Les enjeux environnementaux posent d'importants défis pour les écosystèmes planétaires et leurs membres (Biermann et Pattberg, Reference Biermann and Pattberg2008; Steffen et al., Reference Steffen, Sanderson, Tyson, Jäger, Matson, Moore III and Oldfield2004; Turner et al., Reference Turner, Clark, Kates, Richards, Mathews and Meyer1993). Plusieurs analystes signalent que certains de ces enjeux ont le potentiel d'affecter les conditions de vie et l'habitabilité même de la planète (Chakrabarty, Reference Chakrabarty2018 : 24; Steffen et al., Reference Steffen, Rockström, Richardson, Lenton, Folke, Liverman and Summerhayes2018). En tentant d'y répondre, la gouvernance mondiale de l'environnement a connu un essor important au cours des dernières décennies (IPBES, 2019; Pörtner et al., Reference Pörtner, Roberts, Adams, Adler, Aldunce, Ali, Begum, Betts, Kerr and Biesbroek2022). Malgré ces développements, tout indique que les enjeux environnementaux resteront à l'ordre du jour de la gouvernance mondiale dans les années et décennies à venir (IPCC, 2018; Pörtner et al., Reference Pörtner, Roberts, Adams, Adler, Aldunce, Ali, Begum, Betts, Kerr and Biesbroek2022; UNEP, 2019). Plusieurs leçons peuvent être tirées du passé de la gouvernance mondiale de l'environnement pour comprendre où nous en sommes et orienter les décisions futures.
La présente contribution examine les processus et évènements ayant marqué la gouvernance mondiale de l'environnement depuis 1945 à partir de la littérature scientifique et de documents officiels. L'analyse détaillée de ce phénomène permet d'exposer l’émergence, la mise à l'agenda et l'institutionnalisation de nombreux enjeux environnementaux et d'identifier plusieurs thématiques clés. L’étude contribue à situer les développements qu'a connus la gouvernance mondiale de l'environnement et à contextualiser les processus en cours. La première section définit les notions centrales et présente des dynamiques et défis auxquels la gouvernance mondiale de l'environnement fait face. La deuxième section en présente les principaux acteurs. La troisième section offre une revue historique des événements marquants de 1945 à 2022. La conclusion mène à une analyse critique originale et livre un plaidoyer en faveur d'une plus grande attention devant être consacrée aux enjeux environnementaux à toutes les échelles de gouvernance.
I) Gouvernance mondiale de l'environnement
La notion de « gouvernance » est polysémique (Ba et Hoffmann, Reference Ba and Hoffmann2006; Dingwerth et Pattberg, Reference Dingwerth and Pattberg2006; Finkelstein, Reference Finkelstein1995; Hofferberth, Reference Hofferberth2015). Elle est mobilisée notamment au sein de la science politique, des sciences de l'administration et de la gestion, de l’économie et des relations internationales (RI) (Kersbergen et Waarden, Reference Kersbergen and Van Waarden2004). Son utilisation dans le domaine des RI découle des travaux de James Rosenau (Rosenau, Reference Rosenau, Rosenau and Czempiel1992; Reference Rosenau1995). Ce dernier insiste pour distinguer entre « gouvernement » et « gouvernance » – le premier opérant avec le soutien d'une « autorité formelle », contrairement au second (Rosenau, Reference Rosenau, Rosenau and Czempiel1992 : 4). Plus fluide, la gouvernance inclut les processus politiques et sociaux visant la coordination des efforts sur certains enjeux, au-delà des sphères décisionnelles formelles. Selon Oran Young, la gouvernance émerge dans les situations où les membres d'un groupe reconnaissent leur interdépendance (Reference Young1994 : 15). Le caractère transfrontalier de nombreux enjeux environnementaux appelle à une gouvernance à l’échelle mondiale.
Le terme « environnement » a été associé à une multitude de définitions à travers le temps, dont seulement certaines nous sont parvenues à l’écrit (Benson, Reference Benson2020 : 1–13; Warde, Robin, et Sörlin, Reference Warde, Robin and Sörlin2018 : 1–5). Le terme réfère ici au système planétaire et à ses composantes, comme l'atmosphère, la biosphère, la géosphère, l'hydrosphère et la cryosphère. Les sociétés humaines font partie de la biosphère et sont intimement liées avec les autres composantes du système planétaire. Il importe ainsi de ne pas opérer une dichotomie entre les termes « société » et « environnement », puisque le premier fait partie et trouve son origine dans le second. À ce titre, dépasser la dichotomie « société-environnement » est de mise pour écarter les conceptions de l'environnement comme notion extérieure aux sociétés.Footnote 1
La notion de la « gouvernance mondiale de l'environnement » permet de combiner l’étude de la gouvernance des sociétés et celle de leur influence au sein de l'environnement. Par définition, elle réfère aux relations, interactions et interconnexions des sociétés humaines avec le système planétaire. La notion renvoie aussi aux processus, mécanismes et structures à travers lesquels les acteurs politiques influencent les décisions et actions relatives à l'environnement à toutes les échelles (Lemos et Agrawal, Reference Lemos and Agrawal2006 : 298). Vu l'impact grandissant des sociétés sur la planète, la gouvernance mondiale de l'environnement prend une place grandissante sur la scène politique mondiale (Biermann et Pattberg, Reference Biermann and Pattberg2008). Son étude et les enjeux qu'elle cherche à éclairer appellent à une plus grande attention de la part des nombreuses parties prenantes ainsi qu’à l’établissement de programmes de recherche qui remettent en cause les silos disciplinaires et de programmes d'action dépassant les frontières (Chasek, Reference Chasek2000; Corry et Stevenson, Reference Corry, Stevenson, Corry and Stevenson2018; Dauvergne et Clapp, Reference Dauvergne and Clapp2016; Green et Hale, Reference Green and Hale2017; Jasanoff et Martello, Reference Jasanoff and Martello2004).
