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À qui appartiennent les biens qui n’appartiennent à personne ? Citoyenneté et droit d’aubaine à l’époque moderne*

Published online by Cambridge University Press:  04 May 2017

Simona Cerutti*
Affiliation:
EHESS-CRH

Résumé

En des temps récents, le droit d’aubaine – soit le droit des souverains français de saisir les propriétés des étrangers décédés dans leurs territoires sans héritiers légitimes – a été inter- I I prété comme le symbole d’une irréductible originalité de l’État français concernant le thème de la naturalité. Celle-ci tiendrait, d’une part, à une incapacité successorale des personnes provenant de l’extérieur, ainsi qu’à la première de ses conséquences : le fait que, en France, seul le souverain serait en mesure de transformer un étranger en un de ses sujets, à travers l’attribution de lettres de naturalité qui lui permettront de disposer de ses propres biens. En s’appuyant sur des sources concernant ce même droit d’aubaine qui était aussi en vigueur dans l’État savoyard, cet article voudrait montrer que d’autres interprétations de ce droit, différentes, sont possibles, qui ne relèvent pas tant de la diversité des terrains d’enquête que du choix des sources ainsi que de leur interprétation. Plusieurs centaines de procédures suscitées par les prétendues saisies des biens des étrangers montrent que, loin d’être l’expression d’une volonté punitive ou xénophobe, l’intervention des fonctionnaires royaux répondait à une demande sociale de mise en ordre de la succession douteuse, exprimée avant tout par les créanciers de l’héritage. En outre, c’était la nécessité de protéger les propriétés « n’appartenant à personne » de prises de possession illégitimes qui déterminait l’extrême urgence de l’intervention royale. A` travers l’aubaine, nous sommes ainsi introduits à la complexité de la culture propriétaire de l’Ancien Régime ; à sa capacité de construire des relations de parentèle et, finalement, de construire « l’étranger » ou bien « le citoyen ». L’irréductible originalité de l’État français s’estompe ainsi, et la voie s’ouvre à de possibles comparaisons.

Abstract

Abstract

“Droit d’aubaine” – the right of French sovereigns to seize the property of foreign people deceased on their territory without legitimate heirs – has recently been interpreted as symbolizing an irreducible originality of the French State on the subject of naturality. Such originality would first lie in the fact that people from the outside were unable to inherit property and in its major consequence: in France, the sovereign is the only person capable of turning a foreigner into a subject through the attribution of letters of naturalization which enable him to dispose of his own property. Relying on sources regarding the “droit d’aubaine” which was also applied in the State of Savoie, this paper seeks to demonstrate that alternative interpretations of this right are possible, depending on the selection and interpretation of sources. Research through hundreds of cases of so-called seizures of foreign property shows that, far from originating in punitive or xenophobic motives, the seizing of foreign property by royal officials responded to a social demand for putting dubious inheritances in order, primarily expressed by creditors. It was moreover motivated by the urgent need to protect property “which belonged to no-one” from illegitimate restraints. The “droit d’aubaine” therefore leads us to the complex culture of property during the Ancien Régime, to its ability to establish relations of kinship and to construct “foreigners” as well as “citizens”. The irreducible originality of the French State therefore vanishes and opens the way to possible comparisons.

Type
Étrangers et citoyens
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 2007

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Footnotes

*

En marge de Peter Sahlins, Unnaturally French. Foreign citizenhip in the Old Régime and after, Ithaca-Londres, Cornell University Press, 2004. Cet article est dédié à Carlo Ginzburg, qui m’a convaincue du fait que la seule manière d’écrire un compte rendu est de refaire la recherche. Je remercie en outre, pour leurs lectures et leurs remarques, Michela Barbot, Robert Descimon, Isabelle Grangaud, Christian Jouhaud, Jacques Revel, Dinah Ribard, Yan Thomas et Angelo Torre.

References

1 - Pacini, Giulia, « Contending with the droit d’aubaine: Foreign citizen in France before 1819 », Eighteenth century studies, 38, 2, 2005, pp. 371373 CrossRefGoogle Scholar.

2 - Rappaport, Michael, Nationality and citizenship in Revolutionary France: The treatment of foreigners, 1789-1799, Oxford, Oxford University Press, 2000 CrossRefGoogle Scholar ; P. SAHLINS, Unnaturally French…, op. cit.

