Published online by Cambridge University Press: 26 July 2017
Mon projet est ici de reprendre l'analyse de l'une des configurations de cette relation amoureuse que les critiques modernes ont coutume, depuis Gaston Paris, de nommer amour courtois, et que les auteurs médiévaux appelaient fin ‘amor. La configuration qui sera étudiée ici, c'est celle qui dans le nord de la France a connu sa parfaite représentation à travers les couples de Lancelot et Guenièvre d'une part, de Tristan et Yseut d'autre part. Par rapport aux autres types possibles de l'amour courtois, celui-ci se caractérise par le fait qu'il unit un jeune homme célibataire et une femme mariée qui est d'un rang social supérieur : c'est la relation amoureuse spécifique de la littérature des troubadours.
Several features which characterize courtly love have remained enigmatic until the present time. This study suggests an interpretation which would permit taking this factor into account. The analysis concerns that category of courtly love which unites a young bachelor knight with a married woman of noble status : Tristan and Yseut, Lancelot and Guenevere are the perfect models.
A comparison of the tales in verse of the late 12 th century with the written prose version of a half-century later reveal a striking change : the passion which connects the lovers is nevertheless mediated, and always by a masculine figure. The author thus suggests that this type of adulterous courtly love can be seen as the displacement, the figurative expression of a still more transgressive love, of a relationship of homosexual seduction connecting the young knight and the master. This hypothesis, which does not run counter to the interpretations of G. Duby and E. Köhler, takes into consideration the complexity of relationships of opposition or of affection which could bend men together in feudal society.
1. Ces réflexions doivent beaucoup à une recherche que Michèle Perrot et moi-même poursuivons sur les transgressions des interdits sexuels dans les oeuvres littéraires du Moyen Age : elles ont été élaborées en marge de ce travail en quelque sorte.
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7. « Facetae etiam mulieres… nullius amorem habere dignabantur, nisi tertio in militia probatus esset. Efficiebantur ergo castae quaeque mulieres et milites pro amore illarum nobiliores », chap. 157, 1. 37-52.
8. Livre II, chap. vu, jugement d'Ermengarde de Narbonne, n° 15 : je cite la traduction de Claude Buridant, Paris, Klincksieck, 1974.
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11. Le séminaire, livre XX, Encore, Paris, Éditions du Seuil, 1975, p. 79 : « J'ai fait alors une allusion à l'amour courtois, qui apparaît au point où l'amusement hommosexuel était tombé dans la suprême décadence, dans cette espèce de mauvais rêve impossible dit de la féodalité… L'amour courtois est resté énigmatique. »
12. Le Roman de Tristan, t. I, § 263, p. 138.
13. Ibid., t. I, § 267, p. 139. « … tant bel et tant gent qu'il sembloit que Diex l'eùst fait por esgarder. »
14. Ibid., t. I, § 286, pp. 146-147 : « … ont tuit li demoisel de la meson le roi Marc sor li grant envie, si qu'il ne sevent qu'il doient faire, fors qu'il muèrent de duel et d'anui… »
15. Béroui., , Le Roman de Tristan, Muret, E. éd., revue par Defourques, L. M., Paris, Champion, 1967, V. 123–125.Google Scholar
16. Le Roman de Tristan, t. I, § 292, p. 149.
17. Lancelot, Micha éd., t. VII, p. 274 : « … s'il li avoit samblei biax en son venir, noiens estait envers la biauté qu'il avoit ore… »
18. Lancelot do Lac, E. Kennedy éd., 2 vols, Oxford, Clarendon Press, 1980 ; 1.1, p. 263. J'utilise cette version pour la partie du texte non encore éditée par A. Micha.
19. Ibid., t. I, p. 264.
20. Lancelot, Micha éd., t. I, p. 10.
21. Id., ibid, t. I, p. 11.
22. Lancelot do Lac, E. Kennedy éd., t. I, p. 264.
23. Ibid., t. I, p. 293.
24. Ibid., t. I, p. 324.
25. Ibid., t. I, pp. 324-325.
26. Ibid., t. I, p. 325 : « Se toz li monz estait miens, si li oseroie ge tôt doner. »
27. Lancelot, Micha éd., t. I, p. 38.
28. Id., ibid, t. I, p. 40.
29. Id., ibid., 1.1, p. 3 : « Mais nule dolor ne s'apareille a ce que Galehout sueffre, kar il avoit mis en l'amor Lancelot tôt ce que hom i pooit mètre, cuer et cors, et tote honor, qui miels valt. Il li avoit si doné son cors qu'il amast miels a veoir sa mort que la Lancelot ; il li avoit si doné son cuer, la ou il ne pooit avoir joie sans lui. Et por lui fist il si grant amor qu'il cria merci le roi Artu, et si l'avoit il torné a desconfiture et aproché d'estre deserité. »
31. Lancelot, Micha éd., t. II, p. 212.
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34. Ibid., t. I, p. 341.
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