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L’utilisation des échelles de niveaux d’interventions médicales en centre hospitalier

Published online by Cambridge University Press:  16 February 2016

Marjolaine Frenette*
Affiliation:
Programmes de bioéthique, École de santé Publique, Université de Montréal
Jocelyne Saint-Arnaud
Affiliation:
Programmes de bioéthique, École de santé Publique, Université de Montréal
*
La correspondance et les demandes de tirés-à-part doivent être adressées à: / Correspondence and requests for offprints should be sent to: Marjolaine Frenette, M.A. Maîtrise en bioéthique Université de Montréal École de santé publique, département de médecine sociale et préventive 7101, avenue du Parc, 3ième étage Montréal, QC H3N 1X9 ([email protected])
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Abstract

Different care settings in Quebec use levels of medical intervention forms, also called levels of care (LOC), to determine the code status of patients and to improve end-of-life care planning. It is not currently possible to know whether the levels of care in hospitals benefit patients and staff in facilitating the decision making process of treatment options and resuscitation measures. No study, to the best of the authors’ knowledge, has been published about LOC, particularly in Quebec and Canada. This literature review was undertaken on levels of care in order to clarify this topic. Relevant articles are discussed under different themes that are pertinent to LOC. The themes addressed in this article include care at the end of life, do-not-resuscitate orders, treatment withdrawal, and decision making at end of life.

Résumé

Plusieurs milieux de soins au Québec utilisent des formulaires de niveaux d’interventions médicales (NIM) ou de niveaux de soins afin de déterminer le statut de code des patients et d’améliorer la planification des soins en fin de vie. Il est actuellement impossible de savoir si les NIM font bénéficier les patients et le personnel en centre hospitalier d’une prise de décision plus facile à l’égard des traitements offerts et de la réanimation car aucune étude, à la connaissance des auteures, n’a été publiée à leur sujet, particulièrement dans un contexte canadien et québécois. Une recension des écrits fut entreprise au sujet des NIM afin d’éclaircir le sujet, et les articles conservés sont discutés sous des thématiques liées aux NIM. Les thèmes abordés sont les soins en fin de vie, les ordonnances de non-réanimation, l’arrêt de traitement et la prise de décision en fin de vie.

Type
Articles
Copyright
Copyright © Canadian Association on Gerontology 2016 

Introduction

Les échelles de niveaux de soins, aussi appelés niveaux d’interventions médicales (NIM), sont en élaboration depuis plus d’une vingtaine d’années au Québec (Saint-Arnaud, Reference Saint-Arnaud1990). Selon le document sur les niveaux de soins et les mesures de réanimation du CSSS de Chicoutimi, une échelle de NIM est « un outil de communication basé sur des règles éthiques et légales qui guide les professionnels de la santé sur la manière d’établir, en accord avec le patient ou son représentant, les objectifs de soins à atteindre » (Tremblay, Reference Tremblay2009). Leur but premier est d’améliorer la communication entre les patients et l’équipe soignante et ainsi l’échelle de NIM est considérée comme un outil de communication (Ells, Reference Ells2010; Tremblay, Reference Tremblay2009). Les NIM ont aussi pour but de diminuer les conflits éthiques, éviter une prise de décision hâtive ou effectuée en période de crise, prévenir les retards inutiles alors que des soins sont offerts sans précision sur la conduite à tenir, et respecter les valeurs et les volontés des patients en regard des soins en fin de vie (Tremblay, Reference Tremblay2009). De façon concrète, les NIM sont des formulaires propres à chaque établissement et donc ils diffèrent dans leur forme et leur contenu, mais pas dans les objectifs qu’ils poursuivent. On les retrouve habituellement sur le recto d’une page et sous forme de tableau ou de liste (Tableau1). De façon générale, ces feuilles contiennent la liste des NIM avec une courte définition de chacun et un espace pour indiquer lequel est choisi. Dans les hôpitaux, on compte généralement de 3 à 4 niveaux. Le niveau 1 indique que des interventions maximales sont souhaitées, c’est-à-dire où il n’y a aucune restriction au regard de la réanimation ou à tout traitement curatif. Le deuxième niveau est celui où les restrictions dans les interventions doivent être déterminées une à une. Le troisième niveau indique qu’il n’y aura aucune intervention de réanimation, ni aucun soin ou traitement nécessitant un transfert dans une unité de soins intensifs. On ne vise pas à guérir l’affection primaire, par exemple un cancer, mais une complication ou une affection secondaire pourrait être traitée. Finalement, le quatrième niveau est celui des soins palliatifs, où toutes les interventions visent le confort et le soulagement de la douleur de la façon la plus optimale possible, sans traitement actif offert. L’échelle de niveau de soin a généralement un but prospectif, c’est-à-dire qu’elle aide aussi à envisager les traitements qui seraient offerts ou ne le seraient pas advenant des complications ou différentes évolutions de la maladie; elle peut aussi inclure des arrêts de traitements, selon le niveau prescrit.

