Introduction
La pénurie de main-d’œuvre est une préoccupation qui persiste au Canada (Cocolakis-Wormstall, Reference Cocolakis-Wormstall2018) et dans d’autres pays industrialisés, depuis plusieurs années. Cette pénurie peut être expliquée par le vieillissement de la population et la diminution du taux des naissances, entre autres (Cocolakis-Wormstall, Reference Cocolakis-Wormstall2018). Alors que la génération des baby-boomers atteint majoritairement l’âge de la retraite, le nombre de jeunes qui intègrent le marché du travail n’est pas suffisant pour pourvoir les postes vacants (Institut du Québec, 2021). Ainsi, la prolongation et le retour à la vie active après la retraite chez les personnes vieillissantes sont encouragés, afin d’aider à pallier la pénurie de main-d’œuvre (Institut du Québec, 2021; Tremblay, Reference Tremblay2011). Ce phénomène amène un grand écart d’âge entre les jeunes et les personnes vieillissantes, faisant en sorte que, pour la première fois de l’histoire, cinq générations doivent cohabiter sur le marché du travail (Wiedmer, Reference Wiedmer2015). Le terme « personne vieillissante » sera utilisé ici en référence aux travailleurs et travailleuses vieillissantes, ce qui regroupe les travailleurs et travailleuses âgées de 55 ans et plus, tel que défini par plusieurs instances gouvernementales canadiennes (Ministres fédéral, provinciaux et territoriaux responsables des aînés, 2018).
Le concept de génération fait référence à un ensemble de personnes qui sont nées dans les mêmes années et dont le développement a été teinté par les mêmes évènements sociaux et historiques (Kupperschmidt, Reference Kupperschmidt2000). Selon certains auteurs et autrices, ces personnes partageraient ainsi une vision du travail et des valeurs qui les caractérisent en tant que groupe (Kupperschmidt, Reference Kupperschmidt2000; Wiedmer, Reference Wiedmer2015). En 2024, on retrouve la génération des traditionalistes (1920–1945), qui accorderait de l’importance au respect de la hiérarchie, de l’éthique du travail et des règles (McNamara, Reference McNamara2005). La génération des baby-boomers (1945–1959) lui succède et celle-ci considèrerait le travail comme une manière d’avancer vers le succès et de gravir les échelons (Havette, Reference Havette2020). On retrouve ensuite la génération X (1960–1979), qui considèrerait le travail davantage comme une source de revenus plutôt qu’un objectif en soi, valorisant l’équilibre entre vie personnelle et professionnelle (Havette, Reference Havette2020). La génération Y (1980–1995), quant à elle, a grandi à travers l’avènement des technologies et aurait le désir de faire bouger les choses, questionnant la pertinence d’une hiérarchie et préférant acquérir ses connaissances et ses compétences à travers de multiples organisations (Havette, Reference Havette2020). Finalement, la génération Z (1995–2010) présenterait un intérêt marqué pour l’entrepreneuriat et chercherait dans son travail l’équilibre (Montambeault et Hamelin-Lalonde, Reference Montambeault and Hamelin-Lalonde2019). Le concept de génération demeure toutefois difficile à appréhender, qualifié selon plusieurs auteurs et autrices de « notion à conceptualisation diverse » (Devriese, Reference Devriese1989, p. 15), de terme à « grande élasticité » (Falardeau, Reference Falardeau1990, p. 60) ou « à géométrie variable » (Devriese, Reference Devriese1989, p. 11), reflétant la complexité d’identifier les éléments qui sous-tendent sa construction. Les générations au travail sont souvent décrites comme des groupes homogènes ayant des caractéristiques similaires, alors qu’il existe beaucoup de différences intragénérationnelles (Devriese, Reference Devriese1989; Rouet, Reference Rouet2019; Saba, Reference Saba2017). Plusieurs auteurs et autrices soulignent la nécessité d’études longitudinales pour permettre de réelles comparaisons entre les générations (Rouet, Reference Rouet2019; Saba, Reference Saba2017), en isolant la variable « génération » pour déterminer ce qui est réellement attribuable à ce concept, indépendamment de l’âge ou du stade de carrière, par exemple. Certains chercheurs et chercheuses se questionnent sur le risque que peut amener la catégorisation des individus en générations sur la création et la persistance des préjugés et stéréotypes au travail (Rouet, Reference Rouet2019). Le concept de « génération », malgré la difficulté à le définir concrètement, demeure toutefois un concept bien ancré dans la société et les milieux de travail. Les croyances et les représentations qui en découlent animent les relations entre travailleurs et travailleuses. La notion de génération renvoie à l’évolution des sociétés, à leur temporalité. Elle permet d’appréhender les changements qui s’opèrent dans les mentalités et les visions d’une société (Devriese, Reference Devriese1989). Considérant les particularités générationnelles qui peuvent parfois occasionner des divergences entre les générations, cet article présente une étude qui propose une conceptualisation de la coopération intergénérationnelle afin d’optimiser la collaboration et la contribution au travail de chacun.
La littérature soutient qu’une diversité générationnelle au sein des équipes de travail peut engendrer de multiples opportunités (Gordon, Reference Gordon, Dans Aquino and Robertson2018). Cette diversité permettrait de favoriser l’innovation et la productivité des équipes de travail (Gordon, Reference Gordon, Dans Aquino and Robertson2018). Cela implique que les organisations doivent tenter de favoriser la cohabitation à la fois des plus jeunes et des plus vieux pour bénéficier des avantages de cette diversité (Gordon, Reference Gordon, Dans Aquino and Robertson2018). Toutefois, cette cohabitation intergénérationnelle peut également conduire à des incompréhensions, des désaccords ou des tensions qui augmentent le risque de conflits intergénérationnels, en raison de différents facteurs (p. ex. âgisme, différences perçues) (Urick et al., Reference Urick, Hollensbe, Masterson and Lyons2017; Zemke et al., Reference Zemke, Raines and Filipczak2000). Bien que cette cohabitation ne mène pas nécessairement à la présence de conflits intergénérationnels, une diversité accrue au regard des âges jumelée à la présence de ces différents facteurs peut en augmenter le risque (Urick et al., Reference Urick, Hollensbe, Masterson and Lyons2017). Par ailleurs, 67% des travailleurs et travailleuses provenant de plusieurs pays européens rapportaient la présence de conflits intergénérationnels dans leur milieu de travail (ADP, 2015).
Plusieurs auteurs et autrices ont relevé que ce type de conflit peut être relié à des différences générationnelles, relatives aux caractéristiques propres à chaque génération en matière de valeurs (Cogin, Reference Cogin2012) ou de représentativité du travail (Zemke et al., Reference Zemke, Raines and Filipczak2000), par exemple. Ainsi, le fait que les membres de différentes générations ne perçoivent pas le travail de la même manière pourrait créer des incompréhensions et mener à des conflits (Zemke et al., Reference Zemke, Raines and Filipczak2000). Toutefois, tel que mentionné plus haut, certains auteurs et autrices soulignent que d’autres facteurs sont à considérer dans l’étude des différences générationnelles au travail, tels que l’influence de l’âge ou du cycle de carrière ou encore les différences individuelles au sein d’une même génération (Saba, Reference Saba2017). Rudolph et Zacher (Reference Rudolph, Zacher, Dans, Finkelstein, Fraccaroli and Kanfer2015) ont proposé un modèle explicatif des conflits intergénérationnels au travail, basé sur la perception de différences générationnelles alimentée par les stéréotypes liés à l’âge véhiculés dans la société. Ces perceptions pourraient amener les travailleurs et travailleuses à adopter des comportements reliés aux différences générationnelles attendues (Rudolph et Zacher, Reference Rudolph, Zacher, Dans, Finkelstein, Fraccaroli and Kanfer2015). Les personnes vieillissantes seraient perçues comme moins performantes, moins confortables avec les technologies et moins désireuses d’apprendre (Gouvernement du Canada, 2021), alors que leurs homologues plus jeunes seraient perçus comme moins loyaux et plus individualistes, bien que ces préjugés et stéréotypes ne soient pas nécessairement soutenus par des données probantes (Spaas et Vandenbroucke, Reference Spaas and Vandenbroucke2012). Ces préjugés et stéréotypes liés à l’âge pourraient ainsi contribuer aux tensions intergénérationnelles (Spaas et Vandenbroucke, Reference Spaas and Vandenbroucke2012; Urick et al., Reference Urick, Hollensbe, Masterson and Lyons2017), en conduisant à des incompréhensions, de l’exclusion ou à des discriminations (Lagacé et al., Reference Lagacé, Van de Beeck and Firzly2019; Perdrige, Reference Perdrige2023; Spaas et Vandenbroucke, Reference Spaas and Vandenbroucke2012). La présence d’une rivalité occasionnée par les ressources limitées d’une entreprise peut aussi être source de conflits selon Ropes et Ypsilanti (Reference Ropes, Ypsilanti, Dans Antoniou, Burke and Cooper2016). Dans cette optique, les ressources convoitées dans l’entreprise sont souvent occupées par les personnes vieillissantes qui souhaitent conserver celles-ci, alors que les plus jeunes, qui entrent dans l’entreprise, tentent d’acquérir ces ressources afin de gravir les échelons, pouvant occasionner des tensions (Ropes et Ypsilanti, Reference Ropes, Ypsilanti, Dans Antoniou, Burke and Cooper2016).
