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Published online by Cambridge University Press: 26 July 2017
L'évolution, au rythme très rapide, de la théologie réformée à l'aube des Lumières constitue un excellent révélateur de la crise religieuse qui va se propager en Europe. Un quart de siècle, à peine, entre l'adoption par les Genevois (1678) d'un formulaire de foi, la Formula Consensus (élaboré quelques années plus tôt par les cités helvétiques), et son rejet à Genève et en Suisse. Mieux : le propre fils du dernier grand dogmaticien calviniste, François Turrettini (1623-1687), le jeune Jean-Alphonse (1671-1737) introduira dans la cité de Calvin l'orthodoxie « éclairée » ou « libérale », et il oeuvrera contre la signature de la Formula Consensus, acceptée par le Conseil de Genève sous l'influence de son père. Ce phénomène de rupture resterait inintelligible, s'il n'était situé dans le temps long qui va de la Réforme aux Lumières, avec ce qu'il comporte de mutations culturelles et politiques.
The rapid change from a classical-medieval culture to “modem” culture can only be understood if one takes into account scientific and political practises in the early seventeenth century (1620-1670). Based on a study of the exegetical work of the “Saumur group”, the author shows how such practises modified the awareness of Western scholars in their understanding of the Bible. On the one hand, efforts to clarify the literal meaning of the Scriptures resulted in showing that the sacred texts also possessed its own history and which history alone could explain. On the other hand, the appeal to natural law as a basis for peaceful coexistence between rival Christian churches minimized the value of political models contained in the Old Testament and Apocalypse and limited these prophetie texts to a mere historical explanation. In order to understand the origins and consequences of this evolution, which gathered speed during the Enlightenment, it is essential to combine the history of the science of texts with that of mentalities.
1. La Formula Consensus Ecclesiarum Helveticarum Reformatarum est un texte rédigé par le Zurichois J. H. Heidegger, après consultations entre les Églises de Bâle, Berne, Schaffhouse et Zurich ; son objet principal était de condamner les opinions des théologiens de Saumur, Cappel, Amyraut et de la Place ; É. Léonard, G., Histoire générale du protestantisme, t. II. L'établissement, Paris, P.U.F. 1961, pp. 243–244.Google Scholar
2. Dans l'article « Amyraut » du Dictionnaire historique et critique (éd. de 1734, t. I, p. 270).
3. L'article présenté ici résume les conclusions de la thèse de doctorat d'État soutenue en mars 1984 devant l'Université de Paris-Sorbonne : L'Écriture, le sacré et l'histoire. Le protestantisme français devant la Bible dans la première moitié du XVIIe siècle, 5 vols dactyl. 1537 p.
4. A défaut des gazettes savantes, qui n'existent pas encore, cette circulation de l'information s'effectue par les correspondances, dont beaucoup sont éditées maintenant (Mersenne, Grotius, Rivet) ou ont été éditées, du xvn* au xixe siècle, au moins partiellement (Casaubon, Peiresc, Scaliger).
5. Sur la base de chroniques locales reçues des Églises réformées de France, cette Histoire a été rédigée dans l'entourage et sous la responsabilité de Bèze et publiée à Genève en 1580.
6. Amyraut, , Apologie pour ceux de la Religion, Saumur, 1648, pp. 463–464.Google Scholar
7. Lettre du 24 octobre 1637. UB Leyde, Ms. BPL 278, f° 31-31v°.
8. Il faut renvoyer ici au livre fondamental de Kelley, Donald R., Foundations of Modem Historical Scholarship. Language, Law and History in the French Renaissance, New York et Londres, Columbia Univ. Press, 1970.Google Scholar
9. Mesnard, Pierre, L'essor de la philosophie politique au XVIe siècle, Paris, Vrin, 1977 (3= éd.), pp. 137–138.Google Scholar
10. A Saumur, les imprimeurs manquaient des moyens techniques nécessaires, et à Genève et à Leyde, la Critica sacra fut jugée trop subversive.
11. Dans la préface de la première édition de l'Histoire critique du Vieux Testament: « Chaque Art a ses termes particuliers et qui lui sont en quelque manière consacrés. C'est en ce sens qu'on trouvera souvent dans cet ouvrage le mot de Critique, et quelques autres semblables dont j'ai été obligé de me servir, afin de m'exprimer dans les termes de l'Art que je traitais. De plus, les personnes savantes sont déjà accoutumées à l'usage de ces termes dans notre langue. »
12. Cette conviction, propagée à travers l'exégèse juive et chrétienne jusqu'à Elia Levita inclusivement, s'exprime pour la première fois dans le livre des Jubilés (ier siècle av. J.-C).
