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« Au ciel de la richesse »: Le cœur théologique caché du rationnel économique occidental

Published online by Cambridge University Press:  07 April 2020

Résumés

Les historiens de la pensée économique et les économistes ont souvent décrit notre vision actuelle de l’économie ainsi que la science économique, censée transposer cette vision en termes rigoureux, comme l’aboutissement d’un double processus : toutes deux seraient le fruit, d’une part, du développement de la rationalité européenne et, d’autre part, de la modernisation/sécularisation de la pensée économique prémoderne (c’est-à-dire médiévale). Le développement de la rationalité économique européenne a donc été envisagé et représenté comme la victoire sur les conceptions économiques propres au Moyen Âge et à l’époque moderne, et ce par des auteurs aux points de vue très variés. On peut toutefois avancer une autre interprétation de l’évolution des langages économiques européens et de l’histoire de la « pensée économique » occidentale entre le Moyen Âge et la modernité, autrement dit entre le xve et le xviiie siècle. Selon cette perspective alternative, sur le plan formel, certains aspects de la science économique moderne (et, plus généralement, de la modernisation économique de l’Occident) résulteraient plutôt de l’incorporation et de la mise en œuvre systématique, durant l’époque moderne, de composants linguistiques/politiques hérités de la prémodernité. Ces composants consistent en des métaphores, des images et des allégories qui représentent la croissance ou la stagnation économique, de même que les asymétries économiques et les disparités sociales, comme participant d’un équilibre organique, fondé sur un ordre naturel ou providentiel. Ce système métaphorique de notions, ancré à l’origine dans une syntaxe conceptuelle issue du discours théologique, fut traduit en un langage qui, en convertissant les métaphores économiques en lois de l’économie, dissimulait leur sens historique et politique. L’imaginaire économique prémoderne pouvait alors être réactivé sous la forme d’une rhétorique qui représentait les asymétries économiques comme la conséquence naturelle et nécessaire d’un ordre économique rationnel et vérifiable.

Abstracts

Abstracts

Historians of economic thought and economists have described today’s economic worldview and the contemporary economics that is supposed to put it into scientific terms as the outcome of a double process: the growth of European rational thinking and the modernization/secularization of premodern (that is, “medieval”) economic thought. The growth of Western economic rationality has been imagined and represented as overcoming medieval and early modern economics from many different perspectives. It is possible, however, to suggest another interpretation of European economic languages and the history of Western “economic thinking” between the Middle Ages and modernity, that is, from the fifteenth to the eighteenth century. This alternative perspective sees the shaping of some aspects of modern economics (and of Western economic modernization) as a result of the absorption and systematic implementation of linguistic/political elements transmitted from premodern to modern times as metaphors, images, and allegories representing economic development or stagnation, economic asymmetries, and social disparities as if they were an organic equilibrium based in the order of nature and providence. This metaphoric system of economic notions, originally embedded in a theological conceptual syntax, was translated into a language that simultaneously converted economic metaphors into economic laws and concealed their explicit historical and political meaning. The premodern economic imaginary could then be reactivated in the form of a rhetoric representing economic asymmetries as the natural and necessary byproduct of a rationally verifiable economic order.

Type
Pensée économique
Copyright
© Éditions de l'EHESS

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Footnotes

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Je voudrais remercier l’Ehess et spécialement Pierre-Cyrille Hautcœur pour cette invitation qui m’honore et m’intimide, surtout après une vie de recherche consacrée aux thèmes abordés ici, vécue assez loin des grands centres du monde scientifique et académique, dans le silence et l’indifférence d’une périphérie de l’Europe. Cette invitation me touche aussi en raison de l’influence que l’œuvre de Marc Bloch a exercée sur mon travail, notamment à travers les « faits linguistiques » qu’il encourageait tout historien à étudier attentivement, en notant en particulier leur « ductilité » ou leur « résistance », c’est-à-dire, pour reprendre son expression, les « redoutables […] effluves émotives dont tant de ces mots nous arrivent chargés » (Marc Bloch, Apologie pour l’histoire ou métier d’historien, Paris, Armand Colin, [1949] 1952, p. 81 et 87). Un grand merci à Mathieu Arnoux et à Clément Lenoble, qui ont très patiemment relu et révisé le texte de cette conférence.

References

1 Afin de rendre aussi fidèlement que possible le sens de Blutschweiß, nous nous écartons ici de la traduction d’Émile Bottigelli, qui choisit le terme « sueur ». L’expression Blutschweiß est une allusion à Luc 22, 44 (« Entré en agonie, Jésus priait avec plus d’insistance, et sa sueur devint comme des gouttes de sang qui tombaient sur la terre ») que l’on retrouve, à la même époque, chez Moses Hess, à qui le jeune Marx était lié : voir Caspar Battegay, Das andere Blut: Gemeinschaft im deutsch-jüdischen Schreiben 1830-1930, Köln Weimar, 2011, p. 135 sq.

2 Karl Marx, « Troisième manuscrit » , in Manuscrits de 1844. Économie politique et philosophie, trad. par É. Bottigelli, Paris, Éditions sociales, [1844] 1969, p. 108-109 (nous soulignons) ; Id., Ökonomisch-philosophische Manuskripte aus dem Jahre 1844, XX, in Karl Marx et Friedrich Engels, Werke, Ergänzungsband, 1. Teil, Berlin, Dietz Verlag, 1968, p. 465-588, ici p. 544 : « […] die Kellerwohnung des Armen ist ein feindliches, als ‘fremde Macht an sich haltende Wohnung, die sich ihm nur hingibt, sofern er seinen Blutschweiß ihr hingibt’, die er nicht als seine Heimat – wo er endlich sagen könnte, hier bin ich zu Hause – betrachten darf, wo er sich vielmehr in dem Haus eines andern, in einem fremden Hause, befindet, der täglich auf der Lauer steht und ihn hinauswirft, wenn er nicht die Miete zahlt. Ebenso weiß er der Qualität nach seine Wohnung im Gegensatz zur jenseitigen, im Himmel des Reichtums, residierenden menschlichen Wohnung. »