Plusieurs dynamiques caractérisent la gouvernance mondiale de l'environnement. Philipp Pattberg et Oscar Widerber en identifient trois principales : (1) la multiplication du nombre d'acteurs et de nouveaux rôles joués par ceux-ci ; (2) le développement de nouveaux mécanismes de gouvernance ; et (3) l'intensification des interactions multiniveaux entre acteurs et institutions (2015 : 686). Ces tendances invitent à prendre en compte la complexité et l’émergence de nouvelles dynamiques façonnant la gouvernance mondiale de l'environnement (Pattberg et Widerberg, Reference Pattberg and Widerberg2015 : 688). À cette liste, nous pourrions ajouter la multiplication et l'intensification des défis sociaux profondément interreliés avec les enjeux environnementaux. L’émergence de ces dynamiques requiert l’élaboration de systèmes de gouvernance adaptés aux processus qui caractérisent les enjeux socio-écologiques.
La gouvernance mondiale l'environnement fait ainsi face à de nombreux défis. Arild Underdal (Reference Underdal2010) en note trois : (1) la longue durée des processus environnementaux, pouvant dépasser plusieurs générations, et les fréquents décalages dans le temps entre les causes et les effets ; (2) l'imbrication des enjeux environnementaux dans des systèmes dont la complexité est encore mécomprise ; et (3) leur nature fondamentalement transfrontalière. La gouvernance mondiale de l'environnement doit s'accorder avec des processus opérant à plusieurs échelles, temporelles et spatiales, résultant de nombreuses forces, souvent non linéaires et dépassant les frontières étatiques, et trouver des moyens pour des actions concertées à l’échelle de la planète (Biermann, Reference Biermann2007 : 330). Un État peut ainsi difficilement espérer gérer unilatéralement les enjeux environnementaux (Haas, Reference Haas2007 : 1; Underdal, Reference Underdal2010 : 389). De plus, la multiplicité d'acteurs et l'interconnexion des enjeux rendent souvent difficile et lente la prise de décision (Bodansky, Brunnée, et Hey, Reference Bodansky, Brunnée and Hey2007 : 7–8).
II) Acteurs de la gouvernance mondiale de l'environnement
Des États aux communautés locales, plusieurs acteurs cherchent à influencer les décisions en gouvernance mondiale de l'environnement. En effet, en plus du rôle de premier plan joué par les États, un nombre grandissant d'acteurs s'investit dans l’élaboration de politiques et de programmes environnementaux, ainsi que dans la mise en œuvre de solutions et de plans d'action (Hurrell et Macdonald, Reference Hurrell, Macdonald, Carlsnaes, Risse and Simmons2013 : 74). L'influence de ces derniers est non négligeable (Risse, Reference Risse, Carlsnaes, Risse and Simmons2013 : 441). Cette section présente plusieurs acteurs clés de la gouvernance mondiale de l'environnement : A) les États, B) les organisations internationales (OI), C) les organisations non gouvernementales (ONG), D) les entreprises multinationales, E) les communautés épistémiques, et F) les communautés locales.
A) Les États
Le système international est organisé autour des relations entre les États. Ces derniers forment des entités détentrices du monopole de la violence physique légitime à l'intérieur d'un territoire déterminé (Weber, Reference Weber2003 : 118). Les États occupent une place centrale en gouvernance mondiale de l'environnement (Keohane et Nye, Reference Keohane and Nye1971 : 329–330). En effet, ils sont au cœur des processus décisionnels sur les questions environnementales à l’échelle mondiale (Le Prestre, Reference Le Prestre2005 : 38). Cependant, le caractère transfrontalier des enjeux environnementaux et l'augmentation substantielle des connexions transnationales posent de profonds défis pour un système fondé sur les notions de frontières étatiques, de souveraineté et de non-intervention (Le Prestre, Reference Le Prestre2005 : 95–102; March et Olsen, Reference March and Olsen1998 : 946). Dans le contexte actuel, l'atteinte d'un consensus sur la marche à suivre pour faire face à un enjeu de cette nature est souvent un processus laborieux, complexe et lent. Pour ce faire, il est crucial d'alimenter une coopération entre les États, tout en tenant compte d'une panoplie d'autres acteurs (Lemos et Agrawal, Reference Lemos and Agrawal2006 : 317).