Les conflits intergénérationnels peuvent conduire à des impacts négatifs s’ils ne sont pas gérés adéquatement (Urick et al., Reference Urick, Hollensbe, Masterson and Lyons2017). Par exemple, ils peuvent amener des difficultés en lien avec la communication et la collaboration des équipes de travail (Havette, Reference Havette2020), conduisant à une diminution de la productivité, du partage et de la transmission des connaissances au sein de l’entreprise (Lagacé et al., Reference Lagacé, Van de Beeck and Firzly2019). Or, cette transmission des connaissances est primordiale pour assurer la pérennité de l’entreprise, à travers la préservation de la mémoire organisationnelle, ainsi que pour favoriser le développement des connaissances et compétences des travailleurs et travailleuses de différentes générations (Harvey, Reference Harvey2012). Comme le soulignent Tang et Martins (Reference Tang and Martins2021), certains auteurs et autrices ont montré que le partage intergénérationnel des connaissances aurait également des bénéfices sur l’innovation, la croissance et l’efficacité au travail. Les conflits intergénérationnels peuvent aussi avoir des impacts sur la santé et sur le bien-être de la personne, par une diminution de l’engagement et de la satisfaction au travail ou la remise en question de ses capacités professionnelles (Grima, Reference Grima2007), par exemple. Ces conflits peuvent ainsi conduire au départ prématuré de travailleurs et travailleuses (Urick et al., Reference Urick, Hollensbe, Masterson and Lyons2017). La diminution de la collaboration au sein des équipes de travail peut également engendrer une augmentation de l’absentéisme et une perte de productivité pour l’organisation (Kalisch et Begeny, Reference Kalisch and Begeny2005; Urick et al., Reference Urick, Hollensbe, Masterson and Lyons2017). La présence d’âgisme, lequel réfère aux stéréotypes, aux préjugés et à la discrimination liée à l’âge, a également un impact négatif sur le recrutement et le maintien au travail des personnes vieillissantes (Gouvernement du Canada, 2021), en plus d’avoir des impacts sur le bien-être et la santé de la personne. L’âgisme peut amener la personne vieillissante à internaliser les stéréotypes entendus concernant les pertes et déclins associés à l’âge et à adopter certains comportements en conséquence, ce qui peut renforcer ces stéréotypes (Francioli et North, Reference Francioli, North, Dans and Willis2021). Une attention doit ainsi être portée pour réduire l’âgisme en milieu de travail et déconstruire les préjugés et stéréotypes qui entourent les personnes vieillissantes (Gouvernement du Canada, 2021). La promotion d’un milieu de travail sain pour l’ensemble des générations peut contribuer à la santé et sécurité au travail (Čič et Žižek, Reference Čič and Žižek2017; Lagacé et al., Reference Lagacé, Van de Beeck and Firzly2019). Dans cette perspective, pour bénéficier des avantages de la diversité générationnelle, l’organisation doit favoriser un climat de travail permettant le respect, l’inclusion, l’entraide et la collaboration entre les générations. Considérant l’impact important que les conflits intergénérationnels peuvent avoir sur le bien-être et la santé des travailleurs et travailleuses, la performance des équipes de travail et la productivité de l’organisation, il paraît ainsi primordial de s’intéresser aux stratégies qui permettraient d’en réduire le risque. Dans cette optique, la littérature recommande de favoriser la mise en place d’une coopération intergénérationnelle au travail (CIT) (Tang et Martins, Reference Tang and Martins2021; Troadec, Reference Troadec and Alter2012). Cette coopération entre les générations pourrait ainsi permettre d’aider à préserver le bien-être et la santé des travailleurs et travailleuses et de favoriser le maintien des connaissances dans l’entreprise (Harvey, Reference Harvey2012; Lagacé et al., Reference Lagacé, Van de Beeck and Firzly2019). Par ailleurs, le fait de valoriser la collaboration entre les générations au travail aurait permis d’augmenter la performance et l’innovation de nombreuses entreprises (Perdrige, Reference Perdrige2023).
En dehors du monde du travail, plusieurs programmes de coopération intergénérationnelle ont déjà été mis en place dans la communauté et ont fait leurs preuves. Par exemple, une revue systématique de la littérature de Zhong et collaborateurs (Reference Zhong, Lee, Foster and Bian2020) a montré que la mise en place de programmes de coopération intergénérationnelle au sein de la communauté pouvait avoir des effets bénéfiques sur la santé physique, psychologique, ainsi que cognitive des personnes vieillissantes. Ce type de programme permettrait aux personnes vieillissantes de s’engager dans des activités et des interactions intergénérationnelles améliorant leur qualité de vie (Zhong et al., Reference Zhong, Lee, Foster and Bian2020). Considérant les bénéfices que l’intégration de tels programmes amène dans la communauté, cela permet de conduire à l’hypothèse que la coopération intergénérationnelle pourrait avoir une valeur ajoutée dans le monde du travail.
Par ailleurs, le Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) de Pommeraie, situé dans la province du Québec au Canada, a implanté un programme de coopération intergénérationnelle au sein de son organisation en 2009. Ce programme portait principalement sur le cercle des legs, où des travailleurs et travailleuses vieillissantes étaient invitées, dans la première partie du programme, à réfléchir quant à leur « héritage professionnel » (Harvey, Reference Harvey2012, p. 404) et à partager leurs réflexions lors de sessions de groupe avec leurs collègues du même groupe d’âge. Des sessions d’entraînement pour développer leurs compétences de mentorat étaient également offertes chaque semaine. Dans la seconde partie du programme, il leur était demandé de transmettre cet héritage à travers une modalité de leur choix (projet personnalisé, mentorat un-à-un ou groupe de narration) à des travailleurs et travailleuses en début de carrière. Ce programme a permis de renforcer les compétences des personnes vieillissantes en matière de mentorat, de favoriser le transfert des connaissances tacites et explicites entre les générations, de favoriser l’empowerment des employés, de créer des liens entre les générations et de permettre aux personnes vieillissantes d’avoir une vue d’ensemble sur leur carrière professionnelle (Harvey, Reference Harvey2012).
Bien que le concept de CIT se révèle prometteur et qu’il ait été fréquemment abordé dans la littérature grise et scientifique depuis plusieurs années, peu de définitions du terme ont été proposées et celles-ci demeurent peu précises, ce qui rend le concept difficile à opérationnaliser (Baran et Kłos, Reference Baran and Kłos2014). Ainsi, les organisations de travail peuvent appréhender de traiter les enjeux relatifs à la gestion intergénérationnelle, par crainte de ne pas être en mesure d’aborder des changements significatifs correctement à travers la CIT (Čič et Žižek, Reference Čič and Žižek2017). L’apport d’une démarche de conceptualisation de la CIT se reflète ainsi dans l’importance actuelle de cibler des pratiques pouvant diminuer l’âgisme en milieu de travail et favoriser l’inclusion et la collaboration dans les équipes de travail, considérant l’impact que les tensions et conflits intergénérationnels peuvent avoir au regard de la santé individuelle et organisationnelle (Grima, Reference Grima2007; Čič et Žižek, Reference Čič and Žižek2017). Ces enjeux sont d’autant plus importants à considérer dans le contexte actuel de vieillissement de la population et de pénurie de main-d’œuvre, dans une optique de rétention de la main-d’œuvre (Institut du Québec, 2021). Une conceptualisation de la CIT pourrait être pertinente pour faciliter la compréhension du concept par les travailleurs et travailleuses et les organisations, afin de favoriser l’intégration de la coopération intergénérationnelle dans les milieux de travail.
Ainsi, considérant que la cohabitation de plusieurs générations sur le marché du travail peut engendrer des conflits intergénérationnels susceptibles de réduire la collaboration des équipes de travail et que la CIT pourrait être une avenue intéressante pour réduire ce risque de conflits à travers l’implication des différents acteurs, l’objectif de cette étude est de proposer une définition opérationnelle du concept de coopération intergénérationnelle au travail.
