Hostname: page-component-78c5997874-s2hrs Total loading time: 0 Render date: 2024-11-04T19:10:06.354Z Has data issue: false hasContentIssue false

Justice, Crime et Châtiment au Maroc au 16e Siècle

Published online by Cambridge University Press:  26 July 2017

Fernando Rodríguez Mediano*
Affiliation:
CSIC, Madrid

Extract

Dans le deuxième volume des Archives berbères, Louis Brunot décrit un jeu d'enfants à Fès, appelé sheffār-qammār: des enfants assis en cercle jettent tour à tour leurs babouches en l'air. Selon la manière dont elles retombent (c'est-à-dire, avec les deux semelles vers le sol, avec les deux empeignes vers le sol, ou bien avec une semelle et une empeigne vers le sol), l'enfant jouera le rôle d'un sultan, d'un vizir ou d'un voleur. Les règles du jeu exigent que le voleur soit puni seulement s'il existe auparavant un sultan ou un vizir, auquel cas il reçoit une série de coups de ceinture sur la plante des pieds de la part du sultan. Cependant, au cas où il n'existerait ni sultan ni vizir, le voleur ne subit pas de punition.

Summary

Summary

In this article, we have tried to analyze the punitive Systems in 16th-century Marocco as one element in the political power strategy aimed at obtaining a monopoly over legitimate violence. From this particular point of view, we explore the sentences and the forms of execution, their pedagogical and exemplary character, the symbolic meaning of the physical mark, the discourse on order and disorder, etc., all the while emphasizing the fluidity of the frontier between the legal and marginal world.

Type
Les Pratiques de la Justice, 16e-19e Siècles
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1996

Access options

Get access to the full version of this content by using one of the access options below. (Log in options will check for institutional or personal access. Content may require purchase if you do not have access.)

References

2. Brunot, Louis, « Jeux d'enfants à Fès », Archives berbères, II, fasc. IV, 1917, pp. 324325.Google Scholar

3. « Tout se passe dans le discours de l'historien comme si les marginaux étaient là pour la légitimité de l'équilibre du système. Ils sont là pour la légitimité du modèle », Bouroia, Rahma, « Vol, pillage et banditisme dans le Maroc du XIXe siècle », Hespéris-Tamuda, XXIX, 1991, p. 198.Google Scholar

4. A propos de la fonction intégratrice du sultan dans un ordre « transcendant », cf. Jamous, R., Honneur et baraka. Les structures sociales traditionnelles dans le Rif, Cambridge, 1981, p. 227.Google Scholar

5. Cf. Clastres, P., La société contre l'État. Recherches d'anthropologie politique, Paris, 1974 Google Scholar, et plus particulièrement le chapitre « De la torture dans les sociétés primitives », pp. 152-160.

6. Il faut rappeler, évidemment, la définition wébérienne de l'État comme « une entreprise politique de caractère institutionnel [politischer Anstaltsbetrieb] lorsque et tant que sa direction administrative revendique avec succès, dans l'application des règlements, le monopole de la contrainte physique légitime », Économie et société, trad. frse sous la direction de Jacques Chary et d'Éric de Dampierre, Paris, 1971, I, p. 57. Cf. aussi Elias, N., La dynamique de l'Occident (traduction du t. II de Über den Prozess der Zivilisation), Paris, 1990, p. 25.Google Scholar

7. Les implications d'un tel phénomène sont considérables. Cf., par exemple, Garciaarenal, M., « Sainteté et pouvoir dynastique au Maroc : la résistance de Fès aux Sa'diens », Annales ESC, 1990, n° 4, pp. 10191042.Google Scholar

8. Ainsi, sariqa (vol et banditisme), zinā (rapports sexuels illicites), (consommation de boissons alcooliques) et irtidâd (apostasie).

