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Clausewitz et l'État*

Published online by Cambridge University Press:  25 May 2018

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Je n'aurais qu'une seule critique sérieuse à formuler contre le livre de l'historien américain Peter Paret; pourquoi le titre Clausewitz and the State ? Le livre constitue une véritable biographie et les idées de Clausewitz sur l'État, heureusement d'ailleurs, ne tiennent qu'une place modeste dans ce livre d'histoire à la fois intellectuelle et sociale. Je souscris sans réserve au jugement du professeur Félix Gilbert: « This is a scholarly work of the highest distinction. Although for more as a century Clausewitz has been recognized as the greatest military thinker of modem times, the growth of this ideas and the development of his théories hâve never been investigated with such thoroughness and presented with such clarity... ».

Type
Les Formes du Politique
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1977

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Footnotes

*

A propos de Peter Paret, Clausewitz and the State, Oxford, 1976. J'ai publié, la même année, Penser la guerre, Clausewitz, 2 vol., Paris, Gallimard, 1976.

J'ai volontairement laissé de côté deux points particuliers: le nationalisme et l'antisémitisme de Clausewitz.

A propos du nationalisme et des études sur les mérites comparés des Français et des Allemands, P. Paret, avec bon sens, fait observer: « What might be the historical results of a nationalism that depended so heavily on the vilification of the foreigners ? » (p. 135). Je me suis désintéressé de ces textes que H. Rothfels, écrivant pendant la Première guerre, commentait avec sérieux. La légèreté, l'arrogance, l'uniformité, la propension au despotisme, tous ces traits que Clausewitz, avec beaucoup d'autres Allemands, attribuait aux Français, appartiennent à ces « stéréotypes nationaux » dont les enquêtes par sondages ont révélé au xxe siècle la force persistance. Je n'aime pas plus que P. Paret cette sorte de littérature, mais Européen, gardant le souvenir de ce que les Français écrivirent sur les Allemands au xxe siècle, j'y vois un aspect récurrent des conflits entre les nations, les intellectuels, même du plus haut niveau, étant incapables de résister aux passions déchaînées.

P. Paret, s'interroge également sur l'antisémitisme de Clausewitz. Il cite, comme je l'ai fait, les deux textes, l'un où il compare Napoléon refusant d'abdiquer à un juif, l'autre où il décrit en termes méprisants, ou pour mieux dire odieux, les juifs de Pologne: « Des juifs allemands sales, qui pullulent comme de la vermine, dans la crasse et la misère sont les patriciens du pays. » « Texte troublant, écrit P. Paret, pour les générations dont la conscience historique a été marquée par le IIIe Reich. » P. Paret oppose à cette description des juifs polonais celle de H. von Boyen plus modérée, plus équitable. Clausewitz, en effet, semble avoir éprouvé des sentiments hostiles tout à la fois à l'égard des Polonais (pour des raisons surtout politiques) et des juifs. Mais, quand on se souvient des textes antisémites de Voltaire, et de tant d'autres au siècle des Lumières, on incline à l'indulgence. P. Paret mentionne le fait que Clausewitz fréquentait deux salons, celui de O. Etzel et de Erman qui avaient épousé tous deux des femmes juives, qu'il acceptait les juifs ou les juives, baptisés, assimilés, dépouillés de « l'abjection juive ». L'antisémitisme de la fin du xvme et du début du XIXe siècle ne présentait pas de caractère raciste au sens que Hitler et les siens ont donné à ce terme. Les juifs apparaissaient, souvent, aux hommes des Lumières, prisonniers des plus méprisables superstitions. Quand ils se situaient, ainsi que les juifs de Galicie, au bas de l'échelle sociale, ils sortaient pour ainsi dire de l'humanité, au moins de celle avec laquelle on pouvait entretenir des rapports humains. En revanche, une fois riches et baptisés, les juifs devenaient salonfähig.

Faut-il chercher à l'antisémitisme de Clausewitz des raisons particulières afin de l'expliquer et de l'excuser ? Personnellement, je ne le pense pas. Cet antisémitisme est banal, il reflète une attitude fréquente à l'époque; il révèle les limites d'un homme qui ne s'élève pas toujours au-dessus des opinions (ou préjugés à nos yeux) caractéristiques de son milieu et de son temps.

References

1. M. Lehmann, Scharnhorst, Leipzig, 1886-1887, R. Stadelmann, Scharnhorst, Schicksal und geistige Welt, Wiesbaden, 1952 ; P. Paret, York and the era of Prussian reform, Princeton, 1966; G. H. Pertz et H. Delbrùck, Das Leben des Feldmarshalls Grafen Neithardt von Gneisenau, Berlin, 1864-1880 ; E. Conrad Y, Leben und Wirken des Gênerais Cari von Grolman, Berlin, 1894-1896.

2. Un fragment de cette lettre est cité par P. Paret, p. 431. On en trouvera d'autres fragments dans Penser la guerre, Clausewitz, t. I, pp. 394-395.

3. Je l'ai daté par inadvertance de la période de Coblence. Il se réfère à des événements postérieurs et a donc dû être écrit après 1819, bien que les parties relatives à la Rhénanie aient dû lui être inspirées par son séjour à Coblence.

4. Je cite d'après la traduction de Mlle Steinhauser, dans son recueil Clausewitz, De la Révolution à la Restauration. Écrits et lettres, Gallimard, 1976.

5. Au reste, aux pp. 261-263, il explique les idées politiques des réformateurs qui suppriment le caractère puzzling de Umtriebe.