Méthode
Devis
Dans le cadre de cette étude, un devis d’analyse de concept a été utilisé (Walker et Avant, Reference Walker and Avant2019). L’analyse de concept permet de déconstruire un mot ou un terme, afin d’en développer les caractéristiques et d’en donner une définition opérationnelle (Walker et Avant, Reference Walker and Avant2019). D’abord, elle permet de déterminer les attributs du concept, c’est-à-dire les caractéristiques décrivant le mieux le concept étudié (Tremblay-Boudreault et al., Reference Tremblay-Boudreault, Durand and Corbière2020). Ensuite, l’analyse de concept permet de cerner les antécédents, c’est-à-dire les éléments nécessaires pour permettre la mise en place du concept, ainsi que les conséquents, c’est-à-dire les résultats de la présence de ce concept (Tremblay-Boudreault et al., Reference Tremblay-Boudreault, Durand and Corbière2020). Elle est utile pour permettre de clarifier un terme qui est souvent utilisé dans la littérature, mais concrètement peu défini (Walker et Avant, Reference Walker and Avant2019).
Ce devis a été utilisé pour définir plusieurs concepts en lien avec le travail, comme le travail d’équipe (Xyrichis et Ream, Reference Xyrichis and Ream2008) ou les comportements préventifs au travail (Lecours et Therriault, Reference Lecours and Therriault2017).
Procédure et analyse
En cohérence avec le devis d’analyse de concept, une revue intégrative de la littérature a été réalisée pour déterminer les attributs du concept, ainsi que ses antécédents et ses conséquents (de Souza et al., Reference de Souza, da Silva and de Carvalho2010). La revue intégrative permet de synthétiser les connaissances sur un sujet, en adoptant une approche compréhensive de la littérature et permet d’utiliser une large variété de sources (de Souza et al., Reference de Souza, da Silva and de Carvalho2010). De plus, la revue intégrative est particulièrement appropriée lorsque l’objectif de recherche est de définir un concept (Whittemore et Knafl, Reference Whittemore and Knafl2005). Une approche systématique en cinq étapes a été utilisée pour réaliser cette revue intégrative:
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1. Identifier la question de recherche : La question de recherche de cette étude est : « Qu’est-ce que la coopération intergénérationnelle au travail? ». Il s’agit d’une question large afin de brosser un portrait le plus holistique possible du concept choisi.
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2. Recherche documentaire : Une stratégie de recherche documentaire a été développée par deux membres de l’équipe de recherche et une bibliothécaire. Les mots-clés et bases de données retenus sont présentés dans le Tableau 1. Considérant qu’il s’agit d’un concept utilisé dans plusieurs domaines (p. ex. psychologie, gestion, économie) et dans l’optique d’obtenir l’ensemble des définitions et utilisations de ce terme, des bases de données spécialisées dans les domaines de la santé, des relations industrielles, de la psychologie et du marketing ont été ciblées. Afin d’élargir la recherche et de couvrir un éventail de sources de connaissances, la liste des références bibliographiques des manuscrits sélectionnés a été utilisée pour cibler d’autres documents pertinents (Tremblay-Boudreault et al., Reference Tremblay-Boudreault, Durand and Corbière2020). Des sites internet et des dictionnaires ont également été utilisés permettant d’accéder à des sources variées (Tremblay-Boudreault et al., Reference Tremblay-Boudreault, Durand and Corbière2020).
Tableau 1. Stratégie de recherche
Les manuscrits ont été sélectionnés selon les critères d’inclusion suivants : 1) doit porter sur la coopération intergénérationnelle, 2) doit être associé au travail, 3) doit être écrit en anglais ou en français. Un critère d’exclusion a été ajouté, soit 1) ne doit pas porter exclusivement sur le transfert ou le partage des connaissances. Ce critère a été ajouté dans une optique de faisabilité, car un large éventail d’articles traitait exclusivement du transfert ou du partage des connaissances, sans aborder spécifiquement le concept de CIT, ne permettant ainsi pas de contribuer à l’objectif de cet article. Finalement, considérant que les concepts sont sujets à évoluer à travers le temps, les manuscrits tirés des 20 dernières années (2003 à 2023) ont été considérés pour assurer une vision plus actuelle du concept (Walker et Avant, Reference Walker and Avant2019). Les critères d’inclusion ont été prétestés sur la sélection de six articles par deux membres de l’équipe de recherche.
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3. Sélection des manuscrits : Une bibliothèque Endnote contenant l’ensemble des manuscrits à étudier a d’abord été créée, puis a été importée dans la plateforme web Covidence pour faciliter le processus de sélection des manuscrits. Une fois les doublons retirés, une première lecture des titres, résumés et mots-clés des manuscrits sélectionnés a été réalisée par deux membres de l’équipe de recherche. Les manuscrits qui répondaient aux critères d’inclusion et d’exclusion à cette première étape ont été conservés pour l’étape de la lecture complète des manuscrits sélectionnés afin de déterminer si ces derniers peuvent contribuer à répondre à la question de recherche. En cas d’incertitude ou de conflit dans la sélection des manuscrits, un troisième évaluateur était impliqué pour lire le manuscrit et en déterminer la pertinence. Les membres de l’équipe se sont rencontrés à intervalle régulier pour échanger concernant la sélection des manuscrits, afin de favoriser la réflexion relative à leur propre perspective et ainsi de réduire les biais y étant associés (Padgett, Reference Padgett2016). Quarante-huit manuscrits ont été retenus par notre processus de sélection, qui est illustré à la figure 1.
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4. Extraire et classer les données : Les données ont été extraites à l’aide d’une grille développée pour l’analyse de concept (Tremblay-Boudreault, 2014). Cette grille a été prétestée par deux membres de l’équipe de recherche avec l’extraction des informations de 11 manuscrits. Pour chacun de ces manuscrits, les membres ont d’abord rempli la grille individuellement, puis se sont rencontrés afin de comparer leur grille. Cet échange a permis d’apporter des modifications à la grille pour améliorer le processus d’extraction des données (Lecours et Therriault, Reference Lecours and Therriault2017). La version finale de la grille qui a été utilisée pour extraire l’information des 48 manuscrits comporte des informations descriptives concernant la provenance des manuscrits sélectionnés (p. ex. titre de l’article, champs de littérature) et à propos des caractéristiques qui définissent un concept, c’est-à-dire les attributs, les antécédents et les conséquents.
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5. Analyser les données : Une analyse thématique de type hybride (Swain, Reference Swain2018) a été réalisée pour traiter les informations recueillies par les grilles d’extraction. L’approche hybride est la combinaison d’une approche déductive, c’est-à-dire reposant sur des bases théoriques existantes (ici les catégories de caractéristiques qui définissent un concept – attributs, antécédents, conséquents) mais également sur une approche inductive, c’est-à-dire basée sur les thèmes émergents au fil de la lecture des données (Swain, Reference Swain2018). Ces thèmes émergents ont été repérés, puis regroupés pour la création de l’arbre thématique (Paillé et Mucchielli, Reference Paillé, Mucchielli, Paillé and Mucchielli2012). L’analyse a été réalisée par deux membres de l’équipe de recherche, afin de réduire les biais interprétatifs (Padgett, Reference Padgett2016).

Figure 1. Organigramme des manuscrits sélectionnés pour conceptualiser la coopération intergénérationnelle au travail.
Éthique
L’approbation d’un comité éthique n’est pas nécessaire pour ce type de devis, considérant qu’il s’agit de l’analyse de données tirées de la littérature actuelle.
Résultats
Description des manuscrits
La revue intégrative a permis de répertorier 48 manuscrits répondant aux critères d’inclusion et d’exclusion établis. Plus de 80% des manuscrits sélectionnés ont été publiés dans les dix dernières années (n=39) et étaient écrits en anglais (n=31). La plupart des manuscrits abordaient la coopération intergénérationnelle au travail sans égard au secteur d’activités (n=30), alors que certains auteurs et autrices en précisaient un (n=14) ou plusieurs (n=4). Les manuscrits provenaient de disciplines variées (p. ex. sociologie, psychologie, communication, soins infirmiers), mais particulièrement des sciences de la gestion (n=30). Le tableau 2 présente les principales caractéristiques des manuscrits retenus.
