En 1312, Pierre d'AuriolFootnote 1 se rend vraisemblablement au couvent franciscain de Bologne comme lector et y rédige un traité de philosophie naturelle, le Tractactus de principiis naturae, malheureusement transmis incomplet. Bien que la partie portant sur l’âme humaine soit absente, le texte développe un certain nombre d'aspects d'une théorie de la connaissance reconnue pour son originalité, au sein de laquelle Auriol formule, pour la première fois nous semble-t-il, la thèse des deux sujets de l’être intentionnel. Cette thèse, dont l'origine se trouve chez Averroès, se retrouve plus tard dans son Commentaire des Sentences. La querelle issue de l'affirmation énoncée par Averroès dans son Grand Commentaire du « De anima », selon laquelle la pensée possède deux sujets, est bien connue (Libera, Reference Libera, Pacheco and Meirinhos2006, p. 203–224 ; Brenet, Reference Brenet2005, p. 53–86). Elle conduit à la critique thomasienne formulée en 1270 dans le De unitate intellectus, puis aux condamnations de Tempier en 1277. Lorsque le concile de Vienne affirme en 1312, puis publie en 1317, la thèse selon laquelle l’âme intellective est forme du corps humain et lui est unie selon l’être, le débat semble clos. Il devient impossible sans accusation d'hérésie de souscrire à cette affirmation dite « averroïste ». Il nous faut donc expliquer comment et pourquoi, immédiatement après les condamnations prononcées par le concile de Vienne, Auriol juge indispensable de reprendre la thèse averroïste des deux sujets de la pensée pour la déplacer vers la défense d'un double sujet de l'intention.
Au deuxième livre de son Commentaire des Sentences, au cœur de la distinction 11Footnote 2, on peut de fait lire la phrase suivante : « cet être intentionnel possède en effet un sujet double, tout comme il possède un double être »Footnote 3. Cette phrase trouve des échos dans l’œuvre qui précède le Commentaire des Sentences, le De principiis, mais aussi dans le Quodlibet, qui lui succède. L'analyse laisse penser qu'Auriol opère petit à petit un déplacement de la théorie averroïste des deux sujets entendus comme étant les deux facteurs d'une opération, en associant le fait d’être sujet au fait d’être moteur ou récepteur, vers une théorie pensant deux sujets comme deux modes d’être permettant d'expliquer la genèse de l’esse intentionale, de l’être intentionnel. Il pose alors une convertibilité entre le fait, pour la chose, de posséder deux modes d’être et le fait, pour l’être intentionnel, d'avoir un double sujet, audace théorique qu'il nous semble important de souligner.
Averroès considère que les deux sujets de l'intellection — que sont l'intellect matériel et les formes de l'imagination — sont séparés l'un de l'autre. C'est d'abord leur séparation dans l’être, avant leur rôle de moteur ou de récepteur, qui permet de leur conférer un caractère de sujet. Ils sont nécessaires à une opération, celle de la pensée, qui est le passage à l'acte de l'intelligible en puissance. Chez Auriol, l'on s'acheminera, dès le De principiis, vers la thèse selon laquelle c'est l’être intentionnel et non l'intellection qui possède deux sujets, dont l'un est la réalité extra-mentale, l'autre la chose dans l'esprit. Auriol conçoit cette affirmation comme la continuité épistémique d'un double mode d’être de la chose, qui est chose en acte et être apparent (esse apparens) en puissance, thème que l'on trouve en vérité déjà dans la théorie des couleurs d'Averroès. Bien qu'Auriol revendique tout au long de son œuvre la paternité d'Averroès sur ce point, l'affirmation d'un double sujet de l'intention ne s'exprime pas toujours de la même manière dans son corpus. Il est donc nécessaire de l’étudier pas à pas. En effet, le Doctor facundus n'affirme pas de manière univoque la thèse d'un double sujet de l’être intentionnel. Celle-ci s’élabore en premier lieu dans le De principiis, avant que certaines difficultés n'entraînent une reformulation dans le Commentaire des Sentences. Ensuite, une aporie liée au rôle nécessaire du phantasmeFootnote 4 conduit Auriol à apporter des modifications aboutissant à la formulation finale de la thèse dans le Quodlibet. Comprendre la trajectoire de cet itinéraire intellectuel nécessite donc d'abord l’étude du Grand Commentaire du « De anima » qu'interprète Auriol, afin de montrer comment, dans la succession temporelle de trois œuvres que sont le De principiis, le Commentaire des Sentences et le Quodlibet, est construite la thèse auréolienne des deux sujets de l’être intentionnel.
1. Genèse de la théorie des deux sujets de l'intention
Dans un premier temps, évoquons le texte précis et localisé auquel Auriol se réfère, quelle que soit l’époque à laquelle il écrit, celui du Grand Commentaire du « De anima », livre III, commentaire 5. Ce texte semble avoir profondément influencé Auriol, et sa trace se retrouve jusque dans le Quodlibet. Il s'agit d'un passage très dense dans lequel la séparation de l'intellect est affirmée avec force par Averroès, tout comme celle de la codépendance pour l'intellection des formes de l'imagination et de l'action de l'intellect.