Tableau 1 : Exemple de formulaire de niveaux d’interventions médicales

Plusieurs milieux de soins à vocations différentes font usage de ces échelles, mais il nous est présentement difficile d’évaluer quel est leur apport et comment elles sont utilisées. Aucune étude, à notre connaissance, n’a été publiée à leur sujet particulièrement dans un contexte canadien et québécois, et si des audits de qualité ont été faits à l’interne, ces données ne sont pas accessibles à la communauté à des fins d’amélioration des pratiques et des politiques associées aux NIM. Il est présentement impossible de savoir si les échelles de NIM font réellement bénéficier les patients et le personnel d’une prise de décision plus facile à l’égard des traitements offerts et de la réanimation. Afin de mieux évaluer les retombées potentielles que les NIM peuvent avoir sur la pratique, une recension des écrits explorant les principaux concepts associés aux NIM fut entreprise.

Méthode

Les concepts associés aux NIM ont été explorés au moyen d’une recherche d’articles scientifiques. La consultation des banques de données (voir Tableau 2) à l’aide des mots-clés « niveaux d’interventions médicales » et « niveaux de soins » ainsi que leurs versions anglophones (level of care et level of medical intervention) n’a donné aucun résultat pertinent. Les thèmes principaux associés aux NIM furent utilisés pour déterminer les mots-clés utilisés par la suite (les soins en fin de vie, les ordonnances de non-réanimation, l’arrêt de traitement et la prise de décision en fin de vie). Ces derniers ont été combinés dans plusieurs banques de données.

Tableau 2 : Détails de la recherche d’articles (2000-2012)

La recherche a permis d’identifier 427 articles après retrait des doubles, et 99 de ces articles furent conservés après avoir appliqué les critères d’exclusion (Tableau 2). Des articles additionnels ont été trouvés au moyen des références citées dans d’autres articles ou suggérés comme lecture complémentaire par les moteurs de recherche ou par des pairs. Un total de 140 articles ont donc été conservés suite aux différentes stratégies de recherche et 37 d’entre eux ont été sélectionnés en fonction des concepts auxquels ils sont associés. Les thèmes abordés dans cet article concernent le contexte des soins en fin de vie dans les hôpitaux au Canada, la prise de décision en fin de vie, l’arrêt de traitement et l’acharnement thérapeutique et les ordonnances de non-réanimation.

Contexte canadien des soins en fin de vie

Les centres hospitaliers ont été le lieu de décès de 66 % des Canadiens, et de 85 % des Québécois en 2009 (Statistique Canada, 2012). La majorité de ces décès sont associés à des maladies chroniques, dont des cancers (30 %) et des maladies cardiovasculaires (27 %) (Statistique Canada, 2012). La situation des soins en fin de vie au Canada est explorée de façon exhaustive depuis 2005 par le groupe de recherche pancanadien CARENET (Canadian Researchers at the End of Life Network) et a donné lieu à la publication de plusieurs études. Dans l’une d’entre elles, 440 patients et 160 proches atteints de maladies avancées ont répondu à un sondage transversal administré au sein de cinq centres tertiaires provenant de quatre provinces. Aucun patient ni membre de la famille n’était complètement satisfait des soins et services reçus (Heyland et al., Reference Heyland, Groll, Rocker, Dodek, Gafni and Tranmer2005). Les plus bas niveaux de satisfaction furent plus souvent rencontrés chez les patients ayant des maladies chroniques terminales (insuffisance cardiaque, maladie pulmonaire obstructive chronique). Ces résultats sont conséquents puisque les écrits indiquent que les patients atteints de maladies chroniques sont moins souvent dirigés vers des équipes de soins palliatifs que les patients atteints de cancer (Tranmer et al., Reference Tranmer, Heyland, Dudgeon, Groll, Squires-Graham and Coulson2003).

