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Réflexions sur la Conjuration des Égaux

Published online by Cambridge University Press:  25 May 2018

Richard M. Andrews*
Affiliation:
John Jay College, City University of New York

Extract

Chacun sait que l'épopée de la Conjuration des Égaux recèle de multiples possibilités d'interprétation et sujets de débats historiques : la dynamique interne de la Révolution parisienne et la charnière de 1793-an II ; le rôle de la réaction thermidorienne en tant que catalyseur dans la mutation de la conscience révolutionnaire en l'an IV ; le prophétisme de Gracchus Babeuf et les origines du socialisme révolutionnaire ; la postérité complexe, et si galvaudée, des Égaux… Cette prolifération thématique n'aurait nullement déplu aux génies fondateurs de la légende épique de la Conjuration, car Babeuf et Buonarroti hantent toujours l'étude de ce drame si ténébreux ainsi que la sensibilité de la plupart de ses historiens.

Type
Ancien Régime et Révolution : Réinterprétations
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1974

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References

1. Pour une bibliographie complète de ces travaux, l'on consultera: V. Daline, A. Saitta, A. Soboul, Inventaire des manuscrits et imprimés de Babeuf, Paris, Commission d'Histoire économique et sociale de la Révolution française, Bibliothèque nationale, 1965. Les communications du Colloque de Stockholm ont été publiées dans Babeuf et les problèmes du babouvisme, Éditions Sociales, Paris, 1963. Voir aussi Dommanget, Maurice, Sur Babeuf et la Conjuration des Égaux, Paris, Librairie François Maspero, 1970 Google Scholar; et Mazauric, Claude, Babeuf et la Conspiration pour l'Égalité, Paris, Éditions Sociales, 1962 Google Scholar.

2. Seul parmi les historiens de Stockholm, Albert Soboul a esquissé un portrait collectif des hommes qu'on trouve sur les listes de Babeuf: « Personnel sectionnaire et personnel babouviste », dans Babeuf et les Problèmes du babouvisme.

3. L'essai que voici est une forme abrégée d'une étude générale sur la Conjuration, à paraître prochainement.

4. « Note sur la répression contre le personnel sans-culotte de 1795 à 1801 », dans Terreur et Subsistances, Paris, Librairie Clavreuil, 1964, pp. 179-210. Cette étude avait été publiée dans les Annales historiques de la Révolutions française en 1954. Elle a été évoquée à Stockholm par Claude Mazauric (Babeuf et les problèmes du babouvisme, p. 298), mais seulement pour appuyer, plutôt accessoirement, l'affirmation d'albert Soboul que la majorité des participants de la Conjuration relevaient du métier artisanal et de l'échoppe.

5. Notre documentation essentielle sur la composition et les activités de la Conjuration et sur les techniques policières est constituée par les sources suivantes: F7 3005 (rapports du Bureau Central du Canton de Paris); F7 3688/5 à 9 (rapports secrets des agents et indicateurs de la Police générale); F7 3828 (rapports quotidiens de l'État-Major général de Paris); F7 4276, 4277 et 4278 (rapports et instructions de police et papiers saisis chez Babeuf); W 559, 560 et 566 (interrogatoires des prévenus et pièces à charge du jury d'accusation du canton de Paris); Copie des pièces saisies…, Paris, Impr. nat., a n V, 334 p.; Suite de la copie des pièces saisies…, Paris, Impr. nat., an V, 334 p. Nous avons également compulsé la cinquantaine de cartons des procès-verbaux des commissaires de police sectionnaires aux Archives de la Préfecture de Police (A.P.P.), pour la période ventôse-fructidor an IV; c'est une source capitale pour l'étude détaillée des vies, des activités et de la propagande des conjurés au niveau du quartier.

6. Sur les administrateurs de la police municipale de l'an II — dont quatre seront agents d'arrondissement de la Conjuration des Égaux — voir: Archives nationales (A.N.), D III 251-252, liasse 2; F1b II Seine, 18; F7 4775/53, Zimmermann. Dans ce même dossier Zimmermann, il y a un tableau de tout le personnel du Ministère de la Guerre de l'an II qui n'a été analysé que partiellement par le général Herlaut dans son ouvrage Le Colonel Bouchotte ministre de la Guerre en l'an II, Paris, 1946, 2 vol. Il est à souhaiter qu'un chercheur reprenne intégralement ce tableau comme base d'une étude sociale et politique de la composition de ce ministère en 1793-an II.

7. La source de base pour l'étude du personnel de la Police générale des années IV à VI est le tableau dans A.N., AF III 28, liasse 95. Voir aussi A.N., Flb I 102 (organisation intérieure du Bureau Central du Canton de Paris); A.P.P., Db 360, liasse IV (l'état nominatif du personnel du Bureau Central pendant le Consulat); A.N., F7 4257 (personnel de la Police générale, 1812-1815). Pour une étude statistique de l'ensemble du personnel des ministères du Directoire en l'an VI, voir C. Church, « The Social Basis of the French Central Bureaucracy under the Directory », Past and Présent, avril 1957, pp. 59-72.

8. Voici quelques exemples, parmi bien d'autres, de ce parallélisme et de ce chevauchement. J.-B. Turgan, le chef de la IIIe Division de la Police générale à l'époque de la Conjuration, était un ancien meneur « sans-culotte » du faubourg Saint-Marceau des années 1792-an II; il avait connu Juste Moroy, l'agent de la Conjuration dans le XIIe arrondissement, depuis au moins l'été 1792, lorsque les élites insurrectionnelles des deux Sections du Finistère et de l'observatoire firent ensemble la mobilisation pour la « journée » du 10 août. Ancien premier commis au bureau de Liquidation, il avait été membre des comités du District de Saint-Victor et de la Section de l'observatoire de 1790 jusqu'en l'an III, et avait présidé les assemblées de la Section aux mois de mai et de septembre 1793 — y compris celle qui vota la fameuse revendication d'un jury special et populaire contre les crimes d'accaparement des subsistances (A.N., D III 255-256/1, liasse 1; F7 2514; F30 157; Bibl. hist. Ville de Paris (B.H.V.P.), ms. 747, ff. 51-52). Alexandre Lachevardière, ancien clerc de notaire et meneur jacobin de la Halle-au-Blé, avait milité avec Mathurin Bouin, l'agent de la Conjuration dans l'arrondissement, aux Halles, aux Jacobins et à la Commune. A partir de 1792, il mena parallèlement une carrière gouvernementale (Caisse de l'extraordinaire, administration du Département de Paris) et une carrière sectionnaire, les deux liées par son adhésion jacobine: il fut commissaire national du Comité de Salut Public en Vendée en été 1793, après avoir été l'un des organisateurs du mouvement anti-girondin aux Halles en avril et mai 1793 (A.N., F7 4755, dossier (d.) Lachevardière; A.P.P., Aa 266, liasse Halle-au-Blé; B.N., nouv. acq. franc, ms. 2686, fi. 52-53). En l'an IV, il sera secrétaire général du Ministère de la Police générale. Aristarque Didot, ancien basochien et parent des Firmin-Didot, avait été un chef cordelier de la Section de la Réunion en 1793-an II, et président de son comité révolutionnaire lors des premières grandes prescriptions de 1793; là, il avait collaboré avec Claude Mulot- Danger et la plupart des futurs militants de la Conjuration au Marais (A.N., F7 4677, d. Didot; W 11, liasse 529). Après sa libération de prison à la fin de l'an III, il entra au Ministère de la Police générale, dès sa création. Les principaux administrateurs du Bureau central du Canton de Paris à l'époque de la Conjuration — Claude Maisoncelle, Alletz, Bréon, Royou-Guermeur, L.-C. Limodin, André Houdeyer — avaient presque tous des passés de militants jacobins. Maisoncelle, ancien secrétaire de la Ferme générale et personnage brillant de la Section Molière-et-La Fontaine (celle de Claude Menessier, le futur chef de la Conjuration dans le I I I e arrondissement) en 1792-an II, avait été un émissaire terroriste du Comité de Sûreté générale dans la Seine-et-Oise en l'an II (A.N., D XLII, f. 44; F7 4773/31, d. Maisoncelle). Le chef de la comptabilité du Ministère de la Police générale — et donc le grand commis des fonds secrets — fut Claude Heudelet, un ancien contrôleur aux aides; en 1793 il était passé par les bureaux du Ministère de la Guerre et de l'inspection financière des Subsistances Militaires, organismes qui employèrent bon nombre de futurs conjurés (A.N., F7 4743, d. Heudelet).