3 - G., Pacini, « Contending… », art. cit., p. 371 Google Scholar.

4 - Ibid.

5 - Voir Gellner, Ernest, Nations and nationalism, Ithaca, Cornell University Press, 1983 Google Scholar ; Armstrong, John A., Nations before nationalism, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 1982 Google Scholar ; Anderson, Benedict, Imagined communities: Reflections on the origin and spread of nationalism, Londres, Verso, 1983 Google Scholar ; jusqu’au livre, important, de Tamar Herzog, Defining nations: Immigrants and citizens in Early Modern Spain and Spanish America, New Haven, Yale University Press, 2003. Dans son introduction, T. Herzog discute de manière très pertinente des positions de ces auteurs.

6 - P. SAHLINS, Unnaturally French…, op. cit., p. XIII.

7 - Ibid., p. 9.

8 - Pour une reconstitution de l’histoire du droit d’aubaine sur un temps long, je renvoie en particulier aux travaux cités à la note 13.

9 - Ces réflexions ont été développées par Sahlins, Peter, « La nationalité avant la lettre. Les pratiques de naturalisation en France sous l’Ancien Régime », Annales HSS, 55-5, 2000, pp. 10811108 CrossRefGoogle Scholar.

10 - À cet épisode, Peter Sahlins et Jean-François Dubost ont consacré une recherche parue il y a quelques années : Dubost, Jean-François et Sahlins, Peter, Et si on faisait payer les étrangers ? Louis XIV, les immigrés et quelques autres, Paris, Flammarion, 1999 Google Scholar.

11 - P. Sahlins, Unnaturally French…, op. cit., p. 32.

12 - Ibid., p. 119.

13 - C’est l’apport de la recherche de Marguerite Boulet-Sautel, en particulier «Le Français d’origine dans l’ancien droit français (XVe-XVIIIe siècle) », Revue critique de droit international privé, 35, 1946, pp. 220-231 ; ID., « L’aubain dans la France coutumière du Moyen  ge », in L’étranger, Recueil de la Société Jean Bodin, 2e partie, Bruxelles, Éditions de la Librairie encyclopédique, 1958, pp. 65-99. Dans la même lignée se situe l’utile travail de Bernard D’alteroche, De l’étranger à la seigneurie à l’étranger au royaume, XIe-XVe siècle, Paris, LGDJ, « Bibliothèque de droit privé-360 », 2002.

14 - Ce qui est affirmé par P. Sahlins à propos des « tentative assertions » de Tamar Herzog d’établir des parallèles entre la situation espagnole et la situation française. Voir le compte rendu par PETER SAHLINS du livre de Herzog, T., Defining nations…, op. cit., Journal of Modern history, 77, 2, 2005, pp. 464466, ici p. 466Google Scholar.

15 - Ibid.

16 - Sahlins, P., Unnaturally French…, op. cit., p. 53 Google Scholar.

17 - Compte rendu par Rosenfeld, Sophia de Unnaturally French…, op. cit., in The American historical Review, 110, 1, 2005, pp. 230232, ici p. 230CrossRefGoogle Scholar.

18 - Sahlins, P., Unnaturally French…, op. cit., p. 45 Google Scholar.

19 - Ibid., p. XIII.

20 - Les documents concernant le droit d’aubaine au Piémont se trouvent dans Archivio di Stato di Torino (AST), Sezioni Riunite, Archivio Camerale, art. 492, Ubena ; I Archiviazione, Legge di Ubena ; AST, I Sezione, Materie economiche, Ubena. Ses caractères sont fondés sur le droit français, avec qui les juristes piémontais partagent les auctoritas. Pour quelques données locales, voir Mansord, Charles Antoine, Le droit d’aubaine en Savoie, Chambéry, Routin, Bottero e Alessio, 1824 Google Scholar ; Capuano, Luigi, « Albinaggio », in Enciclopedia giuridica italiana, Milan, Vallardi, 1884 Google Scholar ; Gianzana, Sebastiano, Lo straniero nel diritto civile italiano, Turin, Unione tipografica editrice torinese, 1884 Google Scholar ; Scopi, Maria Cristina, « Ricerche storico-giuridiche sul diritto d’ubena negli Stati sabaudi con particolare riguardo alla legislazione militare », Tesi di Laurea, Université de Turin, 1997-1998Google Scholar.