Tableau 2. Description des manuscrits sélectionnés (n=48)

Les auteurs et autrices des manuscrits répertoriés abordaient différentes théories pour soutenir leurs travaux. Dans plusieurs des écrits, les auteurs et autrices (Čič et Žižek, Reference Čič and Žižek2017; Davis, Reference Davis2020; Satterly et al., Reference Satterly, Cullen and Dyson2018) mentionnaient la théorie des générations. Plus précisément, certains auteurs et autrices comme Davis (Reference Davis2020) ont exposé la théorie générationnelle de Mannheim (Reference Mannheim1952), qui met en lumière l’idée que les générations sont façonnées par des expériences historiques communes. D’autres, comme Satterly et al. (Reference Satterly, Cullen and Dyson2018), référaient à la théorie générationnelle de Howe et Strauss (Reference Howe and Strauss2007), qui décrit une succession cyclique de quatre types de générations à travers l’histoire, possédant chacune des caractéristiques particulières. Plusieurs auteurs et autrices (Bencsik et al., Reference Bencsik, Horvath-Csikos and Juhasz2016; Hahn, Reference Hahn2011; Pijoan et Chevance, Reference Pijoan and Chevance2012; Scotto et al., Reference Scotto, Boyer, Deacken and Tiffon2014) relevaient les caractéristiques générationnelles répertoriées dans la littérature ou s’appuyaient sur une définition du concept de génération. Certains s’appuyaient plutôt sur d’autres théories. Par exemple, Firzly et collaborateurs (Reference Firzly, Van de Beeck and et Lagace2021) et Rudolph et Zacher (Reference Rudolph, Zacher, Dans, Finkelstein, Fraccaroli and Kanfer2015) abordaient la théorie des contacts intergroupes, qui soutient que des interactions fréquentes et positives entre les membres d’un groupe permettraient de réduire les préjugés et stéréotypes, sous certaines conditions. Wok et Hashim (Reference Wok and Hashim2013) mentionnaient la théorie de la communication intergénérationnelle et Perrin-Joly (Reference Perrin-Joly2011) décrivait la théorie de l’échange et celle du don, selon laquelle la coopération reposerait sur les principes du donner, du recevoir et du rendre.
Variables définissant le concept de CIT
L’interprétation des résultats de notre étude nous permet de proposer une conceptualisation de la CIT formée de sept attributs, huit antécédents et six conséquents, inscrite dans un contexte organisationnel et liée à un processus de changement. La figure 2 décrit cette conceptualisation qui représente le résultat principal de notre étude.

Figure 2. Attributs, antécédents et conséquents du concept de coopération intergénérationnelle au travail.
Les attributs, antécédents et conséquents ont été divisés selon les différents acteurs du milieu de travail impliqués, soit (A) attributs, antécédents ou conséquents individuels, c’est-à-dire, qui impliquent le travailleur ou la travailleuse elle-même, (B) attributs, antécédents ou conséquents collectifs, c’est-à-dire qui impliquent l’équipe de travail et (C) attributs, antécédents ou conséquents organisationnels, c’est-à-dire qui impliquent l’organisation, incluant les gestionnaires, la direction ou les ressources humaines.
Attributs de la coopération intergénérationnelle au travail
Les manuscrits étudiés ont permis de relever huit attributs (individuels, collectifs ou organisationnels) qui caractérisent le concept de CIT : 1) contribution individuelle au regard de l’autre, 2) équipes intergénérationnelles, 3) engagement des personnes vers un but commun, 4) interactions sociales intergénérationnelles, 5) partage des savoirs intergénérationnels, 6) solidarité intergénérationnelle, 7) cohésion sociale intergénérationnelle et 8) gestion intergénérationnelle.
A) Attributs individuels
L’analyse des manuscrits a fait ressortir un unique attribut individuel, soit la contribution individuelle au regard de l’autre . Chaque personne au sein de l’organisation doit s’assurer de contribuer individuellement à l’effort collectif, en partageant de l’information, en demandant de l’aide au besoin (Bencsik et al., Reference Bencsik, Horvath-Csikos and Juhasz2016), en démontrant une ouverture à l’autre et en reconnaissant l’apport de l’autre (Pintaric et al., Reference Pintaric, Marič and Balantic2023), comme le souligne Mackin (Reference Mackin2011) : « Pour chaque individu, cela [collaborer] signifie s’engager à apporter sa contribution, assumer la responsabilité de ses propres actions et valoriser le point de vue des autres » [traduction libre] (p. 46).
B) Attributs collectifs
Six attributs collectifs ont été répertoriés à travers cette analyse de concept. La CIT est caractérisée, tout d’abord, par la présence d’équipes intergénérationnelles, ce qui représente le premier attribut collectif. Cet attribut implique la formation d’équipes de travail de deux personnes ou plus issues d’au moins deux générations différentes pour réaliser un projet, une tâche de travail ou échanger des idées et des connaissances. Comme le rapporte Landier dans Peretti et Frimousse (Reference Peretti and Frimousse2014): « L’organisation doit […] s’efforcer de mixer les équipes en vue de valoriser l’apport des uns et des autres et de développer les occasions d’échanges de bonnes pratiques » (p. 146).
Ces équipes intergénérationnelles doivent permettre l’engagement des personnes vers un but commun, ce qui représente le second attribut. Plusieurs auteurs et autrices ont rapporté l’importance que les individus travaillent en équipe dans l’objectif d’atteindre un ou plusieurs buts communs (Aldisert, Reference Aldisert2017; Barry, Reference Barry2014; McGuire et al., Reference McGuire, Todnem By and Hutchings2007) :
Vouloir favoriser la coopération intergénérationnelle amène donc l’entreprise à construire un collectif de travail où chaque tranche d’âge est représentée puis à animer et orienter cette compétence collective intergénérationnelle vers un projet commun. […] Il convient ensuite de faire connaître le projet d’entreprise, l’objectif à atteindre… afin de donner du sens à l’action collective et mobiliser ainsi les énergies de chacune et de chacun. (Poilpot-Rocaboy dans Peretti et Frimousse, Reference Peretti and Frimousse2014, p. 144)
Cet attribut s’apparente à la notion de mobilisation, puisque les acteurs des différentes générations doivent être mobilisés vers l’atteinte de ce but commun (Pijoan et Chevance, 2012), chaque personne devant travailler en synergie pour permettre au collectif d’atteindre le but ou l’objectif établi.
Ces équipes intergénérationnelles engagées vers un but commun induisent la présence du troisième attribut collectif, soit les interactions sociales intergénérationnelles. En faisant travailler ensemble des individus issus de différentes générations, cela permet à ceux-ci d’interagir, à travers le dialogue intergénérationnel et l’écoute, par exemple. Tel que souligné par Crites (Reference Crites2023, paragr. 14) : « Il est important de favoriser la communication et de créer des moments de partage entre les différentes générations de travailleurs ». Ces interactions permettront le partage de savoirs intergénérationnels (Pijoan et Chevance, Reference Pijoan and Chevance2012), qui représente le quatrième attribut collectif.
Le partage des savoirs intergénérationnels est une composante primordiale de la coopération, comme le mentionnent Čič et Žižek (Reference Čič and Žižek2017) : « L’intérêt de mettre en place un système de coopération intergénérationnelle est [entre autres] de […] : permettre d’apprendre les uns des autres » [traduction libre] (p. 52). Les auteurs et autrices ont fait ressortir, à travers les écrits, différentes formes permettant le partage des connaissances entre les générations, telles que le parrainage (Pijoan et Chevance, Reference Pijoan and Chevance2012), le mentorat (Granger, Reference Granger2023; Jacob, Reference Jacob2021), le mentorat renversé (Satterly et al., Reference Satterly, Cullen and Dyson2018) ou réciproque (Crites, Reference Crites2023) ou encore le tutorat (Peretti et Frimousse, Reference Peretti and Frimousse2014). L’approche bidirectionnelle, où l’employé senior et l’employé junior échangent des savoirs dans les deux sens, est fortement encouragée dans la littérature (Belmoeiti, Reference Belmoeiti2021; Dahmani, Reference Dahmani2022; Ruiz et al., Reference Ruiz, Gonzalez, Cano, Soto, Pruano and Hernandez2021).
Le partage des savoirs et les interactions sociales entre les générations permettent le sixième attribut, soit la solidarité intergénérationnelle. Cette solidarité implique que les générations s’entraident entre elles dans l’atteinte du but commun visé, qu’elles s’offrent un soutien mutuel (Čič et Žižek, Reference Čič and Žižek2017), partagent la charge de travail équitablement (De Vos, Reference De Vos and Parry2014) et évoluent ensemble. Les termes « co-construction » (Ollivier, Reference Ollivier2018; Montargot, Merle et Idrac dans Peretti et Frimousse, Reference Peretti and Frimousse2014; Perrin-Joly, Reference Perrin-Joly2011) et « co-développement » (Atout’âge, s.d.; Ollivier, Reference Ollivier2018) émergent dans la littérature, soutenant ce processus de soutien entre générations, lors de l’intégration de nouvelles recrues (Perrin-Joly, Reference Perrin-Joly2011) ou du partage des difficultés vécues sur le plan professionnel avec les collègues (Ollivier, Reference Ollivier2018), par exemple.