Dans une étude empirique effectuée dans cinq provinces canadiennes, le groupe CARENET a pu établir certaines priorités pour l’amélioration des soins en fin de vie et mettre en lumière les domaines prioritaires pour les patients au Canada (Heyland et al., Reference Heyland, Cook, Rocker, Dodek, Kutsogiannis and Skrobik2010). Ces domaines sont le soutien émotionnel à fournir aux patients, la qualité de la relation entre le médecin et le patient et sa famille, et la communication dans la prise de décision en fin de vie. Les éléments les plus importants pour les patients canadiens et leurs proches en lien avec des soins en fin de vie de qualité ont également été définis. Trois de ces éléments sont retrouvés dans les NIM : 1) une communication transparente de l’information, 2) l’arrêt de l’utilisation des techniques de maintien des fonctions vitales, lorsqu’il n’y a plus d’espoir de guérison, et 3) la préparation à la fin de vie (Heyland et al., Reference Heyland, Dodek, Rocker, Groll, Gafni and Pichora2006). Si les NIM étaient utilisés de façon idéale, nous pouvons croire que ces domaines en seraient affectés positivement.

Le format des « POLST » ou « MOLST » (Physician/Medical Orders for Life-Sustaining Treatment) aux États-Unis, est proche de celui des NIM que l’on retrouve au Québec, sauf qu’ils sont utilisés en résidence ou en centre d’hébergement de soins de longue durée. Jusqu’à maintenant, les études indiquent que les POLST améliorent la documentation des préférences des patients et aident à les respecter lors de transferts en centre hospitalier (Hickman et al., Reference Hickman, Nelson, Moss, Tolle, Perrin and Hammes2011; Lee, Brummel-Smith, Meyer, Drew, & London, Reference Lee, Brummel-Smith, Meyer, Drew and London2000). On pourrait se demander si l’utilisation des NIM présente des impacts similaires au Québec.

Prise de décision en fin de vie

Peu de gens discutent de leurs préférences en fin de vie avec leur médecin de famille (Marco & Schears, Reference Marco and Schears2002). Dans un sondage canadien réalisé auprès d’adultes hospitalisés atteints de maladies terminales, 76% des participants avaient réfléchi aux types de traitements qu’ils voudraient recevoir advenant un évènement menaçant leur vie, mais seulement 36% en avaient discuté avec leur médecin (Heyland, Tranmer, O’Callaghan, & Gafni, Reference Heyland, Tranmer, O’Callaghan and Gafni2003). Également, seulement 37% des médecins préfèrent donner une estimation franche du taux de survie à des patients atteints de cancer et référés en soins palliatifs qui leur demandait cette information (Lamont & Christakis, Reference Lamont and Christakis2001). Ceci est un obstacle majeur à la qualité des soins en fin de vie et à la prescription d’un NIM, puisqu’il est difficile d’établir les objectifs poursuivis, lorsque le pronostic n’est pas connu du patient et parce que l’acceptation du pronostic est un élément clé à sa participation dans la prise de décision (Frank, Reference Frank2009; Kaldjian, Reference Kaldjian2010). Une discussion et une négociation entre le patient apte et les professionnels de la santé sur les buts poursuivis est essentielle, afin d’arriver à une compréhension partagée de la situation et du plan de soin qui suivra.

