Une connaissance plus approfondie de l'histoire économique et sociale de l'Europe orientale l'a révélé aux historiens : l'évolution de la société a suivi en Occident et en Orient, à l'époque moderne, une marche inverse. Dans sa préface récente à l'Histoire de Russie, dont il dirige la publication, avec Mrs Milioukov et Eisenmann, Mr Seignobos a souligné ce contraste en termes catégoriques : « Tandis qu'en France… les hommes de guerre possesseurs de grands domaines se sont spontanément constitués en noblesse sous un régime de guerres privées et que les paysans, très anciennement attachés à la terre dans une condition servile, se sont peu à peu élevés de la servitude jusqu'à la propriété libre…, en Russie, au contraire, c'est le pouvoir absolu du prince qui, pour les nécessités de la défense commune contre les peuples voisins, a créé une classe d'hommes de guerre rémunérés pendant la durée de leur service par une concession de terres dans un pays très pauvre et encore inculte, où la terre, seule source de richesse, ne prenait de valeur que par le travail des paysans…, Les paysans, fixés au sol et livrés sans contrôle au pouvoir des nobles, sont descendus de la condition de cultivateurs libres à un état de servage à peine différent de l'esclavage antique.