21 - En 1701, le règlement du Consulat de commerce (le tribunal compétent des causes commerciales), invitait tout étranger qui voudrait établir des négoces et des manufactures à Turin ou dans n’importe quelle ville de l’État à s’y rendre sans hésitation, dans la certitude de pouvoir jouir de tout privilège, et notamment de l’exemption de la loi d’aubaine : « Editto di S. A. pel nuovo regolamento del Consolato di Torino, e modo di procedere avanti ad esso, con privilegi a favore dei forestieri di introdurre nello stato nuove manifatture e provvedimenti per impedire la migrazione all’estero de lavoranti in seta », in Felice Amato Duboin, Raccolta per ordine di materia di leggi, provvidenze, editti, manifesti ecc. pubblicati dal principio de l’anno 1681 sino alli 8 dicembre 1789, Turin, Arnaldi, 1818-1868, t. III, p. 808 sqq.

22 - Je n’ai pas retrouvé les séries concernant les lettres de naturalité. Pourtant, cellesci sont souvent citées dans les « Patenti Piemonte » et « Patenti controllo finanze » (Archivio di Stato di Torino [AST], Sez. Riunite), une source organisée par ordre alphabétique, à partir du nom du plaignant. Des informations complémentaires se retrouvent dans une source rassemblant les serments prêtés par les étrangers habitant le Piémont : « Testimoniali di giuramento di fedeltà prestato da esteri venuti ad abitare in questi stati (1637-1698) », AST, Sez. Riunite, Camerale Piemonte, art. 835 (il s’agit d’une centaine de documents).

23 - T. Herzog insiste sur ce point, en particulier, dans son introduction à Defining nations…, op. cit. ; nous y reviendrons (note 81).

24 - AST, Sez. Riunite, Camerale Piemonte, Ubena, art. 492, m. D/F-1, Margherita Mirapel, 1715.

25 - Exemplaire, en ce sens, est la cause concernant Francesco Cousin de Lyon in Ibid., m. C., 1728.

26 - J.-F. Dubost et P. Sahlins, Et si on faisait payer les étrangers ?…, op. cit.

27 - Le fonds AST, Sez. Riunite, Camerale Piemonte, Ubena, art. 492 est composé de soixante liasses environ, organisées par ordre alphabétique, contenant plusieurs fascicules et couvrant la période qui va du milieu du XVIe à la fin du XVIIIe siècle. J’ai dépouillé la totalité des dossiers ; j’en ai transcrit trois cents environ (dont cent cinquante pour la période 1680-1730). La dimension des dossiers est variable : quelques dizaines à plusieurs centaines de pages.

28 - Sahlins, P., Unnaturally French…, op. cit., p. 42 Google Scholar ; la voracité (voraciousness) est évo- quée p. 119.

29 - C’est explicite dans le cadre de la saisie des biens de Jean-Louis Point, né en Normandie et décédé à Turin en 1740. L’épicier Parolis, qui en avait dénoncé la mort avec juste quelques heures de retard, put jouir, « en suivant la coutume », du quart de la valeur de l’héritage : AST, Camerale Piemonte, art. 492, Ubena, m. P. 3, Point, 1740.

30 - Dubost, J.-F. et Sahlins, P., Et si on faisait payer les étrangers ?…, op. cit., p. 80 Google Scholar.

31 - AST, Camerale Piemonte, art. 492, Ubena, m. R-S-T/3, 1735.

32 - Ibid., 10 décembre, « Atto di prova di notorio ».

33 - Ibid., Testimoniali…, 13 juillet 1735.

34 - Ibid., « Atti di riduzione dei beni, et effetti lasciati in eredità dal fu signor Thomé francese residente in Demonte devoluti in vigor della legge ubena, e per mancanza di successione », 5 avril 1730, fasc. 2.

35 - L’avocat des pauvres est une figure relativement originale dans le cadre européen du premier XVIIIe siècle. Sur sa création au Piémont – qui suscita par ailleurs l’intérêt de Marx et Engels – voir Dogliani, Mario, « L’avvocatura dei poveri: dal privilegio del foro al gratuito patrocinio », Passato e presente, 19, 1988, pp. 275289 Google Scholar.

36 - « Atti di riduzione dei beni, et effetti lasciati in eredità dal fu signor Thomé… », 3 septembre 1730 (arguments du procureur des pauvres en faveur de sa cliente).