L’implication du patient et de ses proches dans la prise de décision varie selon la culture. Selon une étude empirique française, les critères les plus souvent utilisés afin de déterminer un arrêt de traitement ou une limitation des traitements sont le diagnostic, l’irréversibilité de l’affection aigüe, l’absence d’amélioration de l’état du patient malgré un traitement actif et la qualité de vie prévisible, tandis que le critère le plus rarement utilisé concerne les volontés du patient, qu’elles soient exprimées par lui, par des proches ou par un testament biologique (Le Conte, 2005). La prise de décision en fin de vie est habituellement effectuée sans implication de l’équipe multidisciplinaire. D’autres études empiriques françaises réalisées au sein des services d’urgences rapportent même que l’entérinement de l’équipe paramédicale pour une prescription de non-réanimation ou pour une limitation de traitement était seulement recherché dans 65% des cas (Verniolle et al., Reference Verniolle, Brunel, Olivier, Serres, Mari and Gonzalez2011). Dans 62% des cas, l’infirmière du patient était directement impliquée dans la prise de décision (Le Conte, 2005). Pourtant, même si l’infirmière n’est pas toujours impliquée de façon directe, elles sont souvent les premières à amener le sujet délicat d’un besoin de prescription de NIM à l’équipe médicale, en questionnant le « statu quo» médical et en indiquant qu’il serait temps de discuter d’un arrêt éventuel des traitements, selon une recension systématique (Adams, Bailey, Anderson, & Docherty, Reference Adams, Bailey, Anderson and Docherty2011). Concrètement, plusieurs facteurs peuvent rendre difficile l’implication de l’infirmière dans la prise de décision. D’abord, la plus grande barrière relevée les empêchant d’offrir les soins nécessaires pour favoriser une « bonne mort » est le manque de temps, surtout lié au manque de personnel infirmier (Beckstrand, Callister, & Kirchhoff, Reference Beckstrand, Callister and Kirchhoff2006). Évidemment, le roulement élevé du personnel de soin, le grand nombre d’intervenants impliqués dans les soins d’un patient et les différentes approches propres à chaque infirmière peuvent être des freins tout aussi importants à l’exploitation optimale des différents rôles de l’infirmière pour les prises de décisions liées aux NIM.

Arrêt de traitement et acharnement thérapeutique

Le concept d’arrêt des traitements est lié de très près aux échelles de niveaux de soins, pourtant leurs buts diffèrent. L’arrêt de traitement signifie qu’on cesse un traitement (par exemple, un médicament, un soin pouvant être invasif, usuel ou essentiel pour le maintien des fonctions vitales, un test diagnostique etc.) qui est actuellement prescrit et administré à un patient. L’expérience rapportée par les membres de la famille ayant pris part à un tel processus est variée. Une méta-analyse d’études qualitatives portant sur l’expérience des proches face aux décisions d’arrêts de traitements a permis de mettre en lumière trois concepts intéressants à appliquer dans les milieux de soins: le recadrage de la réalité, la relation aux autres et l’intégration caractérisée par l’acceptation et la capacité d’aller de l’avant (Meeker & Jezewski, Reference Meeker and Jezewski2009). Des recommandations pour les professionnels de la santé ont été formulées, dont offrir de l’information claire et complète, encourager les membres de la famille à passer beaucoup de temps au chevet du patient et discuter avec eux de leurs perceptions, évaluer la présence de conflits au sein de la famille, laisser assez de temps afin de favoriser une prise de décision consensuelle et faciliter le processus du jugement substitué (Meeker & Jezewski, Reference Meeker and Jezewski2009). Comme l’établissement des objectifs de soins est à la base de toute décision éthique (Kaldjian, Weir, & Duffy, Reference Kaldjian, Weir and Duffy2005), celui-ci peut grandement faciliter le processus décisionnel lié aux arrêts de traitements. Une liste de sept objectifs communs fut recensée et validée auprès des patients en fin de vie et de leur famille: 1) améliorer ou maintenir une fonction compromise, l’autonomie et la qualité de vie; 2) être confortable; 3) guérir; 4) comprendre l’étiologie et le pronostic de la maladie; 5) vivre plus longtemps; 6) atteindre des objectifs de vie; 7) recevoir du soutien émotif et psychologique durant la période entourant la fin de vie (Haberle, Shinkunas, Erekson, & Kaldjian, Reference Haberle, Shinkunas, Erekson and Kaldjian2011; Kaldjian, Curtis, Shinkunas, & Cannon, Reference Kaldjian, Curtis, Shinkunas and Cannon2009). Ces objectifs peuvent servir de guide à la discussion et à l’exploration des besoins des patients en fin de vie et de leur famille. Ils permettent de clarifier les buts exprimés, tant pour les cliniciens que pour les patients et leurs proches et aident à définir quels sont les buts les plus importants pour eux et lesquels sont atteignables de manière réaliste (Haberle et al., Reference Haberle, Shinkunas, Erekson and Kaldjian2011).