9. Jusque dans les bureaux de la Police impériale de 1812-1814, l'on retrouve un noyau d'administrateurs de la Police générale et du Bureau central de l'an IV. Et l'on y remarque, parfois comme chefs ou sous-chefs de division, la présence d'hommes qui avaient joué des rôles importants — sinon doubles — dans l'affaire de la Conjuration. Retenons-en J.-J. Pierron. « L'un des plus dangereux intrigants de la Section », selon les thermidoriens de la Croix-Rouge, il avait été l'un des principaux cadres jacobins du faubourg Saint-Germain: officier de la Société populaire, commissaire révolutionnaire en 1793, il devint en l'an II chef de bureau dans la Commission d'agriculture et de Subsistances. A l'époque de la Conjuration, il fut l'un des administrateurs du Xe arrondissement, où il entretenait des rapports assez troubles avec les conjurés du quartier. Acquitté à Vendôme, cet ancien huissier d'une cour prévôtale entra vers la fin de l'an V dans les bureaux de la Police générale, où il resta jusqu'à la Seconde Restauration (A.N., F7 4276; 4727, d. Gobo, A.; F7 4257; A.P.P., Aa 149, f. 28; B.H.V.P., ms. 743, f. 253). Simon Duplay, parent du père Duplay, ancien hôte de Robespierre, y figure également. Peu après l'acquittement de son père à Vendôme, il entra dans les bureaux de la Police générale. Dans le tableau du personnel en 1813, il figure comme ayant perdu une jambe à Valmy; dans celui de la Première Restauration, la jambe aurait été perdue « au service du Roi avant la Révolution »; dans celui des Cent Jours, la jambe ubiquitaire aurait été perdue encore une fois à Valmy (A.N., F7 4257).

10. Histoire des populations françaises, Paris, Éditions du Seuil, 1971, p. 302.

11. « Note sur la répression contre le personnel sans-culotte ».

12. A.N., F7 4276. Sur le passé collectif de ces deux groupes de la Section des Lombards, voir: A.N., D III 239, ff. 83-89 et 253, liasse 16; F1* 2485, F7 4580, d. Appert; F’ 4766, d. Larue, J.-B.; F ‘ 4774/24, d. Limodin; A.D.S., 4 AZ 698; A.P.P., Aa 266, ff. 175-76.

13. Le comité directeur de la Conjuration fut conscient de ce fait: ses tentatives et espoirs les plus intenses de prosélytisme, parmi les anciens sectionnaires, portèrent sur les quartiers de la ville centrale, et non sur ceux des faubourgs. Voir A.N., F7 4276, 4277 et la Copie des pièces saisies…

14. L'analyse suivante est basée sur le dépouillement de la plupart des textes provenant des assemblées et des clubs des Sections du faubourg, dans les divers dépôts d'archives parisiens, à la Bibliothèque nationale et au British Muséum; les recherches dans les procès-verbaux des commissaires de police du faubourg, aux Archives de la Préfecture (A.P.P., 173, 219, 220-221); les tableaux divers du personnel dirigeant de 1792-an II, notamment les commissaires civils (A.N., D III 251-252, liasse 2, 255/256/1, liasse 3; F1b II Seine, 18; Almanach national, 1793), les juges de paix et assesseurs (A.N., D III 253, liasses 19, 22, 24) et les commissaires révolutionnaires (A.N., BB3 83, liasse 3; B.H.V.P., ms. 807, f. 163; John Rylands Library, Manchester, Fr. Mss. 110); le dépouillement d'une centaine de dossiers des militants du faubourg dans la sous-série F ‘ alphabétique des fonds du Comité de Sûreté générale aux Archives nationales. Nous avons essayé ainsi de reconstituer les cadres, une centaine, qui semblent avoir formé l'élite dirigeante officielle du faubourg pendant ces années. Ensuite, nous avons compulsé les quelque quatorze mille enregistrements de cartes de sûreté et de recensement dans les trois sections en 1793-an II, pour arriver aux renseignements démographiques et biographiques sur ces hommes (A.N., F7 4800, Section de la rue de Montreuil; 4803, Section de Popincourt; 4804, Section des Quinze-Vingts). Nous avons également utilisé les trois cartons A.N., F30 132, 141, 142, pour établir la répartition et les hiérarchies de la production, artisanale et manufacturière, au faubourg au début de la Révolution. Cette analyse, qui ne porte que sur l'élite officielle de la région en 1792-an II, ne prétend nullement être exhaustive; son but n'est que de dégager les structures essentielles du pouvoir révolutionnaire à l'intérieur du faubourg.