13. A son principal contradicteur, l'hébraïsant de Bâle, Jean Buxtorf II (1599-1664), qui lui réclamait une « histoire » des Massorètes, Cappel répondait par la force probante de l'argument a silentio : ni Jérôme, ni le Talmud ne connaissent les points-voyelles ; cela suffit. La querelle entre théologiens et critiques sur la valeur de l'argument du silence durera jusqu'au xixc siècle inclusivement.
14. Pour l'Ancien Testament, il était possible tout de même de recourir à Hérodote, à Josèphe, aux indications de Manéthon et de Bérose recueillies par Josèphe et Eusèbe.
15. Dans la langue du XVIe siècle, chronographe et chronologue sont assimilés à chroniqueur ou historien.
16. En particulier dans le Spicilegium post Messem hoc est nova nonnullorum N. Testamenti locorum illustratio atque explicatio, Genève, 1632 : le titre indique bien comment Cappel a conscience d'innover.
17. Sur cette théorie, voir les abondants développements de De Lubac, H., Exégèse médiévale. Les quatre sens de l'Écriture, Paris, Aubier, 1959-1964, 4 vols.Google Scholar
18. Il s'agit des Commentant ac notae criticae in Vêtus Testamentum, publiés à Amsterdam en 1689 par le fils de Cappel, Jacques Cappel, réfugié à Londres, avec l'appui financier du clergé anglican.
19. Dans l'acception que lui donne ordinairement la dogmatique protestante, cette expression, empruntée à Rom. 12/6, est à entendre « objectivement » : en accord avec la règle de foi, et non « subjectivement » : en proportion de notre foi. Sur l'emploi de l'expression dans la théologie réformée, voir les remarques de Richard Stauffer, dans Annales E.S.C, 1983, n° 3, p. 539, notes 34 à 37.
20. Cette audace est signalée par Mercier, Jean, dans Genesim… Commentarius, Genève, 1598, p. 8 A-8 B.Google Scholar
21. Amyraut, , DU Gouvernement de l'Église, Saumur, 1653, pp. 49–51.Google Scholar
22. Mémoires de messire Philippes de Mornay … depuis l'an 1600 jusques à l'an 1623, Amsterdam, 1652, p. 697. (La suggestion de faire inscrire l'édit de Nantes parmi les lois fondamentales du royaume s'adresse aux députés protestants devant siéger aux états généraux de 1614).
23. Roland Mousnier, D'après, L'assassinat d'Henri IV, Paris, Gallimard, 1964, p. 128.Google Scholar
24. Amyraut, Traitté des religions, 1631, pp. 210-215 ; Apologie pour ceux de la Religion, pp. 43-49 ; La morale chrestienne, t. VI (1660), pp. 395-397.
25. Une excellente vue d'ensemble de cette littérature est offerte par le livre de Bryan Ball, W., A Great Expectation. Eschatological Thought in English Protestantism to 1660, Leyde, Brill, 1975. 26.Google Scholar Mazarin reconnaît le loyalisme d'Amyraut en le recevant plusieurs fois au cours du séjour de la cour à Saumur en mars 1652 (Bayle, Dictionnaire, art. « Amyraut », t. I, pp. 272-273, note P).
27. D'après Garrisson-Estèbe, Janine, Protestants du Midi. 1559-1598, Toulouse, Privât, 1980, pp. 179–182 Google Scholar et p. 282 ; Emile Léonard, G., Le protestant français, Paris, 1955, pp. 118– 119;Google Scholar Pineaux, Jacques, La poésie des protestants français au XVI siècle, Paris, Klincksieck, 1971, p. 223.Google Scholar
28. Amyraut, , La morale chrestienne, t. VI, p. 520.Google Scholar
29. Cette conjonction est notamment sensible chez Semler (voir Kraus, Hans-Joachim, Geschichte der historisch-kritischen Erforschung des Alten Testaments, Neukirchener Verlag, 1969, 2= éd., pp. 103–113 Google Scholar).
30. Sur le « désenchantement » de la nature par le rationalisme scientifique du xviie siècle, l'ouvrage classique est celui de Lenoble, Robert, Histoire de l'idée de nature, Paris, Albin Michel, 1969 Google Scholar (L'évolution de l'humanité, 10).
31. D'après un cours inédit de Garnier, professé au séminaire Saint-Sulpice de Paris, peu avant 1839 (Archives de Saint-Sulpice, Ms. 645, fos 1-4).
