Hostname: page-component-cd9895bd7-gxg78 Total loading time: 0 Render date: 2024-12-25T08:09:00.581Z Has data issue: false hasContentIssue false

Rosa Maria Piccione(dir.), Greeks, Books and Libraries in Renaissance Venice, Berlin, De Gruyter, 2021, x-401 p.

Review products

Rosa Maria Piccione(dir.), Greeks, Books and Libraries in Renaissance Venice, Berlin, De Gruyter, 2021, x-401 p.

Published online by Cambridge University Press:  12 January 2023

Rights & Permissions [Opens in a new window]

Abstract

Type
Livres et circulation des savoirs (comptes rendus)
Copyright
© Éditions de l’EHESS

Cet ouvrage constitue le premier volume d’une nouvelle série d’ouvrages de la maison d’édition De Gruyter, Transmissions: Studies on conditions, processes and dynamics of textual transmission. Dirigé par Rosa Maria Piccione, il reprend une partie des communications présentées lors d’un colloque organisé à Turin en juin 2017 (« Biblioteche private e produzione di libri manoscritti greci a Venezia nel Cinquecento »). Le volume, qui s’appuie à la fois sur les résultats de recherches récentes et sur une analyse plus large des difficultés méthodologiques que pose habituellement l’analyse des collections d’ouvrages grecs du début de l’époque moderne, se fixe un objectif ambitieux : il s’agit d’adopter une approche qui « ne se concentre pas tant sur tel ou tel ouvrage ou tel ou tel scribe (sauf dans les cas les plus pertinents) que sur les collections de livres, appréhendées comme des espaces d’organisation de la connaissance, et sur le contexte des relations socioculturelles qui en ont été la toile de fond » (p. 6).

Disons-le tout de suite, l’ouvrage tient ses promesses. Dans toutes les études de cas présentées dans les différents chapitres, les livres sont appréhendés et décrits dans le contexte des collections auxquelles ils appartenaient (y compris en examinant les éléments attestant leur provenance, comme les ex libris, ainsi que les systèmes de mise en rayon) ou avec lesquelles ils avaient un lien (par le biais d’une copie), une attention particulière étant accordée aux contextes sociaux dans lesquels ces collections ont été constituées et, plus tard, dispersées.

La période considérée est, bien entendu, marquée par des changements fondamentaux ; à la fois source de défis et d’opportunités, cette dimension requiert des chercheurs dans ce domaine un haut degré d’interdisciplinarité, mais c’est aussi la raison pour laquelle cette période revêt une telle importance. Il s’agit simultanément, comme le soulignent à juste titre plusieurs contributeurs, de la période qui coïncide avec l’introduction de la presse d’imprimerie en Europe, depuis sa phase expérimentale jusqu’au succès incontestable de la technique à Venise, et de celle qui a vu deux générations d’intellectuels grecs émigrer pour s’établir dans la cité des doges, où ils exerceront une grande influence sur le milieu culturel qu’ils ont intégré.

Bien sûr, pour ne parler que de l’Italie, aucun de ces deux phénomènes n’est propre à Venise : l’imprimerie s’est implantée à Subiaco et à Rome avant que la première entreprise de ce type ne soit établie dans la République de Venise, et plusieurs autres villes d’Italie abritaient des communautés grecques florissantes, impliquées dans des activités commerciales et savantes. Ce qui distingue Venise, c’est la façon dont ces deux phénomènes y ont coexisté et interagi, ainsi que l’effet spectaculaire de cette coïncidence sur le monde du livre et le paysage intellectuel de la ville, qui a donné naissance à une situation unique dans le contexte européen.

Bien que cela ne soit pas une nouveauté, le choix de se concentrer sur Venise (à l’exception du chapitre de Ciro Giacomelli sur les bibliothèques personnelles à Padoue, où se trouvait l’université fréquentée par les Vénitiens et les étrangers) est donc à la fois pertinent et payant. En dépit de l’attention dont le marché du livre vénitien et la communauté grecque ont fait l’objet au cours des dernières décennies, ce livre parvient à combler plusieurs lacunes des travaux publiés précédemment sur le sujet. L’un de ses nombreux points forts est qu’il réussit à étudier, en parallèle, l’activité des Grecs en termes de production et de consommation de livres.

L’ouvrage, dont la lecture est tout à fait abordable, examine des collections de livres dans plusieurs disciplines – de la paléographie à la codicologie en passant par la philologie et l’histoire des textes, des études sur l’imprimerie à l’histoire sociale, économique et religieuse. Les sources utilisées comprennent des documents d’archives (notamment dans la dernière contribution, de Christos Zampakolas, sur les archives de l’Institut hellénique des études byzantines et post-byzantines et les Archives d’État de Venise), des textes littéraires et les livres eux-mêmes, approchés dans leur matérialité.

Malgré – ou, devrait-on dire, grâce à – ces analyses multidisciplinaires ponctuelles mais approfondies, les chapitres sont susceptibles d’intéresser un large éventail de chercheurs en sciences humaines et même des étudiants motivés à la recherche d’une consistante introduction à la méthodologie (à ce propos, nous suggérons de traduire systématiquement en anglais les sources grecques et latines pour les prochains volumes à paraître dans cette série, comme certains auteurs l’ont déjà fait dans le présent volume). Un solide essai introductif de R. M. Piccione et un chapitre éclairant de Caterina Carpinato plantent le décor, en brossant à grands traits l’état actuel de la recherche sur l’histoire du livre grec, d’une part, et sur l’environnement intellectuel et social constituant le contexte des micro-histoires des scribes, des éditeurs et des propriétaires de livres, d’autre part.