3 K. Marx, « Troisième manuscrit », art. cit., p. 108 : « Nous avons dit plus haut que l’homme retourne à sa tanière, etc., mais la retrouve sous une forme aliénée et hostile. Le sauvage dans sa caverne – cet élément de la nature qui s’offre spontanément à lui pour qu’il en jouisse et qu’il y trouve abri – ne se sent pas plus étranger, nu plus exactement, tout aussi à l’aise que le poisson dans l’eau » ; Id., Ökonomisch-philosophische Manuskripte…, op. cit., p. 544 : « Wir haben oben gesagt, daß der Mensch zu der Höhlenwohnung etc., aber zu ihr unter einer entfremdeten, feindseligen Gestalt zurückkehrt. Der Wilde in seiner Höhle – diesem unbefangen sich zum Genuß und Schutz darbietenden Naturelement – fühlt sich nicht fremder, oder fühlt sich vielmehr so heimisch, als der Fisch im Wasser. »

4 Aligheri, Dante, La divine comédie, Le Paradis, XXIV, 83-85, trad. par A.-F. Artaud de Montor, Paris, Garnier frères, [1472] 1925, p. 363Google Scholar : « L’alliage et le poids de cette monnaie sont très bien examinés, mais, dis-moi, l’as-tu dans ta bourse ? »

5 Marx, Karl, Le capital, trad. par J. Roy, Paris, Maurice Lachâtre, [1867] 1872, p. 43Google Scholar ; Id., Das Kapital, I, 3, 1, in K. Marx et F. Engels, Werke, vol. 23, Berlin, Dietz Verlag, 1968, p. 117-118 : « Um also praktisch die Wirkung eines Tauschwerts auszuüben, muß die Ware ihren natürlichen Leib abstreifen, sich aus nur vorgestellten Gold in wirkliches Gold verwandeln, obgleich diese Transsubstantiation ihr ‘saurer’ ankommen mag als dem Hegelschen ‘Begriff’ der Übergang aus der Notwendigkeit in die Freiheit oder einem Hummer das Sprengen seiner Schale oder dem Kirchenvater Hieronymus das Abstreifen des alten Adam. Neben ihrer realen Gestalt, Eisen z.B., kann die Ware im Preise ideelle Wertgestalt oder vorgestellte Goldgestalt besitzen, aber sie kann nicht zugleich wirklich Eisen und wirklich Gold sein. Für ihre Preisgebung genügt es, vorgestelltes Gold ihr gleichzusetzen. Durch Gold ist sie zu ersetzen, damit sie ihrem Besitzer den Dienst eines allgemeinen Äquivalents leiste. Träte der Besitzer des Eisens z.B. dem Besitzer einer weltlustigen Ware gegenüber und verwiese ihn auf den Eisenpreis, der Geldform sei, so würde der Weltlustige antworten, wie im Himmel der heilige Petrus dem Dante, der ihm die Glaubensformel hergesagt : ‘Assai bene è trascorsa/d’esta moneta già la lega e’l peso, Ma dimmi se tu l’hai nella tua borsa.’ Die Preisform schließt die Veräußerlichkeit der Waren gegen Geld und die Notwendigkeit dieser Veräußerung ein. Andrerseits funktioniert Gold nur als ideelles Wertmaß, weil es sich bereits im Austauschprozeß als Geldware umtreibt. Im ideellen Maß der Werte lauert daher das harte Geld. »

6 Mandeville, Bernard, « La ruche mécontente, ou les coquins devenus honnêtes gens », in La fable des abeilles, vol. 1, trad. par L. et P. Carrive, Paris, Vrin, [1705] 1998, p. 33.Google Scholar

7 Locke, John, Traité du gouvernement civil, trad. par Mazel, D., Paris, Garnier-Flammarion, [1690] 1992Google Scholar, VII, 79 et V, 29 ; Quesnay, François, Despotisme de la Chine, in Œuvres économiques complètes et autres textes, éd. par Théré, C., Charles, L. et Perrot, J.-C., Paris, Ined, 2005, vol. 2, p. 1208 ; Id., Essai physique sur l’économie animaleGoogle Scholar, Paris, G. Cavelier, 1736, chap. 3 ; Smith, Adam, Théorie des sentiments moraux. Traduction nouvelle de l’anglois de M. Smith, ancien professeur de philosophie à Glasgow, Paris, [1761] 1775, vol. 2, p. 64Google Scholar : « […] on peut dire en conséquence que nous sommes en un sens les coopérateurs de la divinité, & que nous travaillons de tout notre pouvoir à remplir les vues de la Providence » ; Denis, Andy, « The Invisible Hand of God in Adam Smith », Research in the History of Economic Thought and Methodology, 23-A, 2005, p. 1-32CrossRefGoogle Scholar ; Eichengreen, Barry, Hausmann, Ricardo et Panizza, Ugo, Original Sin: The Pain, the Mystery, and the Road to Redemption, 2002Google Scholar : www.econ.berkeley.edu/~eichengr/research/osroadaug21-03.pdf (l’expression, devenue « classique », se retrouve dans le Financial Times Lexicon : lexicon.ft.com/Term?term=original-sin) ; Mirowski, Philip (dir.), Natural Images in Economic Thought: “Markets Read in Tooth and Claw”, Cambridge, Cambridge University Press, 1994CrossRefGoogle Scholar ; Dostaler, Gilles, « Les lois naturelles en économie. Émergence d’un débat », L’homme & la société, 170/171-4, 2008, p. 71-92CrossRefGoogle Scholar ; Hengstmengel, Joost Willem, Divine Œconomy: The Role of Providence in Early-Modern Economic Thought before Adam Smith, Rotterdam, Erasmus University Rotterdam, 2015Google Scholar.