9. Par exemple, le (calomnie).

10. A propos de tous ces extrêmes, cf. Anderson, J. N. D., « Homicide in Islamic Law », Bulletin of the School of Oriental and African Studies, XIII, 1949-1951, pp. 811828.Google Scholar

11. Situation clairement illustrée par l'institution du serment collectif dans le milieu tribal marocain, étudiée par Gellner, E., Saints of the Atlas, Londres, 1969, pp. 104125.Google Scholar

12. Gauvard, C., « De grace especial ». Crime, État et société en France à la fin du Moyen Age, Paris, 1991, 1, p. 71 Google Scholar, souligne aussi le caractère collectif de l'homicide en France à l'occasion d'une étude des lettres de rémission à la fin du Moyen Age. De façon très significative, C. Gauvard établit un parallélisme avec les Nuer, étudiés par Evans-Pritchard. De nos jours, en Turquie, le gouvernement a essayé en 1937 de mettre fin au problème séculaire de la vendetta en promulgant une loi par laquelle les parents proches du coupable d'un assassinat par vengeance pouvaient être déportés et éloignés de leur village. Cette mesure n'a pas réussi — en partie parce que les vengeances pouvaient se reproduire malgré l'éloignement spatial —, et a été abolie en 1962 par le Tribunal constitutionnel car elle transgressait le principe de responsabilité individuelle du délit ( Unsel, A., Tuer pour survivre : la vendetta, Paris, 1990, p. 27 Google Scholar).

13. L'Africain, Léon, Description de l'Afrique, trad. frse d'Épaulard, Paris, 1982, p. 83.Google Scholar

14. Ibid., p. 91.

15. Geremek, B., Les marginaux parisiens aux XIVe et XVe siècles, Paris, réimpr. 1990, p. 25.Google Scholar

16. On trouve une analyse plus détaillée du mécanisme complexe de la mort et de la compensation dans la société traditionnelle rifaine chez R. Jamous, Honneur et baraka…, op. cit., p. 82 ss.

17. Léon L'Africain, Description…, op. cit., p. 81.

18. Ibid., p. 422.

19. Ibid., p. 111.

20. de Cenival, P., Sources inédites de l'histoire du Maroc (SIHM), Portugal, 1re série, I, pp. 316320 (trad. pp. 321-325) et p. 326 (trad. pp. 328-329).Google Scholar

21. 1 ūqiyya = 10 dīnār-s.

22. On peut comparer ces textes avec celui de la tayssa accordée à la zāwiya d'Asul en 1660 : « Lorsque s'agitèrent les vagues des troubles, et que se levèrent les vents de la terreur, et les tempêtes des tourments, se trouvaient parmi les humbles qui prenaient soin [en matière de religion] des rebelles berbères (maradat al-Barābir), les descendants du pôle divin, et du éternel, le sharif idriside Mūlāy Abū Ya'qūb b. ‘Abdallāh Amgār », Mezzine, L., Le Tafilalt. Contribution à l'histoire du Maroc aux XVIIe et XVIIIe siècles, Rabat, 1987, p. 115.Google Scholar

23. Ibid., pp. 337-353, lettre de Nuno Fernandes de Atayde au roi Manuel I du Portugal.

24. de Mármol, Luis, L'Afrique de Marmol, trad. frse de Perrot, Nicolas, sieur d'Ablancourt, Paris, 1667, II, p. 179.Google Scholar

25. Ibid., II, p. 177. On peut se demander si une part de cet argent parvenait aux mains du sultan ou du gouverneur, comme c'était le cas ailleurs. Cf. Emerit, N., « Les aventures de Thédenat, esclave et ministre d'un bey d'Afrique », Revue africaine, XCI, 1948, p. 177.Google Scholar

26. Id.

27. Léon L'Africain, Description…, op. cit., p. 206.

28. Le texte original (Descriptión General de Africa, Grenade, 1574, II, f. 32) parle en réalité de « la justicia que haze el rey de officio sin parte », c'est-à-dire, « la justice que rend le roi quand il n'y a pas de partie ».

29. Luis de Mármol, L'Afrique…, op. cit., II, p. 60.

30. Rappelons ce texte d'Al-Māwardi, : « La correction infligée à des gens respectables appartenant aux classes qui ont de la tenue est moindre que pour les gens de mauvaise vie et grossiers, car le Prophète à dit : “Pardonnez les fautes des gens de condition” » (Les statuts gouvernementaux ou règles de droit public et administratif, trad. Fagnan, d'E., réimpr., Paris, 1982, p. 504 Google Scholar). On peut comparer ce texte avec celui d'Ibn ‘Abdūn : « Le sāhib al-madīna n'absoudra personne pour un délit contre la loi religieuse, sauf s'il s'agit des gens de haut rang, qui seront absous selon le : “pardonnez les fautes des gens de condition” ; pour eux, la répréhension est plus douloureuse que le châtiment physique » (Risālat Ibn ‘Abdūn fī l-qudat wa-l-hisba, Lévi-Provençal, E. éd., dans Trois traités hispaniques de hisba, Le Caire, 1955, p. 17)Google Scholar. L'expression « gens de condition » est la traduction de l'arabe l-hay'āt.