B) Les organisations internationales (OI)
Les organisations internationales (OI) sont des entités importantes en gouvernance mondiale de l'environnement. Elles contribuent activement à l'organisation de réunions et de forums de discussion, à la coordination entre les différents acteurs, au partage de connaissances, à l’évaluation des programmes et au suivi de la mise en œuvre des traités multilatéraux (Haas, Keohane, et Levy, Reference Haas, Keohane and Levy1993). Les OI sont dotées d'un secrétariat, de personnels administratifs et de soutien, ainsi que d'un budget et d'un cadre d'action. Leur nombre a considérablement augmenté au cours des dernières décennies (Barnett et Finnemore, Reference Barnett and Finnemore1999 : 699; Martin et Simmons, Reference Martin, Simmons, Carlsnaes, Risse and Simmons2013 : 326). Plusieurs d'entre elles ont, à travers les années, élargi leur mandat et sphère d'influence (Tallberg et Zürn, Reference Tallberg and Zürn2019 : 583). Les OI accordent une part significative de leurs efforts dans le maintien de leur autorité, légitimité et budget, en plus d’œuvrer à l'atteinte de leurs objectifs (Andonova, Reference Andonova2010 : 30). À l'heure actuelle, les OI jouent un rôle notable dans les efforts de coopération sur les questions environnementales (Haas, Keohane, et Levy, Reference Haas, Keohane and Levy1993 : 4; Manulak, Reference Manulak2022).
C) Les organisations non gouvernementales (ONG)
Les organisations non gouvernementales (ONG) sont une force politique reconnue en gouvernance mondiale de l'environnement (Kallman et al., Reference Kallman, Clark, Wu and Lin2016 : 1; Khagram, Riker, et Sikkink, Reference Khagram, Riker, Sikkink, Khagram, Riker and Sikkink2002 : 11). En raison de leur diversité, de leurs différents objectifs et stratégies, un grand nombre de définitions sont utilisées pour caractériser les ONG (Mencher, Reference Mencher1999 : 2081). Une ONG environnementale peut être définie selon trois critères : (1) « son caractère non gouvernemental » ; (2) « son indépendance vis-à-vis des logiques de profit » ; et (3) « son intérêt pour la politique internationale de l'environnement » (Morin et Orsini, Reference Morin and Orsini2015 : 185). La capacité des ONG à influencer la gouvernance mondiale de l'environnement est souvent liée à leur habilité à faire pression, à persuader et à diffuser de l'information (Khagram, Riker, et Sikkink, Reference Khagram, Riker, Sikkink, Khagram, Riker and Sikkink2002 : 11). Parmi les nombreuses activités des ONG, certaines mettent en lumière la gravité de problèmes environnementaux, organisent des campagnes de sensibilisation et de mobilisation, plaident en faveur de causes et défendent des droits (Boli et Thomas, Reference Boli and Thomas1997 : 183). En travaillant souvent au-delà des frontières et en joignant leurs forces avec des réseaux de plaidoyer plus larges, comme les réseaux d'activisme transnationaux, les ONG aident à rendre certains enjeux compréhensibles, à attirer l'attention et à encourager l'action (Keck et Sikkink, Reference Keck and Sikkink1999 : 90).
D) Les entreprises multinationales
Les activités des entreprises multinationales ont significativement évolué au cours des dernières décennies (Adler, Reference Adler2019 : 428; Keohane et Nye, Reference Keohane and Nye1971). En opérant à plusieurs échelles et à travers les juridictions, les entreprises multinationales échappent souvent au contrôle d'un seul État (Keohane et Nye, Reference Keohane and Nye1971 : 19). Les implications de leurs activités sur l'environnement se montrent parfois difficiles à tracer et à encadrer. Les activités des entreprises multinationales illustrent la dislocation de la production à des échelles transnationales (Robinson, Reference Robinson1998 : 568; Wapner, Reference Wapner1995 : 337). De plus, les investissements de ces acteurs jouent un rôle important dans l'évolution de l'économie mondiale (Robinson, Reference Robinson1998 : 576). Leur implication active en gouvernance mondiale de l'environnement remonte aux années 1990 (Haas, Reference Haas and Simmons2001 : 325). Nombre de ces acteurs ont depuis cherché à influencer les décisions et réglementations environnementales locales, nationales et internationales (Le Prestre, Reference Le Prestre2005 : 120–124).
E) Les communautés épistémiques
Pour Peter Haas, les communautés épistémiques sont des réseaux d'experts possédant des compétences reconnues dans un domaine particulier et ayant une autorité en matière de connaissances pertinentes pour les politiques dans ce domaine (1992 : 3). Ces acteurs sont ainsi souvent appelés à conseiller les décideurs politiques (Adler et Haas, Reference Adler and Haas1992; Haas, Reference Haas1989). Les liens professionnels et les idées partagées au sein de ces réseaux sous-tendent leurs efforts et influencent, à différents degrés, leurs recommandations (Keck et Sikkink, Reference Keck and Sikkink1999 : 89). Plusieurs de ces réseaux sont ainsi orientés vers la participation aux processus d'élaboration des politiques, à l'innovation et au partage de connaissances (Lipschutz, Reference Lipschutz1992 : 393). Les communautés épistémiques sont reconnues pour contribuer à la circulation des idées entre les différents acteurs, à l’élaboration de programmes d'action et des agendas de négociation ainsi qu’à la définition des problèmes et des solutions appropriées pour y remédier (Haas, Reference Haas1992 : 27; March et Olsen, Reference March and Olsen1998 : 963).