8 Galiani, Ferdinando, Della moneta libri cinque, I, 4, Naples, Presso Giuseppe Raimondi, 1750Google Scholar ; Porta, Pier Luigi, « Ferdinando Galiani », in Negri Zamagni, V. et Porta, P. L. (dir.), Enciclopedia italiana : Appendice VIII. Il contributo italiano alla storia del pensiero. Economia, Rome, Istituto della Enciclopedia italiana, 2012Google Scholar. Pour Smith, le passage le plus connu se trouve dans Smith, Adam, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, vol. 2, IV, 7, 3, trad. par G. Garnier, Paris, Flammarion, [1776] 1991, p. 217-218Google Scholar : « La Grande-Bretagne, dans son état actuel, ressemble à l’un de ces corps malsains dans lesquels quelqu’une des parties vitales a pris une croissance monstrueuse, et qui sont, par cette raison, sujets à plusieurs maladies dangereuses auxquelles ne sont guère exposés ceux dont toutes les parties se trouvent mieux proportionnées. Le plus léger engorgement dans cet énorme vaisseau sanguin qui, à force d’art, s’est grossi chez nous fort au-delà de ses dimensions naturelles, et au travers duquel circule, d’une manière forcée, une portion excessive de l’industrie et du commerce national, menacerait tout le corps politique des plus funestes maladies. Aussi jamais l’armada des Espagnols ni les bruits d’une invasion française n’ont-ils frappé le peuple anglais de plus de terreur que ne l’a fait la crainte d’une rupture avec les colonies. […] Le sang dont la circulation se trouve arrêtée dans quelqu’un des petits vaisseaux se dégorge facilement dans les plus grands, sans occasionner de crise dangereuse ; mais s’il se trouve arrêté dans un des plus grands vaisseaux, alors les convulsions, l’apoplexie, la mort, sont les conséquences promptes et inévitables d’un pareil accident. » Pareto, Voir aussi Vilfredo, Manuel d’économie politique, trad. par A. Bonnet, Paris, V. Giard et E. Brière, [1906] 1909, p. 343-379Google Scholar, en particulier p. 350-351. Si l’on veut remonter aux origines de cette rhétorique, il faut considérer l’œuvre d’un « économiste » du xvie siècle, Bernardo Davanzati, sur lequel nous reviendrons. Pour une synthèse historiographique et une excellente bibliographie, Maifreda, voir Germano, From Oikonomia to Political Economy: Constructing Economic Knowledge from the Renaissance to the Scientific Revolution, Farnham, Ashgate, 2012Google Scholar. Sur la comparaison avec la circulation du sang, Johnson, voir Jerah, « The Money=Blood Metaphor, 1300–1800 », The Journal of Finance, 21-1, 1966, p. 119-122CrossRefGoogle Scholar.

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11 Kelsen, Hans, Law and Peace in International Relations: The Oliver Wendell Holmes Lectures, 1940-1941, Cambridge, Harvard University Press, [1942] 1948, p. 148-150Google Scholar : « […] il existe une certaine régularité dans l’évolution du droit qui trouve sa source dans la nature sociologique et surtout socio-psychologique de ce dernier. On peut en déduire que le développement du droit international suit très probablement les mêmes tendances que le droit étatique et considérer, dès lors, qu’il doit se produire, à l’échelle de la société, un phénomène comparable à celui connu, à l’échelle de l’individu, sous le nom de loi biogénétique, selon laquelle l’embryon humain reproduit, au cours de son développement dans le ventre maternel, les mêmes stades par lesquels est passé l’homme en tant qu’espèce. Ainsi, l’ordre juridique universel, international reproduit sans doute les stades d’évolution qu’a connus l’ordre juridique partiel, interne. […] L’évolution naturelle du droit tend vers l’instauration d’une juridiction internationale. […] Bien sûr, on ne peut pas complètement exclure que le développement du droit international emprunte une autre direction : les lois qui déterminent l’évolution de la société humaine ne sont pas aussi implacables que les lois biologiques ou physiologiques. » (Les citations dans les notes sont traduites par l’éditeur, sauf mention contraire.)

12 Haeckel, Ernst, Ueber Arbeitstheilung in Natur- und Menschenleben. Vortrag, gehalten im Saale des Berliner Handwerker-Vereins am 17. Dezember 1868, Berlin, Lüderitz, 1869Google Scholar ; Weikart, Richard, « The Origins of Social Darwinism in Germany, 1859-1895 », Journal of the History of Ideas, 54-3, 1993, p. 469-488CrossRefGoogle Scholar ; Hawkins, Mike, Social Darwinism in European and American Thought, 1860-1945: Nature as Model and Nature as Threat, Cambridge, Cambridge University Press, 1997CrossRefGoogle Scholar ; Peart, Sandra J. et Levy, David M., « Denying Human Homogeneity: Eugenics and the Making of Post-Classical Economics », Journal of the History of Economic Thought, 25-3, 2003, p. 261-288CrossRefGoogle Scholar ; Hodgson, Geoffrey Martin, « Decomposition and Growth: Biological Metaphors in Economics from the 1880s to the 1980s », in Dopfer, K. (dir.), The Evolutionary Foundations of Economics, Cambridge, Cambridge University Press, 2005, p. 105-148CrossRefGoogle Scholar.

13 McCloskey, Deirdre N., The Rhetoric of Economics, Madison, University of Wisconsin Press, [1985] 1998Google Scholar ; Id., « Metaphors Economists Live By », Social Research, 62-2, 1995Google Scholar ; Mouton, Nicolaas T. O., « Metaphor and Economic Thought: A Historical Perspective », in Herrera-Soler, H. et White, M. (dir.), Metaphor and Mills: Figurative Language in Business and Economics, Berlin, De Gruyter Mouton, 2012, p. 49-76Google Scholar.

14 Todeschini, Giacomo, Les marchands et le temple. La société chrétienne et le cercle vertueux de la richesse du Moyen Âge à l’époque moderne, trad. par I. Giordano, Paris, Albin Michel, [2002] 2017Google Scholar.

15 Todeschini, Giacomo, « ‘Quantum valet ?’ Alle origini di un’economia della povertà », Bullettino dell’Istituto storico italiano per il Medioevo, 98, 1992, p. 173-234Google Scholar ; Id., « I vocabolari dell’analisi economica fra alto e basso Medioevo : dai lessici della disciplina monastica ai lessici antiusurari (x-xiii secolo) », Rivista storica italiana, 110-3, 1998, p. 781-833 ; Id., Les marchands et le temple…, op. cit. ; Id., Richesse franciscaine. De la pauvreté volontaire à la société de marché, trad. par N. Gailius et R. Nigro, Paris, Verdier, [2004] 2008.

16 Brown, Peter, À travers un trou d’aiguille. La richesse, la chute de Rome et la formation du christianisme en Occident, 350-550, trad. par B. Bonne, Paris, Les Belles Lettres, [2012] 2016Google Scholar ; Id., Le prix du salut. Les chrétiens, l’argent et l’au-delà en Occident, iii e-vii esiècle, trad. par C. J. Goddard, Paris, Belin, [2015] 2016 ; Toneatto, Valentina, Les banquiers du seigneur. Évêques et moines face à la richesse (ive-début ixe siècle), Rennes, Pur, 2012Google Scholar.

