tirer de cette crasse séminariste » (Lettre du 22 décembre 1792, ibid.). A noter que le conventionnel Ysabeau était lui aussi oratorien, et vicaire épiscopal de l'évêque de Tours. Le 15 Nivôse an II (4 janvier 1794), il écrit de Bordeaux, en compagnie de Tallien, à Rochejean : « Nous avons reçu ta lettre, brave sans-culotte, et nous nous affligeons des persécutions qu'on te fait éprouver… Si tu crois ne plus pouvoir rester à Blois viens nous trouver nous te donnerons ici de l'occupation… Viens ici, mon ami, tu y trouveras deux bons montagnards qui s'empresseront de te faire oublier les amertumes dont les aristocrates blaisois ne cessent de t'abreuver » (ibid.). Rochejean n'eut guère le temps de répondre à l'invitation : il était arrêté le 25 Pluviôse an II (13 février 1794) sur l'ordre de Garnier de Saintes, le représentant en mission qui, dans son rapport au Comité de Salut Public du 9 Ventôse (27 février 1794), décrit ainsi son arrivée à Blois : « Je n'y ai trouvé ni vie ni esprit public, tout y était dans un état de consternation et de mort. Un homme seul, le prêtre Rochejean, avait tellement comprimé l'énergie du peuple que tout pliait devant lui. Malgré les menaces de sa puissance, j'ai frappé l'idole sur son trône et le peuple bénissant la Convention est reconquis à la liberté » (ibid.).
23. Cf. Daniel Roche, « Milieux académiques provinciaux et sociétés de lumières », dans Livre et société dans la France du XVIIIe siècle, Paris-La Haye, Mouton, 1965, pp. 93-184.
24. Louis-François Norbert Dominique Pressac de La Chagnaye (1751-1822) est le fils d'un juge aux traites foraines.
25. « Sans pouvoir rendre compte de tous les avantages qui en sont résultés, je puis assurer que pendant ces deux années nos pauvres n'ont point mendié : avec peu d'argent, de l'économie, des potages, des légumes et peu de pain ils ont été très bien nourris. Les derniers ont été réparés » — lettre du 13 septembre 1789 citée par Etienne Salliard, Trois petits constitutionnels de province, les frères Pressac de Civray 1789-1815, Parthenay, L. Clouzot, 1922.
26. Cité par E. Salliard, op. cit. Dans son Mémoire dédié aux Botanistes amis de la paix, de l'humanité et de la modération écrit en l'an VIII, Pressac déclare : « Depuis vingt-cinq ans j'ai souvent parcouru les déserts, les bois, les plaines, les rochers escarpés pour admirer dans les plantes la marche et la production de la nature. Totalement livré à la botanique, j'amasse tous les ans environ neuf cents espèces de plantes dont les feuilles, fleurs ou racines me servent à guérir et offrir à ceux qui en ont besoin ».
27. Les remèdes du curé de Saint Gaudent, opuscule publié par Pressac, à la fin de sa vie.
28. N° 145 du 25 mai 1790. Extrait d'une lettre signée Reynier qui commence ainsi : « Dans ce moment, monsieur, il est intéressant de voir les curés de la campagne donner l'exemple du civisme. M. Pressac de la Chagnaye, dont j'ai publié différents traits de patriotisme, a fait le jour de la formation de la municipalité une action qui mérite d'être citée ». Cf. La Gazette Nationale ou le Moniteur Universel, réimpression de 1840, t. IV, p. 452.
29. Henri Grégoire, Histoire patriotique des arbres de la Liberté, Paris, Desenne, an III, in-18, 68 p.
30. La Révolution ouvre à ce nouveau vicaire savoyard le champ d'expériences agricoles multiples: défrichements de terres incultes, élevage de races sélectionnées. Cf. A. N., F 17 1009A, pièce n° 1846, lettre du 12 Frimaire an II (2 décembre 1793) adressée au Comité d'Instruction Publique. Norbert Pressac s'y intitule « cultivateur de Saint Gaudant en Civray, département de la Vienne ». Mais le post-scriptum, où il se recommande à Grégoire, trahit son origine cléricale : « Comme je finis ma lettre deux gendarmes me signifient que je suis suspect, je nie, je suis obéissant jusqu'à la mort, oboediens usque ad mortem ». Suspect de fédéralisme, il ne sera libéré que le 16 Fructidor an II (2 septembre 1794).
