Nous aimons, pour nos Annales, le beau nom d'agent de liaison. Dès leur fondation, nos lecteurs le savent, nous avons conçu notre œuvre comme une tentative de rapprochement entre des travailleurs de formation différente, entre des disciplines et des curiosités que trop souvent, au grand dam des sciences de l'homme, séparent encore des murs soigneusement hérissés de piquants. Plus particulièrement, on le sait, nous n'avons cessé de tenir pour entre toutes urgentes celle que l'étude de l'économie et de la structure sociale — objets propres ici de nos recherches — se doit de conclure avec Vanalyse de ce qu'on nous permettra d'appeler, en bref, les phénomènes de mentalité.

Il n'existe pas en Angleterre de dispositions réglementaires qui assurent la conservation des archives des entreprises privées. A vrai dire, jusqu'à ces derniers temps, tout intérêt général pour ce genre de témoignages faisait défaut. Cependant, depuis plus d'une génération, on a vu un petit groupe de chercheurs prendre conscience, avec un véritable enthousiasme, des perspectives qu'offre à l'histoire un pareil matériel documentaire. Au cours de ces dernières années plusieurs ouvrages ont paru qui, non contents de puiser quelques renseignements dans les livres de commerce et la correspondance de certaines firmes, en ont fait état presque à l'exclusion de tout autres sources. Par ailleurs, l'idée d'écrire « l'histoire des affaires » n'est naturellement pas en Angleterre chose neuve et il ne serait pas malaisé de constituer une importante collection de ces monographies que l'on connaît sous le nom de « house histories » : entendez les biographies officielles de grandes maisons. Quelques-unes ont une valeur considérable.

Dans le développement des études sur la seigneurie rurale, les thèses de Mr CH.-Edmond Perrin marqueront une date décisive. Elles ne se bornent pas, en effet, à apporter un grand nombre de données nouvelles et de pénétrantes observations. Par un mérite plus rare, elles inaugurent une méthode. Plus exactement, adaptant aux fins propres de la recherche cet universel instrument de connaissance qu'est la critique du témoignage, elles en font, pour la première fois, une application véritablement systématique à une catégorie de documents entre tous difficiles et précieux. Depuis le IXe siècle, au plus tard, d'innombrables inventaires de biens et droits seigneuriaux ont été établis, par les soins des intéressés, dans l'Europe presque entière.

Nous devons à Mr Dmitri Navachine depuis quelque temps déjà un travail intéressant sur la signification économique de la crise récente pour l'économie européenne. Mais des études aussi actuelles ne gagnent-elles pas souvent à être lues avec un peu de recul ? La grande crise résulte principalement du choc entre le courant de fournitures démesurément accru que, depuis 1914, l'Europe a tiré de l'outre-mer, et le flot renaissant de la production européenne, particulièrement de la production agricole de l'Europe orientale. Tel est le thème du premier des deux volumes que nous venons de terminer. Ce phénomène capital, non sans analogie d'ailleurs, ainsi que le souligne l'auteur, avec les circonstances qui ont accompagné et suivi les guerres napoléoniennes, est aujourd'hui trop unanimement reconnu pour qu'il soit besoin d'y insister.

Sur l'invitation de l'Académie Royale d'Italie, agissant au nom de la Fondation Volta, une centaine d’ « Européens », célèbres ou notoires, se sont réunis à Rome, dans le courant de novembre 1932, pour discuter de l'état présent, de l'avenir, voire de l'existence de l'Europe, leur mère. Après quoi, les propos ainsi échangés ont été dûment livrés au monde — parfois en double exemplaire, car une traduction française accompagne les textes italiens ; et les absents mêmes auront goûté le rare plaisir de contempler leurs lettres d'excuses couchées sur ce très beau papier. Assurément, pour servir la connaissance de l'Europe, il n'eût pas été inconcevable de trouver, à frais égaux, de plus efficaces moyens. La « réunion Volta », nous dit-on, avait été consacrée, l'année précédente, « à des problèmes de haute science physique ».

Il y a la crise tout court. Celle qui a débuté un beau jour d'octobre 1929 à Wall Street. Mr Richard Lewinsohn, spécialiste réputé des questions économiques et financières internationales, et qui a déjà écrit une Histoire de l'inflation (1926) fort curieuse, nous en donne une histoire extrêmement attachante. Il nous mène de Wall Street, secoué par la tempête, à Vienne qui voit tomber comme châteaux de cartes, les uns après les autres, ses puissantes institutions bancaires : prologue de toute une série de tragédies connues, en Allemagne et en France. Après quoi c'est la chute de la livre ; la faillite des consortiums ; les cas Hatry, Kreuger et Insull ; la dévalorisation du dollar enfin…. Conclusions optimistes : Mr Lewinsohn se penche avec sollicitude sur les « indices d'amélioration ».