Cette solidarité intergénérationnelle favoriserait la création d’une cohésion sociale intergénérationnelle (Meier, Reference Meier2023), qui représente le cinquième attribut de la CIT. La cohésion implique la création de liens sociaux unissant les générations :
Pour favoriser la coopération intergénérationnelle, l’entreprise doit pouvoir privilégier la cohésion sociale intergénérationnelle. Cette dernière réclame un synchronisme, une euphonie et eurythmie entre les acteurs (Lépineux, 2005). (Van Hoorebeke et al. dans Peretti et Frimousse, Reference Peretti and Frimousse2014, p. 146)
Cette cohésion se développe lorsque les générations apprennent à se connaître mutuellement, comme le mentionne Ollivier (Reference Ollivier2018) : « La connaissance pour chaque personne des autres membres de l’équipe est le socle sur lequel va se construire la cohésion ».
Ainsi, on constate que les attributs collectifs forment une chaîne, où chaque ingrédient est nécessaire pour parvenir à atteindre la CIT. Les équipes intergénérationnelles doivent tout d’abord être formées, puis engagées vers un but commun, afin de permettre les interactions entre les générations et le partage de leurs savoirs. Ces partages permettront à leur tour la création d’une solidarité entre les générations, ce qui favorisera l’établissement d’une cohésion intergénérationnelle. Chaque ingrédient doit ainsi être présent pour faciliter la création du suivant. Ces liens hiérarchiques entre les attributs collectifs sont illustrés à la figure 3.

Figure 3. Liens hiérarchiques des attributs du concept de coopération intergénérationnelle au travail
C) Attributs organisationnels
Un attribut organisationnel a été répertorié lors de l’analyse de concept, soit la gestion intergénérationnelle. Ce type de gestion consiste à incorporer une « approche appropriée » (Čič et Žižek, 2017, p. 54) selon les caractéristiques des différentes générations, afin de faire une gestion plus efficace des générations au travail (Čič et Žižek, Reference Čič and Žižek2017). Le soutien de la gestion est essentiel à la CIT, comme le rapporte Raynaud dans Peretti et Frimousse (Reference Peretti and Frimousse2014) : « La coopération intergénérationnelle nécessite une action proactive d’un management convaincu des bénéfices d’une meilleure coopération entre générations » (p. 126). La CIT doit se refléter dans les actions et le discours de l’organisation (Čič et Žižek, Reference Čič and Žižek2017). Ce système de gestion implique également la mise en place d’un leadership transformationnel par l’organisation (André, Reference Andre2018), ce qui nécessite de désigner des leaders véhiculant les principes liés à la CIT et guidant leur équipe de travail vers le but commun identifié (Skibiński et al., Reference Skibiński, Sipa and Gorzeń-Mitka2016).
Antécédents de la coopération intergénérationnelle au travail
L’analyse des données a permis de faire ressortir sept antécédents nécessaires pour permettre la création de CIT : 1) motivation, 2) compétences émotionnelles et sociales, 3) implication temporelle, 4) valorisation d’une diversité générationnelle, 5) reconnaissance de l’importance de la CIT, 6) juste connaissance des caractéristiques générationnelles et 7) offre de formation.
A) Antécédents individuels
Sur le plan individuel, deux antécédents ont été répertoriés. Le premier est la motivation. Selon Skibiński, Sipa et Gorzeń-Mitka (Reference Skibiński, Sipa and Gorzeń-Mitka2016): « les employés doivent être intéressés à exprimer et échanger des informations et à partager leurs connaissances afin d’atteindre le succès » [traduction libre] (p. 414). Chaque individu doit être motivé non seulement à transmettre des connaissances, mais également à réaliser l’activité de travail ou le projet d’équipe attendu (Convertino et al., Reference Convertino, Farooq, Rosson, Carroll and Meyer2007). La motivation peut être animée par plusieurs facteurs, comme le « désir de s’améliorer » (Wade-Benzoni, Reference Wade-Benzoni and Dans2003, p. 261) ou le sentiment de devoir transmettre ses connaissances comme la génération précédente nous les a transmises, ce que Wade-Benzoni nomme « la réciprocité intergénérationnelle » (Wade-Benzoni, Reference Wade-Benzoni and Dans2003, p. 268).
Le second antécédent individuel est la nécessité d’avoir des compétences émotionnelles et sociales. Chaque individu doit avoir les compétences sociales pour être en mesure de travailler en équipe sur une œuvre commune (Pawlak et al., Reference Pawlak, Serafin and Czarkowska-Pączek2022). Certains auteurs et autrices ajoutent également que la « personnalité et l’attitude » (Vilate dans Peretti et Frimousse, Reference Peretti and Frimousse2014, p. 147) de la personne transmettant ses connaissances vont jouer un rôle important dans la CIT. Selon Mackin (Reference Mackin2011) : « La collaboration nécessite une capacité à comprendre et à communiquer ses propres pensées et sentiments, ainsi que le désir d’écouter et de s’engager aussi consciencieusement avec l’autre personne » [traduction libre] (p. 46). Les compétences émotionnelles et sociales sont ainsi nécessaires pour construire et entretenir des relations (Goins, Reference Goins2022).
B) Antécédent collectif
Sur le plan collectif, un antécédent a été répertorié, soit la temporalité. Cet antécédent implique que le collectif doit se donner du temps avant que la CIT ne puisse s’installer (Perrin-Joly, Reference Perrin-Joly2017a). Il faut du temps pour que les membres d’une équipe apprennent à se connaître, à se comprendre, à s’accepter, à se faire confiance et à se respecter mutuellement (Convertino et al., Reference Convertino, Farooq, Rosson, Carroll and Meyer2007; Peretti et Frimousse, Reference Peretti and Frimousse2014). Selon Perrin-Joly (Reference Perrin-Joly2017b) : « S’engager dans la coopération est difficile. Elle demande aux acteurs des efforts […] et nécessite du temps. Si les acteurs s’y engagent, c’est qu’elle est nécessaire pour faire perdurer une certaine vision du métier » (p. 132).
C) Antécédents organisationnels
Sur le plan organisationnel, quatre antécédents ont émergé lors de l’analyse. Tout d’abord, l’organisation doit valoriser la diversité générationnelle. Considérant les bénéfices d’une diversité générationnelle rapportés dans la littérature (Baran et Kłos, Reference Baran and Kłos2014), il est important que l’entreprise favorise le recrutement de personnes de tout âge et de toute génération, ce que soulève Poilpot-Rocaboy dans Peretti et Frimousse (Reference Peretti and Frimousse2014) :
Il s’agit donc d’abord de recruter en valorisant la mixité d’âge comme une force pour l’entreprise. Premier pas vers cette coopération intergénérationnelle, le recrutement impose une évolution des représentations des âges et des compétences – en termes de savoir, savoir-faire et savoir-être – associées à chaque génération. (p. 144)
Le second antécédent organisationnel répertorié est la reconnaissance de l’importance de la CIT, comme le soulignent Pintaric et collaborateurs (Reference Pintaric, Marič and Balantic2023) : « Une condition pour établir la coopération intergénérationnelle est la conscience de son importance et de ce qu’elle peut apporter aux organisations » [traduction libre] (p. 873). L’entreprise doit ainsi comprendre l’importance du maintien et du transfert des connaissances dans l’organisation (Rupčić, Reference Rupčić2018) et l’importance de la CIT pour favoriser un climat de travail sain (Dahmani, Reference Dahmani2022).
La CIT nécessite également préalablement la juste connaissance des caractéristiques générationnelles, qui représente le troisième antécédent organisationnel. L’organisation devrait connaître les forces, les préférences et les défis de chaque génération pour faciliter le travail entre générations (Moore et al., Reference Moore, Everly and Bauer2016; Pawlak et al., Reference Pawlak, Serafin and Czarkowska-Pączek2022), répondre aux attentes et aux besoins de tous et permettre une coopération entre les générations (Nalliat, Reference Nalliat2022; Vrabcová et Urbancová, Reference Vrabcova and Urbancova2022). Toutefois, il faut éviter les stéréotypes générationnels comme le stipulent Macovei et Martinescu-Bădălan (Reference Macovei and Martinescu-Bădălan2022) : « Les stratégies utilisées doivent être fondées sur une connaissance et une compréhension adéquates des caractéristiques de chaque génération, sans tomber dans le piège des stéréotypes et des préjugés qui leur sont associés » [traduction libre] (p. 195). De plus, il faut garder en tête que chaque individu reste unique comme le font ressortir Baran et Klos (Reference Baran and Kłos2014) : « Il est important de reconnaître et de comprendre que chaque personne est un être individuel avec sa conscience individuelle, ses traits de personnalité spécifiques, ses aptitudes, ses capacités, ses connaissances, son expérience et ses compétences qu’elle apporte à l’organisation » [traduction libre] (p. 97).
