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La maladie et son double. La suette miliaire et son traitement au xixe siècle

Published online by Cambridge University Press:  26 July 2017

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Moins armés techniquement que les praticiens d'aujourd'hui, mais plus proches que leurs successeurs de la réalité sensible et vécue de la maladie, les médecins du xixe siècle donnent souvent l'impression que le combat qu'ils mènent exige d'eux un important engagement personnel, notamment dans ces moments critiques où la présence d'une épidémie demande une disponibilité sans faille, quand le corps social ébranlé attend de ses médecins qu'ils lui prodiguent autant d'attentions que de soins.

Summary

Summary

Outbreaks of the disease known as suette miliaire—an ailment probably of infections origin that has now disappeared—were occasions of intense panic during the nineteenth century. Doctors of the period have left behind strange accounts concerning this malady, account that reveal the symbolic treatment of the disease. The author explores the impact of the representation of the illness on the relations between the doctor and the patients

Type
Représentations Sociales
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1993

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References

* Ce texte est la reprise d'une communication présentée et discutée au séminaire de Jean- Pierre Peter (Histoire et Anthropologie de la médecine, EHESS) en février 1992.

1. Ces rapports sont le plus souvent l'oeuvre des médecins des épidémies, créés par la loi du 12 floréal an XIII (5-05-1805), nommés par les préfets dans chaque arrondissement. Ce ne sont pas des fonctionnaires, mais des praticiens libéraux, honorablement connus, amenés ponctuellement à se soustraire à leur clientèle privée pour répondre à la mission que leur confie le préfet. Sur l'esprit dans lequel elles sont accomplies, sur leur impact tant pratique qu'idéologique, voir C. Beauchamp, Délivrez-nous du mal ! Épidémies, endémies, médecine et hygiène au XIXe siècle, Maulévrier, Hérault éditions, 1990, 400 p

2. Jules Guérin, « Études sur la suette miliaire épidémique, et en particulier sur l'épidémie de 1849 », dans Gazette médicale de Paris, 1851, pp. 578-585.

3. Les spécialistes de la suette la rattachent à ce que les médecins antiques appelaient « cardia passio » (voir sur ce point les remarques qui suivent l'article « Suette miliaire » du Dictionnaire encyclopédique des Sciences sociales de Dechambre, article de Léon Colin). Disparue au Bas-Empire, elle reparaîtrait brusquement en Angleterre en 1485, sous le nom de « Sudor Anglicus », « sweating sickness », ou « suette anglaise ». La mortalité causée par ses brusques poussées épidémiques semble considérable, aussi bien en Angleterre que sur le continent où elle fait plusieurs incursions au xvie siècle. En France, on la désigne du nom étrange de « trousse-galant » (cf. J. Brossolet, « Expansion européenne de la suette anglaise », dans Proc. XIII, International Congress of History of Medicine, 1972, Londres, 1974,1.1, pp. 595-600). Après un autre silence au xviie siècle, l'épidémie de Montbéliard de 1712 est l'annonce d'un nouvel essor. Elle parcourt alors la Normandie et la Picardie, d'où son nom de « suette picarde ». Son ère de diffusion s'élargit à l'ensemble du territoire français ; on la rencontre également dans les États allemands et en Italie.

A partir des années 1830-1840, la suette semble se cantonner à la France. Peu de régions sont épargnées. Il ne se passe guère d'année sans qu'une épidémie ne soit signalée ici ou là, avec une expansion géographique variable. Après 1880, elle semble se rétracter, limitant ses atteintes au sud du Berry, au Poitou et aux Charentes, où elle persiste à l'état endémique jusque dans les années 1950.