Car, puisque concevoir par l'intellect, comme le dit Aristote, c'est comme percevoir par le sens, et que percevoir par le sens s'accomplit par l'intermédiaire de deux sujets, dont l'un est le sujet par lequel le sens devient vrai (et c'est le sensible extérieur à l’âme) et l'autre, le sujet par lequel le sens est une forme existante (et c'est la perfection première de ce qui sent), il est aussi nécessaire que les intelligibles en acte aient deux sujets, dont l'un est le sujet par lequel ils sont vrais, à savoir les formes qui sont des images vraies, et le second, celui qui fait de chaque intelligible un étant du monde [réel], et c'est l'intellect matérielFootnote 5.
Si le statut ontologique des objets intentionnels reste ici à interroger, il est néanmoins visible qu'Averroès sépare strictement deux entités (subiectum per quod sensus fit verus/subiectum per quod sensus est forma existens) et que le statut de double sujet est permis par la séparation ontologique des deux éléments. Cela est primordial chez Averroès dans la mesure où c'est ainsi qu'il règle la question platonicienne de l'unité ou de la multiplicité des objets intelligibles, laquelle aboutit à la conclusion qu'ou bien le même intelligible est pensé en même temps par tous, ou bien personne ne pense jamais le même (Libera, Reference Libera1996, p. 214 sq.). C'est par le truchement de la solution aristotélicienne distinguant ce qui est intelligible dans les phantasmes individuels et intelligé par l'intellect unique, qu'Averroès résout le paradoxe : l'intelligible est multiple dans les formes de l'imagination, au sein de chaque cogitative qui l'extrait du sensible, mais il n'est que puissance d’être intelligé ; il devient un, et intelligé, lorsque l'intellect matériel est illuminé par l'intellect agent grâce au mouvement de la cogitative. Deux sujets sont donc nécessaires, l'un moteur et l'autre récepteur, afin de parvenir à un troisième terme unique qui est la pensée en acte, grâce à l'intellect agent. Beaucoup d’éléments vont demeurer présents chez Auriol, tout en subissant une modification profonde. L'on retrouvera l'analogie entre opération des sens et opération d'intellection, mais aussi le caractère ternaire de cette pensée, articulée autour de trois pôles.
Ce passage du Grand Commentaire est longuement cité dans le De principiis, et Auriol l'utilise afin de proposer une triple distinction qui lui sera utile pour clarifier son propos. Il distingue deux modes d’être de la chose (dans son existence singulière/en tant que forme), puis les intentions corrélatives de ces deux modes d’être (singulière/formelle), et enfin l'intention imaginée de l'intention intelligée. Si le recoupement entre ces distinctions a d'ores et déjà reçu des éclaircissements — notamment le passage de la forme matérielle vers l'intelligible chez Auriol, qui convoque la théorie des rationes —, ces distinctions seront utiles afin de comprendre quels déplacements opère Auriol dans la théorie des deux sujets, ainsi que le lieu où sa noétique vient à les localiser. Cette première occurrence de la théorie des deux sujets de l'intention intervient lorsqu'Auriol cherche à penser le statut des formes abstraites, et il y propose, à la suite du Commentateur dont il revendique le patronage, le transfert des intentions imaginées vers l'intellect par le truchement de son action, lequel il faut penser comme le transfert de la forme de la chose, qui est singulière dans l’être, à la forme dans l'intellect, simpliciter.
Et dans le Commentaire 5, il [Averroès] dit que l'intention intelligée possède un double sujet, à savoir, un sujet par lequel elles sont des natures et un autre sujet par lequel elles sont l'un des étants. De tout cela il est évident pour tous qu'il existe un seul ordre d’être pour les choses qui ne sont pas singulières, mais qui sont en elles-mêmes des formes, et que dans les formes séparées de la matière, il n'y a que cet ordre d’être. Mais dans les formes sensibles, il y a un double ordre, parce qu'elles sont à la fois singulières et transférées vers un autre ordre par l'intellect agent. Il est donc clair que son intention est que les formes séparées de la matière ne soient pas des formes singulièresFootnote 6.
