Edited by Léa Derome / Textes réunis par Léa Derome
Introduction : réflexions sur le 25e anniversaire de la traduction anglaise de Le philosophe et la cité de Richard Bodéüs
Il y a vingt-cinq ans, j’étais un étudiant de doctorat intéressé par la philosophie d’Aristote et à la recherche d’un sujet de thèse. Au cours de mes études supérieures, j’ai eu la chance d’étudier l’Éthique à Nicomaque avec Rémi Brague et Les Politiques avec Judith Swanson. Ces deux érudits m’ont, à leur façon, fait prendre conscience de l’importance d’enquêter sur le public cible des œuvres d’Aristote. Tous deux parlaient en bien du livre Le philosophe et la cité (Les Belles Lettres, 1982) de Richard Bodéüs, qui venait d’être traduit en anglais sous le titre The Political Dimensions of Aristotle’s Ethics (State University of New York Press, 1993). Il se trouva qu’un jour de printemps, ayant été appelé à siéger comme juré, je pris avec moi mon tout nouvel exemplaire du volume de Bodéüs. Heureusement, le jury ne fut pas convoqué, mais on ne me laissa pas partir avant la fin de l’après-midi. Aussi passai-je toute la journée au palais de justice à lire l’ouvrage de Bodéüs et à réfléchir à la relation entre le concept de justice déployé dans l’Éthique à Nicomaque et les analyses des constitutions qu’on trouve dans Les Politiques. Je découvris alors une réflexion savante, riche et profondément historique, portant sur la façon de comprendre les divers traités d’Aristote sur «la philosophie des choses humaines» (EN 10.9.1181b15). C’est ainsi que je fus mis sur la voie du sujet de sur lequel porterait ma thèse : la nature de la justice politique chez Aristote. C’est aussi ainsi que j’en vins à penser en compagnie de l’un des plus éminents spécialistes et traducteurs d’Aristote du siècle dernier.
En 2018, la Northeast Political Science Association annonça que sa réunion annuelle allait se tenir à Montréal et invita ses membres à soumettre des contributions dans les deux langues officielles canadiennes. Étant donné que Montréal abrite également l’université dans laquelle Bodéüs avait enseigné, l’Université de Montréal, il m’est immédiatement venu à l’esprit de proposer un panel bilingue pour explorer la philosophie d’Aristote à la lumière de son ouvrage novateur, Le philosophe et la cité, qui fut déterminant pour mon parcours intellectuel. Deux panels furent constitués. Le premier rassemblait les participants anglophones : Jordan Jochim (Cornell University), Kevin Cherry (Richmond University) et moi-même (Quinnipiac University), et fut présidé par Jill Frank (Cornell University). Le second panel rassemblait les participants francophones : Léa Derome (Université McGill), Timothée Gautier (Université Paris 1 — Panthéon-Sorbonne), Louise Rodrigue (Collège universitaire dominicain), et fut présidé par Elsa Bouchard (Université de Montréal). Bodéüs, qui est à présent professeur émérite, accepta généreusement de lire toutes les contributions à l’avance et, combattant un mal de gorge le jour de la conférence, accompagna chacune d’entre elles de commentaires à la fois perspicaces et magnanimes.
N’ayant pas pu inclure toutes les présentations de la conférence de novembre 2018, ce numéro de Dialogue comprend les versions révisées de trois contributions : mon “ὁμόνοια: The Hinge of Aristotle’s Ethics and Politics?”, la contribution de Kevin Cherry, “Lawgivers, Virtue, and the Mixed Regime: Reflections on Richard Bodéüs’s The Political Dimensions of Aristotle’s Ethics,” et celle de Louise Rodrigue, «La conception aristotélicienne de la servilité dans l’Éthique et la Politique». Nous remercions tout particulièrement Léa Derome, qui a édité cette tribune du livre, coordonné la soumission de nos documents et des réponses de Bodéüs à Dialogue, et a aidé à la traduction en français. Les trois articles présentés composent avec des interrogations héritées du travail du professeur Bodéüs. Nous sommes donc particulièrement reconnaissants qu’il ait accepté de contribuer à ce projet de publication. Nous espérons que l’ensemble parvienne à capturer ne serait-ce qu’un simulacre de l’expérience intellectuelle passionnante que fut notre journée de conférences de novembre 2018.
Introduction: Reflections on the 25th Anniversary of the English Translation of Richard Bodéüs’ Le philosophe et la cité
THORNTON C. LOCKWOOD Quinnipiac University
Twenty-five years ago, I was a graduate student in a philosophy department working on Aristotle’s philosophy, in search of a dissertation topic. During my graduate coursework, I was quite fortunate to have had the chance to study Aristotle’s Nicomachean Ethics with Rémi Brague and his Politics with Judith Swanson. Both scholars, in very different ways, planted in my mind the importance of inquiring about the intended audience of Aristotle’s works and both spoke very highly of Richard Bodéüs’ Le philosophe et la cité (Les Belles Lettres, 1982), which had just recently been translated into English as The Political Dimensions of Aristotle’s Ethics (State University of New York Press, 1993). It just so happened that one early spring afternoon I was called for jury duty and I brought along a brand-new copy of Bodéüs’ volume. Fortuitously, my jury was not impanelled, but I was also not dismissed until late afternoon. Thus I sat, all day, in a courthouse, reading over Bodéüs’ book and mulling over the relationship between the concept of justice in the Nicomachean Ethics and the analyses of constitutions in his Politics. Thus was I introduced to a scholarly rich and deeply historical reflection on how to understand Aristotle’s various treatises on “the philosophy of human things” (EN 10.9.1181b15). Thus was I set on the path to my doctoral dissertation topic, which concerned the nature of political justice in Aristotle. And thus did I think alongside one of the foremost scholars and translators of Aristotle’s work in the last century.
In 2018, the Northeast Political Science Association announced that it was holding its annual meeting in Montreal and solicited papers appropriate to its bilingual location. Since Montreal is also home to Bodéüs’ academic institution, Université de Montréal, it immediately occurred to me to propose bilingual panels to explore questions in Aristotle’s writings in light of his ground-breaking work. We thus convened two panels. The first panel included the Anglophone scholars Jordan Jochim (Cornell University), Kevin Cherry (University of Richmond), and myself, and was chaired by Jill Frank (Cornell University). The second panel included the Francophone scholars Léa Derome (McGill University), Timothée Gautier (Université Paris 1 — Panthéon-Sorbonne), Louise Rodrigue (Collège universitaire dominicain), and was chaired by Elsa Bouchard (Université de Montréal). Bodéüs, who is now professor emeritus, generously offered to read all of the papers in advance of the conference and, battling a sore throat on the day of the conference, provided superb, insightful, and magnanimous comments on each of the six papers.
As we were unable to include all of the contributions from the November 2018 conference, this issue of Dialogue includes revised versions of three papers: my “ὁμόνοια: The Hinge of Aristotle’s Ethics and Politics?,” Kevin Cherry’s “Lawgivers, Virtue, and the Mixed Regime: Reflections on Richard Bodéüs’ The Political Dimensions of Aristotle’s Ethics,” and Louise Rodrigue’s, “La conception aristotélicienne de la servilité dans l’Éthique et la Politique.” We are especially grateful to Léa Derome, who edited this book symposium, coordinated the submission of our papers and Bodéüs’ responses to Dialogue, and assisted with translations into French. All three of our papers both appreciate and struggle with the challenges that we have inherited from Bodéüs’ work. Thus we are especially grateful that he has contributed to this book symposium. We hope that this captures at least a simulacrum of the exciting intellectual experience that was our conference panels of November 2018.