15. A l'exception du « père » Damoye, très âgé en 1789, ils furent tous commissaires permanents de leurs Districts et Sections, électeurs et commissaires de bienfaisance. Le « père » Caumont fut membre du tribunal de paix de l'arrondissement et, en l'an II, l'agent national du comité civil des Quinze-Vingts, tandis que le « père » Chauvin, membre des Jacobins depuis 1790, fut juge de paix de la Section de Montreuil jusqu'en l'an III (A.N., D III 253, liasses 19 et 24; F1b II Seine, 18; F30 132, 141, 142). Doyens duj clan, Rebours, Isaac-Simon, rue de Charonne, et Simon, rue Basfroid, étaient issus au moins de la deuxième génération d'une famille du faubourg; ils avaient au moins quatre fils et neveux d'âge adulte en 1789, tous compagnons ou maîtres ébénistes, implantés dans les quartiers de la rue de Montreuil et des Quinze-Vingts (A.N., F7 4800, liasse « cartes an II »; F7 4804, liasse rue Basfroid; F7 4804, liasse 2). En 1790-91, Isaac-Simon Rebours employait une moyenne de seize ouvriers et compagnons dans son atelier d'ébénisterie (A.N., F30 142, d. Rebours). J.-P. Bertrand avait immigré au faubourg en 1763, comme l'avait fait Pierre Chauvin en 1742, venant des environs de Montargis (A.N., F7 4804, liasse 24e compagnie; F7 4800, liasse 23e compagnie). Le « père » Caumont était né dans la paroisse Sainte-Marguerite (F7 4804, liasse 24e compagnie). Pierre Chauvin employait une moyenne de dix ouvriers dans sa fabrique de chapellerie, rue de Lappe; en 1792 il céda l'entreprise à ses fils pour se consacrer à ses responsabilités de juge de paix de la Section (A.N., F30 142, d. Chauvin). J.-P. Bertrand, maître-ébéniste, en employait une moyenne de six, et Jean Caumont, une moyenne de onze (F30 132, dossiers Bertrand et Caumont).

16. Pierre-Noël Chauvin fut un officier des assemblées de la Section de Montreuil, député à la Commune du 10 août et l'un des rédacteurs de la célèbre pétition insurrectionnelle du faubourg Saint-Antoine du 2 mai 1793 (A.N., F7 4635, d. Castille). Antoine Bertrand fut un commissaire révolutionnaire et le commissaire aux accaparements des Quinze-Vingts (A.N., D III 262). J.-C. Caumont, maître à son propre compte d'un atelier d'ébénisterie qui employait une moyenne de neuf ouvriers en 1790 (A.N., F30 132, d. Caumont fils), fut un officier du comité civil des Quinze-Vingts en 1793-an II (A.N., Flb II Seine, 18).

17. Electeur en 1789, notable de la Commune de 1791-92, député à la Commune du 10 août, administrateur exécutif du Département de Paris en 1793-an II, il fut à la fois un représentant du faubourg auprès des hautes instances municipales et gouvernementales et l'un des meneurs jacobins de la Section de Montreuil. Voir: A.N., F7 4660, d. Damoye; F7 4800, liasse 23e compagnie; A. Damoye, « Pétition présentée au Directoire exécutif et au ministre des finances par les acquéreurs du ci-devant Château de Chantilly », Paris, s.d., 4 p., B.N., 40 LK7 1837.

18. Pour une description statistique de la sévérité du tri social des immigrants au faubourg à la fin du siècle, voir l'étude de Martine Sevegrand sur la démographie de Popincourt: « La Section de Popincourt pendant la Révolution française », dans Contributions à l'Histoire démographique de la Révolution française, IIIe série, Paris, 1970, pp. 9-91. Des quatre mille personnes de la population adulte masculine décomptées dans le recensement de 1793-an II, seulement 29,5 % étaient natives de Paris. Entre 1769 et 1788 l'immigration, surtout des régions de l'Est et du Nord, progressa à un rythme plutôt constant, entre les indices 70 et 80 sur une échelle de 300. Mais à partir de 1789, elle s'accéléra brutalement et monta au sommet de l'échelle des indices en 1793-an II. A l'heure du recensement, 20 % des immigrants séjournaient à Paris depuis moins d'un an. Cette poussée migratoire donna au quartier de Popincourt une masse flottante de travailleurs indigents, voués à la précarité des petits métiers et des travaux de peine. Martine Sevegrand a montré que dans les secteurs-clefs de production faubourienne le seuil décisif où s'opérait pour les immigrants le tri d'une implantation artisanale effective se situait entre la sixième et la dixième année d'activité au quartier. D'un côté de ce seuil, c'était la masse des gens sans travail ou domicile fixes, saisis au hasard d'un recensement — ce qui pourrait expliquer la proportion très élevés, et en quelque sorte artificielle, d'immigrants et de saisonniers résidant dans le quartier. De l'autre côté de ce même seuil, c'était la minorité, presque infime, de la réussite et de l'intégration faubouriennes qui comprenait les immigrants de l'élite révolutionnaire, hommes séparés par un fossé social de la masse des journaliers et des gens des petits métiers.

19. Et cela d'autant plus dans un secteur qui ne recelait guère de nobles, ni de haute bourgeoisie rentière et négociante, et peu de grands manufacturiers. Voir: Daumard, A. et Furet, F., Structures et relations sociales à Paris au milieu du XVIIIe siècle, Cahiers des Annales, XVIII, Paris, 1961, pp. 5056 Google Scholar; Durand, Yves, « Répartition de la noblesse dans les quartiers de Paris », Contributions à l'Histoire démographique de la Révolution française, IIe série, Paris, 1965, pp. 2125 Google Scholar.

20. C'est un chiffre minimal; les dossiers de la sous-série F30 ne proviennent pas d'un recensement de tous les chefs d'entreprise, mais des demandes individuelles des entrepreneurs. Le nombre des patrons réels au faubourg en 1790-1792 était vraisemblablement plus élevé, car la plupart de ces maîtres-artisans appartenaient aux familles étendues et devaient avoir des parents chefs d'entreprise avec lesquels ils étaient associés. D'autre part, parmi le corps des maîtres-artisans, les réseaux de sous-entreprise, et donc d'embauché temporaire d'ouvriers et de compagnons, semblent avoir été assez larges. Au printemps de 1793, le Ministère de la Guerre alloua à la Section de Montreuil un contrat et des matériaux lourds pour la fabrication des montures d'artillerie, tout en stipulant que la distribution de ces travaux soit faite seulement aux artisans qui avaient payé leur patente et qui possédaient « un atelier capable d'y pouvoir construire des affûts ou caissons »; la Section respecta ces stipulations. Des vingt-trois maîtres-artisans qui bénéficièrent de cette distribution de travaux, seulement quatre — dont deux des frères Rebours — ont des dossiers nominatifs dont la sous-série F30. Parmi les dix-neuf autres, l'on remarque la présence de trois commissaires révolutionnaires, dont un protégé intime de la famille Damoye (A.P.P., Aa 173, f. 72).