F) Les communautés locales
L’échelle locale est celle de l'action. Les communautés locales exercent une influence directe sur la mise en œuvre des programmes environnementaux mondiaux. Leurs pratiques ont des incidences à toutes les échelles et peuvent affecter simultanément de nombreux processus écologiques. En s'associant, les individus membres de ces communautés peuvent favoriser l'institutionnalisation de nouvelles formes de collaboration et de gouvernance (Ostrom, Reference Ostrom1990). Les communautés locales sont aussi garantes de perspectives et de pratiques diverses, ainsi que de précieuses connaissances pour faire face aux enjeux contemporains (Escobar, Reference Escobar2016; Kealiikanakaoleohaililani et Giardina, Reference Kealiikanakaoleohaililani and Giardina2016). Elles ont été identifiées comme porteuses de nouvelles normes sociales (Finnemore et Sikkink, Reference Finnemore and Sikkink1998; Keck et Sikkink, Reference Finnemore and Sikkink1998). De même, certains groupes autochtones jouent, par exemple, un rôle important en gouvernance mondiale de l'environnement, tant sur le terrain que par la promotion des droits de la nature et leur participation active aux discussions et négociations de divers forums (Alger et Dauvergne, Reference Alger and Dauvergne2019 : 10). Ainsi, les membres des communautés locales peuvent occuper de multiples rôles et exercer une influence significative. Certains réussissent à influencer les décisions grâce à leur habileté diplomatique, aux ressources de leurs organisations ou par leur accès privilégié auprès de personnes en position d'autorité (Le Prestre, Reference Le Prestre2005 : 124–25). En plus des acteurs identifiés, d'autres influencent la gouvernance mondiale de l'environnement, tels les journalistes et médias, les banques et fonds d'investissement, les organisations syndicales, les réseaux d'activisme transnationaux, ainsi que les entités subétatiques tels les provinces, cantons et villes. L'inclusion de cette vaste gamme d'acteurs, des communautés locales aux États, autour des tables de décision est, bien qu'un défi certain, prometteuse pour faire progresser les démarches collaboratives afin de gérer les enjeux environnementaux dans toute leur complexité (Costanza, Reference Costanza1999 : 206).
III) Revue historique de la gouvernance mondiale de l'environnement
La présente section offre un panorama des dernières décennies en matière de gouvernance mondiale de l'environnement. Elle vise à mieux comprendre les développements passés et actuels et informer les décisions à venir. Les sous-sections sont divisées en périodes chronologiques et organisées par thématique selon des moments clés de la gouvernance mondiale de l'environnement de 1945 à 2022 (voir Figure 1).
A) 1945–1970 : Émergence de la gouvernance mondiale de l'environnement
Depuis la création de l'Organisation des Nations Unies (ONU) en 1945, la gouvernance mondiale et, de facto, celle de l'environnement ont significativement évolué.Footnote 2 À partir de la deuxième moitié du vingtième siècle, la multiplication des enjeux environnementaux a encouragé l'amplification de l'attention accordée à l’échelle mondiale (Chaloux et Simard, Reference Chaloux and Simard2021; Le Prestre, Reference Le Prestre2005; Morin et Orsini, Reference Morin and Orsini2015). Les premières conventions internationales ayant été établies après 1945 en réponse aux enjeux environnementaux incluent la Convention internationale pour la réglementation de la chasse à la baleine de 1946, la Convention internationale pour la protection des oiseaux de 1950, la Convention internationale pour la protection des végétaux de 1951 et la Convention relative aux zones humides d'importance internationale, négociée durant les années 1960 et ouverte pour signature en 1971 à Ramsar, en Iran, où elle obtiendra son nom.
L'attention accordée aux enjeux environnementaux a continué de gagner en ampleur durant les années 1960 et 1970 (Keohane, Haas, et Levy, Reference Keohane, Haas, Levy, Haas, Keohane and Levy1993 : 6). La publication de l'ouvrage Silent Spring par Rachel Carson en 1962 a eu un effet marquant et a encouragé des actions concrètes pour faire face aux enjeux environnementaux (Carson, Reference Carson1962; Paarlberg, Reference Paarlberg, Haas, Keohane and Levy1993 : 313). Durant la même période, des évènements marquants tels que des déversements de polluants et de déchets toxiques en mers et sur terre, de nombreux essais nucléaires en mers et la première photo diffusée à grande échelle de la Terre ainsi qu'une multiplication des exemples évidents, aux échelles tant locales, nationales et transnationales, de pollution et de surexploitation environnementale ont suscité des discussions mondiales et d'importantes mobilisations citoyennes. Tant les pays du Nord que ceux du Sud ont exprimé des préoccupations quant à la santé des écosystèmes de la planète. La décennie 1960–1970 a été l'hôte d'une effervescence en termes de participations citoyennes, d'initiatives collectives et d'actions concrètes pour élaborer des solutions aux enjeux environnementaux, incluant la première marche de la Terre en 1970 et la création de plusieurs agences et législations sur les questions environnementales (Ivanova, Reference Ivanova2021 : 14). Ces développements ont incité Philipp Pattberg et Oscar Widerberg à retracer le début d'un environnementalisme mondial aux années 1960 et 1970 (2015 : 685).