4. Citons rapidement la suette en Picardie étudiée par Rayer dans Hist. de l'ép. de s. m. qui a régné en 1821 dans les départements de l'Oise et de Seine-et-Oise, Paris, 1822, 480 p. Ce travail est une référence obligée pour les études ultérieures, notamment celle de Foucart, A., De la suette miliaire, de sa nature et de son traitement (ép. de la Somme et de l'Aisne de 1849), Paris, 1854, 405 p.Google Scholar Un autre classique est constitué par l'ouvrage de Parrot, Hist. de l'ép. de s. m. qui a régné en 1841 et 1842 dans le département de la Dordogne, Paris, 1843, 300 p. La suette du Poitou a été étudiée par plusieurs médecins locaux, dont Orillard, « Rapport sur l'ép. de s. m. qui a régné dans l'arrondissement de Poitiers en 1845 », dans Bulletin de la société de médecine de Poitiers, 1846, 104 p. Toujours sur le Poitou, l'épidémie de 1887 est relatée en détail dans Poitou médical d'octobre et novembre 1887, et celle de 1926 a été décrite par Rousseau, « la s. m. dans le Montmorillonnais », dans Bulletin de l'Académie de médecine, t. 113, 1935, pp. 293- 302. L'épidémie du département de l'Hérault en 1851 a fait l'objet d'une série d'articles par Alquié dans les Annales cliniques de Montpellier, 1853 et 1854. Celle de l'île d'Oléron fut décrite par Ardouin dans sa « Relation d'une ép. de s. m. qui a régné à l'île d'Oléron au mois de juillet 1880 », dans Archives de médecine navale, t. XXXVI, juillet et août 1881, pp. 45-59 et 137-147. « L'ép. de s. m. des Charentes (mai-juillet 1906) », est racontée par HAURY dans Revue de médecine, t. XXVII, février et mars 1907, pp. 97-126 et 209-236. Dans sa thèse soutenue à Paris VIII, Jean Héritier dresse une bibliographie très abondante à laquelle je renvoie. Jean HÉritier, La suette miliaire, une maladie mystérieuse, thèse de 3e cycle, dirigée par Robert Delort.

5. Dr Galy, Mémoire sur l'êp. de s. m. qui a régné en 1841 dans le département de la Dordogne…, Bordeaux, 1842, 55 p.

6. Évaluer la gravité des épidémies n'est pas chose facile, car les situations sont variables. Le grand nombre de suettes bénignes aboutit souvent à un sous-enregistrement des cas. Dans l'épidémie du Périgord en 1841 ou celle de l'Hérault de 1851 (cf. Parrot, Galy et Alquié, op. cit.), de nombreuses localités ont plus du dixième de leur population malade : Pézenas a 128 malades pour mille habitants, Nizas, qui n'a que 643 habitants, a 150 malades. La Chapelle- Montabour en Dordogne a 115 malades pour 884 habitants. Le taux de létalité est fort variable. Dans l'épidémie de 1845, 16 % des malades décèdent, mais seulement 4 % lors de l'épidémie de 1887 (calculs dans C. Beauchamp, « Une dangereuse fréquentation, histoire de la s m. en Poitou », à paraître dans Bulletin de la Société des Antiquaires de l'Ouest), avec une grande variabilité selon les communes. Parfois, c'est 20 à 30 % des malades qui meurent. Trélissat, commune du Périgord de 1129 habitants a, en 1841, 42 morts en 16 jours ! 26 décès en 10 jours à Coulounieix, mille habitants (cf. Dr Galy, op. cit.). Selon les évaluations de Léon Colin, dans son article « suette miliaire » (art. cité), la létalité moyenne de la suette est de 13 %, comme celle de la typhoïde ou de la dysenterie à la même époque. La létalité de la diphtérie (40 % ) et du choléra (50 % environ) est bien plus grave. Mais ni la typhoïde, ni la dysenterie, ni la diphtérie n'ont jamais provoqué les paniques collectives signalées dans les épidémies de suette.

7. H. Parrot, op. cit. Même idée chez les médecins poitevins en 1845. Cf. Fauconneaudufresne, « Rapport (verbal) sur une ép. de s. m…. », dans Revue médicale, 1846.

8. Dans un phénomène à répétition, le médecin s'attend toujours peu ou prou à retrouver une régularité de rythme. De même qu'une éruption se doit de parcourir des phases successives bien définies.

9. C'est-à-dire l'éruption miliaire dans la suette.

10. Alquié, art. cité.

11. Ibid.

12. Galy, op. cit.

13. L'intendant fait allusion à la méthode populaire en usage pour soigner la suette, qui consiste à s'enfouir sous d'épaisses couvertures, pour favoriser les sueurs et l'éruption salvatrice.