Le quatrième antécédent organisationnel est l’offre de formation. Pour s’assurer de l’adhésion des différents acteurs à la CIT, l’organisation devra bien former chacun d’eux sur différents sujets. Pour Bailly dans Peretti et Frimousse (Reference Peretti and Frimousse2014), « La formation a […] tenu un rôle essentiel dans la coopération générationnelle » (p. 129). Par ailleurs, les leaders devront endosser de nouvelles compétences pour contribuer à la gestion des différentes générations, nécessitant également de la formation (Skibiński et al., Reference Skibiński, Sipa and Gorzeń-Mitka2016). Finalement, des ateliers portant sur l’intelligence émotionnelle pourraient être pertinents (Mackin, Reference Mackin2011), tout comme des formations portant sur les aptitudes de mentor (Pijoan et Chevance, Reference Pijoan and Chevance2012).
Conséquents de la coopération intergénérationnelle au travail
L’analyse des manuscrits a permis de faire ressortir six conséquents : 1) développement des individus, 2) amélioration du bien-être au travail, 3) optimisation de l’efficience des équipes de travail, 4) réduction des conflits intergénérationnels, 5) attractivité et rétention du personnel et 6) amélioration de la performance organisationnelle.
A) Conséquents individuels
Deux conséquents individuels de la CIT ont été répertoriés. Tout d’abord, la CIT permet le développement des individus, à travers le transfert de connaissances permettant à chacun d’enrichir ses savoirs (Šestáková, Reference Šestakova2019), comme le mentionne Belmoeiti (Reference Belmoeiti2021) : « la cohabitation et la collaboration intergénérationnelles […] favoris[e]nt la transmission des connaissances et des compétences individuelles » (p. 5).
La CIT permet également d’améliorer le bien-être des individus au travail, augmentant la satisfaction et l’engagement au travail (Čič et Žižek, Reference Čič and Žižek2017). L’amélioration de l’engagement au travail est corrélée avec une « diminution de l’absentéisme et du présentéisme au travail » (Rožman et al., Reference Rožman, Treven and Čančer2020, p. 11), ainsi qu’une « diminution des accidents de travail » (Rožman et al., Reference Rožman, Treven and Čančer2020, p. 11). La CIT peut ainsi contribuer à la santé et sécurité au travail : « Améliorer la coopération intergénérationnelle et la gestion des générations peut influencer le renforcement et le maintien de la santé et assurer une plus grande sécurité du travail » [traduction libre] (Čič et Žižek, Reference Čič and Žižek2017, p. 55).
B) Conséquents collectifs
L’analyse des données a permis de relever deux conséquents collectifs. Pour commencer, la CIT permet l’optimisation de l’efficience des équipes de travail, en augmentant la « pensée créative, l’innovation et la créativité » (Čič et Žižek, Reference Čič and Žižek2017, p. 56), ainsi que la résolution de problèmes, à travers la formation d’équipes intergénérationnelles partageant des savoirs et des points de vue variés (Galdón et al., Reference Galdon, McDermott, Huang and et Rey Actis2021; Meier, Reference Meier2023).
Ensuite, la CIT permet la réduction des conflits intergénérationnels, par l’amélioration du climat de travail, de la compréhension et de l’acceptation des différences et par le renforcement des relations et de la communication entre les générations (Goins, Reference Goins2022; Pintaric et al., Reference Pintaric, Marič and Balantic2023; André, Reference Andre2018). La CIT permet ainsi de réduire les tensions, le stress (Hahn, Reference Hahn2011; Pawlak et al., Reference Pawlak, Serafin and Czarkowska-Pączek2022), le fossé intergénérationnel (Belmoeiti, Reference Belmoeiti2021; Čič et Žižek, Reference Čič and Žižek2017; Davis, Reference Davis2020), ainsi que les stéréotypes, préjugés et discrimination liés à l’âge (Firzly et al., Reference Firzly, Van de Beeck and et Lagace2021; Rudolph et Zacher, Reference Rudolph, Zacher, Dans, Finkelstein, Fraccaroli and Kanfer2015) qui sont susceptibles de nuire au climat de travail et d’engendrer des conflits entre les générations (Macovei et Martinescu-Bădălan, Reference Macovei and Martinescu-Bădălan2022; Nelsey et Brownie, Reference Nelsey and Brownie2012) : « La coopération intergénérationnelle joue un rôle décisif dans la réduction du fossé intergénérationnel et dans la réduction des conflits sur le lieu de travail » [traduction libre] (Čič et Žižek, Reference Čič and Žižek2017, p. 56).
C) Conséquents organisationnels
Deux conséquents organisationnels ont été répertoriés. En premier lieu, la CIT permet d’améliorer l’attractivité et la rétention du personnel : « Lorsque les dirigeants créent des opportunités pour accroître la collaboration, cela peut avoir un impact positif sur la rétention » [traduction libre] (Goins, Reference Goins2022, p. 77). L’intégration des nouvelles recrues sera facilitée par le climat de travail sain et le transfert des connaissances (Belmoeiti, Reference Belmoeiti2021; Pintaric et al., Reference Pintaric, Marič and Balantic2023). De plus, la valorisation du personnel plus âgé et leur inclusion faciliteront leur rétention sur le marché du travail (Kokovnik et Jagodic, Reference Kokovnik and Jagodic2017; Scotto et al., Reference Scotto, Boyer, Deacken and Tiffon2014). Finalement, par une compréhension plus adéquate des générations, l’organisation favorise le recrutement d’une main-d’œuvre diversifiée en âge (Čič et Žižek, Reference Čič and Žižek2017; André, Reference Andre2018).
En second lieu, la CIT permet l’amélioration de la performance organisationnelle. Par la préservation des connaissances dans l’entreprise (Perrin-Joly, Reference Perrin-Joly2011; Scotto et al., Reference Scotto, Boyer, Deacken and Tiffon2014; Skibiński et al., 2016) et l’amélioration de la performance des employés et des équipes (Mackin, Reference Mackin2011; Pintaric et al., Reference Pintaric, Marič and Balantic2023; Skibiński et al., Reference Skibiński, Sipa and Gorzeń-Mitka2016), l’entreprise peut devenir plus profitable, productive, performante et compétitive sur le marché du travail :
Profili et collaborateurs (Reference Profili, Innocenti and Sammarra2017) et Rupčić (Reference Rupčić2018) résument que la coopération intergénérationnelle, et donc l’échange de connaissances, est positivement liée à la réduction des coûts de production, à l’achèvement plus rapide des nouveaux produits en développement, à la variété des projets, à l’augmentation des performances et de l’innovation de l’équipe, ainsi qu’à l’augmentation de la croissance des ventes et des revenus. [Traduction libre] (Rožman et al., Reference Rožman, Treven and Čančer2020, p. 14)
Contexte entourant la CIT
L’interprétation des données extraites des 48 manuscrits a permis de faire ressortir deux éléments qui transcendent les antécédents, les attributs et les conséquents de la CIT, soit le processus de changement et le contexte organisationnel. En effet, la CIT s’inscrit dans un processus de changement qui doit d’abord s’opérer en amont dans l’organisation pour faire face aux enjeux intergénérationnels pouvant résulter de la diversification de la main-d’œuvre (Čič et Žižek, Reference Čič and Žižek2017). Ce processus doit initialement s’opérer à travers un changement au regard des « politiques, stratégies et valeurs » (Čič et Žižek, Reference Čič and Žižek2017, p. 53), des visions et de la culture de l’entreprise (Bencsik et al., Reference Bencsik, Horvath-Csikos and Juhasz2016; Čič et Žižek, Reference Čič and Žižek2017). Pour ce faire, l’organisation peut avoir à modifier ses perceptions relatives à la diversité générationnelle ou à l’importance de la CIT, conditions préalables pour permettre la présence de CIT, comme le stipulent Baran et Klos (Reference Baran and Kłos2014) : « les chefs d’entreprise et les décideurs doivent changer leurs habitudes et leurs vieux modes de pensée » [traduction libre] (p. 101). Des modifications au regard des méthodes de gestion (Čič et Žižek, Reference Čič and Žižek2017), de communication (Bencsik et al., Reference Bencsik, Horvath-Csikos and Juhasz2016) ou de transfert des connaissances (Skibiński et al., Reference Skibiński, Sipa and Gorzeń-Mitka2016) pourront également être nécessaires pour permettre une gestion adéquate des générations et un partage efficace des savoirs intergénérationnels. Ces changements s’opéreront également à travers des transformations au regard des relations, comme le stipulent Rožman et collaborateurs (Reference Rožman, Treven and Čančer2020) : « La coopération intergénérationnelle au travail nécessite un changement en profondeur de la relation entre les salariés et la direction de l’organisation » [traduction libre] (p. 13). Finalement, ce processus de changement représente également le résultat de la mise en place de la CIT dans l’entreprise à travers la résolution de conflits entre générations comme le mentionnent André (Reference Andre2018) : « Bien que cette démarche requière plus de temps, elle accroît les chances d’apporter un changement durable dans le milieu de travail » (p. 34). Les acteurs devront ainsi se montrer ouverts à ces changements tout au long du processus, comme le souligne Goins (Reference Goins2022) : « Être flexible et ouvert au changement est critique au travail pour permettre la cohésion » [traduction libre] (p. 14).