Dans ce texte, Auriol expose à la suite d'Averroès la distinction entre deux ordres de l’étant, et la conserve par la suite. L’étant singulier peut être considéré soit comme un « ceci » singulier, soit comme une forme. Cela ne concerne pas tous les étants, mais uniquement les étants singuliers intramondains, au contraire par exemple des substances spirituelles dont l’être réel et la forme sont identiques. Cette analyse, produite à partir d'une intention intelligée, conduit Auriol à discerner deux ordres d’être : un ordre des étants singuliers et un ordre des natures. Les formes telles que présentes dans l’étant singulier sont appelées natures, ou formes intelligées, quand elles sont le fruit, dans l'intellect, de l'opération de l'intellect agent. Auriol semble donc par là vouloir indiquer que ces modes ne sont pas seulement présents ontologiquement dans la réalité extra-mentale, mais aussi dans les puissances cognitives. Ce choix est justifié dans la suite du texte, qui montre que, selon Auriol, Averroès pose une correspondance entre le plan de l’être et le plan intentionnel et propose donc un transfert du plan existentiel vers le plan intellectuel. L’étant singulier correspond à l'intention imaginée, quand sa forme comme nature correspond à l'intention intelligée. À cela est ajoutée la thèse selon laquelle les intentions intelligées possèdent elles-mêmes deux sujets : unum per quod sunt natura et unum per quod sunt unum entium. L'intention serait duelle, de la même manière que la forme de la choseFootnote 7. Elle est une forme séparée mais aussi mêlée à la matière, possède un être objectif et un être subjectif. Traditionnellement, au début du XIVe siècle, l'intellection (et non l'intention intelligée) se décline selon un être objectif, désignant son contenu mental, et un être subjectif désignant l'acte ou la qualité d'intelliger. Mais l'on voit bien que ce n'est pas ce que l'on constate ici, Auriol renvoyant à la forme de la chose ce qui revenait à l'acte de l'intellect. La chose possède deux êtres formels, un être réel et un être objectif, et cette caractéristique est transférée dans l'intention. L’être objectif de la chose semble par ailleurs être identique à l’être objectif de l'intention, tous deux étant désignés par le terme de forme.
Comment alors comprendre ce qu'est une intention ? Chez Auriol, à ce stade, elle semble être à la fois de l'ordre du contenu (ce qui est visé, la chose), et du concept (elle est le résultat de l'acte de concevoir, différent de la chose). Auriol semble donc défendre l'idée qu'il y a une forme dans les choses, et que cette forme elle-même devient une intention sous l'action de l'intellect. Il pose en effet plus haut dans le De principiis la convertibilité entre forme, nature, essence et espèceFootnote 8. La distinction dans l'intention recouvre la distinction dans la chose et paraît de ce fait annoncer la théorie de l’esse apparens. Il y a la chose selon son être singulier, et sa forme qui est aussi son essence. La forme deviendra, dans les textes plus tardifs, la quiddité apparaissant dans l'intuition, le mode d’être de la chose tributaire de son être connu, qui ne passe à l'acte que par l'action de l'intellect, mais qui diffère de la chose elle-même pour autant que la quiddité ne réside pas dans les choses. Ici, Auriol semble encore considérer que la chose elle-même possède une forme qui est son essence, intrinsèquement, et qu'elle possède par ailleurs un être individuel singulier par son association à la matière. Mais le mouvement consistant à transférer ce double mode d’être dans l'intention contribue à l’élaboration de la thèse selon laquelle l'essence n'est qu'intentionnelle, dans la mesure où Auriol pose ici le fondement de la convertibilité entre essence et intention premièreFootnote 9. La forme est identiquement dans la chose et l'intention, non pas à la faveur d'une abstraction, mais en raison d'un double mode d’être de la chose répliqué dans l'intention. À cela, Auriol ajoute que le double mode d’être de l'intention intelligée doit être pensé comme étant un double sujet. Ici, le sens du terme est vraisemblablement celui de suppôt, au sens où l'intention intelligée reposerait sur deux substrats distincts, l'acte de visée et ce qui est visé, correspondant à ce qui est dans l'intellect et hors de l'intellect, ceci permettant la complétude de l'intellection. Mais l'ambiguïté relevée plus tôt quant au statut de la forme rend cette pensée difficile, puisqu'il est délicat de déterminer à ce stade le statut exact de ces deux sujets. Qu'en est-il de l’être réel de l'intention ? Mais aussi, quelle est cette forme qui tient lieu de suppôt ?
Le problème est d'autant plus important que, pour les êtres corruptibles, le terme de forme paraît équivoque à ce stade de la pensée d'Auriol. Il semble désigner à la fois le principe vital des organismes sensibles, qui n'est vraisemblablement pas un universel, et le contenu objectif universel au sein de l'intellect permettant la saisie de l'essence. Doit-on alors, pour réconcilier les deux pans, considérer qu'Auriol pose dans le De principiis des universaux in rebus ? Mais affirmer cela semble contraire à la théorie des rationes Footnote 10 développée plus tard, ainsi qu’à toute l'ontologie déployée par Auriol, qui stipule que l'extraction de la quiddité n'est pas permise par la saisie d'une essence in rebus. Il faut donc reprendre le statut de la forme chez Auriol ainsi que l’évolution de la théorie de l'intellection. Auriol distingue en fait nettement la forme de l'individu singulier de la forme telle qu'elle est intelligée, le principe ontologique ne recoupant pas le principe cognitif.
