Published online by Cambridge University Press: 04 May 2017
Dans la tradition anthropologique d’inspiration maussienne dont se réclame Marcel Detienne, la comparaison suppose l’élaboration préalable d’universaux sociaux, de mécanismes de pensée transcendant les sociétés particulières, par une mise en regard de leurs différences. A partir d’une réflexion sur deux composantes de la communauté druze au Proche-Orient (en Israël et au Liban), l’article questionne cette méthode comparative autour de deux axes. Le premier est celui de la comparaison au plus proche, qui n’implique pas de transcender des différences dans l’ordre des valeurs et représentations, mais de mettre en équation l’identité pour construire sociologiquement ces différences. Le second, corollaire de cet exercice de comparaison dans la proximité, est celui de l’introduction nécessaire des dynamiques historiques comme moteurs sinon comme objets de comparaison.
In the anthropological tradition inspired by Marcel Mauss of whom Marcel Detienne claims to be a follower, comparison involves the previous elaboration of social universals or patterns of thought transcendent societies. Grounded in a reflexion on two components of the Druze community (one in Israel, one in Lebanon), the paper questions the comparative method following two sets of problems. The first one deals with comparison between close societies, since the analysis does not imply transcending differences between social values or representations, but rather implies questioning the identity in order to construct sociologically pertinent differences. The second one, which is a corollary of this attempt to compare close societies, highlights the necessary introduction of historical dynamics as the mainspring if not the object of the comparison.
Cette étude a été réalisée avec le soutien de la fondation Fyssen.
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14 - Le bref exposé qui suit ne décrit pas des caractères spécifiques àla société druze, mais des traits partagés par toutes les populations non tribales de la région, quelle que soit leur appartenance religieuse.
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22 - La famille aurait son origine en Égypte. L’ancêtre apical aurait vécu àl’époque de la prédication, avant de s’installer dans le lieu le plus saint pour les Druzes, la khalwa al-Bayyada. Parmi ses descendants, deux frères, Abu Salati Salmān al-kātib, religieux reconnu qui aurait écrit un ouvrage organisant le dhikr, et Khayr, campant l’ascète qui se consacre uniquement àla religion en choisissant de vivre dans une retraite perpétuelle, sont les représentants de la distinction religieux/ascètes. Le chef spirituel actuel est présenté comme l’héritier direct en ligne biologique et spirituelle.
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