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Les mythes, les sciences et l'invention sociale
Published online by Cambridge University Press: 25 May 2018
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Depuis environ quarante ans, une double révolution conceptuelle a comblé le fossé entre mythes et sciences : il n'existe plus ni mentalité prélogique, ni apriorisme rationnel. La logique se construit par intégrations successives, selon un processus antérieur à l'homme, et sans fin. En chaque étape, la découverte d'une notion ou d'une opération répond à un problème antérieurement déterminé, mais la nouvelle cohérence de l'ensemble ainsi enrichi n'est trouvée qu'au cours d'une étape postérieure, grâce à quelque invention nouvelle dont, à son tour, la raison ne sera donnée qu'ensuite. Il en va donc du fait logique comme du fait tout court, dont la pleine signification n'apparaît qu'après coup.
- Type
- Histoire et Sciences
- Information
- Copyright
- Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1975
References
Notes
1. Un certain nombre des pages qui suivent ont déjà été publiées dans la Revista de Historia dont Euripides Simoes de Paula entendait marquer l'anniversaire en s'adressant à tous ses amis. Toutefois le début et la fin du présent article ont été entièrement réécrits, ainsi qu'une partie du milieu, grâce au délai écoulé depuis la première rédaction. Ont été ôtées les mentions ne pouvant être qu'allusives à une théorie d'ensemble citée ici seulement en référence. Cette suppression n'est pas un reniement ; ce qu'en dit la revue brésilienne demeure à nos yeux exact, encore que trop court à la réflexion, pour pouvoir être tel quel aisément utilisable par l'historien.
2. Merlin, d'abord personnage assez flou d'une chronique du xie siècle, devient au xive le héros d'un mythe achevé et complétant celui d'Orphée. Certains de ses traits sont communs à Héphaistos, compagnon de Minerve ou époux d'Aphrodite ; mais il possède en outre un don de prédiction. Au xixe siècle, grâce notamment à Edgar Quinet, il deviendra le tout-puissant démiurge de l'histoire atteignant sa phase industrielle. M. Yves Vadé fait le point du problème dans une thèse en préparation.
3. Cf. ÉLiade, Mircea, Aspects du Mythe, Paris, 1963 Google Scholar. Mircea Éliade ne traite pas du mythe aussi précisément que Claude Lévi-Strauss dont la rigueur fut indispensable à la présente étude. Mais le caractère général des évocations d'Éliade inclut, comme ici, toutes formes de mythes, aussi bien « civilisées » que « sauvages », depuis la fable illusoire jusqu'aux mythes politiques qui, pour Albert Sorel, sont à la source aussi des plus grandes violences. En ce sens, à la fois global et fort, le mythe illustre et justifie les structures collectives et les comportements tant de mort que de vie (cf. Ch. MorazÉ, « L'histoire, science naturelle », Annales E.S.C., janvier-février 1974, p. 134, note 6). Un tel mythe ne disparaît pas sans conséquences, généralement il se transforme soit en un autre mythe, soit en une connaissance positive de type quantitatif.
4. Ce texte, très connu en Allemagne, a été à nouveau présenté en France par Jacques Doucelin, Le Monde, 24 mars 1972.
5. Karl Marx, Introduction à la Critique de l'Économie politique, 1857.
6. KoyrÉ, A., Du monde clos à l'univers infini, Paris, 1961, p. 47 Google Scholar, note 1, écrit : « la phrase célèbre ‘le silence éternel de ces espaces infinis m'effraie’ n'exprime pas les sentiments propres de Pascal, comme le supposent d'habitude ses historiens, mais ceux du « libertin athée ». Pour cette fois l'interprétation habituelle est la bonne ; les « esprits forts » s'accommodent de ce dont souffre Pascal, recherchant dans les raisons du coeur ce qu'ils ne trouvent plus cans l'espace vide. 7. Cf. aussi Girvetz, Harry K., The Evolution of Liberalism, New York, 1963 Google Scholar. L'ouvrage reprend des idées exprimées par le même auteur dès 1950.
8. Alexandre KoyrÉ, Études d'Histoire de la Pensée philosophique, Paris, 1961, p. 239.
9. Cf. Kuhn, Thomas S., La structure des révolutions scientifiques, Paris, 1972 Google Scholar. On comprendra plus précisément la portée de telles observations dans Ullmo, Jean, La pensée scientifique, Paris, 1969 Google Scholar. Le premier de ces deux ouvrages évoque peu — et accidentellement — les mathéma- tiques situées au centre du second. Ces dernières exploitent et préparent les résultats expérimentaux, parfois au prix de créations symboliques, elles aussi révolutionnaires. Jean UUmo éclaire particulièrement bien le destin logique du positivisme et les critiques conceptuelles d'où est née la physique quantique.
10. Itard, Jean, Les livres arithmétiques d'Euclide, Paris, 1961, p. 11 Google Scholar.
11. Vernant, Jean-Pierre, Mythe et Pensée chez les Grecs, Paris, 1965, pp. 145 Google Scholar à 148, p. 153 et pp. 167 et 180.
