Published online by Cambridge University Press: 07 December 2011
La société dogon, volontiers qualifiée de traditionnelle par une certaine ethnologie, recèle en elle les germes d'une flexibilité extraordinaire qui lui permet de conserver l'essentiel: son conservatisme apparent et sa dynamique de fond propre. Ainsi, la relative individualisation du système de production maraîchère améliore les carences d'une économie céréalière chroniquement déficitaire; l'intégration au marché est essentielle pour l'amélioration de la situation alimentaire.
L'édifice social dogon résiste encore aux coups de butoir de l'exode définitif, de la monétarisation de l'Islam et du christianisme. Ne voit-on pas revenir parfois ceux qui étaient partis pour de bon? Cʼest le cas de certains des paysans transférés en grand nombre par l'Église, pendant les années de sécheresse, dans le Sud du Mali sur des terres plus fécondes et dans un climat plus humide. Par contre, l'hémorragie de population subie par le Plateau, le processus accéléré d'islamisation (ou de reislamisation) et de christianisation, ainsi que l'importance économique des barrages, ne causent-ils pas un renforcement accéléré du processus de désagrégation du groupe familial d'exploitation? Ce processus serait irréversible, si le maraîchage spéculatif et parfois individuel promu par le manan nʼexistait pas. La famille telle quʼelle est succombera en se transformant, certes, mais elle a encore un certain avenir qui dépend d'une foule de conditions: le contrôle du grain et du bétail par le chef, l'aggravation de la misère urbaine qui renvoie les émigrés dans leurs foyers, la solution des problèmes de conservation et de commercialisation des échalotes, l'ouverture de la Plaine, exutoire pour les cadets en rupture de manan qui, à partir de leur nouveaux villages, font remonter sur le Plateau leurs excédants céréaliers. L'équilibre fragile mis en oeuvre par les Dogon résistera aussi tant que les barrages continuent à arroser ces décors verdoyants, perdus dans ce paysage gréseux.