31. « Je me fais gloire d'avoir marché sur vos traces et d'avoir été le premier de mon district à prêter le serment civique » (B.N. 43, lettre en date du 20 janvier 1791). Au cours de sa séance du 21 janvier 1791, la Société populaire de Bergerac décide de faire transcrire une lettre du même Fonvielhe sur le registre des procès-verbaux. « Dimanche dernier 16 courant, à l'issue de la messe de paroisse, je prêtai en présence des officiers municipaux et des citoyens assemblés le nouveau serment civique… sur l'organisation de la Constitution Civile du Clergé. Comme je l'ai fait en pleine connaissance de cause, dans l'intime persuasion que ma foi n'y est point compromise, que la religion gagnera infiniment à cette sage réforme, je vous garantis que je ne serai pas parjure… J'aurai l'honneur de vous voir la semaine prochaine ». Cf. Henri Labroue, La Société populaire de Bergerac pendant la Révolution, Paris, 1915, p. 78.
32. B.N., f° 42 v°, 47 V.
33. « L'Eglise est l'assemblée des fidèles unis à leurs pasteurs lesquels ne sont que membres du tout ; ce n'est qu'en qualité de délégué du peuple chrétien que le Concile peut prononcer sur le dogme au nom des chrétiens qu'il représente » (ibid., f° 47 v°).
34. Lors de la séance du 27 janvier 1791, Fonvielhe « prêtre vraiment patriote nous a fait un discours qui a été approuvé avec tant de plaisir que l'assemblée a arrêté que ce discours serait imprimé». Admis le 3 février, Fonvielhe prête serment le 14 février 1791 à la Société (cf. Labroue, op. cit., pp. 81-90).
35. Las Véndémias dé Pignan, pouëma compaousat en 1780 par P.-A. Rigaud. A Mounpeïe de l'imprimarïé de J.-G. Tournel, an II de la Republica ; 36 p. in-16°. L'aristocratia chassada de Mounpéié. A Mounpéié, aco dé Tournel, imprimur de la Garda Natiounala et das Amis de la Constitutioun, 1790, 4 p. in-12°.
36. A. D. Hérault, 3 E 177” et 3 E 17733. Né le 31 mars 1760 sur la paroisse Notre-Dame des Tables à Montpellier, Pierre-Augustin est fils de Pierre-Isaac et petit-fils d'Antoine Rigaud, tous deux marchands libraires. Dans le contrat de mariage du père de Pierre-Augustin en date du 27 février 1740 (A. D. Hérault, I IE 57/619, Étude Vézian), la dot de l'épousée fille d'un négociant marseillais atteint 7 000 Livres tournois.
37. A. D. Hérault, L 5510, s.d. Dans une autre liste — non datée — de membres de la Société des Amis de la Constitution de Montpellier, Auguste Rigaud fils, négociant, est mentionné comme ayant payé sa cotisation à la Société « en papier » (A. D. Hérault, L 5509).
38. Traité de la culture du chêne contenant les meilleures manières de semer les bois, de les planter, de les entretenir et de rétablir ceux qui sont dégradés et de les exploiter ; avec les différents moyens de tirer un parti avantageux de toute sorte de bois, ouvrage nécessaire à ceux qui veulent avoir une connaissance entière de la culture des arbres champêtres et de leur produit, par M. Juge de Saint Martin, correspondant de la Société Royale d'Agriculture à Paris, Cuchet, 1788. L'auteur reconnaît ainsi sa dette envers Duhamel du Monceau : « L'honneur qu'il m'a fait de m'admettre à ses entretiens et de me permettre d'aller dans ses terres, où il a réuni tout ce que l'Art combiné avec la nature peut opérer de plus intéressant, n'a pas peu contribué à exciter en moi le goût de la culture des arbres ».
39. 1” édition, Limoges, 1808, imprimée à cent exemplaires. 2e édition, «augmentée des changements survenus depuis 1808 jusqu'à 1817 où l'on a mentionné les nouveaux établissements et quelques faits historiques inédits. On y a joint des observations sur les préjugés et usages singuliers accrédités dans le département de la Haute-Vienne et une liste des proverbes populaires réputés vrais», Limoges, chez J.-B. Bargeas, 1817.