17 Martin Herz, Sacrum commercium, eine begriffsgeschichtliche Studie zur Theologie der römischen Liturgiesprache, Munich, K. Zink, 1958 ; Bogaert, Raymond, « Changeurs et banquiers chez les Pères de l’Église », Ancient Society, 4, 1973, p. 239-270Google Scholar ; Todeschini, Giacomo, Il prezzo della salvezza. Lessici medievali del pensiero economico, Rome, Nuova Italia Scientifica, 1994Google Scholar.

18 Selon le « dicton » (agraphon) attribué au Christ (Alfred Resch (éd.), Agrapha. Aussercanonische Schriftfragmente, Leipzig, J. C. Hinrichs, [1889] 1906, n° 87 : « Vous devez être comme des changeurs expérimentés » ou « Devenez des changeurs aguerris »), qui s’est diffusé massivement dans le système textuel chrétien depuis le iie siècle. Voir par exemple Grégoire I, Moralia in Job, 33, c. 35 : Sed electorum mens quanto magis internae luci inhaeret, tanto subtilius quo modo virtutes a vitiis discernere debeat videt. Quid autem mirum est hoc nos spiritaliter agere quod quotidie corporaliter cernimus nummularios implere ? Qui cum numisma percipiunt, prius qualitatem illius, post figuram, ad extremum vero pondus examinant, ne aut sub auri specie aes lateat, aut hoc quod veraciter aurum est monetae reprobae figura dehonestet ; aut quod et aurum, et rectae figurae est, hoc non integrum pondus legivet. Cum igitur mira ignotorum hominum facta conspicimus, residere ad mentis nostrae trutinam quasi solertes nummularii debemus (« Mais plus l’esprit des élus brille de la lumière intérieure, plus subtilement il voit comment distinguer les vices des vertus. Mais qu’y a-t-il d’admirable à faire spirituellement ce que nous voyons faire charnellement aux changeurs ? Lesquels, quand ils reçoivent une pièce, examinent d’abord sa qualité, puis sa forme et enfin son poids, pour vérifier s’il n’y a pas du cuivre caché sous l’apparence de l’or, ou si la forme ou le poids correspond. Comme nous regardons l’œuvre admirable d’hommes que nous ne connaissons pas, nous devons, comme d’habiles changeurs, nous appliquer à utiliser la balance de notre esprit »).

19 Augustin, Enarratio in psalmum, 148, 8 (CCSL 40, 2170) : Promissionis Dei tales arrhas accepimus : tenemus mortem Christi, tenemus sanguinem Christi (« Telles sont les arrhes de la promesse de Dieu que nous avons reçues : nous gardons la mort du Christ, nous gardons le sang du Christ »).

20 G. Todeschini, Il prezzo della salvezza…, op. cit. ; V. Toneatto, Les banquiers du seigneur…, op. cit.

21 Augustin, Sermo IX, 9 (CCSL 41), in C. Lambot (éd.), Aurelii Augustini opera. Pars XI I, Turnhout, Brepols, 1961, p. 125-126 : Sicut enim in nummo imago imperatoris aliter est et aliter in filio – nam imago et imago est, sed aliter impressa est in nummo ; aliter habetur in filio, aliter in solido auro imago imperatoris – sic et tu nummus dei es, ex hoc melior quia cum intellectu et cum quadam vita nummus dei es ut scias etiam cuius imagine geras et ad cuius imaginem factus sis, nam nummus nescit se habere imaginem regis (« De même que l’image de l’empereur est en effet sur la monnaie, elle est autrement dans son fils. Car il y a image et image de chaque côté ; mais elle est imprimée autrement sur la monnaie que dans son fils ; il y a aussi sur un sou d’or une autre image de l’empereur. Et toi, tu es la monnaie de Dieu ; mais tu vaux mieux que la monnaie proprement dite, parce que tu as l’intelligence et une sorte de vie, qui te permet de connaître celui dont tu portes l’image et à l’image de qui tu as été fait. Car la monnaie ignore qu’elle porte l’image de l’empereur »). Lambot, Voir aussi Cyrille, « Une série pascale de sermons de saint Augustin sur les jours de la Création », Revue bénédictine, 79-1/2, 1969, p. 213CrossRefGoogle Scholar : Quomodo enim nummus, si confricetur a terra, perdet imaginem imperatoris, sic mens hominis, si confricetur libidinibus terrenis, ammittit imaginem Dei. Venit autem monetarius Christus, qui repercutiet nummos (« De même que lorsqu’on frotte une pièce avec de la terre, l’image de l’empereur s’efface, de même l’esprit de l’homme, s’il est frotté par le terreau du désir, perd l’image de Dieu. Or le Christ est venu, monnayeur qui frappera la monnaie »).

22 Un exemple frappant est donné par le droit canon au début du xiie siècle dans le Décret de Gratien (Decretum Gratiani, Distinctio LXXXVIII, 11, 5), qui interprète, en termes augustiniens, l’épisode évangélique de l’expulsion des marchands du temple : « Et mensas nummulariorum subvertit. » Pecunia spiritualiter homines intelliguntur, quia sicut nummus habet caragma Cesaris, sic homo habet caragma Dei. Et quemadmodum solidus, qui non habet caragma Cesaris, reprobus est, ita et homo, qui non ostendit in se imaginem Dei, reprobus estimatur. Unde Ysaias dicebat ad Ierusalem : « Pecunia tua reproba est, caupones tui miscent vinum cum aqua, etc. » Ideo ergo mensas nummulariorum evertit, significans, quia in templo Dei non debent esse nummi, nisi spirituales, id est, qui Dei imaginem, non diaboli, portant. Aut certe mensas nummulariorum sacerdotum dicit scripturas. Novo enim testamento succedente priori, eversae sunt scripturae illorum (« ‘Et il renversa les tables des changeurs.’ On comprend les hommes spirituellement grâce à l’argent, parce que de la même façon que la monnaie porte l’effigie de César, de même l’homme porte celle de Dieu. Ainsi un sou qui n’a pas l’effigie de César est-il de mauvais aloi, et de la même façon un homme qui n’offre pas l’image de Dieu est-il considéré de mauvais aloi. Aussi Isaïe disait-il à Jérusalem : ‘Ton argent est de mauvais aloi, tes cabaretiers mélangent de l’eau au vin etc.’ C’est pourquoi il renversa les tables des changeurs, voulant dire qu’il ne devait pas y avoir de monnaie dans le temple de Dieu, mais plutôt des spirituels qui portent l’image de Dieu et non du Diable. Et il dit que les écritures des prêtres sont les tables des changeurs. Puisqu’en effet il est venu un Nouveau Testament, leurs écritures sont renversées »). Il faut lire Bain, Emmanuel, « Les marchands chassés du temple, entre commentaires et usages sociaux », Médiévales, 55-2, 2008, p. 53-74CrossRefGoogle Scholar ; Id., Église, richesse et pauvreté dans l’Occident médiéval. L’exégèse des Évangiles aux xii e-xiii e siècles, Turnhout, Brepols, 2014.