14. Cité par J. Brossolet dans « Expansion européenne de la suette anglaise », art. cité.

15. Lettre du sous-préfet de Nontron du 2 juillet 1841. Arch. Dép. Dordogne 5 M 25.

16. Comme il le dit dans sa lettre du 4 juillet et dans son rapport du 17 août 1841. Ibid.

17. Lettre du 4 juillet 1841. Ibid.

18. Expressions tirées des lettres des 2 et 4 juillet 1841. Ibid.

19. Rapport du 17 août 1841. Ibid

20. Les images de l'art militaire fondent en partie l'efficacité des discours et des représentations hygiénistes au xixe siècle, avant même que la bactériologie n'impose ses propres méthodes de contrôle sanitaire, également inspirées par l'évolution des techniques guerrières. Cf. Bruno Latour, Les microbes, guerre et paix, Paris, 1984, 280 p.

21. Notamment dans l'Oise. Voir MÉNIÈRE, « Note sur l'ép. de s. m. qui règne dans le département de l'Oise », dans Archives générales de médecine, 1832, t. 29, pp. 98-118. Ou encore à Issoudun, cf. C. Beauchamp, « Mythe et réalité de la contagion », dans Revue de l'Académie du Centre, 1991, pp. 75-83.

22. Cf. J. Guérin, « Etudes sur la suette miliaire épidémique », dans Gazette médicale de Paris, 1851, pp. 581-585.

23. Par exemple à Montbéliard, Dr Tuefferd Fils, « Mémoire sur l'ép. de choléra et de suette qui a régné dans l'arrondissement de Montbéliard depuis le mois d'août jusqu'au mois de novembre 1854 », dans Compte rendu de la situation et des travaux de la société d'émulation de Montbéliard, octobre 1855, pp. 47-108.

24. L'expression est employée à l'occasion de l'épidémie de suette d'Issoudun en 1832. (21)

25. Par exemple Jules Roux, de Toulon, «Du choléra cutané et sudoral», dans L'Union médicale, 1857, pp. 533-534, 565-566, 580-582.

26. Sur l'interprétation de la cholérine prémonitoire, voir C. Beauchamp, Formes et sens de la lutte sanitaire au xixe siècle dans le Centre-Ouest de la France, thèse de l'EHESS, 1988.

27. Dr Bourgeois, « D'une ép. particulière de suette, survenue concurremment avec celle du choléra en 1849 à Étampes (Seine-et-Oise) et dans ses environs », dans Archives générales de médecine, novembre 1849, pp. 303-320.

28. Dr Tuefferd, « Mémoire sur l'ép. de choléra et de suette… », op. cit.

29. Rapport du médecin des épidémies de Bergerac au sous-préfet, 10 août 1842. Arch. Dép. Dordogne, 5 M 25.

30. Déjà, lors de l'épidémie de Castres de 1782, « Pujol était convaincu que, dans un grand nombre de cas, l'éruption était factice et due aux moyens qu'on employait pour entretenir les sueurs », cité par Fauconneau-Dufresne, « Rapport (verbal) sur une ép. de s. m. », art cité. On notera l'emploi du mot « factice » à la place de « provoqué par les soins donnés ». « Éruption iatrogène » serait évidemment plus juste, mais ne remplirait pas l'office de dénégation dévolu aux adjectifs « faux », « imaginaire », « factice », etc.

31. Rapport du médecin des épidémies de Nontron, 11 juillet 1841. Arch. Dép. Dordogne 5 M 25

32. Dr Galy, op cit.

33. Le Dr Galy et d'autres médecins ne manquent pas d'insister sur le fait que le malade change de linge, ce qui marque l'inversion du processus morbide en guérison (car dans l'état de maladie, on ne se change pas), et signe d'une metamorphose

34. Dr Alquié, art. cité.

35. Cf. Beauchamp, C., « Fièvres d'hier, paludisme d'aujourd'hui », dans Annales ESC , 1988, n°1,pp. 249275.Google Scholar

36. Par exemple l'hypothèse des paysans des Charentes, reprise par Chantemesse et alii, « La s. m. et le rat des champs », dans Bulletin de l'Académie de médecine, n° 35, 3e série, t. LVI, 1906, pp. 293-299. Ou encore l'idée que les paysans d'Auvergne se font de l'origine de la suette, un « venin de terre ». Cf. Mazuel, Dr, dans Étude sur la suette miliaire, Paris, 1876.Google Scholar En 1855 à Martizay, dans l'Indre, on met en cause une fontaine où même les animaux ne peuvent boire sans y perdre qui ses poils, qui ses plumes. Dr Gaudon, Arch. Dép. Indre 5 M 86.