37 - Ibid.

38 - Ibid. Ce sont les mots qui apparaissent dans les derniers actes du procès, au moment où le fisc retire ses prétentions. Cette répétition dans le temps des signes de familiarité paraît en effet un élément essentiel ; d’autres témoignages ne sont pas considérés comme déterminants car ils ont été rendus par des personnes étrangères, qui n’avaient eu qu’une connaissance sporadique des époux Tassinari (” persone forestiere e che la conoscenza contratta da essi con detti giugali Tassinari fu veramente accidentale, che non ha potuto dar aggio di tempo nell’internarsi nella figliazione suddetta ») ; car la corésidence ne suffit pas à elle seule pour prouver l’existence d’une relation de parentèle (” la sola cohabitazione […] non è bastante a stabilire la prova della figliazione »). Il faut des actions et ces échanges qui, d’habitude, existent entre parents et enfants (” solite farsi tra genitori e figli »). Ibid., 10 décembre 1735.

39 - Cette formule figure dans le titre du premier dossier de la procédure Tassinari, Ibid.

40 - Ce qu’affirment, entre autres, Antoine de Loysel et Pierre Jacques Brillon, cités par Sahlins, P., Unnaturally French…, op. cit., p. 37 Google Scholar.

41 - Pour une première analyse je renvoie à Simona Cerutti, « Marchands étrangers, marchands calvinistes au Piémont au XVIIIe siècle », Actes du colloque Commerce, voyage, expérience religieuse (Europe, XVIe-XVIIIe siècle), Lyon, 25-27 mars 2004 (à paraître).

42 - AST, Camerale Piemonte, art. 492, Iena, m. D/F2, Claudio Fournier, 1709.

43 - Ibid., m. A. B/2, Giovanni Arnò , La Touche, 1726.

44 - Voir en particulier Ibid., Pietro Archier, 1693 ; Ibid., m. RST/3, Antonio Thomé, 1730 ; Ibid., m. P. 3, Pietro Paschè, 1746.

45 - Autour de cette vocation au consensus de l’action judiciaire dans la période moderne, les observations de Antó Nio Manuel Hespana sont encore fondamentales, par exemple dans « Pré-compréhension et savoir historique », Ratthistorika Studier, XIX, 1993, pp. 49-67.

46 - Ibid., m. I-L/2, 1696-1700, David Lumeau.

47 - Ibid., m. A-B1, 1697, Pietro Broglio.

48 - Sur le droit des « personnes misérables », voir Cerutti, Simona, « Justice et citoyenneté à Turin à l’époque moderne », in Garavaglia, J. C. et Schaub, J.-F. (dir.), Lois, justice, coutume. Amérique et Europe latines (XVIe-XIXe siècle), Paris, Éditions de l’EHESS, 2005, pp. 5791 Google Scholar.

49 - Je renvoie en particulier à Jean-Yves Grenier, L’économie d’Ancien Régime. Un monde de l’échange et de l’incertitude, Paris, Albin Michel, 1996, et à Ago, Renata, Economia barocca. Mercato e istituzioni nella Roma del Seicento, Rome, Donzelli Editore, 1998 Google Scholar.

50 - Parmi des lectures précieuses, voir Besta, Enrico, Le successioni nella storia del diritto italiano, III, Milan, A. Giuffrè Editore, 1961 Google Scholar ; ID., I diritti sulle cose nella storia del diritto italiano, (réimpression des cours de 1906), Milan, A. Giuffrè Editore, 1964 ; Dusi, Bartolomeo, L’eredità giacente nel diritto romano e moderno, Turin, Fratelli Bocca, 1891 Google Scholar ; Blandini, Carlo, « Del subjetto dell’eredità giacente », Antologia giuridica, VI, 1892, pp. 4861 Google Scholar ; Orestano, Riccardo, « Diritti soggettivi e senza soggetto. Linee di una vicenda concettuale », Jus, 11, 1960, pp. 7895 Google Scholar ; Pier Silvio Leicht, Storia del diritto italiano. Il diritto privato. Diritti reali e di successione, Milan, Giuffrè, 1960. Autour des opérations élaborées par le droit romain pour contourner les problèmes suscités par l’état de jacence, voir Thomas, Yan, «Du sien au soi. Questions romaines dans la langue du droit », L’écrit du temps, 14-15, 1987, pp. 157172 Google Scholar ; ID., « L’extrême et l’ordinaire. Remarques sur le cas médiéval de la communauté disparue », in J.-C. Passeron et J. Revel (dir.), Penser par cas, Paris, Éditions de l’EHESS, « Enquête », 2005, pp. 45- 73. La parenté est étroite entre ce droit et le droit de naufrage, auquel font référence, par ailleurs, les mêmes juristes intervenant dans les procédures analysées.

