Hostname: page-component-586b7cd67f-g8jcs Total loading time: 0 Render date: 2024-11-20T13:25:29.374Z Has data issue: false hasContentIssue false

Les apories des politiques autochtones au Canada Thierry Rodon, Québec : Presses de l'Université du Québec, 2019, pp. 299

Published online by Cambridge University Press:  18 September 2020

Dabin Simon*
Affiliation:
Université de Montréal
Rights & Permissions [Opens in a new window]

Abstract

Type
Book Review/Recension
Copyright
Copyright © Canadian Political Science Association (l'Association canadienne de science politique) and/et la Société québécoise de science politique 2020

L'aporie est un problème insoluble. Aussi, en posant comme thèse que les politiques autochtones au Canada sont autant d'apories, Les apories des politiques autochtones au Canada de Thierry Rodon s'inscrit comme un ouvrage critique et comme un état des lieux de l'histoire de la colonisation (chapitre 2); de l’évolution des politiques fédérales (chapitres 2, 3, 6, 7 et 8) et provinciales (chapitre 6) avec une insistance sur le Québec (chapitre 10) et la jurisprudence (chapitres 4 et 7); de la situation actuelle sociale et économique (chapitres 5 et 9), gouvernementale (chapitres 8 et 11) et internationale (chapitres 5 et 8) des nations autochtones au Canada et dans certains pays du monde (chapitre 12).

Aux fondements des institutions canadiennes, il y a un colonialisme interne qui diffère des autres formes de colonialisme en ceci que ses colonisateurs établissent des sociétés distinctes de la métropole par un colonialisme de peuplement (7). Ce colonialisme évolue en fonction de l'importance démographique des colonisateurs sur le territoire. Ainsi, le passage de la première période du colonialisme, celle des alliances (1603–1815), à celle de la soumission (1815–1951), tout comme l’évolution de cette dernière, s'explique à la mesure de la minorisation démographique progressive des Autochtones sur le territoire, du fait des épidémies et des immigrations massives permises par la fin de la menace américaine (37–39). Les autorités canadiennes vont alors établir les bases de ce qui structurera durablement les relations entre Autochtones et allochtones : la loi sur les Indiens (40), les pensionnats (41), les lois émancipatrices (42), les traités numérotés (43) et la colonisation de l'Arctique (46–48).

À cause de ces politiques, les Autochtones ont été mis sous la tutelle de l’État canadien (88–89). Malgré le fait que nous soyons, depuis les années 50, dans une période de renégociation des rapports coloniaux (51–84), cette tutelle explique l’échec de toutes les redéfinitions institutionnelles des relations entre le Canada et les Autochtones. Car toutes ces redéfinitions sont des apories qui « tout en maintenant une forte tutelle symbolique, essaient d'offrir un espace d'autonomie limité aux peuples autochtones » (69).

Cette lecture s'applique à l’évolution de la jurisprudence qui, depuis l'arrêt Calder en 1973 (89), a certes reconnu des droits et titres ancestraux (89–97), des droits issus des traités (97–99) et l'obligation de consulter (102–107), mais a dans le même temps circonscrit, occidentalisé et soumis à la souveraineté de la Couronne ces droits (85–108). Quand il s'agit d'analyser les relations entre gouvernements provinciaux, fédéraux et gouvernements autochtones issus et cadrés par loi sur les Indiens (125–145), ici encore, ces relations sont marquées par une évolution du droit international à l'autodétermination (172–173), par des politiques visant des autonomies gouvernementales (174–186) ou par des politiques de renégociations territoriales (151–169). Toutefois, les différentes visions du rapport au territoire entre Autochtones et autorités canadiennes (150–151) et l'incapacité internationale, fédérale et provinciales pour considérer une autodétermination autochtone qui ne soit pas simplement interne ou culturelle (184–185), maintiennent les rapports de domination et empêchent le développement économique des Autochtones (187–204).

Finalement, la rétrospective des politiques aux États-Unis (250–260), en Australie (260–265), en Nouvelle Zélande (265–272) et des autonomies inuites (233–248), renforcent la certitude d'un Canada contraint par ses propres apories. Avec un chapitre sur le Québec (207–230) pour souligner la spécificité de relations largement déterminées par les affrontements des nationalismes québécois et autochtones (210), l'ouvrage de Thierry Rodon nous offre une vision globale et exhaustive des politiques autochtones au Canada.

Nous regrettons toutefois le choix d'une définition culturaliste des Autochtones (8), qui oblige l'auteur à quelques simplifications des oppositions autochtones aux politiques canadiennes. Par exemple, le chapitre sur l'activisme politique autochtone (109–124) réduit sa signification à la volonté de ne pas participer aux institutions « communes » pour protéger une identité distincte (123). Une définition « relationnelle » des Autochtones (qui suppose que dans le contexte du colonialisme interne s’établit une interdépendance identitaire entre les Allochtones et Autochtones) aurait permise d'analyser les positions des Autochtones face à ses apories, non pas comme une opposition entre ceux qui veulent protéger une identité distincte et ceux qui s'assimileraient à la citoyenneté canadienne, mais plutôt comme une opposition entre les Autochtones qui, considérant ces apories, estiment qu'il est possible de faire ressurgir une identité autochtone pré-relation coloniale, et ceux qui estiment que l'interdépendance identitaire qui s'est nouée avec la colonisation oblige de changer les relations coloniales de l'intérieur.

Malgré ce point, grâce à son exhaustivité, sa clarté et ses données, si les études autochtones au Canada attendaient depuis quelques années leur manuel en français, avec Les apories des politiques autochtones au Canada, c'est chose faite.