« Concernant ces formes », il [Averroès] parle des choses générables et corruptibles ; elles semblent avoir un être double, l'un matériel et l'autre en puissance, à savoir l’être qu'elles ont dans cette forme. Il parle du premier principe et ajoute : « Maintenant, je parle de puissance, à la manière de celle que les formes artificielles possèdent en acte dans la matière et en puissance dans l’âme de l'artiste. » Ces formes semblent donc avoir deux conditions et un être double, à savoir abstrait et matériel. Ceci selon le CommentateurFootnote 11.
Auriol relate ici les propos d'Averroès, propos qu'il reprendra à son compte. Le double mode d’être de l’être intentionnel s’énonce comme tributaire d'un double mode d’être de la forme, dans l’être. Celle-ci possède un être en acte et un être en puissance. La forme in rebus n'est donc pas identique à la forme dans l'intellect, il ne s'agit pas d'un simple transfert, mais d'un mode d’être différent de la forme. À la différence donc des pures Intelligences, les êtres corruptibles n'ont pas une essence identique à leur forme en tant que principe d'animation. Il ne s'agit pas encore ici de la formulation explicite de la théorie de l’esse apparens, qui ne s'applique pas à la forme mais à la chose, mais on peut considérer que l'on s'en approche. L'idée voulant que la forme d'une chose possède en elle-même deux modes d’être distincts, son être en acte dans la réalité matérielle et un être intentionnel en puissance, nécessitant l'opération de l'intellect pour être actualisé, peut être une phase préparatoire intermédiaire annonçant la théorie de l’esse apparens. Il est intéressant de noter ici que la théorie auréolienne de l’esse apparens semble être un effet immédiat de l'averroïsme, la théorie des deux sujets de l'intellection s’énonçant comme le paradigme permettant à Auriol d'affirmer à terme que la chose possède deux êtres, en le posant d'abord par le prisme de la forme, qu'il abandonne ensuite. Il reprend la scission que proposait Averroès entre cogitative et unité de l'intellect, que ce dernier pensait nécessaire pour expliquer le passage du singulier à l'universel. Mais Auriol pose cette scission au sein de la chose elle-même, qui devient le suppôt d'un double mode d’être, par le truchement d'un double mode d’être de la forme. Insistons également sur le fait que, si la théorie de la connaissance d'Averroès semble ici primordiale, c'est également son ontologie qui sert de fondement. Néanmoins, jamais Averroès n'affirme qu'un même être possède deux sujets, mais bien que deux sujets sont nécessaires à une opération et non à une chose, même mentale. L'on est aussi sujet parce que l'on est moteur ou récepteur d'un acte, chez Averroès, et non seulement parce que l'on est suppôt. Les deux emplois sont possibles, et les deux conviennent. Auriol, lui, ne revendique pas la thèse selon laquelle l'intellection possède deux sujets, mais bien que l'intention possède deux sujets, l'enjeu étant bien sûr de marquer une distinction forte entre l'acte de l'intellect et l'intention intellectuelle, bien visible dans le Commentaire des Sentences.
2. Le phantasme comme sujet de l'intention intellectuelle
Mentionnons dans un second temps le Commentaire des Sentences, livre II, distinction 11. L'expression intervient dans le contexte d'une interrogation quant au rôle de la species dans l'intellection, question par laquelle Auriol va tâcher de démontrer que l'espèce est l'objet d'intellection lorsque celui-ci n'est pas sous l’acies mentis, c'est-à-dire sous l’œil de l'esprit en tant qu'il est présent à lui-même (Friedman, Reference Friedman and Klima2015, p. 141–165). Pour démontrer cela, il lui est nécessaire de clarifier le statut de l’être intentionnel et donc d'exposer la genèse de l’esse apparens, qui n'est autre que la chose placée sous l’œil de l'esprit. C'est donc au sein d'une distinction particulièrement importante pour sa noétique qu'Auriol réinvestit la théorie averroïste des deux sujets. Elle va lui permettre de prouver que cet être objectif est le résultat de deux sujets distincts, la chose selon son esse reale et la chose selon son être objectif, phantasmé.