31. Cf. Brunshvig, R., « Justice religieuse et justice laïque dans la Tunisie des deys et des beys, jusqu'au milieu du XIXe siècle », Studia Islamica, XXIII, 1965, pp. 5152 Google Scholar, où l'on étudie la gradation des châtiments selon la condition de la victime, relevant de catégories raciales et sexuelles : les juifs, par exemple, sont brûlés, et les femmes noyées.

32. H. DE Castries, SIHM, Angleterre, 1re série, II, p. 400.

33. P. DE Cenival et P. De Cossé Brissac, SIHM, Angleterre, 1re série, III, p. 488.

34. H. DE Castries, SIHM, France, lre série, II, p. 401.

35. Ibid., III, p. 730.

36. Cf. SIHM, Angleterre, 1re série, III, p. 488. Les caïds des campagnes étaient aussi chargés de l'administration de justice : « Mais il y a un Gouverneur de la part du Chérif qui garde cette place comme la clef du pays, et a soin de recevoir le revenu de la province, et d'administrer la justice dans les causes qui sont de son ressort », L. De Mârmol, L'Afrique…, op. cit., p. 18.

37. Léon L'africain, Description…, op. cit., p. 206.

38. Rappelons ici, par exemple, le récit que Ibn fait de la révolte de Fès en 1250 et de la répression qui s'ensuivit. Plus d'un siècle après, la mémoire de ces événements était tou-jours vivante chez le peuple de Fès et elle exerçait une force de dissuasion face à une quelconque contestation du pouvoir mérinide (Ibn , Histoire des Berbères, trad. frse de Slane, réimpr., 1969, IV, p. 41).

39. Milliot, L. et Blanc, F.-P., Introduction à l'étude du droit musulman, 2e éd., Paris, 1987, p. 597.Google Scholar

40. M. Foucault, Surveiller et punir, Paris, 1993, pp. 49-53, analyse « le fonctionnement de la question comme supplice de vérité ».

41. Mezzine, M., Témoignage d'un faqih sur le temps des marabouts et des chorfa, thèse de doctorat, Université Paris VIII, 1987, III, p. 692 Google Scholar.

42. De Cenival, P., Lopes, D. et Ricard, R., SIHM, Portugal, 1re série, II, p. 238.Google Scholar

43. Faonan, E., Extraits inédits relatifs au Maghreb, Alger, 1924, p. 366.Google Scholar

44. Al-Bakri, , Description de l'Afrique septentrionale, édit. et trad. frse de Slane, , Paris, 1859, pp. 1214 Google Scholar ; trad. pp. 32-35. On pourrait établir un rapport entre cette histoire et la théorie des imperfections physiques qui empêchent l'accès du sultanat. Voir, par exemple, la casuistique développée à cet égard par AL-Māwardī, Les statuts gouvernementaux, 34-38. Cf. aussi Sourdel, D., «Le cas de déchéance du calife », Mélanges E.-R. Labande. Études de civilisation médiévale, Poitiers, 1974, pp. 638639.Google Scholar

45. P. Clastres, loc. cit.

46. Chronique anonyme, pp. 369-370.

47. Rodríguez Mediano, F., « Los ulemas de Fez y la conquista de la ciudad por los Sa'díes », Hespéris-Tamuda, XXX, 1992, pp. 2137.Google Scholar

48. Vajda, G., Un recueil de textes historiques judéo-marocains, Paris, 1951, p. 12.Google Scholar

49. Description…, op. cit., p. 228. Il semblerait que de telles exécutions secrètes n'étaient pas inhabituelles. Le caïd de la garde personnelle du sultan se chargeait de les accomplir : « et s'il faut arrester quelque Gouverneur ou quelque personne de condition, c'est luy que le Roy y envoye, et qui exécute ses ordres secrets », L. De Mármol, L'Afrique…, op. cit., II, p. 185.

