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Rembrandt, un maître dans son atelier

Published online by Cambridge University Press:  26 July 2017

Svetlana Alpers*
Affiliation:
Berkeley

Extract

Très tôt l'art de Rembrandt est apparu unique en soi. Si l'on prend deux portraits réalisés par des peintres hollandais, il ne semble guère difficile de dire lequel est de Rembrandt (fig. 1, 2). L'arrière-plan assombri ou obscur sur lequel le couple amoureux se détache pour apparaître en pleine lumière, la palette limitée, les teintes peu nombreuses modelées en une matière richement travaillée, et surtout la présence de ce couple immobile qui nous fait face et dont les pensées et les sentiments suggérés sont au-delà de la surface qui arrête notre regard, telles sont les caractéristiques de nombre d'œuvres parmi les plus impressionnantes de Rembrandt.

Summary

Summary

How are we to explain the effect of singularity and individuality given off by a painting such as Rembrandt's Jewish Bride ? It has become the custom to begin with a meditation on the meaning of the picture. But let us consider instead how the picture might have been made in such a way as to raise the question of meaning. I propose to see Rembrandt's works in terms of the circumstances of his own production or making of art. His life and the life of his art are largely a studio matter. Rembrandt represented life as if it were an event staged in his studio. The puzzling nature of the Jewish Bride is evidence of the professional basis and is the pictorial effect of Rembrandt's domination of the world brought into his studio.

Type
Art et Histoire
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1991

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References

Notes

Cette étude s'inspire des matériaux présentés au cours des conférences Flexner faites au Bryn Mawr Collège en 1985, et qui seront reprises dans un ouvrage consacré à Rembrandt. Au lieu de considérer Rembrandt, ainsi que je l'avais fait dans The Art of Describing (Chicago, 1983), comme une exception par rapport à l'art pictural hollandais, voire comme un artiste étranger à cet art, je me propose ici de le situer à l'intérieur de sa propre culture. Je m'écarte aussi des travaux actuels qui ont démystifié l'image que le XIXe siècle se faisait de Rembrandt, celle d'un génie, afin de le considérer comme un artiste hollandais parfaitement représentatif de son époque. Il est possible, je pense, de découvrir les sources de la puissance et de la singularité de Rembrandt dans sa production artistique. Délaissant la signification de l'oeuvre pour m'intéresser aux formes de sa production, j'examinerai dans ce livre les pratiques d'atelier du peintre, ses méthodes d'enseignement, son utilisation des modèles et son application des couleurs. L'effet d'individualité que donnent les dernières oeuvres de Rembrandt est le résultat de sa domination du monde qu'il a fait entrer dans son atelier.

1. Une source ancienne fait cependant mention de ce tableau sous le titre : « La Salutation d'Anniversaire ». Il s'agirait, en d'autres termes, des voeux adressés par un père à sa fille ! Les peintures et dessins de Rembrandt sont désignés dans cet article par les codes Br. et Ben. suivis d'un nombre qui renvoient respectivement à Bredius, A., Rembrandt : The Complète Edition of the Paintings, éd. rév. Gerson, H., Londres, 1973 Google Scholar et à Benesch, O., The Drawings of Rembrandt, 2e éd., Benesch, Eva éd., 6 vols, Londres, 1973.Google Scholar

2. Pour un résumé des nombreuses interprétations du tableau de Rembrandt, voir Fuchs, R. H., « Het zogenaamde Joodse bruitje en het probleem van de “ voordracht ” in Rembrandts werk », Tejdschrift voor Geschiedenis, 82, 1969, pp. 482493 Google Scholar. L'étude de référence du genre connu sous le nom de « portrait historié » demeure celle de Wishnevsky, Rose, Studien zum “ portrait historié ” in den Niederlanden, Munich, 1967 Google Scholar. En général les historiens de l'art ont étudié les bases littéraires de ce type d'œuvres plutôt que son rôle dans les pratiques sociales.

3. Une version bien connue de cet argument a été présentée par Eugène Fromentin dans Les maîtres d'autrefois, 1876.

4. Je fais allusion, bien sûr, à la formule de Gombrich, E. H., Art and Illusion, New York, 1960 Google Scholar : « … la construction précédera toujours la recherche de la vraisemblance, la création est antérieure à la référence signifiante. » (Trad. fse, L'Art et l'illusion, Paris, Gallimard, 1971, p. 134).

5. Le catalogue de l'exposition de Peter Schatborn « Bij Rembrandt in de leer », au Rembrandthuis (Amsterdam, octobre 1984-janvier 1985), reproduit de nombreuses oeuvres qui illustrent les méthodes d'enseignement de Rembrandt.