Résultat du travail de plusieurs individus déterminés à inscrire l'environnement à l'agenda mondial, à partir de la fin des années 1960, l'Assemblée générale des Nations Unies (AGNU) a commencé à évaluer les avenues prometteuses pour résorber les enjeux environnementaux (Baillat et Maertens, Reference Baillat, Maertens, Devin, Petiteville and Tordjman2020). Lors de la 1555e séance plénière du Conseil économique et social de l'ONU (ECOSOC) tenue le 30 juillet 1968, la Suède a pris l'initiative de soumettre une résolution sur la possibilité d'organiser une conférence internationale sur les enjeux posés par l'environnement (ECOSOC, 1968a : 8–10). La proposition suédoise a été acceptée le 3 décembre de la même année par l'AGNU (United Nations, 1968). Plusieurs ministères et départements nationaux dédiés aux enjeux environnementaux ont été créés en préparation de la conférence tenue d'avoir lieu en 1972 à Stockholm, en Suède (Conca, Reference Conca1995 : 443).
B) 1970–1980 : Institutionnalisation de l'environnement en gouvernance mondiale
Occupant les premières années de la décennie, la Conférence des Nations Unies sur l'environnement tenue à Stockholm en 1972 a été précédée par l'organisation de discussions préparatoires et par la mise sur pied de plusieurs groupes de travail (Johnson, Reference Johnson1972 : 256). De nombreuses études préliminaires ont émis des recommandations pour définir l'ordre du jour des négociations (ECOSOC, 1968b; Kennan, Reference Kennan1970). D'autres publications ont joint leur voix, tels les rapports de Founex de 1971 et celui du Club de Rome de 1972, « The Limits to Growth », et ont depuis animé nombre de débats (PNUE, 1971; Meadows et Club of Rome, Reference Meadows1972). Selon Maurice Strong, qui présidera la Conférence de Stockholm, le rapport de Founex a joué un rôle catalyseur en préparation de la conférence (Ivanova, Reference Ivanova2021 : 31; Manulak, Reference Manulak2022 : 93). Visant à unifier les considérations des pays du Nord et du Sud, le rapport a lié les enjeux de l'environnement aux questions du développement (PNUE, 1971). Cette approche a influencé l’évolution de la gouvernance mondiale de l'environnement en intégrant les considérations environnementales à l'agenda du développement, à leurs dépens.
La Conférence de l'ONU sur l'environnement (5 au 16 juin 1972) est encore aujourd'hui considérée comme l'un des moments fondateurs de la diplomatie environnementale internationale (Conca, Reference Conca1995; Morin et Orsini, Reference Morin and Orsini2015 : 135). Selon Peter Haas, la conférence a présidé à une prise de conscience mondiale des impacts des activités humaines sur l'environnement (Reference Haas and Simmons2001 : 310). Elle a aussi été la première conférence à organiser un forum parallèle pour les organisations de la société civile, marquant le début de l'inclusion formelle de celles-ci dans la diplomatie environnementale mondiale (Haas, Reference Haas and Simmons2001 : 311). Le rapport de la conférence a souligné que : « nous sommes à un moment de l'histoire où nous devons orienter nos actions dans le monde entier en songeant davantage à leurs répercussions sur l'environnement » (ONU, 1973 : 3). Ce constat est toujours d'actualité. Les retombées de la Conférence de Stockholm incluent une Déclaration de principes, un Plan d'action pour l'environnement, mais aussi l'idéation du Programme des Nations Unies pour l'Environnement (PNUE). Ce dernier a été créé la même année et occupe depuis une place centrale en gouvernance mondiale de l'environnement. Le PNUE sert de nombreuses fonctions, telles que la facilitation des discussions, des échanges d'information et du partage de pratiques et de technologies, ainsi que le soutien logistique et organisationnel pour le travail de nombreuses conventions et acteurs œuvrant dans le domaine de l'environnement (Ivanova, Reference Ivanova2010).
La décennie 1970–1980 a été le théâtre de l’élaboration de nombreuses conventions environnementales. Par exemple, la Convention concernant la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel, adoptée en 1972, la Convention sur la prévention de la pollution des mers adoptée la même année – aussi connue comme la Convention de Londres –, la Convention sur le commerce international des espèces de faune et flore sauvages en menacées (CITES) de 1973 et la Convention sur la conservation des espèces migratrices appartenant à la faune sauvage de 1979 sont venus s'ajouter à l'architecture de gouvernance mondiale de l'environnement (Raustiala, Reference Raustiala2001). De plus, en 1974, les questions relatives à l’énergie, un enjeu parallèle et interrelié aux questions environnementales, ont vu la création de l'Agence internationale de l’énergie (AIE) (Van de Graaf, Reference Van de Graaf2013b). Finalement, les années 1970 ont servi à faire progresser les négociations pour la troisième convention sur le droit de la mer (1973–1982).