50. Léon L'africain, Description…, op. cit.,

51. L'obscurité, ténébreuse et incontrôlable, répand au sein de la communauté des messages de natures très variées. Ainsi la rumeur selon laquelle de nombreuses femmes arabes et juives de Fès empoisonnaient secrètement leurs maris, commettant ainsi des meurtres qui restaient impunis (H. De Castries, Une description du Maroc sous le règne de Moulay Ahmed El-Mansour (1596) d'après un manuscrit portugais de la Bibliothèque nationale, Paris, 1909, p. 52, trad. p. 120). R. Le Tourneau put recueillir une rumeur similaire à Fès pendant la première moitié du 20e siècle, Fès avant le Protectorat, Casablanca, 1949, p. 252.

52. Léon L'africain, Description…, op. cit., p. 191.

53. Ibid., p. 188.

54. R. Le Tourneau, Fès avant le Protectorat, op. cit., p. 255. Il semble que les gardiennes de la prison percevaient des primes additionnelles en obligeant les recluses à se prostituer.

55. C. S. Colin, « Bīmaristān. Occident musulman », Encyclopédie de l'Islam, nouvelle édition, I, pp. 1258a-1262b.

56. Léon L'africain, Description…, op. cit., p. 229.

57. Ibid., pp. 60-61.

58. Cf. Bosworth, C. E., The Mediaeval Islamic Underworld. The Banū Sūsān in Arabie Society and Literature, Leyde, 1976 Google Scholar, où on peut trouver des exemples d'une typologie du voleur et du mendiant telle qu'elle apparaît dans la littérature arabe d'adab et de maqāmāt. Cf., du même auteur, « Liss », Encyclopédie de l'Islam, V, pp. 773b-775a. Cf. aussi Hart, D., Banditry in Islam. Case Studies from Morocco, Algeria and the Pakistan North West Frontier, Kent, 1987 Google Scholar, où l'auteur étudie des cas de brigands dans le monde islamique, et plus particulièrement dans le domaine nord-africain, tout en discutant le modèle du bandit social proposé par Hobsbawm, E., The Bandits, Londres, 1969.Google Scholar

59. Rosenthal, F., Gambling in Islam, Leyde, 1975 Google Scholar, analyse l'identification entre « voleur » et « joueur » (liss muqāmir ou liss mulā'ib).

60. Bien que la position des ‘ulamā’ par rapport à la consommation du hashish soit moins déterminée que celle sur le vin, l'attitude la plus générale penchait pour la condamnation. S'adonner à la drogue avait ainsi un caractère anti-social, et les consommateurs étaient relégués dans certains endroits et quartiers de la ville. Cf. Rosenthal, F., The Herb. Hashish Versus Médiéval Muslim Society, Leyde, 1971, pp. 101105 Google Scholar, 137-140.

61. A propos de la polémique au Maroc sur la consommation du tabac, cf. M. Hajji, L'activité intellectuelle au Maroc à l'époque sa'dide, Rabat, 1976-1977,1, pp. 292-317.

62. On peut traduire comme « saint attiré [par Dieu] ». Des transports mystiques subits et un comportement souvent anti-social et extravagant sont ses attributs. La proximité entre le fou et la est évidente. En fait, on peut trouver des exemples de enfermés dans le maristān et qui, malgré cela, sont l'objet de la dévotion populaire. Cf. Rodríguez Mediano, F., « Santos arrebatados. Algunos ejemplos de en la Salwat alanfās de Muhammad al-Kattānī », Al-Qantara, XIII, 1, pp. 233256.Google Scholar

63. Cf., par exemple, De Premare, A.-L., Sidi ‘Abd-er-Rahman el-Mejdub, Paris, 1985.Google Scholar

64. L'équivalence entre le monde du maristān, avec ses fous, ses gardiens, ses cellules et ses fers, et le monde extérieur et ses relations de domination, est spécialement significative. Un texte de la Nuzhat al-ḥādī révèle la réponse qu'Aḥmad al-Manṣūr donna au cadi de Fès ‘Abd al-Wāḥid al-Ḥumaydī lorsque celui-ci récrimina contre lui parce qu'il avait vu un groupe d'hommes et de femmes enchaînés conduits par les troupes du sultan : « c'est au prix de ce que tu as vu que tes compagnons et toi-même avez pu voyager en sûreté pendant dix jours. Les gens du Maghreb ne sont que des fous, dont les seuls remèdes (mâristân) sont les chaînes et les fers », Al-Ifrāni, , Nuzhat al- ḥādī, édité par Houdas, O., Paris, 1888, p. 158 Google Scholar. La folie, équivalente en termes juridiques à l'enfance (L. Milliot et F.-P. Blanc, Introduction…, op. cit., p. 223), construit un espace où s'exercent en même temps une tutelle légitime et un système répressif. Dans le texte cité, al-Mansūr définit le « peuple » comme une sorte de corps collectif sur lequel est construit un discours de pouvoir.