23 Ambroise de Milan, De Tobia, 19, 64 (CSEL 32, 2) : Ubi coepit populus Iudaeorum non custodire legem, coeperunt advenae, hoc est ex populo nationum, qui in Iesum dominum crediderunt, interpretationem scripturarum illi vetusto populo faenerare. Faeneravit Timotheus patre Graeco ortus uerbum Iudaeis, cum sacerdotium recepisset, faeneramus hodieque sacerdotes in ecclesia verbum Iudaeis, qui de synagoga ad ecclesiam transierunt, faeneramus et nouam et uetustam pecuniam. Etenim quam habuerunt iam non habent ; oculos habent et non uident, aures habent et non audiunt, pecuniam habent et non habent, quia usum eius ignorant, pretium eius nesciunt, figuram eius et formam non cognouerunt (« Quand les juifs commencèrent à ne plus prendre soin de la loi, les étrangers, c’est-à-dire qui parmi les nations ont cru en notre seigneur Jésus, se mirent à rendre avec intérêt l’interprétation de l’Écriture à cet ancien peuple. Timothée, né d’un père grec, après avoir reçu le sacerdoce, rendit la parole avec intérêt aux juifs qui passèrent de la synagogue à l’Église. Nous rendons avec intérêt l’argent ancien et nouveau. En vérité, ils n’ont plus ce qu’ils ont eu, ils ont des yeux et ne voient pas, ils ont des oreilles et n’entendent pas, ils ont de l’argent et ne l’ont pas, parce qu’ils en ignorent l’usage, ils n’en connaissent pas le prix, ils n’ont pas reconnu son aspect et sa forme »). Todeschini, Voir Giacomo, « Christian Perceptions of Jewish Economic Activity in the Middle Ages », in Toch, M. et Müller-Luckner, E. (dir.), Wirtschaftsgeschichte der mittelalterlichen Juden. Fragen und Einschätzungen, Munich, R. Oldenbourg, 2008, p. 1-16Google Scholar.

24 Depuis Grégoire I, l’expression lucrum animarum et le champ sémantique qui lui est associé (dont l’épître de Paul aux Thessaloniciens avait posé les fondements) désignent spécifiquement le but de l’action épiscopale. Ce « lucre » apparaît de plus en plus, en outre, comme une rétribution divine : Tota igitur mentis intentione ita lucrum animarum Domino nostro facere festinato, ut digna te merces ante eius conspectum in die retributionis inueniat (« Tu te dépêcheras donc de gagner des âmes pour notre Seigneur de toute ton intention mentale, pour obtenir une digne récompense lors de ta comparution au jour du jugement »), in Decretum Gratiani. Pars secunda, Causa XXI, 1, 5 (cette section canonique correspondant en réalité à un extrait d’une lettre de Grégoire I).

25 G. Todeschini, Il prezzo della salvezza…, op. cit. ; Id., « I vocabolari dell’analisi economica… », art. cit. ; Id., Les marchands et le temple…, op. cit.

26 Augustin, Enarratio in psalmus, 59, 9 (PL 36, 720) : Quia nisi granum caderet in terram, non multiplicaretur, solum remaneret. Cecidit ergo in terram Christus in passione, et secuta est fructificatio in resurrectione (« Parce que si le grain ne tombait en terre, il ne se multiplierait pas, il resterait seul. Le Christ par sa passion est donc tombé en terre, et les fruits en ont résulté grâce à sa résurrection »). Le langage de l’éternelle fructification du Verbe opérée par l’Église au niveau temporel et historique découle directement du système discursif augustinien. En conséquence, la continuelle floraison et la multiplication des biens sacrés (visibles/tangibles et invisibles) apparaissent comme la manifestation quotidienne, prosaïque et nécessaire de la fructification inaugurée par l’Incarnation du Verbe. Sur ce point, voir G. Todeschini, « ‘Quantum valet ?’… », art. cit.

27 Todeschini, Giacomo, « ‘Soddoma e Caorsa’. Sterilità del peccato e produttività della natura alla fine del Medioevo cristiano », in Grassi, U. et Marcocci, G. (dir.), Le trasgressioni della carne. Il desiderio omosessuale nel mondo islamico e cristiano, secc. XII-XX, Rome, Viella, 2015, p. 53-80Google Scholar.

28 Le Petit, Denys, Die Canonessammlung des Dionysius Exiguus in der ersten Redaktion, éd. par Strewe, A., Berlin, De Gruyter, 1931,Google Scholar n° 40 : Praecipimus, ut in potestate sua res ecclesiae episcopus habeat. Si enim animae hominum pretiosae illi sunt creditae, multo magis oportet eum curam de pecuniis agere, ita ut potestate eius indigentibus omnia dispensentur per presbiteros et diaconos et cum timore omnique reverentia ministrentur (« Nous recommandons que l’évêque ait en son pouvoir les biens de l’Église. Car si les âmes des hommes lui sont précieuses, il lui faut à plus forte raison s’occuper d’argent, pour pouvoir tout dispenser aux indigents par l’intermédiaire des prêtres et des diacres, et faire en sorte qu’on dépense avec crainte et respect »).

29 Au centre de ce discours administratif, un mot, dispensatio, s’installe à partir du ixe siècle pour signifier le devoir incombant aux pouvoirs sacrés de gérer attentivement les possessions des chrétiens, en instituant une différence majeure entre l’administration des biens publics et sacrés, présentée comme supérieurement rationnelle, et la menue administration quotidienne des biens individuels, décrite comme prosaïque et égoïste : Todeschini, Giacomo, Come Giuda. La gente comune e i giochi dell’economia all’inizio dell’epoca moderna, Bologne, Il Mulino, 2011Google Scholar.