40. J. J. Champollion-Figeac, Nouvelles recherches sur les patois ou idiomes vulgaires de la France, en particulier de ceux du département de l'Isère, Paris, Goujon, 1809, pp. 8-10. Les habitants des campagnes ont pour malheur et pour tare d'être « privés le plus souvent de tout moyen de communication » (ibid.). L'idée de ce « malheur » commande l'ambition éducatrice et colonisatrice des correspondants de Grégoire.
41. Cf. Joseph Vendryès, Le langage. Introduction linguistique à l'histoire, A. Michel, 1968, pp. 272-276.
42. Cf. Henri Bourcelot, « L'atlas linguistique et ethnographique de la Champagne et de la Brie, et les limites linguistiques», dans Langue française, n° 9, février 1971, pp. 82-92: des variations phonétiques (palatalisation, dénasalisation, etc.) tracent les frontières géographiques d'un langage et suivent leur « perpétuelle évolution ».
43. Leitmotiv de la littérature sur les patois, on l'a vu. Dans ses Mélanges biographiques et bibliographiques relatifs à l'histoire littéraire du Dauphiné, Valence, 1837, Jules Ollivier Colomb de Batives est le témoin d'une longue tradition : « Impossible de représenter par les combinaisons graphiques la valeur orale des mots du vocabulaire patois, et de peindre par des signes les intonations fugitives de leur prononciation ». Les « innumérables variétés de prononciation », « les capricieuses variantes d'une seule émission vocale » excèdent les « forces du signe figuratif de la vocalisation ». On ne peut « reproduire par la valeur bornée des lettres la valeur intraduisible des sons parlés », et « les délicatesses infinies d'intonation échapperont toujours aux calculs les plus ingénieux des opérations graphiques » (op. cit., Essai sur l'origine et la formation des dialectes vulgaires en Dauphiné, pp. 175-177).
44. Cf. M. de Certeau, L'Ecriture de l'histoire, Gallimard, 1975, chap. vu : « L'oralité, espace de l'autre ». Encore aujourd'hui, un « contenu » anthropologique s'ajoute, comme une détermination nécessaire, aux atlas linguistiques et ethnographiques d'idiomes régionaux. Cf. note 42. C'est une tradition des dictionnaires dialectaux, depuis les travaux pionniers de Georg Wenker.
45. Cf. à ce sujet les remarques de F. Furet, « L'ensemble histoire », dans François Furet (éd.), Livre et société dans la France du XVIIIe siècle, t. II, Mouton, 1970, pp. 104-110. Le corpus grégorien représente la conception de l'histoire du Dictionnaire de Trévoux (une description raisonnée du monde) que F. Furet oppose à celle de l'Encyclopédie (la véracité des faits distingue l'histoire de la « fable »).
46. Cf. F. Brunot, Histoire de la langue française, t. VI, Le XVIIIe siècle, \” partie, pp. 191- 197.
47. Mirabeau, Les Économiques, Amsterdam, 1769-1771. Cf. J.-R. Armogathe, « Métaphysique du langage et science économique : le vocabulaire social du marquis de Mirabeau», dans Wiss. Z. Univ. Halle, t. XIX, 1970, pp. 105-110.
48. Cf. F. Brunot, op. cit., pp. 199-214.
49. Bouhours, IIe Entretien d'Ariste et d'Eugène, Paris, 1671. Cf. les remarques de Jean-Pol Caput, La langue française. Histoire d'une institution, t. I, 842-1715, Larousse, 1972, pp. 268- 279.
50. Ce dictionnaire est du type Encyclopédie. Il vise des signifiés et non des signifiants, à l'inverse des dictionnaires qui classent des signes et non des choses. Cf. les distinctions de Josette Rey-Debove, «Le domaine du dictionnaire», dans Langages, n° 19, sept. 1970, pp. 3-34.
51. Michel Foucault, Les mots et les choses, Gallimard, 1966, p. 157.
52. Emile Benvéniste, Problèmes de linguistique générale, t. II, Gallimard, 1974, p. 254 ajoute : « le lexique du juron ou, si l'on préfère, le répertoire des locutions blasphémiques, prend son origine et trouve son unité dans une caractéristique singulière : il procède du besoin de violer l'interdiction biblique de prononcer le nom de Dieu ».