65. Sur la notion générale de la fitna et son développement, notamment à partir de la première guerre civile subie par la communauté musulmane, cf. Gardet, J., « Fitna », Encyclopédie de l'Islam, II, pp. 952a953a.Google Scholar

66. Léon L'africain, Description…, op. cit., p. 188. Léon l'Africain, lui-même, travailla comme secrétaire au maristān pendant deux ans, « suivant la coutume des jeunes étudiants ».

67. En dehors de ce modèle de gestion, tout contact avec le monde de la dégradation est déconseillé. C'est le cas de ceux qui, par charité, s'approchent confiants des cellules des fous, sans être munis des cannes utilisées d'habitude par les gardiens : « le fou l'empoigne d'une main par les vêtements et, de l'autre main, lui barbouille la figure d'excréments » (ibid.).

68. Bée, M., « Le spectacle de l'exécution dans la France d'Ancien Régime », Annales ESC, 1983, nº 4, p. 847.Google Scholar

69. G. Vajda, Recueil…, op. cit., pp. 19-20.

70. Ibid., p. 17. Le motif est bien connu dans l'histoire nord-africaine : rappelons les cas du marabout al-Niyāl, qui participa à une rébellion contre les Ottomans à Tripoli (cf., par exemple, Al-Tamgrūti, , Al-Nafḥa l-miskiyya fī l-sūfāra l-turkiyya, trad. frse de Castries, H., Paris, 1926, pp. 3134 Google Scholar), et d'Abū Yazīd, l'homme à l'âne. Le traitement infligé au cadavre de celui-ci fut particulièrement cruel : écorché et bourré de coton, il fut envoyé à al-Qayrawān. Une fois arrivé, « on retira Abu Yazīd de son cercueil, on l'affubla d'une chemise et d'un bonnet blanc ; puis on le posa jambe deci, jambe delà sur un chameau avec un homme en croupe pour le tenir en équilibre. A droite et à gauche de la monture furent fixés deux bâtons, sur lesquels on attacha deux singes dressés d'avance à lui lancer des soufflets et à lui tirer la barbe » ; Le Tourneau, R., « La révolte d'Abū Yazīd au Xe siècle », Cahiers de Tunisie, I, 1953, p. 122.Google Scholar

71. G. Vajda, Recueil…, op. cit., pp. 19-20.

72. Ricard, P., Mazagan et le Maroc sous le règne du sultan Moulay Zidan (1608-1627), d'après le « Discurso » de Gonçalo Coutinho, gouverneur de Mazagan (1629), Paris, 1956, pp. 8081 Google Scholar. Dans les deux derniers exemples, les victimes n'étaient pas des musulmans, ce qui souligne le sens discriminatoire du châtiment.

73. H. De Castries, SIHM, Pays-Bas, lre série, I, p. 504.

74. « Le roi de Fez pénétra dans Tlemcen par la force des armes, le saccagea, puis fit emmener à Fez le roi de Tlemcen prisonnier, où on lui trancha la tête et jeta son corps aux immondices de la ville », Léon L'africain, Description…, op. cit., p. 326.

75. Cf. Ibn ‘Askar, qui raconte, par exemple, l'histoire d'un ennemi de sa famille dont le corps fut dépecé et jeté dans le puits d'un juif comme conséquence d'une malédiction que la mère du propre Ibn ‘Askar avait lancée contre lui (Dawḥat al- , Mohammed Hajji éd., Rabat, 1977, p. 26).

76. Au Tunis ḥafṣide, par exemple, « le métier occasionnel et infamant de bourreau leur était souvent imposé, qu'il s'agît d'une exécution capitale ou d'une amputation de membre conforme au droit pénal musulman », Brunshvig, R., La Berbérie orientale sous les Hafsides, des origines à la fin du Xe siècle, Paris, réimpr. 1982, I, p. 409, n. 4.Google Scholar

77. Cf. Morsy, M., La relation de Thomas Pëllow. Une lecture du Maroc au 18e siècle, Paris, 1983, pp. 7896 Google Scholar. On peut trouver, dans le même ouvrage (p. 115), la mention d'un bourreau d'Exeter appelé Absalon.