Les études de cas analysées au sein de chapitres riches et généreusement illustrés sont soigneusement reliées entre elles et fléchées. Elles permettent de comparer différentes pratiques de collection et leurs débouchés respectifs : par exemple, Teresa Martínez Manzano se penche sur le personnage de Diego Hurtado de Mendoza et à son goût pour les beaux livres, en s’intéressant particulièrement aux livres imprimés de sa collection, tandis que d’autres études s’attachent aux bibliothèques de travail comme celles de Gabriel Severos (Erika Elia et Rosa Maria Piccione) ou de Guillaume Pellicier (R. M. Piccione), en mettant en évidence les différents procédés par lesquels elles ont été constituées – campagnes d’achat en Grèce ou recours aux copistes employés dans les ateliers vénitiens au xvie siècle. Les Grecs de Venise n’étaient cependant pas seulement des scribes ; l’ouvrage confirme que la diaspora grecque en Europe occidentale a souvent exercé des activités diverses, liées de près ou de loin à la production et à la distribution de livres : poésie et édition de textes en vue de leur impression (les deux activités de Maximos Margounios, décrites par Federica Ciccolella), fonction diplomatique et, même, missions pour les services secrets (comme dans le cas de Manolis Glyzounis, présenté par Irene Papadaki).

Sans surprise, l’accent est mis sur l’activité des copistes : Riccardo Montalto montre ainsi comment, par exemple, pour identifier les copistes d’un atelier, une petite sélection de texte n’est souvent pas suffisante pour une analyse paléographique, et aborde les cas dits de multiplex manus (où des écritures apparemment très différentes sont toutes attribuées au même copiste) ainsi que le partage du travail dans les ateliers de scribes.

Il est encourageant de constater que l’ouvrage réserve un traitement de choix à la matérialité dans ses nombreuses incarnations en tant que source pour l’histoire des bibliothèques, ce qui témoigne de la place prépondérante qu’elle a désormais acquise dans les champs d’investigation liés au sujet. La définition exacte de ce qui relève du domaine de la matérialité dépend des différents champs de l’histoire et même des chercheurs, mais les références de l’ouvrage incluent toutes sortes d’aspects allant de la mise en page à la qualité des supports d’écriture, en passant par l’emplacement des livres sur les étagères ou dans les coffres aux reliures (l’accent étant davantage mis sur la composition des volumes et la décoration de leurs couvertures que sur les structures des livres, même si force est de constater que la plupart des reliures analysées ont été restaurées à un moment ou à un autre et qu’une grande partie des preuves que les structures de reliure du début de l’époque moderne auraient pu offrir ont alors été supprimées)Footnote 1.

Les preuves matérielles s’avèrent également être un moyen efficace pour reconstituer la provenance des livres, en particulier lorsque les sources archivistiques font défaut, comme dans le cas du MS Taur. B.I.3, où les annotations et le style de la reliure permettent à E. Elia de retracer, presque sans interruption, l’histoire de la propriété du volume. L’accent est mis sur la relation entre les pratiques de circulation des livres et la matérialité, par exemple dans la contribution d’Ottavia Mazzon sur les registres de prêt de la Libreria di San Marco et sur l’enregistrement standardisé des données des registres (en particulier l’identité des propriétaires, personnes ou institutions) dans des bases de données afin de faciliter la recherche et la récupération de ces données par les utilisateurs (voir notamment la présentation par Orsola Braides et Elisabetta Sciarra de la base de données « Archivio dei possessoriFootnote 2 » et quelques études de cas issues de ses matériaux). Des index utiles des sources archivistiques, des manuscrits, des livres imprimés, des noms propres et des tableaux et figures finissent de compléter l’ouvrage.

Le lecteur trouvera peu de motifs de critique dans ce livre très bien fait. Nous mentionnerons seulement l’absence d’harmonisation au travers des différents chapitres du nom de Gabriel Severos/Gavriil Seviros et une toute petite poignée de coquilles : une majuscule non justifiée pour le terme « Diaspora », « personaly » à la page 123. Le « Senato Terra » mentionné à la page 125 correspond, plus simplement, au Senato vénitien (bien que la série d’archives soit intitulée Senato Terra). À la page 235, la mention d’un Écossais (« il se peut même qu’il ait appartenu à l’Écossais ») semble faire référence à Arnoldus Arlenius, qui était pourtant originaire du Brabant. Quelques menus détails qui n’entament en rien la qualité et l’utilité de cet excellent ouvrage.

References

1 Les reliures de plusieurs manuscrits et ouvrages imprimés étudiés dans ce volume ont été décrits par Anthony Hobson, notamment dans Renaissance Book Collecting: Jean Grolier and Diego Hurtado de Mendoza, Their Books and Bindings, Cambridge, Cambridge University Press, 1999, que l’ouvrage édité par R. M. Piccione cite souvent ; pour une étude plus détaillée des structures des ouvrages reliés en Italie dans le style grec, voir Nicholas Pickwoad, « How Greek Is Greek? Western European Imitations of Greek-Style Bindings », in N. Tsironi (dir.), ΒΙΒΛΙΟΑΜΦΙΑΣΤΗΣ 3: The Book in Byzantium, Byzantine and Post Byzantine Bookbinding; Proceedings of an International Symposium (Athènes 13–16 octobre 2005), Athènes, National Hellenic Research Foundation, 2008, p. 177-200.

2 https://archiviopossessori.it/.