Il faut d'emblée relever un décalage avec Averroès, qui distingue nettement comprehensio (qui s'achève avec le sens commun) et intellectio. Si Averroès établit une analogie entre sensation et intellection, les lexiques distincts qu'il emploie pour chacune permettent de différencier la corruptibilité de l'une face à l'impassibilité de l'autre. Lorsqu'Auriol reprend les deux termes, il considérera que la comprehensio et l’intellectio sont deux étapes de l'intellection elle-même, quand Averroès posait la première pour la perception sensible, la seconde pour l'intellection. Auriol, en amalgamant les deux concepts, tâche vraisemblablement d’éviter les conséquences de la thèse averroïste : la séparation de l'intellect possible. Le problème est qu'Averroès considérait le phantasme, deuxième sujet de la compréhension et premier de l'intellection, comme un intermédiaire et non un terme, ce qui explique pourquoi la théorie de la sensation et la théorie de l'intellection sont analogues sans être confondues. En les assimilant, Auriol va rencontrer un problème vis-à-vis du phantasme, qui ne possède pas au sein du Commentaire des Sentences le statut de sujet de l'intellection, mais uniquement celui de sujet de l’être intentionnel, conduisant à une manœuvre conceptuelle « deux en un » un peu risquée, qu'il paraît abandonner dans son tardif Quodlibet. Le phantasme est en effet une condition nécessaire de l'intellection, permettant son lien à la chose, sans toutefois acquérir le rôle de substrat de l'intellection, statut réservé à l’être intentionnel. Cependant, l’être intentionnel possède le phantasme pour sujet, ce qui complexifie un édifice qui s’écroulera finalement. Dans le Commentaire des Sentences, Auriol affirme donc ceci, en revendiquant la pertinence d'Averroès :
Pour preuve, il faut considérer que, comme je l'ai dit ailleurs, une chose posée présentiellement comme être intelligé et sous l’œil de l'esprit n'est pas la chose elle-même selon l’être réel, ni une espèce, ni un acte, mais c'est la chose elle-même dans un autre être, c'est-à-dire objectif et intentionnel ; et un tel être intentionnel possède un sujet double, tout comme il possède un être double. Car il a un certain être formel propre, qui est l’être intentionnel, et c'est cela que le Commentateur appelle l’être vrai. Il a aussi un être extrinsèque, dénominativement à partir d'un autre, et c'est l’être réel de l'intellection, dont l’être se réduit à l’être de l'intellection, et c'est ce que le Commentateur appelle l’être qui est du nombre des étants. Car la rose dans son être objectif n'a rien à voir avec le nombre des étants extérieurs à l’âme si ce n'est par l'intellectionFootnote 12.
Auriol expose ici sa théorie de l’être intentionnel en faisant appel, comme de nombreux textes en témoignent, à la noétique d'AverroèsFootnote 13 afin d'expliquer que l'intellection repose sur, d'une part, un acte et, d'autre part, une intention. Cette intention possède un être dans l'intellect, désigné par le terme d’esse verum, être qui lui-même renvoie extrinsèquement et de manière dénominative à autre chose que lui, nommé esse reale intellectionis. Ce texte montre donc de manière patente que la distinction posée dans la chose est réfléchie, répliquée, dans l’être intentionnel lui-même. Ce dernier possède, comme la chose, un être formel (esse proprium formale) — ce qui fait qu'il est un être intentionnel —, et cet être dénote de plus un être réel, qui fait qu'il est par exemple une rose et non un cheval. La dualité entre être objectif et être réel se réfléchit dans l'intention. Le fait que l'intention de la rose soit effectivement celle de la rose est permis par une dénotation ab alio, en renvoyant à la chose elle-même ; ce qui fait que l’être objectif est tel être objectif est caractérisé comme étant de nature dénotationnelle (Fornasieri, Reference Fornasieri2021, p. 81–126 et Reference Fornasieri, Hochschild, Nevitt, Wood and Borbély2023, p. 323–357 ; Libera, Reference Libera, Ebbesen and Friedman1999, p. 355–375). Cela répond au statut étonnant de la chose chez Auriol, qui possède en effet deux modes d’être, tous deux étant indispensables à l'intellection, solidifiant une clause de réalisme posée pour garantir la similitude entre la chose telle qu'en elle-même et son être intentionnel. De ce fait, Auriol élimine la relation de similitude pour prôner à la place une capacité attribuée à la chose qui, lorsqu'elle rencontre les puissances de l’âme, peut embrasser un second mode d’être, lui appartenant en propre. Le coût ontologique est fort, et entraîne un certain nombre de difficultés conceptuelles lorsqu'il s'agit de définir ces deux sujets. Le premier est l’ens de numero entium, inaccessible en tant que tel puisque l'intellect ne le reçoit jamais selon ce mode d’être, mais condition sine qua non de toute intellection possible, à savoir la chose existante. Le second est la chose selon son être intentionnel. Il est capital de répéter que l’être apparent, chez Auriol, est fondé sur deux modes d’être. Il ne peut apparaître sans qu'une chose existe au dehorsFootnote 14, mais ne peut apparaître non plus si la chose ne possède pas en elle-même un mode d’être lui permettant d'avoir une réalité intentionnelle dans l’âme.
L’être intentionnel nécessite donc à la fois la chose existante et son être dans les puissances cognitives, en tant qu'il est un mode d’être spécifique de la chose. Il y a deux êtres à l'origine d'un même acte. En conséquence, c'est à partir de l’être intentionnel que l'on peut affirmer l'existence de la chose, et non l'inverse. Cette dernière est obtenue par « reconduction », par dénotation. Par ailleurs, ce dédoublement de l’être intentionnel est redoublé par l'affirmation d'un troisième sujet, qui serait le phantasme. Poser un double sujet de l’être intentionnel aboutit ainsi à un enchevêtrement complexe de sujets, qui ne possèdent pas, de plus, le rôle de moteur que leur attribue Averroès, ce qui explique peut-être les évolutions ultérieures de cette théorie qui se complexifie au fur et à mesure du texte :
Mais la chose dans cet être intentionnel, qui est l’être connu pour autant qu'il a un être intentionnel, qui est son être propre pour autant qu'il est dans l'intellect, ce qui est la même chose que l’être vrai, un tel être a pour sujet un être imaginé ou cogité. Car il est impossible qu'une chose soit posée dans un tel être objectif, qui est un être purement et simplement, si ce n'est en un certain être imaginéFootnote 15.