78. Al-Nuwayrī, dans Ibn , Histoire des Berbères, op. cit., II, p. 14, n. 1. Il existe d'autres exemples de cannibalisme dans le cadre de l'Islam. Ainsi, on raconte que le safawide Ismā'īl donne, après la conquête de Mazandaran, l'ordre de rôtir deux capitaines ennemis et de les manger comme kabāb : « celui qui pense être un véritable croyant doit manger un morceau de ce kabāb ». Les sūfī-s accomplirent l'ordre avec un tel zèle qu'ils ne laissèrent même pas les os des victimes, Savory, R. M., « The Consolidation of Ṣafawid Power in Persia », Der Islam, 41, 1965, p. 74 Google Scholar. Une légende maintes fois reprises parle d'un prophète qui fut envoyé aux Berbères et qui fut mangé par eux, cf., par exemple, Justinard, , La rihla du marabout du Tasaft, Rabat, 1940, pp. 4243 Google Scholar. La conquête d'al-Andalus connaît aussi un épisode de cannibalisme où les victimes sont des prisonniers chrétiens, dévorés par les Noirs de l'armée de Tāriq, bilād al-Andalus, éd. et trad. espagnole Luis Molina, Madrid, 1983, p. 98 ; trad. p. 106. Cf. aussi Vida, G. Levi Della, « Il motivo del cannibalismo simulato », Note di storia letteraria Arabo-Ispanica, Rome, 1971, pp. 93201.Google Scholar

79. Léon L'africain, Description…, op. cit., p. 150.

80. Chronique anonyme, p. 455. Cet exemple et d'autres renvoient à celui de l'existence d'enfants dans les massacres de l'époque des guerres de Religion en France, Crouzet, D., Les guerriers de Dieu. La violence au temps des guerres de Religion. Vers 1525-vers 1610, Mayenne, 1990, pp. 7591 Google Scholar.

81. Comparons cela, par exemple, avec ce que G. Ville (ou P. Veyne) raconte sur la présence de femmes et d'enfants dans des actes de violence à Rome et plus spécialement en ce qui concerne le cas de Caligula : « on voit aussi que les enfants et les femmes sont traités comme des espèces de corps constitués, à la manière de juvenes dans les cités sous l'Empire », « Religion et politique : comment ont pris fin les combats de gladiateurs », Annales ESC, 1979, n° 4, pp. 664-665. Cf. aussi A. Farge, « Évidentes émeutières », dans A. Farge et N. Zemon Davis (sous la direction de), Histoire des femmes en Occident, III, XVIIIe-XVIIIe siècles, Paris, 1991, pp. 481-498, et surtout le paragraphe intitulé « La femme et l'enfant ».

82. G. Vajda, Recueil…, op. cit., p. 19.

83. Telle est, au moins, l'identification que fait G. Vajda dans son édition, en corrigeant le « as-Sama'idi » originel, ibid., n. 2.

84. Ibid., n. 6.

85. A comparer avec le cas du Tunis beycal : « La foule se pressait aux exécutions publiques et répondait par un « es-smāḥ » (= tu es pardonné) à la demande de pardon du condamné […] ; le peuple, souvent, jette des pierres aux exécuteurs et cherche à saisir des morceaux de vêtement du supplicié comme porte-bonheur », R. Brunshvig, « Justice religieuse et justice laïque », op. cit., p. 64. Malgré le manque de textes sur la réaction populaire devant les exécutions au Maroc, on peut supposer qu'elle était la même que celle décrite par Brunshvig, et elle semble être universelle lorsque le rituel a un caractère purificateur, M. Foucault, Surveiller et punir, op. cit., pp. 75-78.