32. Malgré la prudente réserve de Calvin vis-à-vis de l'apocalyptique protestante, l'interprétation « historiciste » de l'Apocalypse se rencontre au xvne siècle, chez Pierre du Moulin (1568- 1658), dans L'accomplissement des prophéties (3e partie de la Défense de la foy catholique, s.l. 1612) et chez Pierre DE Launay (1573-1661) dans sa Paraphrase et exposition sur l'Apocalypse, Genève, 1651.
33. Les textes les plus caractéristiques de Grotius se trouvent dans le Votumpropace ecclesiastica, s.l. 1642, pp. 134-137 et dans les Annotationes in Novum Testamentum, t. II, Paris, 1646, p. 753 ; pour Clerc, Le, voir Sentimens de quelques théologiens de Hollande, Amsterdam, 1685, pp. 222–287.Google Scholar
34. Sur la différence mise par Spinoza entre l'inspiration des prophètes et celle des Apôtres, voir Breton, Stanislas, Spinoza. Théologie et politique, Paris, Desclée, 1977, pp. 79–81.Google Scholar
35. Lire l'extrait du rapport de l'intendant de Tours au secrétaire d'État dans Sache, Marc, État civil protestant de Maine-et-Loire, Angers, 1931, p. xv.Google Scholar
36. Rééditions de la Critica sacra à Halle en 1775, de la Paraphrasis in psalmos Davidis d'Amyraut à Utrecht en 1769, des dissertations théologiques de Gaussen à Leyde en 1698 et 1792, à Utrecht (1678), Amsterdam (1697), Cassel (1697), Francfort (1707), Halle (1726).
37. Sur cette querelle, voir Laplanche, François, Orthodoxie et prédication, Paris, P.U.F., 1965 Google Scholar et Armstrong, Brian G., Calvinism and the Amyraut Heresy, Univ. of Wisconsin Press, 1969.Google Scholar
38. Sur les mutations sociales du protestantisme français au xviie siècle, consulter Ligou, Daniel, Le protestantisme en France de 1598 à 1715, Paris, Sedes, 1968, pp. 192–207 Google Scholar et Garrisson- Estèbe, Janine, L'homme protestant, Paris, Hachette, 1980, p. 56 ss.Google Scholar
39. Bossuet, , L'Apocalypse avec une explication, OEuvres complètes (éd. Lâchât), t. II, p. 336.Google Scholar
40. Turrettini, J. A. … orationes academicae, Genève, 1737, pp. 94–122.Google Scholar
41 Turrettini, J. A., Opéra omnia, theologica, philosophica et philologica, Leuwarden et Franecker, 1774-1776, 3 vols, t. II, pp. 96–98.Google Scholar
42. Walter Rex, D'après, Essays on Pierre Bayle and Religious Controversy, La Haye, Nijhoff, 1965, pp. 197–255.Google Scholar
43. Deux des plus fameux jusnaturalistes du xvnr= siècle, Barbeyrac et Burlamaqui, enseignèrent respectivement à Lausanne et à Genève.
44. Misson, , Le théâtre sacré des Cévennes, Marseille, Laffitte Reprints, 1977, pp. 1–2.Google Scholar
45. Cette apologétique, née dans les milieux judéo-alexandrins, popularisée par Josèphe et les Pères de l'Église, se transmet, à travers le comparatisme de Huet, naguère étudié par Alphonse Dupront, jusqu'au traditionalisme théologique de l'abbé Bergier et de Lamennais.
46. Parmi les auteurs récents qui ont fait des Saumurois des arminiens ou semi-arminiens, signalons É. Léonard, G., Histoire générale du protestantisme, t. II, pp. 336–340 Google Scholar et Trevor-Roper, H. R., De la Réforme aux Lumières, Paris, Gallimard, 1972 (trad. fr.), pp. 252–253.Google Scholar
47. Il s'agit ici de la fameuse règle augustinienne de discernement du sens figuré, contenue dans le De Doctrina christiana, liv. III, chap. x, 15, commentée par Marrou, H. I., Saint Augustin et la fin de la culture antique, Paris, de Boccard, 1958 (4e éd.), pp. 478–484.Google Scholar
48. Guizot, D'après, Histoire de la République d'Angleterre et de Cromwell (1649-1658), t. I (1854), p. 207.Google Scholar
49. Il s'agit de la thèse de Jacques Sole, AU temps de l'édit de Nantes : le débat entre protestants et catholiques français de 1598 à 1685 (thèse de doctorat d'État, Lyon-II, 1981, 4 vols de 1810 p. dactyl.) et de l'ouvrage de Reventlow, , Graf, Henning, Bibelautoritàt und Geist der Moderne. Die Bedeutung der Bibelverstandnisses fur die geistgeschichtliche undpolitische Entwicklung in England von der Reformation bis zur Aufklàrung, Gôttingen, Vandenhoeck et Ruprecht, 1980.Google Scholar
50. Deux textes ici apparaissent comme essentiels : Troeltsch, Ernst, Die Bedeutung des Protestantismus fur die Enstehung der modernen Welt, Berlin, 1911 Google Scholar (texte ébauché dans l'art. Aufklàrung de la Realencyclopâdie de Herzog, et récemment traduit en français dans Recherches de Science religieuse, juil.-sept. 1984, pp. 381-417) et Alphonse Dupront, « Réformes et modernité », dans Annales E.S.C, n° 4, juil.-août 1984, pp. 747-768.