51 - Des attentes de protection qui sont parfois explicites : au milieu du XVIIIe siècle, plusieurs particuliers adressent au roi une plainte en demandant que des mesures soient prises afin de protéger les propriétés en train d’être vendues ou transmises. Des enseignes royales – est-il suggéré – pourraient les protéger d’éventuelles prises de possession ou bien d’usurpations de la part de tiers. Les mêmes mesures concernant les vols explicitent, plus généralement, le problème du contrôle des passages de propriété. En janvier 1750, un édit visant à limiter le phénomène prescrit que tous les bijoutiers, les orfèvres, mais aussi les chaudronniers, les ferblantiers, les fripiers, etc., devront signaler au vicaire de justice toute vente qui aurait eu lieu dans leurs boutiques (voir l’Editto di provvedimenti a riguardo dei furti, 5 janvier 1750 – in F. A. Duboin, Editti…, op. cit., t. 6, vol. 8, p. 116 sqq.). Pendant quelques mois la mesure fut suivie, et nous disposons donc d’une source très précieuse (bien que limitée), AST, Sez. Riunite, Vicariato, Sentenze criminali, vol. 151. Encore en 1791, il est prescrit que toute vente enregistrée chez un notaire devra être rendue publique par des « criées devant le palais du Sénat, qui annoncent les transferts de propriété tout en accordant un délai de trois mois pour que ceux qui voudront revendiquer des droits sur ladite propriété puissent se manifester », AST, Sez. Riunite, Grida Senatorie, vol. 415, 1791 (je dois à Nicoletta Rolla ces précieuses informations).

52 - AST, Camerale Piemonte, art. 492, Ubena, m. P. 3, 1753-1775.

53 - Dans leurs témoignages, les Juifs Guastalla, Aron Nizza, Verona, décrivent avec une très grande clarté cette activité, Ibid. (I° incartamento, cc. 22 sqq.).

54 - Renata Ago a beaucoup réfléchi aux implications de cette pluralité des circuits d’échange (Economia barocca…, op. cit.). Sur la circulation du crédit en France et en Angleterre : Hoffman, Philip T., Postel-Vinay, Gilles et Rosenthal, Jean-Laurent, Des marchés sans prix. Une économie politique du crédit à Paris, 1660-1870, Paris, Éditions de l’EHESS, 2001 Google Scholar ; Muldrew, Craig, The economy of obligation: The culture of credit and social relations in Early Modern England, New York, St. Martin's Press, 1998 CrossRefGoogle Scholar ; Finn, Margot C., The character of credit: Personal debt in English culture, 1740-1914, New York, Cambridge University Press, 2003 Google Scholar.

55 - Voir AST, Sez. Riunite, Insinuazione Torino, 1753, l. 3, vol. 1, c. 132, où sont mentionnées bon nombre de transactions.

56 - AST, Camerale Piemonte, art. 492, Ubena, m. P. 3, 1753-1775 ; I° incartamento, cc. 28-35.

57 - Ibid., c. 39v.

58 - Bizzarri, Dina, Gli statuti del Comune di Torino nel 1360, Turin, Gabetta, 1933, chap. 321, p. 1333 Google Scholar.

59 - AST, Camerale Piemonte, art. 492, Ubena, m. I-L1, La Fama/Ospedale di Vercelli/ Vianzano vs Fisco.

60 - Voir Besta, E., I diritti…, op. cit., et, en particulier, Grossi, Paolo, Le situazioni reali nell’esperienza giuridica medievale. Corso di storia del diritto, Padoue, CEDAM, 1968 Google Scholar ; ID., Il dominio e le cose. Percezioni medievali e moderne dei diritti reali, Milan, A. Giuffrè Editore, 1992 ; ID., Un altro modo di possedere. L’emersione di forme alternative di proprietà alla coscienza giuridica post-unitaria, Milan, Giuffrè, 1977. Une excellente recherche récente montre cette stratification des droits de propriété dans le cas milanais :Michela Barbot, «Le architetture della vita quotidiana. Usi dello spazio e scambio immobiliare a Milano in Età moderna », Tesi di Dottorato, Università Luigi Bocconi, 2004-2005.