21. Noël-Pierre Suchet avait été l'administrateur principal de l'hospice des Enfants- Trouvés depuis au moins 1785 (A.N., F7 4803, liasse rue Saint-Maur). J.-B. Castille, ancien frère de la Doctrine Chrétienne, avait tenu une école de charité au faubourg Saint-Germain jusqu'à sa nomination, vers 1783, à la place d'économe des Enfants- Trouvés (A.N., F’ 4635, d. Castille). J.-B. Cuvilliez fut un faubourien de naissance et maître d'école à l'hôpital des Quinze-Vingts (A.N., F7 4804, liasse 1; A.P.P., Aa 220, f. 217). Gillet-Ducoudray — « l'un des principaux meneurs de la Section (des Quinze- Vingts), d'autant plus dangereux qu'il enveloppe ses intrigues des ténèbres les plus épaisses et se tient constamment derrière le rideau » — avait passé presque toute sa vie au faubourg, et comme clerc de notaire depuis 1782 jusqu'au début de la Révolution; à partir de 1792, il vécut des rentes d'un héritage et du salaire des fonctions publiques (A.N., F7 4725, d. Gillet-Ducoudray). Sur l'action de ces hommes dans les assemblées et les clubs, voir les documents suivants: assemblées générales de Popincourt (A.N., D XL 23; A.P.P., Aa 266; B.H.V.P., ms. 747, ff. 193-94); assemblées générales et comité révolutionnaire des Quinze-Vingts (A.D.S., VD* 9, f. 1020; A.N., F 11218; BB3 80, liasse 5); « Pétition des habitants du faubourg Saint-Antoine à la Convention nationale, le 2 mai 1793 », 40, 8 pp., B.H.V.P., 10065, pièce n; « Société populaire des Défenseurs des Droits de l'homme », 8°, 16 pp., 1793, Brit. Mus., F.R. 365

22. En voici deux exemples, choisi parmi les commissaires révolutionnaires qui étaient d'anciens immigrants. P.-J. Gilles, marbrier, arriva au faubourg en 1783 du village de Montautour en Bretagne; il y fut accueilli par un parent, marchand de vin rue de Charonne; en 1790 son jeune frère, apprenti marbrier, quitta Montaubour pour débarquer chez lui, rue de Charonne (A.N., F* 4800, liasse 21e compagnie). J.-M. Brisevin suivit de quatre ans son frère aîné qui avait immigré de son village des Ardennes en 1779; tous deux tourneurs en bois, l'un de leurs apprentis en 1794 fut aussi un jeune frère ou neveu (A.N., F7 4804, liasse 1). Derrière l'écran de la démographie masculine que représentent les cartes de sûreté, y avait-il une structure ultime d'autorité matriarcale ? Noeud des groupes de parenté, le lien par les femmes put favoriser la réussite d'un homme, et surtout d'un immigrant, aux temps heureux et assurer sa survie aux époques désastreuses: grâce à son mariage avec la soeur du tailleur Marien Chappuis, le jeune ouvrier-fabricant de bas J.-M. Vacret, arrivé seul au faubourg en 1789, s'implanta dans la Section de Montreuil et y trouva des contrats de travail (A.N., F7 4800, liasse 5e compagnie; A.P.P., Aa 173, ff. 233-242); le menuisier Pathie, ex-commissaire révolutionnaire, put subsister en l'an III malgré le chômage et son incarcération grâce à la famille de son épouse au faubourg et dans la Seine-et-Oise. (A.N., F7 4774/64, d. Pathie)

23. A la fin du siècle, le faubourg possédait très peu de grandes manufactures; l'immense entreprise Réveillon — qui employait une moyenne de 300 ouvriers en 1790-91 (A.N., F30 142, d. Réveillon) — y était plutôt insolite; l'émeute dont il fut victime en avril 1789 semble avoir jailli de l'hostilité conjuguée de ses ouvriers et du corps des maîtres-artisans. A titre de comparaison, retenons l'affaire de J.-L. Jullien à Popincourt. En 1791 il quitta Sèvres, où il avait géré une manufacture de faïence, pour s'installer à Popincourt et y monter une importante fabrique de porcelaine peinte. Accueilli d'abord par les gens du métier, il devint un magistrat important de la Section. D'un beau tempérament d'entrepreneur, l'homme se lia avec les « technocrates » jacobins et municipaux et devint, en 1793, l'un des administrateurs de la Commission des Armes du Comité de Salut Public. Mais en brumaire an II le comité révolutionnaire de la Section l'incarcéra comme « suspect », au terme d'un ostracisme local qu'il avait subi depuis l'hiver précédent. Or, en 1792, Jullien avait embauché dans sa fabrique une vingtaine d'élèves de l'académie de Peinture, s'attirant l'animosité collective et tenace des gens du métier faubouriens. Violation donc de la structure fondamentale de production au quartier, violation aussi de l'honneur faubourien, car, invoquant la loi Le Chapelier et pour briser les réunions de porcelainiers à la Courtille, il eut recours à la force répressive de la Municipalité. Les autres grands manufacturiers de porcelaine et de faïence à Popincourt — respectueux des structures et des mentalités d'un quartier et d'un métier où ils étaient implantés depuis longtemps — s'étaient désolidarisés de Jullien. Trois d'entre eux — Robillard, Nast et Olivier — restèrent magistrats de la Section en l'an II (A.N., F7 4752, d. Jullien; A.N., D. III 253, liasse 22; F1b II Seine, 18; F30 141, dossiers Robillard, Nast et Olivier). Par contre, la haine collective des maîtres-artisans et patrons du faubourg contre les banquiers, financiers et négociants de la ville centrale — et surtout du Palais-Royal et de la rue Vivienne — était profonde et tenace, trouvant mainte expression dans leur langage et leur comportement révolutionnaires.

24. Dans les documents sectionnaires, et notamment dans les procès-verbaux des commissaires de police, l'on ne voit guère de traces d'agitation ouvrière autonome, ou dirigée contre l'autorité des maîtres-artisans du faubourg. La manipulation politique de la détresse ouvrière y prit essentiellement deux formes en 1792-an II: la réclamation in extremis des travaux publics pour la masse des chômeurs (voir les adresses et pétitions dans A.N., D XL, 23; F1” III Seine, 1; A.P.P., Aa 266, liasse Popincourt; B.H.V.P., ms. 747, ff. 193-94); la canalisation des angoisses ouvrières vers les classes possédantes rurales, les agioteurs et négociants, et, de là, tout le mouvement vers le « maximum » en 1793, ainsi que celui pour un retour à ce régime de contrôle au printemps de l'an III.

25. « Le faubourg Antoine est très tranquille; les ouvriers, malgré les insinuations perfides de toutes les factions… ne remueront pas. J'ai visité moi-même les chefs des ateliers. Rien n'annonce qu'ils doivent s'insurger… et le petit peuple, malgré ses hurlements, n'ose se mettre en avant. Il craint » (A.N., F7 4276). Voir aussi les rapports de synthèse du Bureau central dans F7 3005; le même schéma émerge du dépouillement des fonds des commissaires de police des trois Sections pour le printemps de l'an IV.

26. A.N., F1b I 102, liasse « administrations municipales ». Nous n'avons pas trouvé la moindre trace, ni dans les fonds policiers, ni dans les papiers et les interrogatoires des conjurés, d'une participation de cette élite à la Conjuration.