En somme, la décennie 1970–1980 a été prolifique en ce qui a trait à la mise à l'agenda de nombreux enjeux environnementaux, à l'inclusion des acteurs non étatiques et à la création de conventions internationales. La conférence de Stockholm et la fondation du PNUE demeurent des moments notoires en gouvernance mondiale de l'environnement. L'imbrication des questions environnementales à l'agenda du développement économique durant la décennie 1970–1980 a contribué à façonner l'organisation de la gouvernance mondiale de l'environnement pour les décennies à venir.
C) 1980–1990 : Continuation des efforts et nouvelles initiatives
Les années 1980 ont vu de nombreux changements sur la scène mondiale et l'environnement ne fait pas exception. Durant cette période, les innovations technologiques ont facilité les déplacements et la communication, offrant ainsi de nombreuses occasions pour la création de réseaux transnationaux de pressions (Castells, Reference Castells2011; Keck et Sikkink, Reference Keck and Sikkink1998). Une place grandissante est depuis accordée aux acteurs non étatiques, tant dans la pratique de la gouvernance mondiale de l'environnement que dans son étude (Risse, Reference Risse, Carlsnaes, Risse and Simmons2013 : 430).
En 1982 la conférence de Nairobi a été organisée pour célébrer le dixième anniversaire de la conférence de Stockholm et a réuni plusieurs décideurs dans la capitale accueillant le PNUE (UNEP, 1982 : 49–51). La déclaration de Nairobi a réitéré l'importance de renforcer les actions environnementales à toutes les échelles (UNEP, 1982 : 49). Toutefois, la rencontre n'a pas su recréer l'esprit de collaboration observé 10 ans auparavant, lors de la Conférence de Stockholm (Manulak, Reference Manulak2022). L'année 1982 a aussi vu l'adoption de la Charte mondiale de la nature durant la 48e séance plénière de l'AGNU (UNGA, 1982) ainsi que la finalisation des négociations de la troisième Conférence des Nations Unies sur le droit de la mer. Selon Tommy Koh (Reference Koh1983), cette dernière, qui est entrée en vigueur en 1994, offre depuis une nouvelle constitution pour la gouvernance de l'océan.
De plus, les années 1980 ont été importantes pour la gouvernance de l'atmosphère et du climat. En 1985, des délégués, parties prenantes et organisations de la société civile se sont réunis en Autriche pour adopter la Convention de Vienne pour la protection de la couche d'ozone. Deux ans plus tard, le 15 septembre 1987, le Protocole de Montréal a été ajouté à la Convention et sert depuis de cas illustratif de négociations environnementales internationales ayant répondu au problème identifié (Andersen et al., Reference Andersen, Madhava and Sinclair2002). Durant la même période, un des moments phares en gouvernance du climat a eu lieu, avec la création en 1998 du Groupe d'experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Le mandat du GIEC consiste notamment à voir à la compilation des connaissances et à l'identification de solutions aux changements climatiques (UN General Assembly, 1988). Le GIEC publie depuis des rapports clés pour informer la gouvernance du climat.
Vers la fin de la décennie, la découverte d'importants gisements de déchets toxiques en Afrique a incité plusieurs activistes et groupes de pression à réclamer une réglementation plus stricte en matière de trafic de déchets dangereux et de leur élimination (Secretariat of the Basel Convention, 2011). Leurs revendications ont mené à la création d'un groupe de travail pour la préparation d'une convention internationale sur le sujet. Adopté en 1989, la Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et de leur élimination entre en force en 1992 et sert depuis d'instance centrale dans la gouvernance des déchets dangereux et de nombreux autres polluants (Kummer, Reference Kummer1992 : 530).
Finalement, Notre avenir à tous, publié en 1987, aussi connu comme le rapport Brundtland, a accordé une attention particulière aux déterminants économiques des dégradations environnementales et favorise une approche axée sur le développement (Manulak, Reference Manulak2022 : 157). Le rapport a introduit la notion de « développement durable » définie comme un développement assurant les besoins des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à assurer les leurs (Brundtland, Reference Brundtland1987 : 6). Le rapport et la notion de développement durable ont servi de pierre angulaire pour le Sommet de la Terre, tenu à Rio en 1992.
D) 1990–2000 : Institutionnalisation du développement durable
Les années 1990 ont été prolifiques en matière de création d'organisations internationales au service de la gouvernance mondiale de l'environnement (Pattberg et Widerberg, Reference Pattberg and Widerberg2015 : 685). La Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement (CNUED), mieux connue comme le Sommet de la Terre de Rio de 1992, figure parmi les plus importantes conférences environnementales à ce jour. De nombreux acteurs, comme les États, les OI et les ONG, ont été activement impliqués dans l’élaboration des objectifs de la conférence (Le Prestre, Reference Le Prestre2005 : 167–183). La conférence a mené à l'adoption de l'Agenda 21, visant à accroître l'inclusion des enjeux environnementaux au sein des objectifs sociaux et économiques ainsi qu’à mettre de l'avant le rôle des communautés locales et de la société civile dans la mise en œuvre du développement durable (Manulak, Reference Manulak2022 : 177). Dans la lignée du rapport Brundtland, l'Agenda 21 a renforcé le positionnement du concept de développement durable comme point d'ancrage pour la communauté internationale (Sand, Reference Sand2001 : 38; UN Department of Public Information, 1993).
