Published online by Cambridge University Press: 25 May 2018
On oppose souvent la condition des juifs médiévaux dans les pays du nord de l'Europe à celle de leurs coreligionnaires des pays méditerranéens ; le contraste des communautés ashkenazes, dont l'unique insertion professionnelle serait le prêt sur gages, et des juiveries méditerranéennes aux activités économiques diversifiées, accompagnerait, ou entraînerait, au dire des traités et manuels les plus utilisés, un contraste très net dans la perception du juif par son entourage non juif : si les aspects démoniaques du juif s'accusent dans les pays germaniques, où mythologie populaire et obscurantisme se conjuguent pour le refouler dans le non-humain, le haut niveau culturel du bassin méditerranéen à l'époque médiévale, une rationalité précoce et une certaine aménité des mœurs, rendraient compte d'un autre type de relations entre juifs et chrétiens, fondé sur la connaissance et le respect mutuel.
The condition of the Jewish populations in the mediterranean countries during the Low Middle Ages is often considered to be more favorable than that enjoyed by those of northern Europe.
Evidence on the Royal policy concerning the Jewish and their role in His Majesty's administration in Castille as well as in Aragon, especially the evidence drawn from the records of the Crown of Aragon, supports this opposition. But the document from the Royal Chancellery conveys the characteristic preoccupation of official policy. The urban records are more suited to reflecting the way the Jewish person is ordinarily perceived by his non-Jewish entourage. The city ordinances class him as an outcast, an untouchable. One can measure the gap that exists between the phenomenon of a Jewish aristocracy, favored by the authorities, and the repulsion that society on the whole felt for the Jew.
1. Jacobs, Joseph, Sources of Spanish Jewish History, 1894, pp. xv-xvi, 8–65.Google Scholar
2. J. Régné, « Catalogue des actes de Jaime 1er, Pedro III et Alfonso III, rois d'Aragon, concernant les juifs (1213-1291) », Revue des études juives, t. LX à LXIX et « Catalogue d'actes pour servir à l'histoire des juifs de la couronne d'Aragon sous le règne de Jaime II (1291-1327) », ibid., t. LXXIII-LXXVIII ; cf. aussi F. de Bofarull y Sans, LOS judios en el territorio de Barcelona (siglos X al XIII); reinado de JaimeI (1213-1276), Barcelone, 1911.
3. Baer, F., « Nouveaux livres et nouvelles sources pour l'histoire des juifs d'Espagne », Dvir, n ° l l , 1924,. pp. 310–321 (en hébreu).Google Scholar
4. Baer, F., Die Juden im christlichen Spanien, I (1), Berlin, 1929.Google Scholar
5. Baer, F., Dvir, id., p. 311.Google Scholar
6. Cf. J.-L. Schneidman, « Jews as royal bailiffs in 13th century Aragon », Historia Judaica, XIX, 1957, et XXI, 1959 ; Schneidman, , The rise of the Aragones-Catalan Empire 1250-1350, New York U.P., 1970 Google Scholar, passim, et surtout l'étude exhaustive de David Romano, « Los funcionarios judios de Pedro el Grande de Aragon », Boletin de la Real Academia de Buenas Letras de Barcelona, XXXIII, 1969-1970, pp. 1-40.
7. Sur la politique des villes du Royaume d'Aragon vis-à-vis des juifs, cf. Baer, F., Studien zur Geschichte der Juden im Königreich Aragonien wdhrend des 13 und 14 Jahrhunderts, Berlin, 1913, pp. 51–55 : «Die Stàdte und die Juden ».Google Scholar
8. R. Riu y Cabanas, « La aljama hebrea de Solsona », Boletin de la Real Academia de la Historia, 21, 1892, p. 23.
9. Tous ces exemples sont cités par Carreras y Candi, dans son article « L'aljama de Juheus de Tortosa », Memorias de la Real Academia de Buenas Letras de Barcelona, vol. IX, fasc. III, 1928, p. 35. L'ordonnance des conseillers de Lerida est reproduite dans P. Sanahuja, Lerida 1946, p. 43, note 5, Lerida en sus luchas por la fe (judios, conversos, Inquisicion y moriscos) : « Item los dits conseyllers acordaren quel primer conseyll general fos feyt ordenament que nengun jueu ni juyia no gos mercadeiar ab la ma nua ni en altra manera tochar ab la ma negun pa, fruyta ni altres coses que venen en la Ciutat, sino ab una vergueta que porten en la ma ». Les conseillers décident que, s'ils n'obtiennent pas l'accord du baile, ils enverront des messagers au roi pour arracher son assentiment.
10. « Ne judei vel meretrices tangant panem vel fructus. Item statuimus quod judei vel meretrices non audeant tangere manu panem vel fructus qui exponuntur vénales ; quod si fecerint, tune emere illud quod tetigerint teneantur », cité dans Michel, F., Histoire des races maudites de la France et de l'Espagne, 1.1, Paris, 1847, p. 330 Google Scholar et récemment utilisé par Mundy, , Europe in the High Middle Ages 1150-1309, Longmans, 1973 Google Scholar, qui renvoie à Maulde, de, Coutumes et règlements de la République d'Aragon, Paris, 1879, 200, tit. 137.Google Scholar
11. Michel, F., op. cit., p. 181.Google Scholar
12. Cf. y Prats, Battle, « Ordenaciones relativas a los judios gerundenses », dans Homenaje a Millas Vallicrosa, Barcelona, 1954, pp. 84–85.Google Scholar Pour l'interprétation des termes catalans, nous suivons le dictionnaire Alcover.