30 Schumpeter, Joseph A., History of Economic Analysis, Londres, Routledge, [1954] 2006, p. 94CrossRefGoogle Scholar : « [Les scolastiques de la fin du Moyen Âge et du début des temps modernes] ont préfiguré avec une clarté remarquable la théorie de l’utilité, qu’ils considéraient comme la source ou le fondement de la valeur. Molina et Lugo, par exemple, ont fait preuve du même discernement que Carl Menger en faisant remarquer que l’utilité n’est pas une propriété des choses en elles-mêmes, pas plus qu’elle ne se confond avec l’une ou l’autre de leurs qualités intrinsèques, mais qu’elle est au contraire le reflet des usages que les individus, sur la base de leur propre expérience, escomptent faire de ces choses, en même temps que le reflet de l’importance que les individus attachent à ces usages. Un siècle plus tôt, saint Antoine, manifestement désireux de débarrasser le concept de ses connotations ‘objectives’ indésirables, avait employé le terme, peu classique mais excellent, de complacibilitas – soit l’équivalent exact du concept de desiredness forgé par le professeur Irving Fisher, qu’on emploie également pour exprimer le fait qu’une chose est désirée et rien de plus. » De Roover, Voir aussi Raymond, « Joseph A. Schumpeter and Scholastic Economics », Kyklos, 10-2, 1957, p. 115-146CrossRefGoogle Scholar ; Id., Business, Banking and Economic Thought in Late Medieval and Early Modern Europe: Selected Studies of Raymond De Roover, éd. par J. Kirshner, Chicago, University of Chicago Press, 1974 ; Rothbard, Murray N., An Austrian Perspective on the History of Economic Thought, vol. 1, Economic Thought before Adam Smith, Brookfield, Edward Elgar, 1995Google Scholar ; Langholm, Odd, Economics in Medieval Schools: Wealth, Exchange, Value, Money and Usury According to the Paris Theological Tradition, 1200-1350, Leyde, Brill, 1992Google Scholar ; Id., « Olivi to Hutcheson: Tracing an Early Tradition in Value Theory », Journal of the History of Economic Thought, 31-2, 2009, p. 131-141CrossRefGoogle Scholar.

31 Blaug, Mark, Economic Theory in Retrospect, Cambridge, Cambridge University Press, [1962] 1985, p. xGoogle Scholar : « L’économie en tant que champ d’études autonome n’apparaît pas avant le xviie siècle, sans doute parce qu’au cours des siècles précédents, les transactions économiques n’étaient pas intégrées sur un plan national, ni même régional ; peut-être aussi parce que le rôle des institutions économiques était strictement limité par des considérations militaires ou politiques ; probablement enfin parce que les motivations économiques ne pouvaient avoir un impact que sur une facette limitée du comportement social. »

32 G. Todeschini, Les marchands et le temple…, op. cit.

33 Ambroise de Milan, De Nabuthae, 12, 52 (CSEL 32, 2) : Puteus enim, si nihil haurias, inerti otio et degeneri situ facile corrumpitur, exercitus autem nitescit ad speciem, dulcescit ad potum. Ita et acervus diuitiarum cumulo harenosus speciosus est usu, otio autem inutilis habetur (« Un puits, si l’on n’en tire rien, est facilement tari par l’inactivité et la dégradation du site ; mais si l’on s’en sert, l’eau devient claire et agréable à boire. Ainsi, un tas de richesses accumulées comme du sable est beau si l’on s’en sert, et paraît inutile s’il est laissé inactif »).

34 O. Langholm, Economics in Medieval Schools…, op. cit. ; G. Todeschini, Il prezzo della salvezza…, op. cit. ; Id., Les marchands et le temple…, op. cit.

35 Kempshall, Matthew S., The Common Good in Late Medieval Political Thought, Oxford, Clarendon Press, 1999CrossRefGoogle Scholar ; von Moos, Peter, « ‘Public’ et ‘privé’ à la fin du Moyen Âge. Le ‘bien commun’ et la ‘loi de la conscience’ », Studi medievali, 41-2, 2000, p. 505-548Google Scholar ; Élodie Lecuppre-Desjardin et Anne-Laure Van Bruaene (dir.), De bono communi: The Discourse and Practice of the Common Good in the European City (13th-16th c.), Turnhout, Brepols, 2010 ; Mineo, Ennio I., Popolo e bene comune in Italia fra XIII e XIV secolo, Rome, Viella, 2017Google Scholar.

36 Pour l’histoire du mot-concept utilitas et des notions dérivées, Capitani, voir Ovidio, « ‘Ecclesia Romana’ e Riforma : ‘utilitas’ in Gregorio VII », in Chiesa, diritto e ordinamento della « societas christiana » nei secoli xi e xii, Milan, Vita e pensiero, 1986, p. 26-69Google Scholar ; Todeschini, Giacomo, « Stérilité de la monnaie et productivité du capital à la fin du Moyen Âge. Le signifié scolastique des notions d’utilité de l’argent et d’intérêt (xiiie-xve siècle) », in Brunori, L.et al. (dir.), Le droit face à l’économie sans travail, t. 1, Sources intellectuelles, acteurs, résolution des conflits, Paris, Classiques Garnier, 2019Google Scholar.

37 Nirenberg, David, Communities of Violence: Persecution of Minorities in the Middle Ages, Princeton, Princeton University Press, 1996Google Scholar ; Iogna-Prat, Dominique, Ordonner et exclure. Cluny et la société chrétienne face à l’hérésie, au judaïsme et à l’islam, 1000-1150, Paris, Aubier, 1998Google Scholar ; Biller, Peter et Ziegler, Jean (dir.), Religion and Medicine in the Middle Ages, Woodbridge, York Medieval Press, 2001Google Scholar ; Milani, Giuliano, « Avidité et trahison du bien commun. Une peinture infamante du xiiie siècle », Annales HSS, 66-3, 2011, p. 705-743Google Scholar ; Todeschini, Giacomo, « Exclusions: A Concept in Global History », in Antunes, C. et Fatah-Black, K. (dir.), Explorations in History and Globalization, Abingdon, Routledge, 2016, p. 138-154Google Scholar.

38 G. Todeschini, Les marchands et le temple…, op. cit. ; Id., Come Giuda…, op. cit.

39 Todeschini, Giacomo, « Eccezioni e usura nel Duecento. Osservazioni sulla cultura economica medievale come realtà non dottrinaria », Quaderni storici, 44-131, 2009, p. 443-460Google Scholar ; Id., « Stérilité de la monnaie… », art. cit.

