Published online by Cambridge University Press: 26 July 2017
Situé aux confins de deux cultures, au cœur du « pays sans frontières » le pays de Hervé, l'ancien duché de Limbourg, n'offre rien de bien particulier à l'œil du voyageur pressé qui le traverse de nos jours. Le promeneur qui s'attarde au creux d'un chemin, au coin d'une haie, à l'angle d'une pâture, admire sans doute ce paysage verdoyant, sans pour autant y trouver matière à étonnement.
Trois et même quatre siècles plus tôt, il en allait bien différemment. Pour le voyageur habitué aux vastes étendues de labours, même sur les terres les moins propres à la mise en culture, l'admiration devant la richesse de ces prairies soigneusement entretenues était grande, mais l'étonnement ne l'était pas moins. C'est que seule la situation très particulière du duché de Limbourg et des terres lui étant rattachées, enclave des Pays-Bas entre la principauté de Liège et l'Empire, pouvait rendre compte d'une économie aussi massivement et aussi exceptionnellement herbagère.
The “Pays de Herve”, which lies between Liege and Aachen, presents an original and essentially pastoral landscape. The patterns of land tenure and farming, as well as the geographical and professional distribution of landowners, point to the existence ofa primarily local, individualized, non-noble, indeed peasant-run agrarian system as early as the 17th century. By analyzing the real-estate market one can identify its sources of financing, as well as the factors responsiblefor its stability and fragmentation. A comparison between the 17th-18th centuries and the mid-19th century reveals the respective impact of rural industry and of the industrial revolution on the system as a whole, providing the basisfor a qualitative model of the regional economy.
1. suivant la belle expression de Lejeune, J.. Pays sans frontière. Aix-la-Chapelle, Liège, Maastricht, Bruxelles, 1958.Google Scholar
2. Pour de plus amples détails, on se reportera à Ruwet, J., L'agriculture et les classes rurales au pavs de Hervé sous l'Ancien Régime, Liège-Paris, 1943.Google Scholar plus particulièrement pp. 52-68, 103-111 et 179-188.
3. Pour la région qui nous occupe, ces déclarations existent notamment pour Cheratte (Cours de justice, 78), Fouron Saint-Martin (R. A. H., Cours de justice, 44), ban de Hervé (Cours de justice, 219- 223), Hombourg (Cours de justice, 61), Mortier (Cours de justice, 59), etc. Pour une analyse détaillée d'un recensement, on se reportera à P. Servais et J. Ruwet, « La rente foncière au pays de Hervé (xviie-xviiie siècles », dans Annales de la Fédération archéologique et historique de Belgique, Congrès de Malmédy, 1972, Liège, 1976, pp. 99-111.
4. sur ces documents, on consultera G. Bigwood, « Matricules et cadastres. Aperçu sur l'organisation du cadastre en Flandre, Limbourg et Luxembourg avant la domination française », dans Annales de la Société d'Archéologie de Bruxelles, 1898, pp. 388-411 et Lemaire, G., Le dénombrement thérésien dans le duché de Luxembourg et le comté de Chiny (1766-1771), Lou vain, 1964-1965 Google Scholar, mémoire de licence inédit.
5. La première dépasse les 450 bonniers dès 1780, la seconde atteint les 150 bonniers.
6. A.E.L., Duché de Limbourg, liasses 1013-1015. Elles furent dressées dans le cadre de la lutte contre les Épizooties qui ont touché le duché de 1770 à 1785.
7. A.E.L., Duché de Limbourg, liasse 558. Sur ces impôts personnels, on consultera J. Ruwet, L'agriculture…, pp. 137-142. 8. A.E.L., Duché de Limbourg, registres 591-593 et 651.
9. DelAtte, Y., Les classes rurales dans la principauté de Liège au XVIIIe siècle, Liège, 1945, pp. 71–96.Google Scholar
10. Pour reprendre le terme à la fois vieillot (cf. Febvre, L., « Une révolution agraire », dans Annales E.S.C., n° 1, 1948, p. 221 Google Scholar) et parlant qui figure dans les titres de Y. Delatte comme de J. Ruwet.
11. Il s'agit des communes de Battice, Chaineux, Charneux et Thimister, les trois premières Étant à l'heure actuelle fusionnées avec les villes de Hervé et Bolland, la dernière avec Clermont.
12. J. Ruwet, op. cit., pp. 80-83.
13. Thomassin, L., Mémoire statistique du département de l'Ourthe, Liège, 1879, p. 236.Google Scholar
14. Sur la question des prix des laitages, on consultera P. Servais, La rente constituée dans le ban de Hervé au XVIIIe siècle, Bruxelles, 1982, ou encore P. Servais, « La consommation alimentaire en région liégeoise au xviiie siècle : le cas de l'abbaye du Val-Benoît », dans Revue d'Histoire moderne et contemporaine (à paraître).