37. Il émet l'hypothèse que la suette pourrait n'être qu'une « violente perturbation du système nerveux, suite de la terreur qu'inspire le fléau asiatique », c'est-à-dire le choléra. Dr Bourgeois, « D'une ép. particulière de suette », art. cité. L'expression de « suette nerveuse » est de Paulette Chardac, Hist. de la s. m. en Poitou, Paris, 1941.

38. Dr Foucart, De la s. m., de sa nature et de son traitement, op cit.

39. Dr AlquiÉ, art. cité.

40. Dr Bernard, « Rapport médical sur l'ép. de 1887 », dans Poitou médical, oct.-nov. 1887.

41. Dr Parmentier, « Ép. de s. m. Ses caractères dans le canton de Lussac-les-Châteaux », dans Revue de médecine, 1887, t. VII, pp. 725-757 et 947-969.

42. Dr Rousseau, « La s. m. dans le Montmorillonnais… », art. cité.

43. Ibid.

44. Dr Loreau, De la suette du Poitou considérée d'une manière générale, Paris-Poitiers, 1846, 63 p.

45. Dr Parrot, op. cit.

46. Dr Raynal, notice manuscrite au préfet de la Dordogne, 3 août 1842, Arch. Dép. Dordogne 5 M 25.

47. Parrot, op. cit.

48. Dr Bonniot, « Rapport (manuscrit) sur l'ép. de s. m. à Champagne et à Lavalette », 15 août 1841, Arch. Dép. Charente 5 M 27.

49. Rares sont les médecins qui, tel le Dr Reibel, osent accorder quelque mérite à la méthode traditionnelle. Voir son article « Communication sur la miliaire faite à la Société de médecine de Strasbourg», séance des 3 février et 4mai 1876, dans Gazette médicale de Strasbourg, 1er juillet 1876, pp. 73-79.

50. Rapport des Drs Gigon, Brun et Tourette sur l'épidémie de la Charente, 14 juillet 1841, Arch. Dép. Charente 5 M 27.

51. Le maire d'Eymet, 14 août 1842, Arch. Dép. Dordogne 5 M 25.

52. Le maire de Montbazillac, 19 août 1842.

53. Selon le Dr Broulaurière, lettre du 19 août 1842.

54. Dr Reibel, art. cité.

55. Cf. Ardouin, art. cité et encore Pineau, « Notes sur l'ép. de s. m. de l'île d'Oléron », dans Archives générales de médecine, 1882, pp. 25-46 et 169-188.

56. Voir Niot, Dr, « La s. m. de 1926 dans l'arrondissement de Montmorillon », dans Feuilles du Bas-Berry , n° 9, août 1926, pp. 201205 Google Scholar et L. Rousseau, « La s. m. dans le Montmorillonnais », art. cité.

57. Sur le pouvoir régénérateur des textiles dans la médecine traditionnelle, voir Peter, J.-P., « Linges de souffrance, texture de chair. Problèmes et stratégies du pansement », dans Ethnologie française , XIX, 1, 1989, pp. 7581.Google Scholar On en méditera particulièrement la conclusion : « Il apparaît que tout bandage, a fortiori tout l'art qui s'y transcrit, se rattachent aux pratiques d'enveloppement du corps par bandelettes des traditions mortuaires de l'Egypte. Ils en procèdent. Ils en héritent les prestiges. Ces emmaillotements antiques, et les simulacres peints et sculptés qui les recèlent, promettent et soutiennent la gestation d'une vie éternelle ». Remarquons ici tout ce qui lie l'enveloppement textile à la gestation, à la naissance, à la mort et à la résurrection.

58. Rapport du Dr Bonniot au préfet de la Charente, 15 août 1841, Arch. Dép. Charente 5 M 27.