Un des buts visés par les échelles de NIM est de diminuer l’acharnement thérapeutique, c’est-à-dire de favoriser la cessation de traitements futiles. En général, on considère un traitement futile lorsqu’il ne parvient pas aux fins poursuivies (Dunphy, Reference Dunphy2000). Les définitions actuellement reconnues de la futilité médicale ont été formulées par des professionnels de la santé (Piers et al., Reference Piers, Azoulay, Ricou, Ganz, Decruyenaere and Max2011; Wittmann-Price & Celia, Reference Wittmann-Price and Celia2010). En validant avec des patients leur vision de la futilité médicale, on arrive à décrire un traitement comme étant futile lorsqu’il maintiendrait ou prolongerait la vie d’une personne sans lui permettre de fonctionner à un niveau qu’elle-même considèrerait acceptable ou lorsqu’il ne répond pas aux objectifs qu’elle avait établis (Rodriguez & Young, Reference Rodriguez and Young2006). Selon ces auteurs, les facteurs importants à considérer lorsqu’on évalue la futilité d’un traitement sont les effets sur la qualité de vie, les coûts émotifs et financiers, le pronostic et les effets des traitements sur le prolongement de la vie (Rodriguez & Young, Reference Rodriguez and Young2006). De cette façon, la réanimation cardio-respiratoire ne pourrait pas être considérée futile pour un patient qui n’en bénéficierait pas d’un point de vue médical, si ses objectifs visaient à prolonger sa vie sans égard aux traitements utilisés et à la qualité de vie qui en résulte. L’inverse est aussi vrai; un médecin pourrait considérer pertinent un traitement visant à prolonger la vie, mais ce traitement pourrait être futile du point de vue d’un patient pour qui la prolongation de la vie n’est pas l’objectif poursuivi. Cette définition laisse place à une réflexion et permet aux professionnels de se questionner sur leur propre perception de la futilité, ainsi que sur celle de leurs patients et d’ouvrir un dialogue afin de mieux se comprendre et d’arriver à un terrain d’entente sur les options possibles et réalistes, spécifiquement dans le contexte actuel des soins de santé au Québec.

Ordonnances de non-réanimation

L’établissement d’un NIM permet de déterminer le statut du patient au regard de la réanimation. Habituellement, sans ordonnance de non-réanimation, une personne en arrêt cardiorespiratoire ou près de l’être sera rapidement prise en charge et une tentative de réanimation sera effectuée, pouvant éventuellement mener à l’utilisation de mesures de maintien en vie. D’ailleurs, une majorité croit que près d’une personne sur deux peut survivre aux mesures de réanimation alors qu’en réalité, un peu moins d’une personne sur cinq ayant été réanimée survivra à son congé de l’hôpital (Ehlenbach et al., Reference Ehlenbach, Barnato, Curtis, Kreuter, Koepsell and Deyo2009; Peberdy et al., Reference Peberdy, Kaye, Ornato, Larkin, Nadkarni and Mancini2003). Le taux de survie est très bas, voire nul, lorsqu’il s’agit de mesures de réanimation exercées sur un patient pour lequel le décès ou l’arrêt cardio-respiratoire avait pu être anticipé par l’équipe soignante (Ewer, Kish, Martin, Price, & Feeley, Reference Ewer, Kish, Martin, Price and Feeley2001). Cette perception peut inciter les patients à concevoir le consentement à une ordonnance de non-réanimation comme étant un choix entre la vie et la mort (Eliott & Olver, Reference Eliott and Olver2008). Ainsi, lorsqu’il y a une planification des traitements futurs, les informations déterminantes doivent être connues des patients, afin d’éviter que de fausses croyances soient à la base d’une décision concernant la gestion de leurs traitements et de leurs soins. De plus, les ordonnances de non-réanimation, formulées comme « ne pas réanimer », « pas de code » ou « pas de RCR », peuvent être perçues de façon négative puisqu’elles sont présentées comme le retrait d’une option de traitement, créant ainsi un sentiment d’abandon chez les patients (Wittmann-Price & Celia, Reference Wittmann-Price and Celia2010). Chez les professionnels, nombreux sont ceux qui pensent que la réanimation cardiorespiratoire cause plus de torts de que bien, Malgré cela, ils commenceraient tout de même les mesures de réanimation si elle est exigée par le patient, afin de respecter les exigences légales (Sævareid & Balandin, Reference Sævareid and Balandin2011). Cette situation peut être assez fréquente dans le contexte états-unien puisque que les patients désirent que la décision concernant la réanimation cardiorespiratoire leur revienne et qu’ils la considèrent comme un droit (Eliott & Olver, Reference Eliott and Olver2011). Cela peut causer des tensions ou des inconforts auprès des équipes de soins et amener le sentiment d’offrir des soins inadéquats reliés à des traitements excessifs lorsque le patient exige une réanimation (Piers et al., Reference Piers, Azoulay, Ricou, Ganz, Decruyenaere and Max2011).