12. La remarque est d'Henri Marrou dont le Saint Augustin ouvre des horizons nouveaux à ce que devrait être une histoire des calendriers. Quand le zéro des temps est situé à l'origine de toute création, la mesure des durées est cyclique ; ce zéro peut changer de nature, devenir une date de l'histoire alors répertoriée par la suite des nombres à partir de la fondation de la cité ou de l'incarnation d'un Sauveur. Les deux modalités ont été souvent conjointes ; la seconde sera complète avec l'invention des nombres négatifs.
13. Cf. Scolbetzine, André, L'art féodal et son enjeu social, Paris, 1973 Google Scholar. Illustrations et commentaires y sont particulièrement suggestifs.
14. Cf. notamment Lynn, White, Technologie médiévale et transformations sociales, Paris - La Haye, 1969 Google Scholar. Ces mêmes thèmes ont été traités dès 1964 par Jacques LE Goff, La civilisation de l'Occident médiéval.
15. Cette mutation esthétique a fait l'objet d'importantes études. Dirigés par Jean Petitot, trois élèves (Henri Barrai, Yannick Loisance et Jean-Claude Lumeaux) ont fait le point de la question.
16. Duhem, Pierre, Le système du monde, Paris, 1958 Google Scholar, notamment t. I, pp. 5-6.
17. Cf. cité dans Renétaton, , Histoire générale des Sciences, t. I, Paris, 1957, p. 225 Google Scholar.
18. Cf. notamment les études de P. M. Rattansi et de Westphall, R. S., dans Sciences, Médecine and Society in the Renaissance, Heinemann, 1972 Google Scholar.
19. L'ouvrage de Paul Kraus consacré à Geber s'éclaire des commentaires dont M. Aly Mazahéri prépare la publication.
20. Cf. note 22.
21. Le texte est évoqué dans Schmidt, Albert Marie, La poésie scientifique en France au XVIe siècle, Paris, 1938, p. 320 Google Scholar.
22. Paracelse, , OEuvres médicales, Paris, 1968, notamment pp. 29 Google Scholar à 100, livre Paragranum dont Odette Peyrondet nous a préparé l'exégèse.
23. Le Mutus Liber, Paris, 1677, fait l'objet de plus récentes publications. Marc Therry et Daniel Caille ont élucidé certains aspects du « langage alchimique » et d'un type d'expérimentation : Mémoire, à la Bibliothèque de l'École polytechnique.
24. Cf. Coumet, E., Mathématiques et sciences humaines, n” 38, 1972, pp. 5-37, et dans Permutations, Paris, 1974, pp. 277–289 Google Scholar.
25. Jacques Hadamard, Essai sur la psychologie de l'invention dans le domaine mathématique, éd. fr. 1959.
26. OEuvres de Pascal, Paris, 1925, t. XII, p. 28, t. XIII p. 117, t. XIV, p. 122.
27. Notamment dans Thomas S. Kuhn, op. cit., p. 164 et ss.
28. Cf. Ch. MorazÉ, «L'histoire, science naturelle», Annales E.S.C., janvier-février 1974, p. 134.
29. «… j'oserais presqu'assurer qu'avant qu'il soit cent ans, on ne comptera pas trois grands géomètres en Europe (géomètre est pris par Diderot au sens de mathématicien). Cette science s'arrêtera tout court, où l'auront laissée les Bernouilli, les Euler, les Maupertuis, les Clairaut, les Fontaine et les d'Alembert. Ils auront posé les colonnes d'Hercule. On n'ira point au-delà. Leurs ouvrages subsisteront dans les siècles à venir comme les pyramides d'Egypte… chargées d'hiéroglyphes ». Diderot, Pensées sur l'interprétation de la Nature, partie 4. L'avenir des mathématiques dépendit alors, en effet, d'une rupture, celle de la puissance de mythes conférée au postulat euclidien des parallèles.
30. Freud, , Introduction à la Psychanalyse, Paris, p. 223 Google Scholar. Citation à rapprocher de plusieurs propos de Piaget, Jean, notamment dans La construction du réel chez l'enfant, Paris, 1963, p. 217 Google Scholar.
31. Jacques Hadamard, op. cit., consacre à ce problème l'essentiel de son ouvrage. On y relit les réflexions d'Henri Poincaré.
32. Cf. Annales E.S.C., janvier-février 1974, p. 134 et ss. Un prochain livre d'ensemble traitera ce sujet.
33. Jacques Hadamard, op. cit., consacre à l'inconscient l'essentiel de son ouvrage. On y relit les réflexions d'Henri Poincaré. On pourrait aussi parler, avec Roland Barthes, de la transformation opérée de Montaigne à Flaubert, et prolonger le passage du « ce suis-je » en « je suis » d'une suite étant celle de « ça est ». Cette hypothèse ramènerait à Merlin l'Enchanteur que publia Edgar Quinet en 1860, et dont le livre III du t. I nous apprend, par la bouche de la fée Viviane, que tous les êtres, symboliques ou fictifs aussi bien que réels, attendent sous les ombrages d'un monde enfoui qu'un créateur vienne les appeler à leur heure.
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- Cited by