Le contexte organisationnel doit également faciliter l’instauration de la CIT. Ce contexte regroupe ici la nécessité d’un climat de travail, d’une culture organisationnelle et de conditions de travail qui doivent favoriser la CIT (Perrin-Joly, Reference Perrin-Joly2017b; Čič et Žižek, Reference Čič and Žižek2017). Ce contexte devra être ajusté préalablement pour permettre la présence de CIT. Le climat de travail doit d’abord reposer sur l’équité intergénérationnelle (Firzly et al., Reference Firzly, Van de Beeck and et Lagace2021; Wok et Hashim, Reference Wok and Hashim2013). L’organisation doit également encourager et promouvoir la confiance (Bencsik et al., Reference Bencsik, Horvath-Csikos and Juhasz2016), le respect et la compréhension mutuelle entre les générations (Brečko, Reference Brečko2021; Wok et Hashim, Reference Wok and Hashim2013). La culture organisationnelle devrait, quant à elle, refléter le partage de valeurs communes (Voulquin, Reference Voulquin2022). De plus, un environnement et des pratiques inclusives seront nécessaires pour permettre l’inclusion générationnelle qui est primordiale à la CIT (Hahn, Reference Hahn2011; Moore et al., Reference Moore, Everly and Bauer2016). Par ailleurs, les « politiques, stratégies et valeurs » (Čič et Žižek, Reference Čič and Žižek2017, p. 53) favorisant la CIT permettront de faciliter sa mise en place et encourageront l’instauration d’un véritable climat de confiance et de respect nécessaire au maintien de cette coopération (Čič et Žižek, Reference Čič and Žižek2017). Finalement, les conditions de travail doivent également permettre la CIT, comme le mentionne Perrin-Joly (Reference Perrin-Joly2017b) : « Les conditions organisationnelles jouent en effet dans la possibilité de maintenir les espaces de coopération » (p. 134). Des « emplois stables » (Perrin-Joly, Reference Perrin-Joly2017b, p. 134) permettant l’évolution de carrière sont plus propices à l’instauration de cette coopération, tout comme la présence d’espaces physiques permettant le travail d’équipe (Peretti et Frimousse, Reference Peretti and Frimousse2014). Ce contexte organisationnel est également une caractéristique propre à la CIT puisque l’atteinte d’une cohésion sociale implique l’entraide et l’écoute entre les générations, comme le mentionne Rupčić (Reference Rupčić2018) : « En outre, la valeur de la coopération intergénérationnelle devrait être ancrée dans la culture de l’organisation afin de garantir des relations mutuelles caractérisées par le respect, la dignité et la compréhension mutuelle » [traduction libre] (p. 4). Le contexte organisationnel représente également l’une des retombées de la CIT, puisque la présence de CIT encourage le maintien d’un contexte de travail sain et valorisant pour l’ensemble des générations, comme le soulignent Čič et Žižek (Reference Čič and Žižek2017) : « Il est important d’être conscient des avantages découlant de la coopération intergénérationnelle, tels que (…) créer un environnement de travail plus convivial (climat et culture favorables) » [traduction libre] (p. 56).
Au final, nos travaux nous permettent de proposer cette définition de la CIT :
La CIT se définit comme l’atteinte d’une cohésion sociale au sein d’équipes intergénérationnelles engagées vers un but commun, à travers leurs interactions, le partage de leurs savoirs, l’entraide, la compréhension et l’acceptation de leurs différences, dans un processus de changement intentionnel soutenu par l’organisation. La CIT implique ainsi l’inclusion de toutes les générations dans un contexte de travail sain qui promeut l’équité intergénérationnelle, la confiance et le respect. Elle nécessite l’implication de l’ensemble des acteurs qui doivent être convaincus de son importance.
Discussion
L’objectif de cette étude était de proposer une définition opérationnelle du concept de coopération intergénérationnelle au travail. Cette étude a mis en lumière trois points importants à discuter, soit (1) le rôle des différents acteurs au regard de la CIT, (2) l’importance des bénéfices de la CIT pour l’ensemble des acteurs et (3) le rôle que pourrait jouer la CIT au regard de la prévention en santé et sécurité au travail.
Le rôle des différents acteurs au regard de la CIT
Tout d’abord, cette étude a permis de refléter le rôle de chaque acteur, à travers la catégorisation des variables définissant le concept de CIT selon si celles-ci impliquaient l’individu, l’équipe de travail ou l’organisation. Les résultats ont ainsi permis de mettre en lumière l’importance du rôle de l’organisation pour permettre l’implantation de la CIT. Plusieurs des antécédents du concept étaient répertoriés dans cette catégorie, ce qui signifie que l’organisation a un rôle clé à jouer pour mettre en place les bases nécessaires à la CIT. Plusieurs manuscrits abordaient, par ailleurs, le rôle de l’organisation et des exemples de pratiques concrètes pouvant être implantées par celle-ci pour faciliter la CIT (Čič et Žižek, Reference Čič and Žižek2017; Goins, Reference Goins2022; Perrin-Joly, Reference Perrin-Joly2017a; Skibiński et al., Reference Skibiński, Sipa and Gorzeń-Mitka2016). Ainsi, l’organisation doit d’abord s’assurer que le contexte dans lequel ses travailleurs et travailleuses évoluent est propice à la CIT (Čič et Žižek, Reference Čič and Žižek2017; Perrin-Joly, Reference Perrin-Joly2017a). Elle doit également préparer le terrain à travers son discours, ses politiques et la formation offerte (Čič et Žižek, Reference Čič and Žižek2017), afin qu’il soit clair pour le personnel et les équipes de travail qu’une coopération est souhaitée et attendue entre les générations. L’organisation pourra être amenée à modifier ses méthodes de gestion pour permettre de s’ajuster aux changements organisationnels et miser sur des espaces de coopération sains et durables (Perrin-Joy, Reference Perrin-Joly2017b). Pour que ces changements s’opèrent, elle doit toutefois, en premier lieu, s’assurer de comprendre les bénéfices de ces changements et de maintenir leur orientation, car il s’agit d’un processus difficile à instaurer, qui demande du temps (Baran et Klos, Reference Baran and Kłos2014). Si l’organisation perd de vue l’importance de la CIT dans la gestion des dynamiques intergénérationnelles, elle risque d’avoir de la difficulté, par la suite, à s’ajuster et à maintenir les changements nécessaires pour permettre un transfert des connaissances pérenne et une cohésion entre les générations.
Par la suite, cette préparation permettra de favoriser l’actualisation de la CIT. À ce moment, l’organisation devra s’assurer de « redonner la place au collectif » (Perrin-Joly, Reference Perrin-Joly2017a, p. 17), où se joue l’instauration de cette coopération. Les membres de l’équipe de travail intergénérationnelle devront apprendre à se connaître et à créer des liens sociaux inclusifs qui favoriseront une CIT. C’est à travers le collectif que la CIT pourra naître et perdurer, alimentée par le respect et la confiance qui devra se construire entre les membres de l’équipe. Les activités de team building et les échanges permettront de solidifier ces liens sociaux (Moore et al., Reference Moore, Everly and Bauer2016; Ollivier, Reference Ollivier2018; Pawlak et al., Reference Pawlak, Serafin and Czarkowska-Pączek2022; Peretti et Frimousse, Reference Peretti and Frimousse2014). La nécessité d’atteindre un objectif commun contribuera à la mobilisation des travailleurs et travailleuses de différentes générations, alors que chacun et chacune devra contribuer à l’œuvre commune, en synergie.