40 Pour l’histoire de cette expression rendue célèbre par le franciscain Pierre de Jean Olivi vers 1290, voir Giacomo Todeschini, Un trattato di economia politica francescana. Il De emptionibus et venditionibus, de usuris, de restitutionibus di Pietro di Giovanni Olivi, Rome, Istituto storico italiano per il Medioevo, 1980 ; Id., Il prezzo della salvezza…, op. cit. ; Id., Les marchands et le temple…, op. cit. ; O. Langholm, Economics in Medieval Schools…, op. cit. ; Piron, Sylvain, « Marchands et confesseurs. Le Traité des contrats d’Olivi dans son contexte (Narbonne, fin xiiie-début xive siècle) », in L’argent au Moyen Âge, Paris, Publications de la Sorbonne, 1998, p. 289-308Google Scholar ; Olivi, Pierre de Jean, Traité des contrats, éd. par S. Piron, Paris, Les Belles Lettres, 2012Google Scholar ; Kaye, Joel, L’histoire de l’équilibre, 1250-1375. L’apparition d’un nouveau modèle d’équilibre et son impact sur la pensée, trad. par C. Jaquet, Paris, Les Belles Lettres, [2014] 2017Google Scholar.

41 Ce binôme est divulgué par le franciscain Bernardin de Sienne dans la première moitié du xve siècle : de Sienne, Bernardin, Sermo XLVI, « De multitudine malorum quae ex vanitate subsequuntur », in Opera omnia, vol. 2, éd. par M. P. Perantoni, Florence, Quaracchi, [1489] 1950, p. 73Google Scholar : pecunia quae expenditur in superfluis indumentis, in iocalibus, in anulis, in coronis, in lapidibus pretiosis atque in aliis superfluis ornamentis, mortua perseverat ; quae quidem posset esse lucrosa in mercantiis, in possessionibus, in animalibus, in artibus et in aliis quibuscumque lucrosis, et sic per consequens ad temporalem utilitatem civitatis et totius patriae redundaret (« l’argent que l’on dépense en effets superflus, joyaux, bagues, couronnes, pierres précieuses et autres ornements inutiles, reste mort. L’argent pourrait cependant être utile dans les commerces, l’acquisition de biens ou d’animaux, dans les métiers et tout ce qui peut servir. Ainsi profiterait-il à la cité et à toute la patrie »). Voir G. Todeschini, Richesse franciscaine…, op. cit.

42 La racine du discours est augustinienne, mais la systématisation de l’argumentation établissant une contradiction entre « infidélité » et gestion « rationnelle » des biens économiques apparaît avec la rédaction du droit canon au xiie siècle, comme en atteste le Decretum Gratiani. Pars secunda, Causa XIV, 4, 11 : « Fideli hominis totus mundus divitiarum est : infidelis autem nec obolus » : nonne omnes, qui videntur sibi gaudere licite conquisitis, eisque uti nesciunt, alienum possidere convincimus ? Hoc enim certe alienum non est, quod iure possidetur ; hoc autem iure quod juste. et hoc iuste quod bene. Omne igitur quod male possidetur, alienum est ; male autem possidet, qui male utitur (« ‘Toutes les richesses du monde pour celui qui a la foi, pas même une obole pour celui qui ne l’a pas’ : ne pouvons-nous pas démontrer que ceux qui semblent jouir de biens qu’ils ont acquis de façon licite sans savoir s’en servir paraissent posséder ce qui ne leur appartient pas ? En effet, ce que l’on possède de droit n’appartient pas à autrui, et ce dont on se sert bien et à juste titre, on le possède de droit. Donc tout ce que l’on possède mal ne nous appartient pas ; or on possède mal ce dont on se sert mal »), et Causa XXIII, 7, 2-4, en particulier la conclusion, qui définit l’illégitimité de la possession des biens économiques par les hérétiques à partir du présupposé selon lequel la gestion économique des infidèles serait a priori mauvaise et abusive : His igitur auctoritatibus liquido monstratur, quod ea, que ab hereticis male possidentur, a catholicis iuste auferuntur, nec ideo aliena possidere dicuntur (« Ces autorités démontrent donc clairement que ce que les hérétiques possèdent mal, les catholiques s’en emparent à juste titre, et, pour cette raison, on ne peut pas dire qu’ils possèdent ce qui ne leur appartient pas »). Voir G. Todeschini, Les marchands et le temple…, op. cit., p. 191-250 ; Id., Come Giuda…, op. cit.

43 J. Locke, Traité du gouvernement civil, op. cit., V, 32 et V, 34 : « Le créateur et la raison ordonnent [à l’homme] de labourer la terre, de la semer, d’y planter des arbres et d’autres choses, de la cultiver, pour l’avantage, la conservation et les commodités de la vie, et lui apprennent que cette portion de la terre, dont il prend soin, devient, par son travail, son héritage particulier. Tellement que celui qui, conformément à cela, a labouré, semé, cultivé un certain nombre d’arpents de terre, a véritablement acquis, par ce moyen, un droit de propriété sur ses arpents de terre, auxquels nul autre ne peut rien prétendre, et qu’il ne peut lui ôter sans injustice. […] Dieu a donné la terre aux hommes en commun : mais, puisqu’il la leur a aussi donnée pour les plus grands avantages, et pour les plus grandes commodités de la vie qu’ils en puissent retirer, on ne saurait supposer et croire qu’il entend que la terre demeure toujours commune et sans culture. Il l’a donnée pour l’usage des hommes industrieux, laborieux, raisonnables ; non pour être l’objet et la matière de la fantaisie ou de l’avarice des querelleurs, des chicaneurs. » Pagden, Voir aussi Anthony, « The Struggle for Legitimacy and the Image of Empire in the Atlantic to c. 1700 », in Canny, N. (dir.), The Oxford History of the British Empire, vol. 1, The Origins of Empire: British Overseas Entreprise to the Close of the Seventeenth Century, Oxford, Oxford University Press, 1998, p. 34-54CrossRefGoogle Scholar ; Pateman, Carole, « The Settler Contract », in Pateman, C. et Mills, C. W. (dir.), Contract and Domination, Cambridge, Polity, 2007, p. 35-78Google Scholar ; Wilson, Eric M., Savage Republic: De Indis of Hugo Grotius, Republicanism and Dutch Hegemony within the Early Modern World-System (c. 1600-1619), Leyde, Martinus Nijhoff, 2008CrossRefGoogle Scholar ; Armitage, David, « John Locke’s International Thought », in Hall, I. et Hill, L. (dir.), British International Thinkers from Hobbes to Namier, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2009, p. 33-48CrossRefGoogle Scholar ; Id., « John Locke: Theorist of Empire ? », in S. Muthu (dir.), Empire and Modern Political Thought, Cambridge, Cambridge University Press, 2012, p. 84-111.