61 - Voir en particulier Torre, Angelo, Il consumo di devozioni. Religione e comunità nelle campagne dell’Ancien Régime, Venise, Marsilio, 1995 Google Scholar. Sur les actes de possession, ainsi que sur leur utilisation par le Sénat piémontais au cours du XVIIIe siècle, voir Silvestrini, Maria Teresa, La politica della religione. Il governo ecclesiastico nello Stato sabaudo del XVIII secolo, Florence, Léo Olschki Editore, 1997 Google Scholar ; voir en outre Raggio, Osvaldo, « Costruzione delle fonti e prova: testimoniali, possesso e giurisdizione », Quaderni storici, 91, 1, 1996, pp. 135156 Google Scholar. J’en ai décrit le fonctionnement dans le cadre d’une procédure particulière : Cerutti, Simona, Giustizia sommaria. Pratiche e ideali di giustizia in una società di Ancien Régime (Torino, XVIII secolo), Milan, Feltrinelli, 2003 Google Scholar.

62 - AST, Camerale Piemonte, art. 492, Ubena, m. C. 3, Carlo Casasanta, 1744.

63 - Ibid., m. G. 2, Genoveffa Giarmet, 1709.

64 - Le texte fondamental est celui de Costa, Pietro, Iurisditio. Semantica del potere politico nella pubblicistica medievale (1100-1433), Milan, A. Giuffrè Editore, 1969 Google Scholar. La rencontre entre la culture juridique de la juridiction et la réflexion sociologique contemporaine sur l’action est sans doute paradoxale mais peut-être riche en suggestions. Parmi une large production sociologique, je renvoie au texte précieux d’albert Ogien, « Décrire ou expliquer : notes sur une mauvaise querelle de méthode », in W. Ackermann et al. (éd.), Décrire : un impératif ? Description, explication, interprétation en sciences sociales, t. 1, Paris, Centre d’étude des mouvements sociaux, EHESS, 1985, pp. 78-100.

65 - AST, Camerale Piemonte, art. 492, Ubena, m. P. 3, 1753-1775, cit. ; I° incartamento, cc. 33v, où Monsieur Brunet de Frossasco avance exactement cet argument. Il sait (et peut en témoigner) que Perron possédait des meubles car ce dernier lui avait proposé de les lui vendre, en disant « qu’ils lui appartenaient ; et il me proposa d’acheter un miroir […] qu’il m’aurait vendu volontiers, étant de sa propriété, et, à cette même occasion, Pierron “afficha en vente” un lave-mains ».

66 - Dans les sociétés d’Ancien Régime, « c’est pour un motif d’ordre successoral, dans un intérêt purement privé par conséquent, que les règles juridiques ont d’abord évolué. La théorie de la citoyenneté devait être précisée uniquement parce que la liquidation d’une succession remettait en cause sa valeur […]. Autrement dit, un individu ne succède pas parce qu’il est Français, il est Français parce qu’il est logique qu’il succède » ( Vanel, Marguerite, Évolution historique de la notion de Français d’origine du XVIe siècle au Code civil. Contribution à l’étude de la nationalité française d’origine, Paris, Ancienne Imprimerie de la Cour d’appel, 1945, pp. 5455 Google Scholar, cité aussi dans P. SAHLINS, Unnaturally French…, op. cit., p. 57, et déjà dans ID., « La nationalité avant la lettre… », art. cit., p. 1096).

67 - AST, Camerale Piemonte, art. 492, Ubena, m. V-Z/3, Federico Vidmar, 1724-1725.