L’organisation doit toutefois s’assurer, pendant ce temps, de maintenir son soutien au collectif de travail et de continuer à véhiculer les valeurs et les buts communs partagés à travers ses leaders et son personnel. Ce rôle de soutien est primordial pour s’assurer que les travailleurs et travailleuses évoluent dans un contexte organisationnel sain qui reflète les attentes de l’organisation en matière d’inclusion, de diversité et d’équité générationnelles au sein de l’entreprise.
Bénéfices de la CIT pour l’ensemble des acteurs
Cette étude a permis de relever plusieurs bénéfices inhérents à l’implantation d’une CIT, tant au regard de l’individu, que de l’équipe de travail et de l’organisation. Elle permet ainsi de constater que ces bénéfices ne touchent pas uniquement l’organisation en tant que telle (direction, ressources humaines, employeur, etc.), mais également l’ensemble du personnel. Par exemple, l’amélioration du transfert des connaissances à travers la CIT est bénéfique non seulement pour la pérennité de l’entreprise et sa compétitivité sur le marché du travail (Kokovnik et Jagodic, Reference Kokovnik and Jagodic2017), mais également pour l’individu qui pourra acquérir de nouveaux savoirs et de nouvelles compétences (Šestáková, Reference Šestakova2019), ainsi que pour l’équipe de travail, dont l’efficience sera optimisée par cet échange de connaissances (Rožman et al., Reference Rožman, Treven and Čančer2020). Dans cette même optique, la CIT permet aussi de favoriser un climat de travail plus sain (Čič et Žižek, Reference Čič and Žižek2017), ce qui a un impact positif sur l’amélioration du bien-être des individus au travail, réduisant certains risques liés à la santé et sécurité au travail et facilitant le travail d’équipe par la réduction du risque de conflits dans l’organisation, ce qui est bénéfique à la fois pour l’individu, l’équipe de travail et l’organisation.
La CIT peut également avoir un impact sur la pénurie de main-d’œuvre si l’attractivité et la rétention du personnel sont augmentées, entre autres, par la réduction des préjugés et stéréotypes, ce qui peut être bénéfique pour la société et l’économie (Pintaric et al., 2023). La connaissance des bénéfices de la CIT peut permettre de favoriser l’implication des différents acteurs dans le processus, par la reconnaissance des nombreux impacts positifs que son implantation peut permettre.
Rôle de la CIT au regard de la prévention en santé et sécurité au travail
La majorité des manuscrits répertoriés dans le cadre de cette analyse de concept provenaient du domaine des sciences de la gestion. Cette étude a permis de constater que peu sinon aucun des manuscrits sélectionnés n’abordaient spécifiquement le rôle que la CIT pourrait jouer dans la prévention des lésions professionnelles en santé et sécurité au travail. Or, plusieurs auteurs et autrices des manuscrits étudiés ont rapporté les bénéfices de la CIT au regard de la santé et sécurité au travail, tels que l’amélioration du bien-être et de la santé des travailleurs et travailleuses (Čič et Žižek, Reference Čič and Žižek2017; Pintaric et al., Reference Pintaric, Marič and Balantic2023; Rožman et al., Reference Rožman, Treven and Čančer2020), l’amélioration du climat de travail, la réduction des stéréotypes et des préjugés liés à l’âge et la réduction des conflits intergénérationnels (Čič et Žižek, Reference Čič and Žižek2017; Goins, Reference Goins2022; Pintaric et al., 2023). Sachant que la réduction des conflits et de l’âgisme est associée à une amélioration du climat de travail qui favorise le bien-être des travailleurs et travailleuses (Pintaric et al., Reference Pintaric, Marič and Balantic2023) et que l’augmentation du bien-être et de l’engagement d’une personne au travail est associée à une diminution du risque d’accidents de travail (Rožman et al., Reference Rožman, Treven and Čančer2020), la CIT pourrait être une avenue intéressante à explorer en matière de prévention des lésions professionnelles en santé et sécurité au travail. Ainsi, bien que les manuscrits étudiés ne permettent pas de déterminer si la CIT pourrait permettre de réduire les risques de lésions professionnelles en santé et sécurité au travail, il pourrait être pertinent d’explorer cette hypothèse à travers les travaux futurs.
De plus, considérant que les conflits entre les générations seraient susceptibles, au contraire, d’engendrer des tensions entre collègues de travail et de nuire à la cohésion d’équipe, ce type de conflit peut conduire à une diminution du soutien entre collègues, ce qui représente l’un des facteurs de risques psychosociaux au travail répertoriés dans la littérature (INSPQ, 2022). Puisque les risques psychosociaux peuvent engendrer des impacts négatifs sur la « santé physique et psychologique des personnes exposées » (INSPQ, 2022), il paraît primordial de s’intéresser aux interventions susceptibles de prévenir ce type de conflits. Par conséquent, il pourrait être pertinent, dans des travaux futurs, de s’intéresser au rôle de la CIT en ergonomie organisationnelle, dans une optique de prévention des lésions professionnelles en santé et sécurité au travail. L’un des rôles de l’ergonomie étant de prévenir l’exposition aux risques pouvant conduire à des « effets psychologiques négatifs » (Falzon, Reference Falzon and Falzon2013, p. 3), la CIT pourrait représenter un outil pertinent dans la prévention des risques associés aux tensions entre les générations. L’ergonomie organisationnelle s’intéressant, entre autres, à « la communication, […] [au] travail d’équipe, […] et [au] travail coopératif » (CSN, 2014) dans l’optique d’optimiser le bien-être, la santé et la sécurité des travailleurs et travailleuses, la CIT pourrait jouer un rôle important au cœur des interventions ergonomiques visant à prévenir les impacts négatifs associés à une diminution de la coopération et de la communication au sein des équipes de travail.
Forces et limites de l’étude
La sélection d’une large quantité de manuscrits portant sur le concept de CIT a permis d’offrir une vue d’ensemble du concept, provenant de disciplines variées, afin d’élaborer une définition opérationnelle incluant une variété de ses représentations dans la littérature. De plus, le processus de sélection des manuscrits et les pré-tests réalisés par deux membres de l’équipe de recherche, ainsi que les échanges fréquents entre les membres de l’équipe de recherche ont permis de favoriser une méthodologie rigoureuse. Toutefois, considérant le type de devis choisi, la qualité des manuscrits sélectionnés dans cette étude n’a pas été évaluée. Il est également important de considérer que l’utilisation d’une autre méthode d’analyse de concept aurait pu conduire à un résultat différent. En outre, bien que des précautions aient été rigoureusement prises (p. ex. extraction à deux personnes, rencontres périodiques), la conceptualisation proposée est le fruit de notre interprétation. Une autre équipe pourrait en être arrivée à une conceptualisation différente. Aussi, considérant l’évolution des concepts dans le temps, la définition proposée dans le cadre de cette étude est sujette à changer à travers les années.
Puisque l’objectif de cette étude était de proposer une définition du concept de CIT, les obstacles possibles à la mise en place de ce concept n’ont pas été abordés. De plus, il est à noter que peu sinon aucun conséquent négatif n’a été répertorié lors de l’analyse des données, ce qui pourrait être pertinent à explorer dans les travaux futurs. Finalement, il serait intéressant d’explorer cette thématique selon un schème de psychodynamique du travail, ce qui pourrait permettre d’apporter un autre éclairage sur les aspects positifs et négatifs liés à ce concept.
Conclusion
Cette étude a permis de proposer une définition opérationnelle du concept de CIT et de répertorier les variables qui la caractérisent, ce qui inclut les attributs du concept, ses antécédents et ses conséquents. Cette analyse de concept a également permis de définir le contexte qui doit entourer la CIT afin de permettre son implantation et sa pérennité au sein de l’organisation. En ciblant plus spécifiquement le rôle que chaque acteur doit jouer dans la CIT, cet article peut aider à rendre plus concret ce concept pour les organisations. Il serait intéressant, dans les travaux futurs, de s’intéresser au rôle de la CIT dans la prévention des lésions professionnelles en santé et sécurité, afin de comprendre davantage l’impact que celle-ci peut avoir dans ce domaine.
Remerciements
Les autrices aimeraient remercier Véronique Lavergne, bibliothécaire consultée, pour son soutien et ses recommandations liées à la stratégie de recherche. Les autrices remercient également Jessika Audet et Ghada Derbel pour leurs conseils avisés lors de l’élaboration du protocole.
Supplementary material
The supplementary material for this article can be found at http://doi.org/10.1017/S071498082500011X.