15. C'est du moins le minimum de revenu exigé poux accéder à la prêtrise dans le diocèse de Liège au xviiie siècle (cf. J. Stekke, « Patrimoines presbytéraux de l'ancien diocèse de Liège », dans Annuaire d'Histoire liégoise, 1953, pp. 982-1100.
16. Pour une analyse plus détaillée de ce marché immobilier, on se reportera à P. Servais, La rente constituée…, lre partie, chapitre H. Les informations nécessaires à la constitution de cette courbe ont Été recueillies au départ des registres aux œuvres des Échevins (A.E.L., Cours de justice, ban de Hervé, 100 à 213) qui constituent pour l'Ancien Régime le point de passage obligé de toute transaction impliquant transfert de droits réels. Pour les périodes française, hollandaise et belge, la courbe a pu être prolongée grâce aux archives de l'administration de l'enregistrement (A.E.L., Enregistrement et domaines, ressort de Hervé, T. A. 1 à 16 et T.B. 1 à 11).
17. Sohet, Instituts de droits, Bouillon, 1772, Livre III, titre iv, p. 150.
18. Sohet, op. cit., Livre III, titre vu, p. 159, alinéa 14. «Tous retraits, même lignagers, sont exorbitants, et contraires à la liberté de commerce. »
19. Rappelons brièvement que pour une efficacité maximale de la méthode de mise en Évidence du mouvement de longue durée par calcul des moyennes mobiles, il importe que la périodicité de base soit la plus proche possible de la durée normale du cycle. Dans le cas qui nous concerne le chiffre de 7 années a Été retenu.
20. Sur Verviers et la draperie verviétoise on renverra à Lebrun, P., L'industrie de la laine à Verviers pendant le XVIIIe siècle et le début du XIXe siècle, Liège, 1948 Google Scholar, et à la bibliographie qu'il contient.
21. P. Lebrun, op. cit., pp. 213-220 et 269-275. Pour une appréciation locale très concrète de l'importance de cette industrie rurale, on se reportera au journal tenu de 1735 à 1781 par l'abbé J. Waucomont. Une copie en est conservée au centre d'histoire moderne de l'Université catholique de Louvain. Malgré son caractère vague, l'information donnée par les artisans du recensement général des industries de 1764 (A.G.R., Conseil des finances, registre 4653, bureau de Hervé) donne l'appréciation officielle de l'ampleur du phénomène.
22. L'analyse serrée des recensements de population dressés de l'an iv à l'an xii de la République française permet d'obtenir une idée relativement précise de la répartition professionnelle. Sur ce point, la valeur de ces documents est en fait variable d'une commune à une autre, fonction principalement de la conscience et du zèle des agents d'exécution. Une confrontation systématique avec les registres d'état civil qui mentionnent la profession du père, lors d'une naissance, ou celle des Époux, lors d'un mariage, permet de tester la fiabilité de l'information recueillie. Ainsi sans être tranché de manière absolument constante, le problème de la double profession est généralement résolu en mentionnant celle dont le revenu semble fournir l'essentiel des rentrées d'un ménage. C'est le cas notamment pour le fileur qui possède Également une ou deux têtes de bétail sur un lopin de terre, mais s'avère manifestement incapable de survivre de l'exploitation de ce dernier.
23. Les inventaires et ventes de meubles constituent d'ailleurs à cet Égard une source exceptionnelle pour l'étude des niveaux et des cadres de vie (cf. notamment Baulant, M., « Niveaux de vie paysans autour de Meaux en 1700 et 1750 », dans Annales E.S.C, n° 2-3, 1975, pp. 505–518 Google Scholar). Une Étude en cours sur « Niveaux, cadres et modes de vie en milieu rural : l'hinterland liégeois du xvnc au xixe siècle », devrait mettre en lumière toutes les potentialités qu'ils recèlent.
24. Si cette Évolution constitue sans aucun doute une fragilisation des unités Économiques que peuvent être amenées à constituer ces petites propriétés, faut-il réellement interpréter cette multiplication des petites unités comme une prolétarisation de la population rurale ? Ne faut-il pas plutôt y voir la réalisation du rêve de tout petit paysan, l'accession à la terre, premier pas d'une Éventuelle ascension sociale, impossible sans ce marche-pied ? La question reste ouverte.
25. Le désintérêt (noté par Y. Delatte, op. cit., notamment p. 76) marqué par les bourgeois citadins de Liège n'est-il pas simplement l'impossibilité pour eux de lutter à la fois avec la noblesse et une paysannerie plus riche qu'on a bien voulu le penser ?
26. Tous les renseignements concernant la situation en 1862 sont extraits de Popp, P. C., Atlas cadastral parcellaire de Belgique. Aubel, Clermont, Hombourg et Remersdael, Bruges, s. d. [1862].Google Scholar