Le Sommet de la Terre a conduit à la création de trois conventions d'importance, soit la Convention sur la diversité biologique (CDB), la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), ainsi que la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification (CLD). La CDB est entrée en vigueur à la fin décembre 1993 et a reçu comme mandat initial de coordonner les efforts des différents groupes et organisations œuvrant sur les enjeux de la diversité biologique (Le Prestre, Reference Le Prestre2017 : 1). Signée par plus d'une centaine de pays en 1992 et entrée en vigueur en 1994, la CCNUCC sert quant à elle de structure centrale pour les questions relatives à la gouvernance du climat (UN Department of Public Information, 1993; Raustiala, Reference Raustiala2001 : 41). Les enjeux relatifs aux changements climatiques occupent depuis une place importante en gouvernance mondiale de l'environnement. Le Protocole de Kyoto de 1997 et l'Accord de Paris de 2015 ont suscité plusieurs discussions et influencé la gouvernance d'enjeux environnementaux bien au-delà du climat. Finalement, la CLD est entrée en vigueur en 1996 et encourage la mise en œuvre de mesures visant à prévenir la désertification et assurer le partage des connaissances en la matière (Raustiala, Reference Raustiala2001 : 50–51). La gouvernance des trois enjeux couverts par les conventions de Rio, soit la perte de biodiversité, les changements climatiques et la désertification, demeure majoritairement pensée en silos malgré leur profonde interconnexion.
En parallèle, et suivant les développements à la fin des années 1980 en matière de gouvernance des déchets et polluants, deux autres conventions ont été créées durant la décennie, soit la Convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants (POP), adoptée en 1991, et la Convention de Rotterdam sur la Procédure de consentement préalable en connaissance de cause applicable à certains produits chimiques et pesticides dangereux qui font l'objet d'un commerce international, adoptée en 1998. En 2008, les parties membres ont adopté une décision visant à opérer une synergie entre ces deux conventions et la Convention de Bâle. Il s'agit de l'un des premiers efforts de ce type entre différentes conventions en gouvernance mondiale de l'environnement.
E) 2000–2010 : Nouveau millénaire et gouvernance mondiale de l'environnement
La décennie 2000–2010 a été marquée par un ralentissement en gouvernance mondiale de l'environnement (Pattberg et Widerberg, Reference Pattberg and Widerberg2015 : 685). Une part considérable des efforts déployés ont tourné autour des objectifs du millénaire pour le développement (OMD), formalisés en 2002 et tenus d'orienter l'agenda de développement de l'ONU jusqu'en 2015. Les OMD – composés de huit objectifs dont le premier, la « lutte contre la pauvreté », est le principal – ont joué un rôle directeur pour l'ONU et ses partenaires, bien que l'accent mis sur l'environnement demeure fortement limité (UN General Assembly, 2000).
Les trente ans du Sommet de Stockholm (1972) et dix ans du Sommet de Rio (1992) ont été commémorés en 2002 par l'organisation à Johannesburg du Sommet mondial sur le développement durable. Les efforts mobilisés durant le Sommet ont réitéré les liens entre environnement et développement et se sont concentrés sur la mise en place de partenariats entre les gouvernements, les ONG et le secteur privé, appelés « partenariats pour le développement durable » (Biermann et Pattberg, Reference Biermann and Pattberg2008 : 283). Les résultats de ce sommet restent mitigés et critiqués (Ford, Reference Ford2003 : 122–123; Pattberg et Widerberg, Reference Pattberg and Widerberg2015 : 692). Pour certains, le sommet de Johannesburg a marqué un essoufflement de la diplomatie environnementale (Wapner, Reference Wapner2003).
Toutefois, les efforts scientifiques ont continué durant cette décennie. Par exemple, la publication de rapports clés entre 2001 et 2005 sous l’égide de l’Évaluation des écosystèmes pour le millénaire, considérés à l’époque comme l'une des sources les plus complètes sur l’état des écosystèmes de la planète, a servi à informer les négociations sur les questions environnementales (Lemos et Agrawal, Reference Lemos and Agrawal2006 : 297). En parallèle, les efforts pour renforcer la coordination entre les instances travaillant sur les questions relatives à l'eau ont mené à l’établissement d'ONU-Eau en 2003 (Baumgartner et Pahl-Wostl, Reference Baumgartner and Pahl-Wostl2013). De plus, visant à s'attaquer aux enjeux grandissants affectant les forêts, la 11e session de la CCNUCC a décidé de débuter les discussions pour l’établissement d'un mécanisme pour la « réduction des émissions liées à la déforestation et la dégradation des forêts dans les pays en développement » (REDD) en 2005. Le mécanisme REDD est entré en vigueur en 2008. Finalement, la fin de la décennie a vu la création de l'Agence internationale de l’énergie renouvelable (IRENA), en 2009 (Van de Graaf, Reference Van de Graaf2013a : 23–24). Malgré ces évolutions, les résultats mitigés de la conférence sur le climat de Copenhague en 2009 ont semé le doute sur la pertinence des efforts multilatéraux en matière d'environnement (Dimitrov, Reference Dimitrov2010 : 22). La création de nouvelles instances opérant en silos durant la décennie a aussi contribué à la fragmentation de la gouvernance mondiale de l'environnement.