Nous trouvons donc d'une part un être objectif, ou esse verum, désignant l'intention en tant qu'elle est dans l'esprit, et qui dénote quelque chose, qui fait qu'il s'agit, parce qu'elle renvoie immédiatement à la réalité extérieure, de telle chose. Mais Auriol montre que, d'autre part, l’être intentionnel possède lui-même un sujet qui est le phantasme, seul à même de permettre l'apparition intentionnelle de la chose. Pour qu'il y ait une intention intellectuelle, il faut qu'il y ait une intention imaginée, le phantasme s’énonçant comme conditionnant l’être objectif de l'intention.
L’être intentionnel s’énonce donc comme une assimilation à la chose, c'est-à-dire, pour Auriol, qu'il permet l'indistinction entre son être intentionnel et l’être de la chose in rebus, par le truchement de l’être phantasmé. Les deux sujets de l'intention, de la chose selon son être apparent, sont donc l’être existant (par dénotation) et, in fine, le phantasme, qui devient être intentionnel, intentio objective, dans un second temps. Il y a un dédoublement de l’être intentionnel, comme il y a un dédoublement des sujets de l'intellection chez Averroès. Dans le cas des puissances sensibles, l'on peut considérer que cet être intentionnel n'est que le phantasme, mais, dans le cas de l'intellection, la chose est bien sûr intelligée : le terme n'est dès lors pas le phantasme, mais l'intention intellectuelle. Auriol semble comprendre qu'il ne pourra pas parfaitement intégrer le schème averroïste concernant la connaissance sensible (comprehensio) au sein de la connaissance intellectuelle (intellectio) sans poser la médiation du phantasme, bien qu'il laisse, dans cet extrait, planer le flou concernant le rôle de l'intellect. Il peut donc sembler difficile, dans l'extrait seul, d'analyser complètement le statut de l’être intentionnel, ce qui explique vraisemblablement les modifications que l'on constate au sein du Quodlibet. L’être intentionnel est-il le fruit de la chose elle-même et du phantasme, embrassés conjointement par un intellect attentif qui saisit en même temps le phantasme et la chose en tant que dénotée par le premier ? Ou bien l’être intentionnel est-il plus que cette rencontre entre deux sujets, l'intellection modifiant sa nature, la saisie des deux sujets étant la description du phantasme et non de la chose intelligée ? Dans le second cas, Auriol appliquerait strictement la conception averroïste de la compréhension par la cogitative à l'intellection, le phantasme, chez Averroès, étant le résultat de la rencontre entre deux sujets : la chose et son être intentionnel sensible. Ici, l'intellection serait le résultat de la rencontre entre la chose et le phantasme, mais l'on ne comprend alors pas bien le rôle de l'intellect. Si Averroès posait, pour l'intellection, la nécessité de deux sujets différents, c’était aussi pour éviter ce problème. En suivant Auriol, il faudrait poser un troisième sujet, qu'Averroès considérait comme étant l'intellect matériel séparé, lequel Auriol n'utilise pas ici.
Il est donc nécessaire de clarifier le rôle de l'intellect au sein de cet édifice. L'intellection, pour Auriol, à ce palier de l'analyse, dépendrait ainsi de deux sujets distincts, de deux êtres qui renvoient paradoxalement à un même être, la chose, dont l'un serait le résultat de la perception par l’œil de l'esprit. La chose intelligée serait le produit de deux sujets, le premier étant le support matériel de ses qualités, le second son support intentionnel. La distinction 16 du deuxième livre du Commentaire des Sentences donne des informations supplémentaires quant au rôle de l'intellect au sein de cette théorie des deux sujets, bien qu'encore incomplètes avant le Quodlibet.
Ils disent en effet que l'intention intelligée et l'intention imaginée sont une seule intention, qui est subjectivement aussi bien dans l'intellect possible que dans l'imagination, d'où selon eux la même espèce est subjectivement dans l'entendement et l'imagination, et, par une seule et même espèce, on aurait une intention imaginée et intelligée. Mais ceux-ci ne pensent pas en cela comme le Commentateur, il s'agit en fait de l'opinion d'Avempace, que le Commentateur réfute. Avempace, en effet, soutenait que l'intention intelligée est subjectivement dans la fantaisie, ce que le Commentateur réfute, parce que la même chose serait le moteur et le mû, et une chose serait cause d'elle-même. L'intention imaginée est donc, selon lui, la préparation de l'intention intelligée, dans la mesure où ce qu'est l'intention imaginée est en quelque sorte la cause de l'intention intelligéeFootnote 16.