44 Leibniz, Gottfried Wilhelm, Système de théologie, ou Exposition de la doctrine de Leibnitz sur la religion, publié pour la première fois d’après le texte original, trad. par C.-L. Mollevault, Louvain, C. J. Fonteyn, [1819] 1845, p. 132-133Google Scholar : Sunt qui praesentia reali admissa, quamdam, ut ita dicam, impanationem defendunt. Aiunt enim corpus Christi exhiberi in, cum, et sub pane ; itaque cum Christus dixit : hoc est corpus meum, intelligunt quemadmodum, si quis sacco ostenso diceret haec est pecunia.

45 Oresme, Nicole, Traité des monnaies, in Dupuy, C. (éd.), Traité des monnaies et autres écrits monétaires du xive siècle, trad. par F. Chartrain, Lyon, La Manufacture, 1989, p. 87Google Scholar ; Id., De origine, natura, jure et mutationibus monetarum, 25, in Traictie de la première invention des monnaies (c. 1477-1484), éd. par M. L. Wolowski, Paris, Guillaumin, 1864, p. 134 : Est igitur respublica sive regnum, sicut quoddam corpus humanum, et ita vult Aristoteles V Politicae. Sicut igitur corpus male disponitur, quando humores excessive fluunt saepe ex hoc inflatur et nimium ingrossatur, reliquis exsiccatis et nimis attenuatis, tolliturque debita proportio, neque tale corpus potest diu vivere ; ita conformiter est de communitate vel regno, divitiae ab una eius parte attrahuntur ultra modum. Communitas namque vel regnum, cuius principantes, in comparatione ad subditos, quantum ad divitias, potentiam et statum, enormiter crescunt, est sicut monstrum unum, sicut unus homo, cuius caput est ita magnum tam grossum, quod non potest a reliquo debili corpore sustentari. Quemadmodum igitur talis homo non potest sese iuvare, neque sic diu vivere, ita neque regnum permenere poterit cuius princeps trahit ad se divitias in excessu, sicut fit per mutationes monetae.

46 J. Kaye, A History of Balance…, op. cit., p. 345 sq., à propos des œuvres de Nicole Oresme.

47 Sur la spécificité européenne de cette représentation du corps humain, des savoirs anatomiques et des métaphores qui en découlent, Kuriyama, voir Shigehisa, The Expressiveness of the Body and the Divergence of Greek and Chinese Medicine, New York, Zone Books, 1999Google Scholar.

48 de Sienne, Bernardin, Quadragesimale de evangelio aeterno. Sermones XXXII-XLV. De contractibus et usuris, in Bernardini Senensis opera, vol. 4, Florence, Quaracchi, 1956, p. 383-384Google Scholar : Et si haec ad paucos reductio divitiarum periculosa est statui civitatis, multo gravius periculum imminet cum reducuntur et coadunantur hae divitiae et denarii in manibus iudaeorum ; quia tunc naturalis civitatis calor, qui eius divitiae dici potest, non recurrit ad cor neque subvenit ei, sed per fluxum pestiferum currit ad apostema, cum omnes iudaei, et maxime faenerantes, sint capitales inimici christianorum. Voir aussi G. Todeschini, Les marchands et le temple…, op. cit., p. 243 ; Id., « Jewish Usurers, Blood Libel, and the Second-Hand Economy: The Medieval Origins of a Stereotype (from the 13th to the 15th Century) », in J. Adams et C. H (dir.), The Medieval Roots of Antisemitism: Continuities and Discontinuities from the Middle Ages to the Present Day, New York, Routledge, 2018, p. 341-351.

49 Davanzati, Bernardo, « Leçons sur les monnaies », in Le Branchu, J.-Y. (éd.), Écrits notables sur la monnaie. xvie siècle. De Copernic à Davanzati, vol. 2, Paris, Félix Alcan, 1934, p. 233Google Scholar ; Id., Lezione sulla moneta [1588], in L. Carrer (éd.), Notizie mercantile delle monete e de’ cambi, Venise, Gondoliere, 1840, p. 24-25 : « Il danaio fu un trovato ottimo, uno, strumento da far beni infiniti ; se alcuno l’adopera male, non l’adoperato, ma l’adoperante si biasimi e si corregga. Il danaio è il nerbo della repubblica, dicono di gravi autori e di solenni : ma a me par egli più acconciamente detto, il secondo sangue ; perchè siccome il sangue, ch’è il sugo e la sostanza del cibo nel corpo naturale, correndo per le vene grosse nelle minute, annafiia tutta la carne ed ella il si bee, come arida terra bramata pioggia, e rifà e ristora quantunque di lei per lo calor naturale s’asciuga e svapora ; così il danaio, ch’è sugo, e sostanza ottima della terra, come dicemmo, correndo per le borse grosse nelle minute, tutta la gente rinsanguina di quel danaio che si spende, e va via, continuamente nelle cose che la vita consuma ; per le quali nelle medesime borse grosse rientra e così rigirando mantiene in vita il corpo civile della repubblica. Quindi assai di leggier si comprende, ch’ogni stato vuole una quantità di moneta che rigiri, come ogni corpo una quantità di sangue che corra ; perché standosi nel capo e ne’ grandi oppilata, lo stato ne cadrà in atrofia, idropisia, diabetica, tisico o simil male […]. Ben si dee dunque tener gran conto di questo vivo membro della reppublica, e guardalo da que’ malori che’n lui mal custodito si sogliono ingenerare, falsità, monopolio, simonia, usura, e gli altri già sgridati e noti per tutto ». Voir aussi G. Maifreda, From Oikonomia to Political Economy…, op. cit. ; Desan, Christine, Making Money: Coin, Currency, and the Coming of Capitalism, Oxford, Oxford University Press, 2014, p. 422CrossRefGoogle Scholarsq.