27. Les procès-verbaux du commissaire de police de la Section des Quinze-Vingts (A.P.P., Aa 220-221) révèlent, pendant l'an IV, non pas une relance de l'agitation politique mais une courbe ascendante et tragique de suicides, de tentatives de suicide et d'abandons d'enfants — surtout dans cette population de compagnons et de journaliers qui avaient fourni le gros des troupes révolutionnaires du faubourg entre 1789 et l'an III. Le suicide représente-t-il une « mutation dialectique de la conscience de classe des masses populaires »? Sur cette misère faubourienne des années III et IV, voir aussi Cobb, R. C., The Police and the People: French Popular Protest, 1789-1820, Oxford, at the Clarendon Press, 1970, pp. 131168 Google Scholar.

28. Gillet-Ducoudray vécut toujours de ses rentes, rue de Reuilly, et occupa une place dans l'administration de l'arrondissement (A.N., F1b 1 102; A.P.P., Aa 220, f. 472); Castille et Cuvilliez gardèrent leurs emplois aux Enfants-Trouvés et à l'hôpital des Quinze-Vingts (Aa 220, ff. 470-71; 221, f. 55).

29. Sur ces hommes, voir les sources suivantes: A.N., BB3 83, liasse 3; F7 4276; F7 4639, d. Chappuis; F7 4660, d. Damoye; F7 4667, d. Dumont, M.-A.; F7 4739, d. Haut Saint-Amour; F7 4774/75, d. Musine, F.; F7 4775/37, d. Vacret; F7 4800, liasses VIIIe arrondissement, « cartes an II », 13e compagnie, 23e compagnie; F7 4804, liasse I, W 566; A.P.P., Aa 173, ff. 233-242; Aa 221, ff. 47-52. Cottereau, Boudin et Vacret étaient beaux-frères par les soeurs de Marien Chappuis; ils avaient été des camarades depuis au moins 1789 de Brisevin, Guillochet et Jean Toussaint qui, eux, habitaient tous (ainsi que Vacret) au II, rue Sainte-Marguerite. Depuis les années 1780, Joseph Haut (” dit de Saint-Amour ») avait été un voisin de Chappuis dans la maison des Damoye, au numéro 2, Porte Saint-Antoine. Seuls, Brisevin et Chappuis semblent avoir eu de véritables assises sociales au faubourg. Arrivé de son Bourbonnais natal en 1771, Chappuis était déjà maîtretailleur en 1789, et grâce à la protection des Damoye il reçut en 1793 un contrat lucrative pour la confection des uniformes. Pour les autres, nous n'avons trouvé aucune trace des réseaux patronaux. En l'an III, à l'époque de leur chute, la plupart de ces hommes s'étaient retrouvés au Plessis avec Babeuf et les futurs « co-Égaux ». Sur les listes policières des « hommes à surveiller » et les listes babouvistes des « hommes aptes à commander », et autres, l'on trouve une autre quinzaine d'hommes, surtout d'anciens canonniers, qui ne laissèrent pourtant aucune trace d'une participation au complot, et qui ne furent pas arrêtés. Bien qu'il fût lié au comité directeur de la Conjuration, Jean Rossignol — « général de tout le faubourg Antoine » dans les anticipations de Babeuf — ne semble pas avoir été actif au faubourg même, mais plutôt au Camp de Vincennes et aux casernes de la Courtille. Il habita en cachette rue du Figuier Saint-Paul. (A. N., F7 3688/9).

30. A.N., F ‘ 4636, d. Cazin; W 559, d. Cazin; A.P.P., Aa 221, ff. 47-52. Aux yeux des préposés à sa surveillance, il fut « l'être le plus dangereux qui existe, immoral sous tous les rapports ». (A.N., F7 4276). Bon nombre d'anciens sans-culottes des Quinze- Vingts jugèrent autrement J.-B. Cazin; ils confièrent leurs enfants à l'instruction de l'agent de la conjuration, ce qui lui permit de vivre en l'an IV. Lors de l'arrestation de Juste Moroy en floréal, la Police trouva dans ses papiers une liste des sommes que lui avaient « prêtées », par solidarité et compassion, les gens des faubourgs Saint-Marceau et Saint-Jacques. La liste est longue, mais les sommes sont minimes, entre trois et dix livres. Et parmi ces noms, l'on remarque celui de Raguin, ancien commissaire de la Section du Finistère et de l'armée révolutionnaire parisienne; pendant l'an II, lui et Moroy avaient régné ensemble sur le District de Sens (A.N., F7 4774/53, d. Moroy; W 560, d. Moroy). A Vendôme, Cazin et Moroy seront condamnés à la déportation aux Iles.

31. Voir A.N., F7 4276, 4277; W 559. Presque tous ces hommes furent saisis en floréal. Traqué, Cazin restera en liberté encore quelques semaines. Lors de leur perquisition chez F.-P. Boudin, le 21 floréal, les policiers découvrirent un foyer de misère extrême. Son petit atelier de tourneur en bois fut dégarni de tout ouvrage; il ne lui resta que ses outils. Toute la famille occupa une seule pièce, « où il ne s'est trouvé qu'un lit, un berceau d'enfant, une mauvaise armoire n'ayant pas de table pour nous donner la facilité d'écrire… la pièce dont il s'agit est coupée par une très mauvaise tapisserie de verdure… en vue de l'extrême pauvreté du dit citoyen Boudin et jugeant son ameublement de très peu de valeur, nous n'avons pas cru devoir y apposer nos scellés, vu encore trois petits enfants dont l'aîné n'a pas neuf ans et la femme enceinte, prête d'accoucher » (A.P.P., Aa 219, f. 162).

32. A.P.P., Aa 221, ff. 47-52; A.N., F7 4276

33. A.N., F7* 2513, pp. 49-50; F7 4604, d. Bodson; F7 4664, d. Debraux; A.P.P., Aa 216, f. 409.

34. A.N., F7 4620, d. Bruyas; 4886, d. Duhamel, J.-B.; 4698, d. Dusaussois, P.; 4774/77, d. Planson, É.

35. A.N., F 7 4276; 4686, d. Dufourny.

36. A.N., F7 3688/1; 4774/35, d. Mariée.

37. A.N., F7 4637, d. Chalandon; 4277, liasse 7. Cet « homme propre à commander » la Section de l'homme-Armé n'habitait même plus le Marais en l'an IV, mais la rue de Buci ! La notoriété le poursuivait encore en 1797, car il figure dans le Dictionnaire des Jacobins vivants (Paris, anonyme, an V), pp. 24-25, manuel à grand tirage pour repérer les anciens « buveurs de sang ». Ce fut un schéma identique dans la Section de l'observatoire: Ruelle et Lallement, les deux principaux « hommes propres à l'exécution » sur la liste de l'agent de l'arrondissement, habitaient l'un rue du Bac, l'autre rue de la Tixeranderie (A.N., F ‘ 4276).