Il y a, pour tout critique tant soit peu consciencieux, quelque chose de décourageant à devoir signaler l'apparition d'un grand recueil documentaire. A moins de procéder soi-même au travail d'élaboration, comment rendre pleine justice à la masse de renseignements nouveaux ainsi acquis à nos études ? et par quel moyen faire saisir au lecteur, en quelques lignes, l'ampleur de l'effort qu'a exigé la mise au net d'un tel dossier ? Le sentiment de cette double impuissance est chose familière ; mais peu d'ouvrages auront jamais mérité de l'inspirer avec autant de force que la belle édition des « Livres de commerce » des Peruzzi, récemment publiée par Mr Armando Sapori.

Voici un nouveau lot de chartes foréziennes. Les principes auxquels obéit la publication sont déjà connus de nos lecteurs. Ils ont, comme on pouvait le prévoir, soulevé quelque scandale dans ces milieux où le goût, en lui-même admirable, de la plus scrupuleuse acribie tourne trop volontiers au renoncement. La rapidité avec laquelle progresse l'entreprise — malgré des obstacles dont le moins étonnant n'est pas l'étrange mauvaise volonté de certains possesseurs de chartriers privés, — l'intérêt surtout des témoignages mis à jour suffiraient, s'il en était besoin, à justifier ce que les méthodes ont de sainement audacieux.

Les Annales ont signalé l'intérêt et l'utilité des deux volumes qui ont inauguré la collection Clio (« Introductions aux Études Historiques »). Dans la même collection vient de paraître un volume consacré au XVIe siècle et dû à la collaboration de Mrs Henri Sée et Armand Rébillon. Pour toutes sortes de raisons, je n'en saurais parler personnellement qu'avec beaucoup de réserve et de discrétion. On me permettra de dire, cependant, que j'ai été déçu en l'ouvrant. De ce qui faisait l'intérêt des volumes de Mr Calmette à peu près rien ne subsiste dans ce volume trop bref, dont les parties en gros texte constituent un simple résumé scolaire, sans originalité, de l'histoire du XVIe siècle — et les parties en petit texte une bibliographie incomplète, souvent insuffisante et peu critique, d'ouvrages parus. Mais le paragraphe rituel — État actuel des questions — donne rarement l'impression que ces questions soient, en effet, dominées.

La Commission de recherche et de publication des documents relatifs à la vie économique de la Révolution française continue à nous révéler les cahiers de doléances pour les États généraux de 1789. L'on doit à Mr Jean Godfrin les Cahiers du bailliage de Nancy. Les cahiers primaires du Tiers État ont été retrouvés lors du classement des archives de la Cour d'Appel de Nancy à la suite de leur versement aux Archives départementales de Meurthe-et-Moselle. La publication classe les cahiers en cinq séries : cahiers groupés par types (selon des modèles propagés par les gens de robe, entre autres l'Essai d'Anthoine, lieutenant général du bailliage de Boulay et le cahier du bourg de Vicherey dans les Vosges, œuvre de François de Neufchâteau) ; — cahiers diversement inspirés ; — cahiers originaux ou d'intérêt local ; — ville de Nancy (déjà publié, en 1910, par Chr. Pfister) ; — cahiers du bailliage enfin (celui de la noblesse figurant déjà aux Archives parlementaires et celui du clergé ayant été publié et annoté, en 1899, par Mgr Jérôme).

Contrairement à ce que disent beaucoup de gens, l'histoire ne manque pas d'enseignements pour l'époque actuelle. La crise dont souffre le monde au jourd'hui n'est pas la première de son espèce. On retrouve ses caractères dans celle de 1857-1859 qui, comme le montre Mr H. Rosenberg dans un livre bien documenté et bien pensé, fut déjà une crise de type moderne, provoquée par la structure interne du système économique et qui, contre-coup de l'évolution qui a fait du monde une unité économique, prit déjà une extension universelle. Elle éclata presque en même temps aux États-Unis, en Grande-Bretagne, ainsi que dans l'Ouest et le Centre de l'Europe, d'où elle gagna beaucoup d'autres pays.

Dans cette phase de recueillement, non exempte certes de soucis et de difficultés, qui, au lendemain des accidents de la « crise », constitue à proprement parler la « dépression », c'est un travail éminemment utile que de faire le point, de reprendre une conscience précise et objective des forces sur lesquelles l'organisme économique peut compter pour sa convalescence. Telle est la tâche qu'a menée à bien Mr Maurice Gougne en ce qui concerne ce rouage essentiel de la vie des affaires en France : le système bancaire. Son livre nous conduit à travers les deux périodes successives de l'après-guerre, — prospérité et crise, — en nous faisant assister aux incidences et aux réactions qui, sur le plan des établissements de crédit, ont marqué l'une et l'autre de ces périodes.