Malheureusement, en milieu hospitalier, les objectifs et les préférences en fin de vie sont explorées tardivement au cours de l’hospitalisation et les ordonnances de non-réanimation sont prescrites peu de temps avant le décès (Piers et al., Reference Piers, Azoulay, Ricou, Ganz, Decruyenaere and Max2011; Torke et al., Reference Torke, Sachs, Helft, Petronio, Purnell and Hui2011). Certaines études rapportent même qu’en moyenne, les ordonnances de non-réanimation sont prescrites deux à trois jours avant le décès ou le jour même du décès (Morrell, Brown, Qi, Drabiak, & Helft, Reference Morrell, Brown, Qi, Drabiak and Helft2008; Yuen, Reid, & Fetters, Reference Yuen, Reid and Fetters2011). Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette utilisation tardive. Entre autres, de nombreuses barrières au diagnostic de décès imminent ont été relevées, comme une mauvaise identification des signes précurseurs du décès, la poursuite d’objectifs de traitement irréalistes, des barrières communicationnelles ou culturelles et des craintes quant à la cessation de traitements (Chapman & Ellershaw, Reference Chapman and Ellershaw2011). Près de la moitié des résidents en médecine interne devant participer à des discussions sur la fin de vie ont rapporté ne jamais avoir eu d’enseignement à ce sujet, et 25% d’entre eux n’avaient même jamais assisté à un tel échange avant de le faire (Loertscher, Beckman, Cha, & Reed, Reference Loertscher, Beckman, Cha and Reed2010). Le délai dans la prescription des ordonnances de non-réanimation en centre hospitalier peut aussi être expliqué par une mauvaise coordination des soins. Par exemple, le fait que durant les fins de semaine et le congés fériés les médecins traitants ne sont pas sur place et que les résidents sur appel ne sont pas toujours familiers avec les patients peut contribuer aux retards dans les prescriptions de non-réanimation (Sævareid & Balandin, Reference Sævareid and Balandin2011). Ce type de situation illustre bien le manque d’organisation et de préparation entourant la planification des soins en fin de vie et elle constitue une grande source de mécontentement chez les infirmières (Long-Sutehall et al., Reference Long-Sutehall, Willis, Palmer, Ugboma, Addington-Hall and Coombs2011). Également, la réévaluation des volontés du patient n’a pas souvent lieu une fois qu’une ordonnance de non-réanimation a été prescrite (Ewer et al., Reference Ewer, Kish, Martin, Price and Feeley2001). Le processus décisionnel semble donc perçu par les professionnels de la santé comme étant arrêté dans le temps, et non comme un continuum.

L’intervention d’une équipe en soins palliatifs et la prescription de non-réanimation plus précoce que ce qui est actuellement fait pourrait avoir de nombreuses retombées positives, selon une étude empirique portant sur une approche proactive en soins palliatifs pour les patients atteints d’ischémie cérébrale globale, à la suite d’une réanimation cardiovasculaire à l’unité des soins intensifs (Campbell & Guzman, Reference Campbell and Guzman2003). On y rapporte qu’une intervention précoce faite par une équipe spécialisée en soins palliatifs a permis de s’assurer que 100% des patients avaient une ordonnance de non-réanimation à leur dossier, comparé à 88% pour le groupe contrôle, et que les mesures de confort étaient visées deux fois plus fréquemment que dans le groupe contrôle et en moyenne trois jours plus tôt. Cette étude a démontré qu’une intervention par une équipe de soins palliatifs, chez une clientèle où l’espoir de guérison et de survie est vain, encourage la prescription d’une ordonnance de non-réanimation plus tôt, améliore les soins en fin de vie et diminue l’utilisation des ressources et les coûts (Campbell & Guzman, Reference Campbell and Guzman2003).