38. A.N., F7 3688/5 à 9; 4276, 4277. La Police générale contrôla étroitement les entrées et les sorties de la ville, dénombrant chaque jour ces mouvements, ainsi que la délivrance des passeports aux voyageurs. Les réseaux parisiens des « gens du pays » facilitèrent à la fois l'embauche des conjurés et la surveillance policière. Le cas de Jean- Lambert Grandjean, cordonnier rue de Viarmes, illustre ce phénomène. Il fut recruté par le domestique de Fion, membre du comité militaire de la Conjuration. Lors de sa déposition devant le commissaire de police en fructidor an IV, la maîtresse de Lambert déclara qu'il « avait été égaré par ce domestique et autres gens de son ‘ pays ‘;… qu'elle l'a entendu répéter souvent que nous étions plus heureux sous le règne de Robespierre qu'à présent, qu'il faudroit une nouvelle terreur et laisser faire les Jacobins, que tout en iroit mieux »; et elle ajouta: « attendu qu'elle ne le voit pas occupé à son état depuis trois mois, elle appréhende qu'il se laisse aller et entraîner par ses compatriotes liégeois qui le visitent souvent et dont les opinions sont contraires au gouvernement » (A.P.P., Aa 156, f. 14). Or le rôle et l'entourage de Fion avaient été connus de la Police générale depuis longtemps (A.N., W 566; A.P.P., Aa 80, f. 252).

39. B.H.V.P., ms. 800, ff. 623-624.

40. Brit. Mus. F* 10 (37).

41. Sur le comportement des autorités des trois Sections à l'égard de cette population, voir: A.N., F7 4777; A.P.P., Aa 127, Aa 48; A.N., F7* 2489-2490.

42. Sur cette frontière, voir surtout Rouleau, Bernard, Le tracé des rues de Paris: Formation, typologie, fonctions, Paris, C.N.R.S., 1967 Google Scholar.

43. A.P.P., Aa 219, f. 179. En prairial an III, les soldats casernes aux faubourgs du Roule et Poissonnière — qui avaient participé à l'investissement du faubourg Saint- Antoine — se mêlèrent comme d'habitude aux ouvriers et artisans, dont beaucoup avaient gonflé les rangs des insurgés, dans les guinguettes des Porcherons et de la Petite-Pologne; les deux « adversaires » se rejoignirent dans l'éternelle communion de la « chopine », remâchant l'événement, se faisant des reproches et se disputant (A.P.P., Aa 229, f. 257).

44. De telles rencontres banales, les conjurés conçurent de fatales illusions à l'égard de l'armée, surtout au moment des premières victoires de la campagne d'italie. Toutes les casernes furent surveillées, jusque dans leurs moindres pulsations, par la Police générale. Voir surtout A.N., F7 3688/5 à 9.

45. Voir A.P.P., Aa 231, f. 86; A.N., F7 4276. Au sujet des soldats casernes au faubourg du Roule, le ministre de la Police générale écrivit au général en chef de l'armée de l'intérieur, dans l'hiver de l'an IV, pour l'exhorter à y resserrer la discipline: « il se commet tous les jours des vols dans les Champs-Elysées et l'on ne peut les traverser la nuit, sans s'exposer à y être assassiné. Des militaires s'y rassemblent tous les soirs avec des femmes de mauvaise vie, ils font beaucoup de dépenses dans les cabarets, dépenses qui souvent entraînent après elles des disputes et même effusion de sang » (A.N., F7 3688/7).

46. Tels ces habitants de la rue Saint-Honoré qui dénoncèrent une voisine qui « loge des individus inconnus qui se rendent chez elle très tard et sortent de très grand matin »; ou le portier d'une maison garnie de la rue des Moineaux, dont la loge était un lieu certain de rassemblement des terroristes, parce qu'ils avaient l'allure de « gens de mauvaise mine »; telle la principale locataire d'une maison de la Place du Carrousel, qui dénonça la présence d'etienne Michel, lié à la Conjuration et ancien chef terroriste de la Section de la Réunion (A.N., F7 4276, 4277).

47. A.P.P., Aa 63, f. 22. Voir aussi A.N., F7 3688/7; 4276, 4277. En 1793-an II, les autorités de la Section des Arcis avaient effectué de fréquentes rafles dans les cabarets de cet endroit (A.P.P., Aa 59-60). « Voulez-vous aller à la rue Saint-Denis ? Les voitures sont obligées de faire un détour par une rue étroite, où se trouve un égout puant, et presque vis-à-vis de cet égout est la rue Pied-de-Boeuf, qui aboutit à des ruelles étroites, fétides, baignées de sang de bestiaux, moitié corrompu, moitié coulant dans la rivière. Une exhalaison pestilentielle n'abandonne jamais cet endroit, et dans le débouché qui donne près de la chute du Pont-Notre-Dame, dans la rue de la Planche-Mibraye, on est obligé de retenir sa respiration et de passer vite, tant l'odeur de ces ruelles vous suffoque en passant. » Sébastien Mercier, Tableaux de Paris, 1783-87, V, pp. 101-102.

48. Voir A.N., F7* 2481 (registre du comité révolutionnaire), ff. 78-82, 106-62; 2482, délibérations de ventôse et germinal an II; F7 4592, d. Bellanger, A.; 4712, d. Gagnant, J.; B.N., nouv. acq. franc, ms. 2686, ff. 118-119.

49. En voici quelques exemples: au faubourg Poissonnière, les fonctionnaires révoqués et les anciens commissaires révolutionnaires s'orientèrent vers leurs chefs de jadis, Lhermina et Clément Pinard; les ex-membres du comité révolutionnaire de la Section de Bonne-Nouvelle s'assemblaient toujours chez l'un des leurs rue de Cléry, « chez le cordonnier, maison d'un perruquier »; les anciens terroristes des Halles se réunissaient chez Juliot, jacobin notoire de la Section du Contrat-Social. La majorité des réunions à domicile évoquées dans les papiers saisis du comité directeur de la Conjuration et au cours du procès de Vendôme figuraient déjà dans les rapports policiers de l'hiver et du printemps de l'an IV. A.N., F ‘ 3688/5 à 9; 4276, 4277.

50. Sur la surveillance de ces locaux, voir: A.N., F7 3005; 3688/5 à 9; 3828; 4276, 4277. Sur les passés et les propriétaires de certains d'entre eux, voir: A.N., F ‘ 4610, d. Boudray (les « Bains Chinois »); 4648, d. Chrétien; A.N., C 336, plaq. 1570, p. 23 (le café Chrétien); D III 255-256/1, liasse 3 (le café Raisson); A.P.P., Aa 202, fi. 57-59 (le « Bal Cardinaux »). L'établissement de Pierre Chrétien rue Neuve-Saint-Marc avait une certaine ampleur commerciale, comme aussi les « Bains Chinois ». Lors de leur perquisition chez Chrétien, le 25 floréal an IV, les policiers trouvèrent un café, avec salon de lecture au rez-de-chaussée, des appartements à l'entresol où habitaient Chrétien et sa famille, et deux grandes pièces au premier étage, « que nous avons trouvées remplies de tables, tabourets et comptoirs de commerce et tout ce qui convient à une tabagie où il peut tenir à table environ soixante à quatre-vingt personnes », avec derrière « une boutique de laboratoire ». (A.P.P., Aa 80, ff. 237-241). Les « Bains Chinois » avaient les attraits supplémentaires d'un décor exotique et de la ravissante Sophie Lapierre, qui y chantait les couplets insurrectionnels de Sylvain Maréchal; il était très coté à l'époque auprès d'une clientèle « de toute sorte de mises, depuis les guenilles jusqu'aux coiffures à panaches », selon le rapport d'un surveillant en floréal (A.N., F7 3688/8). Le comité directeur de la Conjuration prit conscience — tardivement et inutilement — des dangers de ces réunions ouvertes chez les débitants de boisson, car le 6 floréal, dans une instruction aux agents d'arrondissement, il les déconseilla. Suite de la copie des pièces saisies…, pp. 158- 161.