Dans ce texte, Auriol réfléchit à la manière de penser ce double être de l'intention, et utilise pour cela le conflit entre Averroès et Avempace. Comme Averroès, Auriol reproche à Avempace d'avoir assimilé intention imaginée et intention intelligée, pensant leur identité dans l'imagination et l'intellect. Pour Averroès, il faut les différencier, mais cette différence tient à la différence entre ce qui meut et ce qui est mû, l'un étant la préparation de l'autre. L'une permet l'autre, et la précède causalement. Mais ici Auriol ne suivra pas parfaitement Averroès, dans la mesure où le phantasme ne possède pas le rôle de moteur de l'intellection, mais seulement celui de sujet de l'intention intellectuelle, lui retirant ainsi son activité. Par ailleurs, cette affirmation d'un double sujet de l’être intentionnel succède à l'affirmation d'un double être de la chose :
Les choses ont en effet un être double, l'un extérieur, qu'on appelle réel, l'autre dans l’âme, que l'on dit objectif et intentionnel, et que l'on nomme « vrai », dans la mesure où il s'agit des choses purifiées et prises précisément selon leur propres rationes Footnote 17.
La chose possède donc deux êtres, dont l'un est uniquement présent en l’âme et se présente comme la chose même épurée, débarrassée de sa matérialité, et devenant de ce fait la pure exhibition de ses rationes, ses composants sensibles et intelligibles en tant que perçus ou intelligés. L’étude de l'intellection est en fait l’étude du transfert de ces rationes de la chose vers l'intellect, dont dépend la caractérisation des différents sujets de l'intellection. Ce transfert ne peut, pour Auriol, être compris sans référence au phantasme, et il faudra attendre le Quodlibet pour éclaircir la relation entre intention imaginée et intention intellectuelle, pour finalement statuer sur le double mode d’être de la chose face aux deux sujets de l'intention. Une dernière formulation de sa théorie sera en effet nécessaire afin de comprendre, à la fois, la manière dont cet acheminement vers l'intellect s'effectue et la manière dont l'intellect actualise ce second mode d’être de la chose, porté par une intention.
3. L'intervention de l'intellect agent
Le Quodlibet montre une évolution patente de la théorie auréolienne. Les deux sujets de l’intentio intellecta objective, de l'intention en tant qu'elle est connue, deviennent l’intentio imaginata et l'autre, celui par lequel sunt entia realia : et ille est possibilis intellectus informatus similitudine rei. L’édifice apparaît donc plus clairement :
Il faut donc savoir qu'objectivement l'intention intellectuelle a un double sujet ; d'abord dans ce qui est <l’être> vrai tenant lieu de l’être apparent, et ce sujet est l'intention imaginée, dans la mesure où notre intellect n'est jamais porté objectivement vers un universel ou une quiddité, s'il ne la réfléchit dans quelque phantasme particulier. […] Le deuxième sujet est celui par lequel les intentions sont des entités réelles : et c'est l'intellect possible informé par la similitude de la chose. L'intellection réelle est tout cela […]Footnote 18.
L'intention n'est plus un être dans l'esprit dénotant un être dans le monde extra-mental, mais un phantasme et une similitude de la chose présente dans l'intellect. Les deux sujets ne sont alors pas un être mental et sa dénotation extra-mentale, mais un contenu de l'imagination et un contenu objectif renvoyant à la chose dans l'intellect possible. Ils prennent la place de ce qui était auparavant désigné par esse verum et esse reale. Auriol clarifie donc le propos du Commentaire des Sentences en montrant que le phantasme diffère de la similitude de la chose en ce qu'il est ce par quoi et non ce que l'on intellige. Le phantasme est ce qui permet la structuration formelle du contenu cognitif, la condition à remplir pour que l'intention puisse devenir intention intelligée, la similitude concernant quant à elle le contenu objectif de la chose en tant qu'elle est connue. Cette modification possède par ailleurs une seconde conséquence. Ce n'est plus l’être intentionnel lui-même qui dénote, mais, vraisemblablement, la similitude qui en est le sujet. Cette similitude semble être ce qui était plus tôt, dans le Commentaire, le résultat du transfert des rationes de la chose vers son être en tant que connu. Il ne faut en effet pas l'entendre comme une espèce intelligible, dont Auriol récuse l'existence au profit de cette catégorie mêlant l'ontologique et le noétique, motrice de ses revendications réalistes. Cette similitude serait donc le support des rationes, à partir de laquelle la chose est dénotée, grâce à laquelle l'on peut déterminer qu'elle renvoie extrinsèquement ab alio. La dénotation, qui n'est pas explicitement mentionnée, se produirait donc à l’étage inférieur, celui de la similitude. Dernier point d'importance : disparaît ici la chose selon son être in rebus, existant.