6. Jusqu'à présent la question de l'attribution a tendu à primer l'étude de ces reproductions de l'atelier et personne n'a expliqué leur nombre important.

7. Ce serait là les conclusions de l'équipe d'Amsterdam, pourtant l'unique volume du Projet de Recherches sur Rembrandt publié à ce jour ne traite que des tableaux réalisés entre 1625 et 1631 (le prochain volume est prévu pour 1986). La présentation exhaustive de chaque toile est le résultat d'une combinaison rare d'analyse scientifique et d'étude de détail, une manière de « nouvelle critique » des tableaux. J. Bruyn, B. Haak et alii, A Corpus of Rembrandt Paintings, La Haye, 1982, I.

8. Nous voici confrontés à la situation suivante : un nombre considérable d'oeuvres autrefois considérées comme étant de Rembrandt sont aujourd'hui attribuées à ses élèves, apprentis ou disciples. En d'autres termes, on pourrait dire que les catalogues de référence, celui de Bredius pour les peintures et celui de Benesch pour les dessins, répertorient en fait des oeuvres de Rembrandt, de son atelier et de ses disciples. Pour un certain nombre de raisons — le fait évident, entre autres, que Rembrandt ait considéré la gravure comme son domaine propre et n'ait pas encouragé son atelier à travailler cette technique — les eaux-fortes échappent à cette remise en question. Quelques spécialistes ont saisi cette occasion pour annoncer la fin de ce qu'ils nomment le culte du génie voué à Rembrandt par le XIXe siècle ; la réputation de l'artiste serait enfin ramenée à sa juste mesure.

10. Jan Lievens : ein Maler im Schatten Rembrandts, Herzog Anton Ulrich Muséum, Braunschweig, 1979, est une bonne étude sur l'oeuvre de Lievens.

11. Ibid., p. 113.

12. L'étude de base sur la collection personnelle de Rembrandt et sur sa fonction sociale présumée est celle de Scheller, R. W., « Rembrandt en de encyclopedische verzameling », OudHolland, LXXIV, 1969, pp. 81147.Google Scholar

13. L'ouvrage, ambitieux et nouveau, de Schwartz, Gary, Rembrandt : zijn leven, sijn schilderijen, Amsterdam, 1984 Google Scholar, qui étudie soigneusement le statut social des clients du peintre fait état de ses échecs répétés auprès de certains clients importants et haut placés.

14. La monographie de référence est celle d' Blankert, Albert, Ferdinand Bol, Doornspijk, 1982.Google Scholar

15. Cette remarque a été formulée pour la première fois à la suite de la publication de dessins de Konstam, Nigel, « Rembrandt's Use of Models and Mirrors », The Burlington Magazine, CXIX, 1977, pp. 9498 Google Scholar. Certains renseignements sur les pratiques en atelier d'un élève de Rembrandt, Samuel van Hoogstraten, ainsi que des anecdotes sur l'atelier même de Rembrandt viennent renforcer l'impression donnée par ces dessins.

16. Les deux dessins d'Elsje Christiaens réalisés par Rembrandt — et dont un seul est reproduit ici — sont actuellement au Metropolitan Muséum de New York.

17. Les documents concernant l'exécution d'Elsje ont été découverts et publiés par Eeghen, I. H. Van, « Elsje Christiaens en de kunsthistorici », Maandblad Amstelodamum, 56, 1969, pp. 7378.Google Scholar

18. A ce propos, Simon Schama a décrit l'intérêt de Rembrandt pour « le drame du déshabillage ». C'est là une autre manifestation de ce que l'on pourrait appeler le modèle théâtral sur lequel l'atelier était organisé. Schama, Simon, « Rembrandt and Women », Bulletin of the American Academy of Arts and Sciences, XXVIII, 1985, pp. 2147.Google Scholar

19. L'ouvrage de Terence Johnson, J., Professions and Power, Londres, 1972 Google Scholar, m'a été particulièrement utile pour les différents modèles sociaux de professionnalisation qu'il propose.

20. Cette expression visait une obligation contractuelle du peintre — telle celle qui probablement avait lié Rembrandt à Uylenburgh ou celle, de forme différente, qui le liait à ses propres collaborateurs. Broos, B. P. J. examine l'emploi de cette expression dans Simiolus, 12, 1981, 2, p. 252.CrossRefGoogle Scholar

21. Il n'existe aucun ouvrage regroupant l'ensemble des biographies anciennes de Rembrandt (l'étude qui fait référence en ce domaine est celle de Slive, Seymour, Rembrandt and his Critics, 1630-1730, La Haye, 1953 CrossRefGoogle Scholar). On peut en trouver un résumé dans The Complète Paintings of Rembrandt, New York, Classics of the World's Great Art, 1969.