Discussion

Les écrits recensés dans cet article nous offrent une vue d’ensemble des impacts que les NIM peuvent avoir sur les soins en centre hospitalier. Le niveau de détails que comportent les NIM et leur approche globale qui inclut les détails de la discussion et toute spécification particulière au niveau des traitements ou des objectifs de soins poursuivis en font un outil plus complet que les prescriptions de non-réanimation. Ils sont des atouts essentiels afin de promouvoir une discussion ouverte et respectueuse sur les buts poursuivis de part et d’autre et ils sont rédigés de façon à promouvoir l’autonomie des patients et l’autonomie des professionnels de la santé. Leur nature prescriptive fait en sorte que le NIM doit être signé par un médecin et ne requiert aucune autre signature. Toutefois, comme les écrits relèvent l’importance d’une prise de décision en équipe multidisciplinaire composée minimalement d’un patient, d’un médecin et d’une infirmière (Frank, Reference Frank2009), il pourrait être intéressant de faire l’ajout de cosignataires, afin d’en faire un outil qui encourage une approche interdisciplinaire. Par exemple, d’autres professionnels de la santé pourraient y ajouter leur signature en tant que participant, ce qui favorisait leur implication lors des discussions sur les soins en fin de vie. La signature du patient et de la famille pourrait aussi être apportée. Ces ajouts novateurs feraient en sorte que les prescriptions de NIM seraient mieux organisées, planifiées et consensuelles.

Bien qu’il ressorte de cette recension que le contexte de soins en centre hospitalier n’est pas favorable aux discussions à cause de l’acuité, de l’intensité des soins et du roulement accéléré qu’on retrouve sur la majorité des unités, il semble qu’une discussion planifiée et entreprise plus tôt dans l’épisode de soin aurait des retombées positives majeures chez les patients et leurs proches. D’une part, en déterminant les objectifs de soins tôt dans l’épisode d’hospitalisation à l’aide d’une échelle de NIM, il est possible de distinguer ce qui est considéré futile de ce qui ne l’est pas. Les traitements qui ne seront pas offerts, ceux qui le seront et à quels moments ils pourraient être arrêtés advenant le cas, peuvent être discutés ouvertement et avec moins d’urgence décisionnelle. Ceci favorise le dialogue et une meilleure compréhension des partis impliqués et une prise de décision comportant une charge émotive possiblement allégée. La discussion concernant un NIM permet également la mise en place d’une vision à plus long terme et une certaine préparation à des développements possibles de la maladie. D’autre part, cette discussion pourrait faciliter un éventuel arrêt de traitement, ce qui constitue une étape difficile de la maladie, souvent effectuée à des moments critiques dans des circonstances où la participation du patient est impossible. C’est donc avec les membres de la famille ou les proches que les décisions sont effectuées. Ni le contexte français valorisant l’autonomie médicale, ni la promotion du principe d’autonomie du patient aux États-Unis ne répondent à ce que les patients recherchent et n’optimisent la prise de décision. En effet, ils préfèrent une prise de décision et une responsabilité décisionnelle partagées, lorsqu’ils en viennent aux décisions de fin de vie pour eux-mêmes en tant que patient apte, mais aussi pour leurs proches advenant leur inaptitude (Heyland et al., Reference Heyland, Tranmer, O’Callaghan and Gafni2003). L’approche collaborative et transparente promue par les NIM permet une prise de décision aux pouvoirs équilibrés.