53. Ibid., p. 256.
54. Delamare, Traité de la police, Paris, J. et P. Cot, 1705, t. I, pp. 511-519. Il cite en particulier les «Déclarations” du 7 sept. 1651 et du 30 juillet 1666 par lesquelles Louis XIV prévoit les peines châtiant ce « crime si détestable » qui « règne presque par tous les endroits des provinces de notre royaume ».
55. Cf. Bourgogne, G. 225 ; Bretagne, G. 287 ; Jura, G. 209 ; etc. Fournier de la Charmée le dit équivalemment de merde (qu'il prend comme juron).- « ce grand mot si fréquemment prononcé par les matelots et les charretiers, et qui fait monter le sang au visage d'une jeune femme » se termine en périgourdin par « un e ouvert avec un accent aigu », mais « du reste il est le même» qu'en français (Périgord, G. 155).
56. Ainsi Aubry : « Il n'y a point dans le duché de Bouillon de termes contraires à la pudeur ; ceux qu'il a empruntés de l'italien ou de l'espagnol [les occupants d'hier] ne sont employés que pour exprimer des idées honnêtes » (Bouillon 2, G. 233).
57. Sur l'opposition « ethnologique » entre simplicité et parure, cf. Saint-Claude, G. 209-210 ; etc. Dans les récits de voyage au Nouveau Monde, elle est structurelle ; cf. M. de Certeau, L'Écriture de l'histoire, chap. vu : « L'oralité, espace de l'autre».
58. Le « comique » est une variante du système qui enlève à l'obscénité des mots son sérieux. Ainsi Joly : « Le patois a des termes [obscènes] qui lui sont propres, mais les expressions sont si ingénieuses que les personnes les plus rigides ne peuvent se défendre d'en rire » (Saint-Claude, G. 209). Pour Aubry, 1’ « indécence » est « bouffonne » (Bouillon 2, G. 233). Ce n'est qu'un théâtre. Changés par l'usage qu'en font les locuteurs ou les spectateurs, les mots ne disent pas ce qu'ils signifient.
59. Cf. F. Brunot, Histoire de la langue française, op. cit., t. IX, 1, pp. 155-216.
60. Andriès (Flandre, Bergues) donne des mots parallèles, grecs, latins et flamands, mais sans mentionner de mots français.
61. En huit pages, Chabot ne présente de son « vocabulaire » que le début de la lettre A.
62. En suivant l'ordre géographique des réponses qui donnent des renseignements à ce sujet : Gers, Lot-et-Garonne, Carcassonne, Provence, Saint-Claude, Lorraine, Bouillon, Artois, Bretagne, Bas-Poitou, Haute-Vienne, Limagne.
63. Cf. A. J. Bourde, Agronomie et agronomes en France au XVIIIe siècle, Sevpen, 1967 et P. Chaunu, La civilisation de l'Europe des Lumières, Arthaud, 1971, pp. 324-337.
64. Ces termes semblent indiquer des origines. Ainsi truk transpose probablement la drielze hollandaise, cartouche, la Kartoffel du Hanovre, etc. Cf. les « Articles nouveaux sur les truffes communément appelées Pommes de terre » ajoutés par VEncyclopédie pour sa « nouvelle édition », Genève, 1778, t. XXXIV, pp. 347-381 (dû à M. Engel, un long appendice à l'article Truffe), et A. A. Parmentier, Examen chimique des pommes de terre, Paris, 1773.
65. Cf. Eugène Daire, Physiocrates, Paris, 1846, p. 868.
66. Les cordes que, selon la belle expression de l'Encyclopédie, « on fait parler » avec l'archet sont au nombre de sept pour la viole et seulement de six pour le violon ou viole d'amour. Il semble que la différence des instruments utilisés l'emporte déjà sur la référence à l'unique personnage qui en joue (souneux, vielleux, violeux, violouneux, etc.). Le classement s'effectue d'après les instruments, plus qu'il n'obéit à une distinction des fonctions sociales.
