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Contestation en Afrique Marie-Ève Desrosiers et Yolande Bouka, Montréal : Les Presses de l'Université de Montréal, 2022, 64 p.

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Contestation en Afrique Marie-Ève Desrosiers et Yolande Bouka, Montréal : Les Presses de l'Université de Montréal, 2022, 64 p.

Published online by Cambridge University Press:  06 January 2025

Gabrielle Goyet*
Affiliation:
Université de Sherbrooke ([email protected])
Rights & Permissions [Opens in a new window]

Abstract

Type
Book Review/Recension
Copyright
Copyright © The Author(s), 2025. Published by Cambridge University Press on behalf of the Canadian Political Science Association (l’Association canadienne de science politique) and/et la Société québécoise de science politique

L'ouvrage de Marie-Ève Desrosiers et Yolande Bouka, bref mais substantif, tente de brosser un portrait condensé des mouvements contestataires en Afrique depuis 2010. Il s'inscrit à merveille dans la collection Le monde en poche, qui vise à mettre en lumière les grands enjeux internationaux d'actualité de façon accessible et critique. La vague de contestation actuelle en Afrique marque-t-elle un tournant dans la politique africaine? C'est la question à laquelle les autrices tentent de répondre.

Le texte s'ouvre sur une historicisation succincte et adéquate des deux grandes vagues de contestation africaine des années 1940–1950 et 1980–1990. En expliquant les origines de ces mobilisations et en soulignant leurs impacts, le livre introduit la vague actuelle, ensuite analysée dans les sections subséquentes selon trois grands axes. Fidèles aux orientations traditionnelles des études de mouvements sociaux, Desrosiers et Bouka ont opté pour une étude fondée sur les types de moteurs des revendications, les acteurs et arènes impliqués, ainsi qu'un bilan de ces impulsions contestataires.

L'analyse aborde d'abord les motivations derrière les mobilisations contestataires, que les autrices découlent en deux volets : les motifs politiques et économiques. Bien qu'elles soulignent le caractère théorique de cette distinction, elles ont choisi de développer de façon différenciée ces deux angles. Elles abordent notamment la jonction critique à laquelle plusieurs pays africains ont été confrontés au tournant de la décennie 2010, alors que les limites constitutionnelles et politiques ont été testées. Les autrices réfèrent alors ici à une crise des troisièmes mandats, ayant motivé–ou non–des mobilisations contestataires selon les pays. Elles soulèvent également l'importance des motivations économiques–grievances–derrière les mobilisations populaires. Notamment, on réfère ici à la corruption, la détérioration des conditions économiques, les inégalités ou encore la mauvaise gestion étatique des finances publiques. Ces deux angles, bien que non exhaustifs, exposent bien l'exigence d'une motivation pour rompre un équilibre ou le statu quo. Le chapitre se clôt sur un rapprochement entre les contextes étatiques, quoique les profils à l’échelle continentale soient très hétérogènes, l'aspiration commune à une amélioration des conditions de vie étant le point de convergence de l'analyse.

Dans la seconde section du livre, Desrosiers et Bouka abordent les changements différenciant la vague actuelle des précédentes, ayant la capacité d'influencer la nature et les résultats des mouvements contestataires. Elles y abordent plus précisément deux facteurs : les technologies de l'information et de la communication (TIC) ainsi que la jeunesse. D'une part, les TIC ont joué un rôle majeur dans la mobilisation. Incarnant à la fois un moyen d'information, de solidarisation et de recrutement, ceux-ci sont rapidement devenus une alternative pour contourner certains contrôles médiatiques et les dualités partisanes. D'autre part, les jeunes ont aussi joué un rôle incontournable dans les vagues contestataires africaines. Étant le continent le plus jeune de la planète, l'Afrique a vu sa démographie influencer grandement les mobilisations. La jeunesse réclame la création d'emplois, le revenu entraînant aussi des répercussions sur le plan familial et social. Sur le plan politique, l'absence des jeunes dans les institutions formelles a également été un vecteur de contestation. En revanche, Bouka et Desrosiers soulèvent que malgré leur importance, les jeunes ne sont pas les seuls acteurs ayant mené à la vague actuelle.

Dans la troisième et dernière portion de l'ouvrage, les autrices discutent de la capacité à faire un bilan de ces contestations : il est parfois difficile de différencier l'espace contestataire, la contestation en elle-même, et les transformations politiques résultantes, à l'instar de la révolution soudanaise de 2019. Malgré les limites de l'exercice, ce chapitre dresse un bref bilan de la 3e vague. On y convient que le lien entre les revendications et les changements n'est pas forcément linéaire ou positif, constatant le recul de la démocratie sur le continent depuis dix ans. En contrepartie, les autoritarismes les plus affirmés seraient également en décroissance. Entre l'adoucissement des régimes autoritaires et « l'illibéralisation » des démocraties, il est difficile d’établir une tendance claire quant aux retombées politiques de cette vague de contestation. Sur le plan économique, la corruption ne semble pas s’être essoufflée sur le continent et la gestion économique publique n'a pas changé de façon significative. Les autrices parviennent donc au bilan suivant : le contexte ayant mené à la présente vague est toujours assez similaire, quoique l'on assiste à une montée des régimes hybrides. Mais les résultats ne sont pas tout, pour Desrosiers et Bouka ; les mobilisations en elles-mêmes demeurent un gage des aspirations politiques et économiques du continent africain.

Force est d'admettre que la thèse de Desrosiers et Bouka est toujours d'actualité, plus d'un an après la parution de l'ouvrage. La 3e vague semble toujours battre de son plein, et la contestation est toujours bien perceptible en Afrique. En outre, ce livre relève avec brio le défi de traiter d'un sujet de cette envergure, de façon intelligente et intelligible en seulement 58 pages, tout en admettant ses limites. Riche en exemples, il marque la différenciation des contextes multiples sur le continent, et souligne bien l'hétérogénéité des situations. La vulgarisation y est adéquate, permettant de bien saisir le propos pour un lectorat moins sensibilisé à la problématique, tout en évitant le piège d'une sur simplification.