51. « Dans tout langage mythique, l'ancienneté est synonyme d'essence », écrit Meslin, Michel dans Pour une science des religions, Paris, Le Seuil, 1973, p. 24.Google Scholar
52. Ces lignes s'inspirent des travaux d'Edmond Ortigues, Le discours et le symbole, Paris, Aubier, 1962, et Mythe, image et symbole, dans Encyclopédie française, t. XIX, 2e partie, chap. iv, 1. Ortigues écrit en effet : « Le mythe est l'histoire cultuelle des origines et de la fin des temps. Il raconte ce qui a précédé l'histoire vécue par les hommes et qui confère à celle-ci la forme d'une destinée. »
53. Sur « fixisme » et « changement » dans les débats théologiques, voir Tavard, Georges, La tradition au XVIIe siècle en France et en Angleterre, Paris, Les Ed. du Cerf, 1969, pp. 439–492;Google Scholar Congar, Yves, La Tradition et les traditions, Paris, Fayard, 1960, 2 vols, t. I, pp. 233–270;Google Scholar L'Église de saint Augustin à l'époque moderne, Paris, Les Éd. du Cerf, 1970, pp. 370-458.
54. Voir dans Revue d'Histoire de l'Église de France, juil.-déc. 1980, pp. 307-308, la note bibliographique d'André Godin sur le volume de Sole, Jacques, Les mythes chrétiens de la Renaissance aux Lumières, Paris, Albin Michel, 1979.Google Scholar
55. Lucien Febvre notait en effet dans Au coeur religieux du XVI’ siècle, Paris, Sevpen, 1957, qu'un livre sur l'incroyance au xvne siècle devrait être très différent de celui qu'il écrivit sur le xvic : « En deçà, la pensée moderne qui commence à s'affirmer et à se développer. Au-delà, la pensée médiévale qui prolonge ses prises sur les esprits, et, plus encore, sur les sensibilités » (op. cit., p. 330).
56. Scaliger, par Grafton, Anthony T., Joseph Scaliger. A Study in the History ofClassical Scholarship. T.I. Textual Criticism and Exegesis, Oxford, Clarendon Press, 1983,Google Scholar et Vossius, G. J., par Rademaker, C. S. M., Life and Work of G. J. Vossius. 1577-1649, Assen, VanGorcum, 1981.Google Scholar
57. Sur l'histoire des religions à l'époque moderne, l'ouvrage indispensable demeure celui de Otto Gruppe, , Geschichte der Klassischen Mythologie und Religiongeschichte wâhrend des Mittelalters im Abendland und wàhrend der Neuzeit, Leipzig, 1921, pp. 26–95.Google Scholar
58. Ces dépouillements ont été commencés par Hans Bots : Henri Basnage de Beauval en de « Histoire des ouvrages des Savons », 1687-1709, Amsterdam, APA-Holland University Press, 1976 et De « Bibliothèque Universelle et Historique », chez le même éditeur, 1980 (coll. Studies van het Institut voor Intellectuelle Betrekkingen tussen de Westeuropese Landen in de zeventiende eeuw, n08 4 et 7).
59. Pour les débats relatifs à l'histoire des mentalités et à ses rapports avec d'autres démarches historiographiques, se reporter à Le Goff, Jacques, « Les mentalités. Une histoire ambiguë », dans Faire de l'Histoire, Paris, Gallimard, 1974, 3 vols, t. III, pp. 76–94;Google Scholar Vovelle, Michel, Idéologie et mentalités, Paris, Maspero, 1982;Google Scholar Revue de Synthèse, n° 111-112, juil.-déc. 1983.