13. Lorsque les municipalités du royaume de Castille remettent en vigueur, dans la décennie 1480-1490, la panoplie de mesures discriminatoires classiques, on retrouve la même préoccupation : ainsi les édiles de Vitoria (Pays Basque) prévoient-ils que personne n'entrera dans la juiverie pour y vendre des légumes ou de la viande. Mariano Arigita y Lasa, Los Judios en el pais vasco, Pamplona, 1908.
14. Mamau, E., La Provence à travers les siècles, t. IV, 1930, p. 332 Google Scholar : « periculosum est pro Christianis comedere panem Judeorum ». Il est vrai que la décision a été prise à la demande des boulangers arlésiens : la phobie pour les Intouchables vient ainsi protéger les intérêts corporatifs.
15. Arnaud, C., Essai sur la condition des juifs en Provence au Moyen Age, Forcalquier, 1879, p. 43 Google Scholar. A Calatayud, on interdit aux juifs, par mesure de précaution, d'utiliser les boulangeries même s'ils n'ont pas de contact avec les chrétiens. Cf. Encyclopedia Judaica, Jérusalem, éd. 1973, t. V, p. 38. A Tortose, une ordonnance interdit aux ecclésiastiques de cuire leur pain dans le four des juifs (Carreras y Candi, op. cit., p. 36).
16. Vincent Ferrier explique que les prostituées doivent être cantonnées dans un quartier réservé, de même les juifs : « Et sicut dixi, quod putane debent esse apartate, ita Judei in certa parte ville. Et ita localiter debent separari » (FÂGes, Œuvres de Saint Vincent Ferrier, 1909, t. II, p. 306). On légifère de la même façon contre les juifs que contre les filles publiques dans la Rome de la Contre Réforme, cf. Léon Poliakov, Les banquiers juifs et le Saint Siège, Calmann-Lévy, 1967, p. 156 et la littérature citée p. 289, note 1. Rodoconachi, E., Le Saint-Siège et les juifs, le Ghetto à Rome, Paris, 1891, contient pp. 315–319 Google Scholar, une « lettre adressée au pape Pie V, en date du 13 août 1566, par laquelle on le prie de vouloir bien tolérer les juifs et les courtisanes dans la ville éternelle ».
17. N'est-ce pas une même horreur du contact que reflètent la décision de la cour seigneuriale de Manosque de procéder à enquête, et le style hyperbolique des juges dans leur description du cas, lorsqu'ils apprirent que la juive Benvenuda avait porté à l'époque de ses règles la chemise déposée par Ferrauda Chabauda en gage d'un prêt et l'avait rendu tachée ; acte indélicat certes, entrepris à l'instigation du diable, de l'avis des juges qui le taxent de « flétrissure des vêtements des chrétiens et de mépris et vilipendage du genre humain ». Cf. C. Arnaud, op. cit. pp. 44-45.
18. Carreras y Candi, op. cit., pp. 32-33 (égal, dans Pastor y Luis, La juderia de Tortosa, p. 355). Le fuero de Cuenca (accordé par Alphonse VIII en 1189-1190) prévoit déjà que les tenants des différentes religions iront aux bains à différents jours de la semaine (lib. I, tit. xx) ; cf. Amador de Los Rios, Historia social, politica y religosa de los judios de Espana y Portugal, éd. Aguilar, 1960, p. 185, note 3, de même le fuero de Teruel, cf. F. Baer, Die Juden im Christlichen Spanien, 1929, pp. 1037-1038. Alphonse X reprend l'interdiction du bain commun dans les « Siete Partidas », et les ordonnances restrictives de 1412 et 1465 la mentionnent (cf. Baer, Die Juden im Christlichen Spanien 1/2, Kastilien, Berlin, 1936, pp. 47, 267, 330). Ce qui paraît nouveau dans l'ordonnance de Tortosa c'est la mise sur le même plan des juifs et des prostituées.
19. Camau, op. cit., p. 282.
20. Pinna, Michele, Le ordinazioni dei Consigleri del Castello di Cagliari del Secolo XIV, Archivio Storico Sardo, vol. XVII, 1929 Google Scholar, Codex 11, n° 40 (les dispositions précédentes n° 39 concernent les femmes publiques qui ne sont admises aux bains que le vendredi).
21. Sur l'opinion publique en Espagne, cf. l'article de S. Guerchberg reproduit dans S. L. Thrupp (éd.), Change in médiéval society, 1964, pp. 208-224.
22. Cf. l'article à paraître de J. Shatzmiller.
23. F. de Bofarull, « Ordenaciones de Barcelone sobre los judios en el siglo XIV », Boletin de la Real Academia de Buenos Letras de Barcelona, t. VI, an. 11, 1911, p. 99. Les cagots se trouvaient en butte à la même méfiance ; à Marmande (Lot-et-Garonne) les règlements de police de 1396 prévoient qu'ils devront puiser de l'eau dans leur fontaine, et non ailleurs, sous peine de cinq sous de contravention (F. Miche, op. cit., t. I, p. 183).
24. Albert I. Bigby Jr, « The jew in the Cantigas of Alfonso X el Sabio », Spéculum, 1971, pp. 670-688.