67. Encyclopédie, op. cit., art. « Agriculture », t. I, p. 659.
68. Cf. Jacqueline Picoche, Un vocabulaire picard d'autrefois, Arras, 1969, p. 53.
69. Ce clivage serait un cas discret des combinaisons plurilinguistiques où des antinomies et des hiérarchies socio-culturelles s'inscrivent dans un jeu du dialecte et du français. Cf. Daniel Fabre et Jacques Lacroix, « Langue, texte, société. Le plurilinguisme dans la littérature ethnique occitane», dans Ethnologie française, t. H, 1972 (1973), nos 1-2, pp. 43-66.
70. Jean-Baptiste de Cherval donne des extraits de son Encyclopédie des jeunes gens de la ville et de la campagne…, ou Dictionnaire raisonné de l'Éducation Nationale. Saint-Amour, 1790 (B.N. 80-87). Il est le témoin d'un modèle qui inspire de près ou de loin tous les correspondants de Grégoire.
71. Carcassonne, G. 16 : «le patois semble plus abondant pour l'expression des objets du premier besoin » ; Périgueux 1, G. 154 : le patois suffit à leurs besoins ».
72. Grande discrétion sur ce thème. Cf. cependant Aveyron, G. 56 ; Lorraine 2, B.N. 25 ; Dordogne ; mais ce sont des exceptions.
73. Maçonnais, G. 221.
74. Voir en particulier Dordogne, B.N. 44.
75. Une allusion pourtant dans Gers 1, G. 88 : « le paysan qui n'a pas de bien à lui, et c'est le plus grand nombre, étant aussi paresseux que les boeufs avec lesquels il travaille et passe sa vie, ne pense guère qu'à ce qu'il voit (et à) ce qu'il touche ».
76. Saint-Claude 1, G. 206.
77. Le qualificatif revient plusieurs fois dans les réponses à la question 36 sur la persistance des préjugés.
78. Rapport de Grégoire, G. 296.
79. Saint-Amour, B.N. 56-57. Le thème est explicité par Grégoire dans son rapport de 1794, G. 297. La réponse de Lyon note, désabusée, que « l'habitude l'emportera toujours sur l'instruction », B.N. 35.
80. M. Ozouf, « L'image de la ville chez C. N. Ledoux », Annales E.S.C., 6, 1966, pp. 1273- 1304.
81. B.N. 70-71. Voir aussi le rapport de Grégoire, G. 295.
82. Cf. M. Duchet, Anthropologie et Histoire au XVIIIe siècle, Paris, 1971, p. 11.
83. Rétif de la Bretonne se plaignait que les Parisiens, instruits des moeurs des Iroquois, des Hurons et des Algonquins, fussent si peu informés des coutumes et des traditions villageoises françaises. Par là, il marquait aussi le passage d'une ethnographie de l'extérieur à une ethnographie de l'intérieur.
84. Cf. Dominique Julia, « La Réforme posttridentine en France d'après les procès-verbaux de visites pastorales », dans G. de Rosa (éd.), La Società religiosa nell’ età moderna, Napoli, Guida, 1973, pp. 311-397.
85. Boissier de Sauvages de la Croix, Dictionnaire languedocien-français, rééd. 1785, Discours préliminaire, p. xv.
86. Cf. Guy Arbellot, « La grande mutation des routes de France au milieu du XVIIIe siècle », dans Annales E.S.C., t. XXVIII, 1973, pp. 765-791, sur le « démarrage fulgurant » du réseau routier entre 1750 et 1774 et sur la littérature qui lui est consacrée, technique ou populaire (en particulier, depuis 1764, l'édition périodique de l'Indicateur fidèle ou Guide des voyageurs de Michel et Desnos). Toute une cartographie se développe, créant dans l'imaginaire public la représentation dynamique (développement des routes et des vitesses) du mouvement centrifuge qui part de Paris (les cartes ignorent les itinéraires transversaux).
87. Jacques Derrida, De la grammatologie, Éditions de Minuit, 1967, p. 158.
88. Rétif De La Bretonne, La vie de mon père, éd. G. Rouger, Garnier, 1970, p. 154. Le testament du vieil Edmond est un éloge de la vie sociale à Paris, lieu de libres échanges et théâtre de la civilisation (op. cit., pp. 153-154). Rétif commente : « Rien de plus vrai que ce sentiment du digne homme : j'ai éprouvé tout ce qu'il dit, et la peinture qu'il fait de la capitale, qu'il regarde comme le refuge de tous les opprimés et la consolation du genre humain, est un de ces traits de génie qu'on conçoit mieux qu'on ne le peut exprimer. Mais les moeurs y courent bien des dangers ! Hélas ! est-ce un vice inhérent à la capitale, et celui qui s'y corrompt n'a-t-il pas apporté dans son coeur le germe de la corruption ? » (op. cit., p. 154). Le déracinement urbain procure la communication, mais détache de l'organisation sociale une éthique désormais renvoyée à la conscience individuelle.