51. A.N., F7 4276. Ces rassemblements aux Tuileries servaient les intérêts policiers et politiques du Directoire; il ne les interdit qu'en fructidor an IV (A.N., F ‘ 3688/9).

52. Lorsque les policiers commandés par Dossonville firent irruption chez Babeuf, rue de la Grande-Truanderie, celui-ci lança les bras vers le ciel et s'écria: « C'en est fait, la tyrannie l'emporte !” Le « traître » Grisel, agent provocateur de la Police générale, infiltra facilement la Conjuration en se présentant comme un « ardent » qui « brûlait d'en finir avec la tyrannie ». Aux « Bains Chinois », les femmes amenaient leurs enfants coiffés du bonnet rouge, et au moins un agent double de la Police y distribua les brochures de la Conjuration (A.N., F7 3688/8). Au début de floréal, tout un groupe de fonctionnaires révoqués du Ministère de la Guerre se plurent à crier dans les cafés de la rue de Grenelle qu'un « grand coup de chien » se préparait aux Halles — quartier où se réunissait le comité directeur de la Conjuration (A.N., F7 4277). Le bavardage et le défi retentissant — pour ne pas parler des provocations policières — l'emportèrent toujours sur le sérieux d'une conspiration.

53. Tel Jean Rossignol, « général de tout le faubourg Antoine » dans l'esprit de Babeuf, qui, selon l'agent chargé de sa surveillance, change « 10 à 12 fois d'habillement par jour et n'a aucun domicile fixe; tantôt il va chez Vauversin, rue du Figuier-Saint-Paul, tantôt il donne rendez-vous du côté du camp de Grenelle » (A.N., F7 3688/9).

54. Cet amalgame remontait aux origines mêmes de la Conjuration et provoqua en quelque sorte sa formation. La fermeture du « Club du Panthéon » fut décrétée le 8 ventôse en même temps que celle d'un ensemble de réunions d'allure royaliste notoire (A.P.P., Aa 202, f. 58).

55. Voici les attributions de cette division: « Les spectacles, Bals, Cafés, Maisons de Jeux, Clubs et Sociétés, Déclarations de Culte, Images Obscènes, Pamphlets et autres ouvrages qui peuvent corrompre les Moeurs ou troubler l'ordre Public, Filles de débauche, Contre-Révolutionnaires, Charlatans, Baladins et Saltimbanques » (A.P.P., Aa 141, f. 165). L'intention de ce regroupement n'était point humoristique. A partir de l'an IV, le Bureau central distribua aux commissaires des formulaires comportant ces rubriques et les obligea à amalgamer eux-mêmes les délits; jusqu'à cette époque ils avaient pu écrire leurs procès-verbaux sur papier libre. Ce faisant, la Police générale renoua avec une ancienne tradition de la police urbaine, tradition qui remontait à l'époque classique du Lieutenant général. (Voir l'article « Police » dans 'encyclopédie, édition de 1765, XII, 905-n.)

56. Ce fut l'une des dernières grandes « cours des miracles » du Paris classique. A l'époque révolutionnaire, les commissaires de section et les agents de la Municipalité ne pénétrèrent que rarement dans l'enclos du Temple. (Voir leurs procès-verbaux dans A.N., F7* 2487-2288; A.P.P., Aa 240-42.) Le faubourg dans son ensemble abritait l'une des principales concentrations de théâtres populaires de la capitale, dont au moins sept jouaient chaque jour sur les boulevards; le juge de paix de la Section se plaignait amèrement de la « coquinerie » forcenée des gens du théâtre guignol (A.N., D III 253, liasse 26.

57. B.H.V.P., 10065, pièce 395. Voir aussi: A.D.S., 4 AZ 269.

58. Bergoeing, François, La longue conspiration des Jacobins pour dissoudre la Convention nationale…, Paris, 1795, 78 p.Google Scholar, N.B., Lb 41 1430. A ce sujet, voir surtout A.N., F7 4774/32, d. Mallais, J.-B. Ce coiffeur-perruquier de l'enclos du Temple et commissaire révolutionnaire de la Section figure dans une correspondance entre les agents de Dumouriez à Paris en mars et avril 1793, comme un homme de liaison des réseaux royalistes, homme d'autant plus « sûr » qu'il était un révolutionnaire outrancier… En ventôse et germinal an II, il figurera — aux côtés de Toupet-Klairval, protégé de Barras — comme l'un des instigateurs de l'agitation « hébertiste » au faubourg, selon les agents du Comité de Sûreté générale (A.N., F7 4774/98, d. Ronsin). Au printemps de l'an IV, la Police générale dénonça au ministre Cochon les réunions de plusieurs de ces hommes — et de certains des protégés de Barras — chez Claude Fiquet et à la Courtille (A.N., F7 4276, 3688/9).

59. A.N., F7 4277; A.P.P., Aa 75, ff. 301-304; 242, f. 35.

60. Sur ces cadres terroristres de 1793-an II, voir: A.N., F7 4727, d. Gobo; F7* 2509; B.H.V.P., ms. 743, f. 253; B.N., nouv. acq. franc, ms. 2646, f. 182; « Tribunal Criminel du Département de Paris. Acte d'accusation », n brumaire an III, Paris, 40, 16p.,B.N., L° 41 4139. Sur la légende de ces « terroristes-voleurs-agents de l'aristocratie », voir surtout: Tableau historique de la Maison Lazare…, Anon., Paris, 1795, 8°, 56 p., B.H.V.P., 29670, n° 2; le Dictionnaire des Jacobins vivants, Nicoleau, « Détail très-exact des causes, des motifs et des circonstances de l'arrestation du citoyen Nicoleau, ex-Président du Département de Paris, Paris », an II, 8°, 16 p., A.N., AD 1 57.

61. A.N., F7 4276; A.P.P., Aa 149, ff. 67-68, 71-75, 90-91.

62. Sur la géographie de cet amalgame de l'an II, voir l'étude de R. C. Cobb sous ce titre dans Terreur et Subsistances, pp. 121-149.