La théorie des deux sujets de l'intellection possède chez Averroès les conséquences ontologiques que l'on connaît, à savoir son extrinsécisme. Auriol, en la reprenant et en l'appliquant à l’être intentionnel, prend alors le risque d'emporter avec lui les conséquences de cette thèse en les répercutant dans la chose même. De la même manière qu'Averroès sépare l'homme de l'intellect possible, Auriol pourrait séparer, bien malgré lui, la chose de son être intentionnel. Si ce dernier n'est plus qu'une similitude fondée sur une dénotation, c'est-à-dire un être objectif qui ne renvoie au réel que de manière extrinsèque, par l'action des puissances de l’âme, il semble difficile d'affirmer qu'il s'agit toujours de la chose même. Cette hypothèse est d'ailleurs renforcée par les affirmations constantes, chez Auriol, d'un double mode d’être de la chose. Si l'on peut dire, chez Averroès, en suivant Thomas, que cet homme ne pense pas, peut-être peut-on dès lors comprendre pourquoi Auriol a été si fréquemment taxé de scepticisme : en séparant la chose en deux êtres, on peut légitimement se demander si l'homme pense bien cette chose. Auriol pose la théorie du double sujet de l'intention pour garantir un réalisme direct, mais celui-ci ne semble pas tenir face à la nécessité de séparation ontologique qu'entraîne l'usage des termes de sujet au sein du schème averroïste de l'intellection. Les deux sujets ont pour corrélat deux modes d’être, que ce soit chez Averroès ou chez Auriol. En reprenant cela, ce dernier n'avait que deux possibilités : ou poser une intelligence séparée de celui qui pense, ou poser une chose séparée de celui qui pense. Malgré lui, l'on peut peut-être considérer que sa théorie tend à emprunter la deuxième voie.
L'on constate par ailleurs, deux pages plus loin, que la dualité entre intention et intellect est complétée par un troisième terme, devenant la triade phantasme et similitudo rei (l’être intentionnel)/intellect possible/intellect agent. Les deux sujets de l'intellection, chez Averroès, nécessitaient en effet l'acte de l'intellect agent pour que l'intellection soit effective. Il en sera de même chez Auriol, l’être intentionnel, similitude déposée dans l'intellect possible par le véhicule du phantasme, n'est intention intelligée que par l'intellect agent. Au fil du temps, Auriol semble de plus en plus proche du schéma posé par le Cordouan :
Il faut dire selon la vérité et selon l'esprit d'Augustin comme du Commentateur, qu’à la complétude de l'intellection concourent l'intellect possible en tant que récepteur et la similitude de la chose qui est formellement en acte par un mode d'expression de l'objet et par la vigueur du mode propre de l'intellect agent, grâce au pouvoir duquel elle est exprimée, de même que l'on dit qu'un agent particulier agit en vertu d'un agent universelFootnote 19.
Il faut par conséquent poser trois pôles pour parvenir à une intellection perfecte, une intellection en entéléchie : l'intellect possible en tant que récepteur de la similitude de la chose susceptible d’être intelligée, la similitude de la chose qui exprime son être réel au sens d’in rebus, et enfin l'intellect agent, pôle actif qui permet à la similitude de passer à l'acte et devenir chose intelligée reçue dans l'intellect, permettant l'expression effective de la chose. Il est notable qu'intervienne ici le lexique du langage, corroborant la thèse selon laquelle c'est la similitude qui dénote, dans la mesure où elle ne commence à « exprimer » la chose que lorsque l'intellect passe à l'acte. Elle ne renvoie à la chose qu'une fois saisie. Son pôle formel, ce qui lui permet d'exprimer en puissance et d’être exprimée en acte, ne peut être autre que le phantasme, assurant la continuité intentionnelle entre la chose et son être pensé. Le phantasme serait alors la condition de l'expression, ce par quoi l'intellect peut dénoter, quand la similitude serait l'objet sur lequel se fonde la dénotation.
Conclusion
La reprise audacieuse de la théorie des deux sujets de l'intellection semble témoigner d'un effort théorique original, qui tâche de poser à la fois un réalisme direct et la continuité sans hiatus de la trajectoire de l'objet intentionnel jusqu’à l'intellection. La théorie d'Averroès possédait l'avantage d'accorder un rôle prépondérant au phantasme et aux sens internes, outils conceptuels indispensables de cette continuité, mais présentait le défaut de creuser un gouffre entre l'homme qui pense et l'agent de la pensée. En rejetant cette dernière thèse tout en embrassant le schème averroïste, Auriol se condamne peut-être, petit à petit, à transférer la scission qu'Averroès établissait entre la cogitative et l'intellect agent au sein de la chose, dont il peut être difficile de déterminer comment deux modes d’être peuvent être, pour une même entité, l'un la chose, l'autre son expression intellectuelle.
Conflits d'intérêts
L'auteur n'en déclare aucun.