89. Le Rapport sur la nécessité et les moyens d'anéantir les patois et d'universaliser l'usage de la langue française a été prononcé à « la séance du 16 Prairial, l'an deuxième de la République », devant la Convention nationale. Il est édité dans Lettres à Grégoire, éd. A. Gazier, op. cit., pp. 290-314.
90. Cf. Les Nouveaux systèmes de Vallance, Paris, 1719.
91. Cf. Arno Borst, Der Turmbau von Babel. Geschichte des Meinungen ùber Ursprung und Vielfalt der Sprachen und Vôlker, Stuttgart, A. Hiersemann, 5 vol., 1955-1963. Sur la période révolutionnaire et sur Grégoire, t. III, 2e partie, pp. 1597-1621.
92. Sur ce « vouloir faire l'État » et son rapport avec le préalable d'une volonté missionnaire d'établir l'Église»cf. M. de Certeau, L'Écriture de l'histoire, Gallimard, 1975, « D u système religieux à l'éthique des Lumières, XVIIe-XVIIIe siècles ». Chez Grégoire, l'ecclésiologie se mue en politique, dans la mesure même où l'évangile » se détache d'une positivité religieuse « conformiste » et s'articule directement sur « les principes d'égalité et de liberté ». Cf. Bernard Plongeron, Théologie et politique au siècle des Lumières (1770-1820), Genève, Droz, 1973, pp. 149-151.
93. Cf. Max Frey, Les transformations du vocabulaire français à l'époque de la Révolution (1789-1800), Paris, 1925. En 1791, la Société des amateurs de la langue française, qui remplace l'Académie française, se donne d'ailleurs pour objectif de « présenter la liste de tous les mots que nous devons à la Révolution » (cf. F. Brunot, Histoire de la langue française, op. cit., t. VI, p. 1148). L'apologie du néologisme est, de Sulzer (un auteur de Grégoire) à Rétif et Mercier, un trait de la linguistique révolutionnaire. Cf. J.-R. Armogathe, « Néologie et idéologie dans la langue française au XVIIIe siècle», dans XVIIIe siècle, n° 5, 1973, pp. 17-28.
94. Archives Nationales, AA 32, n° 32706.
95. Cit. par J.-R. Armogathe, « Les catéchismes et l'enseignement populaire en France au XVIIIe siècle », dans Images du peuple au XVIIIe siècle, Centre aixois d'Études et Recherches sur le XVIIIe siècle, A. Colin, 1973, pp. 103-121.
96. Cf. Anatole Kopp, Ville et Révolution, Paris, Anthropos, 1967.
97. Discours sur la fédération du 14 juillet 1792, Orléans. Dans son Rapport de 1794, Grégoire réitère le constat : « Dans notre langue, la partie politique est à peine créée » (G. 296).
98. Cf. supra, notes 47 et 93.
99. D. Diderot, Oeuvres complètes, éd. Assezat-Tourneux, t. XIII, p. 370.
100. Jean-Yves Guiomar, L'idéologie nationale, Champ libre, 1974, pp. 33-34.
101. Le Questionnaire, publié dans les Mémoires de l'Académie celtique, t. 1, Paris, Dentu, 1808, pp. 72-86, a été réédité par Arnold Van Gennep, Manuel de Folklore français, t. III, pp. 12-18.
102. Cité par Pierre Vilar, « Patrie et nation dans le vocabulaire de la guerre d'indépendance espagnole », dans Patriotisme et nationalisme en Europe à l'époque de la Révolution française et de Napoléon, XIIIe Congrès des sciences historiques (Moscou, 1970), Paris, Société des Études robespierristes, 1973, pp. 182-183.
103. Cf. Michel Leiris, « Folklore et culture vivante », dans Tricontinental, n° 3, 1970, p. 79.