63. Les rapports généraux, et quasiment publics, du Bureau central insistaient sur les réunions de conjurés et d'ex-conventionnels montagnards dans les châteaux et les maisons somptueuses de ces communes: le banquier Félix Lepeletier — que la Police utilisa souvent pour donner consistance à cet amalgame, à cause de sa richesse notoire et de son allure élégante — se serait caché en floréal dans le château même de Versailles, tandis que Jean Rossignol aurait fréquenté des conciliabules nocturnes à Saint-Germainen- Laye; P.-F. Paris, l'un des conjurés qui avaient échappé à l'arrestation le 21 floréal, aurait trouvé asile à Bercy, « sur le bord de l'eau, soit dans le grand château, soit dans la belle maison qui y est attenante… »; à Saint-Germain-en-Laye encore, les conjurés auraient eu comme hôtesse une belle dame italienne aux allures de riche aventurière — « Mme Balbi, femme d'un noble génois, expatrié en Amérique pour avoir voulu se faire Doge; elle jouit de 50 mille écus de rente, valeur métallique, se déclare amie de la Constitution de 93, se montre patriote exagérée, et tient table à des députés montagnards ». Ces fastes faisaient écho aux ripailles imputées à Mazuel et aux chefs « hébertistes » dans les mêmes lieux en l'an II (A.N., F7 3005; 4276, 4277). La Police misa également sur la vieille hantise parisienne des chargements clandestins d'armes: le 22 floréal les agents descendirent en force au Port-au-Blé, près de la Grève, pour fouiller les cargaisons des bateaux amarrés, cherchant des fusils destinés aux « anarchistes et royalistes »; l'opération s'effectua non pas dans le silence désertique de la nuit, mais à grand tapage, à 6 h 30 du matin, pendant que le Port et ses environs grouillaient de monde (A.P.P., Aa 141 ff. 276- J77) .

64. A.N., F7 4687, d. Dumoulin; Fao 127, d. Dumoulin; F30 4277, « Liste des citoyens actifs et éligibles de la Section de la Fontaine-Montmorency », Paris, 1791, 40, 26 p., Brit. Mus., F61* (25) (Menessier); A.N., F7 4774/55, d. Mulot-Danger; B.H.V.P., ms. 801, ff. 201-205; A.N., F7 4604, d. Bodson et sa famille; F7 4803, registre des « cartes blanches » du Pont-Neuf, printemps et été 1793; B.N., nouv. acq. franc. 2712, ff. 13-76; A.N., F7 4771, d. Leblanc et Fiquet; W 559, d. Fiquet; D III 253, liasse 17; F ‘ 4611, d. Bouin, M.; F’ 4653, d. Cordas; W 560, d. Cordas; F7 4657, d. Crespin; W 560, d. Crespin; F7 3688/2 (rapports de messidor an II sur les commissaires révolutionnaires de la Section de l'arsenal); F7 4670, d. Deray; B.H.V.P., ms. 802, f. 232; A.N., F7 4774/53, d. Moroy; F7 4794, « carte blanches » de la Section du Finistère, i r e compagnie, n° 166; W 560, d. Moroy; Victor Barrucand, La vie véritable du citoyen Jean Rossignol… publiée sur les écritures originelles, Paris, 1896, 383 p.

65. Ce qui explique le désespoir et l'amertume de beaucoup de ces hommes en l'an IV, sentiments qui perçaient déjà dans le comportement de Jacques Cordas en l'an III. A l'époque où la plupart de ses co-détenus de prairial suppliaient qu'on les libérât, il écrivit au Comité de Sûreté générale pour faire état de ses services au Gouvernement révolutionnaire, accuser le Comité d'opérer une « dé-population » des républicains, terminant sur cette salutation amère et à défi: « Vive la République démocratique ! » (A.N., F7 4653, d. Cordas). Mais « combattant des classes populaires » ? C'est une question bien complexe, qui ne trouble guère les récits catégoriques de Maurice Dommanget, Claude Mazauric, Armando Saitta et Kare Tonnesson. Or le même Cordas, l'un des administrateurs exécutifs de la Police Municipale de l'an II, avait préparé avec ses collègues un grand projet de réorganisation de la police urbaine, où il était question d'établir un vaste quadrillage permanent de la ville pour arrêter et déporter les « sans aveu », « inconnus » et « malveillants » — c'est-à-dire une majorité de l'authentique masse populaire parisienne de l'époque (A.N., D III 251-252). Autre « combattant des classes populaires », P.-H. Blandin, riche marchand d'épices en gros, et l'un des anciens meneurs jacobins de la Section des Lombards, qui figure sur les listes de la Conjuration: en tant que vice-président du Tribunal Criminel du Département de Paris en 1793-an II, il avait administré une justice draconienne à l'égard des menus délits des masses pauvres de la ville, dont on peut consulter les jugements dans A.N., D III 266-280.

66. Op. cit., p. 148.

67. La littérature saisie chez les agents d'arrondissement et de liaison lors de leurs arrestations consistait surtout en tracts de propagande montagnarde et néo-jacobine, datant des années 1793-an III; dans cet ensemble de tracts, les numéros du « Tribun du Peuple » et les brochures de Sylvain Maréchal — dont la plupart manquaient de toute précision socialiste — étaient minoritaires. L'on y trouve surtout les numéros de « l'ami du peuple » de Lebois, du « Journal des Hommes Libres » de Vatard, de l'Ancien « Ami du peuple » de Marat et du « Défenseur de la Constitution » de Robespierre, des centaines d'exemplaires de la « Grande Plainte de Marat aux Républicains français » et de la « Conjuration formée dès le 5 prairial par neuf représentants du peuple contre Maximilien Robespierre », ainsi que les brochures et affiches tels que « Doit-on obéissance à la Constitution de l'an III ? », « Soldat, arrête et lis ! », « Lettre de Franc libre a son ami La Terreur », etc. Voir, à titre d'exemple: A.P.P., Aa 147, f. 3; 149, ff. 55-61; 155, ff. 61-62; 173, fï. 233-242; 221, ff. 47-52; 242, f. 35 et la correspondance des agents avec le comité directeur de la Conjuration dans la Suite de la copie des pièces saisies… Dans notre ouvrage à paraître, nous ferons une analyse thématique de l'ensemble de ces textes de propagande. La seule originalité idéologique du mouvement, ce fut d'avoir ébauché une synthèse de la démocratie extrême préconisée par la Constitution de 1793 et de la stratégie révolutionnaire autoritaire de l'an II — et d'avoir ainsi puissamment contribué à la transmission de la légende robespierriste.

68. Voir l'ouvrage collectif: Crimes et criminalité en France, XVIIe et XVIIIe siècles, « Cahiers des Annales », n° 33, Librairie Armand Colin, 1971.

69. Comme l'a fait explicitement Kare Tonnesson: « Il y a dans ces registres très peu de fait d'intérêt politique, beaucoup de faits divers, de délits de droit commun, etc. ». La Défaite des Sans-culottes: Mouvement populaire et réaction bourgeoise en l'an III, Presses Universitaires d'oslo, Librairie Clavreuil, Paris, 1959, p. 395.