Selon les résultats de Heyland et al (Reference Heyland, Dodek, Rocker, Groll, Gafni and Pichora2006), on peut aussi croire que certains domaines prioritaires pour les patients seraient améliorés dans l’éventualité où les NIM seraient utilisés à leur plein potentiel. En effet, on peut penser qu’une communication plus transparente de l’information aura lieu, ainsi qu’une meilleure utilisation des techniques de maintien des fonctions vitales et une meilleure préparation à la fin de vie. Si les NIM sont utilisés de façon idéale, nous pouvons croire que ces domaines en seraient affectés positivement. Dans le cas des décisions en fin de vie, il est primordial que des discussions ouvertes et transparentes aient lieu entre les professionnels de la santé et les patients quant au diagnostic, au pronostic, et aux options offertes pour éviter des réanimations non désirées. Néanmoins, les NIM demeurent un outil. Bien qu’ils favorisent l’établissement d’une discussion et en guident le contenu, ils ne peuvent pas assurer la qualité de cette discussion. Cette recension a mis en lumière les différentes lacunes liées à la discussion et il semblerait que des inaptitudes à reconnaître la fin de vie, ajoutées à un malaise associé à la mort et un manque de formation pour aborder ces questions difficiles, seraient en grande partie responsables du délai dans la prescription d’ordonnances de non-réanimation et des soins de confort. Dans ces cas, il est difficile pour les professionnels de la santé d’avoir des discussions transparentes et ainsi d’accompagner les patients et les familles dans leur préparation à la fin de vie. D’ailleurs, l’implantation des NIM devrait être accompagnée d’une nouvelle utilisation de la terminologie liée à la réanimation comme « pas de tentative de réanimation » et « permettre une mort naturelle ». Ce changement de vocabulaire et de culture est de plus en plus recommandé afin de diminuer les connotations négatives associées aux ordonnances de non-réanimation et d’offrir une option plus réaliste (Wittmann-Price & Celia, Reference Wittmann-Price and Celia2010). Sans intervention éducative auprès des professionnels de la santé, les NIM risquent d’être présentés comme un choix parmi une liste d’interventions offertes, sans explications ni échanges favorisant une meilleure compréhension des traitements et des enjeux, ou d’être présentés comme une simple ordonnance de non-réanimation, c’est-à-dire comme un choix « entre la vie et la mort », souvent discuté tardivement durant l’épisode de soin. Ce faisant, ils n’atteindront pas les objectifs pour lesquels ils ont été mis en place. Les politiques institutionnelles valorisant une discussion précoce sur les objectifs des soins sont essentielles, afin de promouvoir une réflexion chez les patients, mais également afin de leur offrir des soins personnalisés le plus tôt possible et pour éviter de prodiguer des soins non désirés et inutiles. Les discussions sur les soins en fin de vie et la prise de décision qui y est associée doivent être vulgarisés et normalisés au sein des professionnels de la santé, afin que le malaise général qui y est associé puisse être dissipé.

Conclusion

Les NIM ont le potentiel d’être un outil efficace pour minimiser les difficultés dans la prise de décision et dans les décisions d’arrêt de traitement, d’une part, et pour promouvoir des soins en fin de vie adéquats, médicalement appropriés répondant aux besoins et aux attentes des patients, d’autre part. Selon les écrits scientifiques, les NIM offrirait une réponse, quoique partielle, aux différents enjeux soulevés par la fin de vie. Toutefois, pour répondre pleinement aux objectifs actuellement établis en matière d’amélioration de la planification et de la qualité des soins en fin de vie, leur implantation doit être accompagnée d’autres stratégies d’interventions, par exemple des ateliers de formation pour les professionnels de la santé sur la communication et sur la sensibilisation aux besoins des patients. Les échelles de NIM ont tout de même le potentiel de faciliter l’atteinte de ces objectifs. Elles peuvent être un moteur dans l’accès à des soins de confort pour les patients qui décèdent de plus en plus nombreux en centre hospitalier au Québec. Comme il n’y a pas d’écrits scientifiques portant sur ce sujet, un portrait de leur utilisation actuelle devrait être dressé, afin de préciser les domaines où des améliorations sont nécessaires et établir des lignes directrices uniformisées quant à leur développement et à leur utilisation.

References

Références

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Tableau 1 : Exemple de formulaire de niveaux d’interventions médicales

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Tableau 2 : Détails de la recherche d’articles (2000-2012)