86. Ibn ’Askar, Dawhat…, op. cit., p. 32.

87. Pour rendre plus évident le sens « réinstaurateur » de l'exécution publique, on peut comparer les exemples cités avec le travail de J. Waterbury sur le coup d'État manqué au Maroc en 1971 et son dénouement (” Le coup manqué », Gellner, E. et Micaud, C. éds, Arabs and Berbers, Lexington-Londres-Toronto, 1972, pp. 397423 Google Scholar) : face à la côte atlantique, le roi contemple avec des jumelles la fusillade des condamnés. Ensuite, leurs corps sont jetés dans une fosse commune. « Peu après, des bulldozers jetèrent sans aucun respect [unceremoniouslyj les corps à l'intérieur d'une fosse ouverte. Puis, on jeta de la soude caustique sur eux et la fosse fut fermée » (p. 413). « L'exécution des rebelles et la profanation de leurs corps [furent] montrées plus tard à la télévision marocaine » (p. 418).

88. Cf. Dakhlia, J., L'oubli de la cité. La mémoire collective à l'épreuve du lignage dans le Jérid tunisien, Paris, 1990, pp. 201211.Google Scholar

89. Rappelons par exemple les événements révolutionnaires de Fès de 1465. La rébellion, loin de constituer un déchaînement aveugle de violence, répond plutôt au modèle offert par le sacrifice musulman, M. García-Arenal, , « The Révolution of Fas in 869/1465 and the Death of Sultan ‘Abd al-Haqq al-Marīnī », Bulletin of the School of Oriental and African Studies, XLI, 1978, pp. 4366 CrossRefGoogle Scholar. Une telle référence sacrificielle ne fournit pas seulement « des conditions pour un massacre sans culpabilité » (N. Zemon Davis, Les cultures du peuple. Rituels, savoirs et résistances au 16e siècle, Paris, 1979, p. 284), mais réaffirme, par son caractère sacré, la légitimité du nouveau régime chérifien issu de la révolte.

90. Modèle valable même pour le monde des génies. Ainsi, le roi des djinns donne l'ordre de crucifier, à la demande du saint ‘Alī , un de ses sujets qui avait séquestré une jeune fille, Ibn Askar, Dawhat…, op. cit., p. 62.

91. Pour ce paragraphe, on pourra trouver des équivalences dans le livre de P. H. Stahl, Histoire de la décapitation, Paris, 1986, et notamment dans les chapitres intitulés « Tête et corps séparés », pp. 77-80 et « Exposition des têtes », pp. 91-100.

92. Rappelons le cas cité précédemment du dernier sultan wattâside, Abū Ḥassūn.

93. F. Rodríguez Mediano, « Los ulémas de Fez », op. cit., p. 26.

94. Al-Qādirī, , M. Hajji et A. Taoufio éds, Rabat, 1977, I, p. 232.

95. On peut trouver de nombreux exemples de hadīths allant dans ce sens dans le volume VI d'A. J. Wensink, Concordance et indices de la tradition musulmane, Leyde, 1967, entre les pages 295 et 302, formulés différemment : « Qui sort de l'obéissance, s'écarte de la communauté et meurt, meurt à la manière d'un païen » ; « qui meurt sans imāzm, meurt à la manière d'un païen », etc.

96. de Gois, Damiao, Les Portugais au Maroc de 1495 à 1521 (Extraits de la « Chronique du roi Manuel du Portugal »), trad. frse de Ricard, P., Rabat, 1937, p. 90 Google Scholar. Cette histoire est encore plus significative si l'on considère que les musulmans n'avaient pas l'habitude de récupérer les cadavres de leurs camarades morts dans les batailles contre les Portugais, SIHM, Portugal, 1re série, II, p. 340.

97. Ageron, C.-R., Les Algériens musulmans et la France (1871-1919), Paris, 1968, 1, p. 238, n. 1.Google Scholar

98. « Dis : “L'Ange de la mort auquel vous êtes confiés vous recueillera ; puis vous serez ramenés vers votre Seigneur” », Coran, 32 : 11, trad. frse D. Masson, Paris, 1967.

99. « Lorsque l'âme remonte au gosier d'un moribond », Coran, 56 : 83.

100. Kably, M., Société, pouvoir et religion au Maroc à la fin du Moyen Age, Paris, 1986, p. 277.Google Scholar

101. On pourrait voir un rapport entre ce cadavre promené et l'institution de la ḥarka sultanienne, en tant que symboles itinérants du pouvoir. Cf. Dakhlia, J., « Dans la mouvance du prince : la symbolique du pouvoir itinérant au Maghreb », Annales ESC, 1988, n° 3, pp. 735760.Google Scholar