68 - Ibid., m. D/F2, Biagio di Giorgi, 1734. J’en ai retrouvé le testament dans AST, Sez. Riunite, Insinuazione Torino, 1734, l. 11, c. 151v., 5 novembre 1734. En travaillant sur des donations à des institutions religieuses, très répandues parmi les élites marchandes cairotes du XIXe siècle, Pascale Ghazaleh écrit : « Le waqf sert à donner quelque chose aux enfants lorsqu’ils n’ont droit à rien ; il sert également à donner à ceux qui ne sont pas des héritiers, mais devraient recevoir quelque chose. Il révèle la famille voulue en l’absence d’héritiers légaux, que cette absence corresponde ou non à l’existence d’une descendance biologique. » Ces affinités dans l’utilisation sociale de ces donations à des institutions religieuses mériteront d’être approfondies (Pascale Ghazaleh, « Généalogies patrimoniales. La constitution des fortunes urbaines : Le Caire, 1780-1830 », Thèse de Doctorat, EHESS, Paris, 2004, p. 349). Ma dette à l’égard de ce travail remarquable est grande, ainsi qu’à l’égard de son auteur, qui a su solliciter mon attention autour des thèmes, centraux, de la propriété et de la transmission.

69 - Cette interdiction s’accompagne de celle qui concerne l’attribution des charges publiques, car leur détention aussi peut déclencher des revendications d’appartenance. Dans le cas des biens du capitaine Carlo Antonio Bombelli, ses fils prétendent à des droits à son héritage car, selon leurs dires, leur père était devenu un « originaire » du lieu. La preuve étant justement le fait qu’il détenait des offices « que l’on n’attribue aux seules personnes ayant résidé dans ce lieu depuis au moins vingt ans […] et, d’habitude, qu’aux personnes originaires de ce lieu », AST, Camerale Piemonte, art. 492, Ubena, m. A.B/2, Capitano Bombelli di Ceva, 1621.

70 - Vanel, M., Évolution historique…, op. cit., pp. 5455 Google Scholar.

71 - Boulet-Sautel, M., « L’aubain dans la France coutumière… », art. cit., p. 79 Google Scholar.

72 - Ibid., p. 96, n. 1. Du même auteur, voir aussi «Le Français d’origine… », art. cit.

73 - Villiers, Robert, « La condition des étrangers en France dans les trois derniers siècles de la monarchie », in L’étranger, op. cit., pp. 139150, cit. pp. 145, 146 et 147Google Scholar.

74 - Sahlins, P., Unnaturally French…, op. cit., en particulier le chapitre I, p. 19 Google Scholar.

75 - Patrice Alex a attiré mon attention sur la relative homogénéité de l’orientation des juristes cités par P. Sahlins, tous des royalistes convaincus.

76 - Dolan, Claire, « Famille et intégration des étrangers à Aix-en-Provence au XVIe siècle », Provence historique, 35, 142, pp. 401-413, ici p. 402Google Scholar.

77 - Ibid.

78 - Besta, E., Le successioni…, op. cit., p. 47 Google Scholar.

79 - Cité dans C. Dolan, « Famille et intégration des étrangers… », art. cit., p. 401.

80 - « La plupart des historiens – écrit Tamar Herzog [et la référence est explicite aux travaux préparatoires à Unnaturally French…, op. cit.], considèrent les lettres de citoyenneté et de naturalité comme si elles étaient les seuls instruments à travers lesquels les individus auraient pu être classifiés comme étant des insiders ou bien des outsiders.» Et pourtant – poursuit T. Herzog –, à l’encontre de ce qui se produit aujourd’hui, pendant l’époque moderne les catégories de l’appartenance n’étaient ni inscrites dans les définitions juridiques ni issues d’actes d’autorité. « Les déclarations formelles étaient sollicitées dans une minorité des cas ; là où le conflit était présent ou bien imminent. » Ainsi les lettres de naturalité étaient non pas la règle, mais plutôt l’exception. Ce qui explique pourquoi, par exemple, les listes des citoyens conservées dans les archives municipales ou centrales ont toujours paru très réduites par rapport au nombre d’individus agissant en citoyens et jouissant de ce statut (Defining nations…, op. cit., pp. 4-5).

81 - Ce souhait a été exprimé il y a longtemps déjà par plusieurs historiens, et en particulier dans un article célèbre : Hanley, Sarah, « Engendering the State: Family formation and State-building in Early Modern France », French historical studies, 16, 1989, pp. 427, ici p. 12CrossRefGoogle Scholar.

82 - Ces réflexions doivent beaucoup aux échanges que j’ai eus au cours de ces dernières années avec Isabelle Grangaud et à notre travail commun autour de la comparaison entre Occident et Maghreb à l’époque moderne.