F) 2010–2020 : Lancement de plusieurs grands chantiers
La première moitié de la décennie 2010–2020 a fait état d'un revirement de situation en faveur des efforts multilatéraux, notamment en matière de gouvernance de la biodiversité. Par exemple, la CDB a adopté les objectifs d'Aichi en matière de biodiversité (ABT) en 2010. Bien qu'aucun des objectifs stratégiques d'Aichi ne fût atteint à la date butoir de 2020, ils ont encouragé la création de programmes de travail et de recherche (CBD, 2010). De plus, la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) a été créée en 2012. À l'instar du GIEC, l'IPBES réunit de nombreux experts mondiaux sur les questions touchant à la biodiversité (Soberón et Peterson, Reference Soberón and Peterson2015 : 1). Depuis sa création, ses rapports servent à informer les négociations internationales sur le sujet (Díaz et al., Reference Díaz, Demissew, Carabias, Joly, Lonsdale, Ash and Larigauderie2015; IPBES, 2019).
La préparation de la Conférence des Nations Unies sur le développement durable (CNUDD) a occupé en grande partie les premières années de la décennie. Commémorant les vingt ans du Sommet de la Terre de Rio de 1992, la CNUDD, aussi connue comme Rio+20, a réuni un grand nombre d'acteurs travaillant sur les enjeux sociaux, économiques, politiques et environnementaux au Brésil du 20 au 22 juin 2012. La conférence a représenté un jalon en gouvernance mondiale de l'environnement. L'appel à des réformes institutionnelles a mené à la création du Forum Politique de Haut Niveau (FPHN) mandaté pour remplacer la Commission pour le développement durable (CDD) fortement critiquée sur plusieurs fronts depuis sa création, notamment en raison de son incapacité à stimuler la mise en œuvre des programmes de développement durable (Abbott et Bernstein, Reference Abbott and Bernstein2015 : 16–17). Les négociations à Rio+20 ont aussi mené à l’établissement de l'Assemblée des Nations Unies pour l'Environnement (ANUE) pour remplacer le conseil d'administration du PNUE, augmenter la représentativité des États et faciliter l'avancement des discussions en gouvernance de l'environnement (Paccaud, Reference Paccaud2014).
Un autre moment clé a été franchi à Rio avec le lancement des négociations pour l'adoption de nouveaux objectifs mondiaux pour l'après-2015 (Caballero et Londoño, Reference Caballero and Londoño2022). Après plusieurs rencontres, l'Agenda 2030 et les 17 objectifs de développement durable ont été adoptés en septembre 2015 (UN General Assembly, 2015). Trois objectifs portent précisément sur des enjeux environnementaux, soit l'ODD 13 – sur les mesures relatives à la lutte contre les changements climatiques –, l'ODD 14 – sur la vie aquatique – et l'ODD 15 – sur la vie terrestre. Cependant, il reste à voir si cette nouvelle initiative, sous l'égide du développement durable, réussira à placer les questions environnementales sur un pied d'égalité avec les questions sociales et économiques, ou si l'approche en vase clos persistera (Allen, Metternicht, et Wiedmann, Reference Allen, Metternicht and Wiedmann2018). À l'heure actuelle, il est loin d’être certain que les objectifs seront atteints d'ici 2030 (Leal Filho et al., Reference Leal Filho, Trevisan, Rampasso, Anholon, Pimenta Dinis, Brandli and Sierra2023).
L'année 2015 a aussi marqué un moment phare en gouvernance du climat avec l'adoption de l'Accord de Paris (Dimitrov, Reference Dimitrov2016 : 2; Held et Roger, Reference Held and Roger2018 : 532). Aboutissement de plusieurs années de diplomatie climatique, l'Accord est entré en vigueur en 2016 (Dimitrov, Reference Dimitrov2016 : 2). Il offre depuis un cadre d'action pour de nombreux acteurs, tant étatiques que non étatiques, gravitant autour des questions relatives au climat (Held et Roger, Reference Held and Roger2018 : 532). Sa structure est basée sur la progression de l'ambition des parties prenantes et la mise en œuvre de leurs engagements sur les volets de l'atténuation, de l'adaptation et du financement (CCNUCC, 2015). Les Conférences des Parties (CdP) à la CCNUCC qui suivirent 2015 ont servi à clarifier les éléments devant être pris en compte par les pays dans leurs plans d'action. Le succès des CdP reste toutefois mitigé, opérant sous une logique incrémentale alors que les défis posés par les changements climatiques continuent de s'accélérer.
G) 2020–2022 : En marche vers 2030
Le début de la décennie 2020–2030 a été marqué par la pandémie de COVID-19. Cette dernière a considérablement ralenti les négociations en gouvernance mondiale de l'environnement, menant notamment au report de nombreuses discussions et conférences prévues pour 2020 et 2021. L'année 2022 s'illustre aussi par un revirement de situation (IISD, 2023). Bien chargé, le calendrier de l'année a inclus le cinquantième anniversaire de la conférence de Stockholm. Pour marquer cet évènement et faire le bilan des dernières décennies, une conférence de deux jours – « Stockholm+50 » – a été organisée en Suède au début juin 2022 (IISD, 2022). L'année 2022 a vu de nombreuses autres rencontres d'importance, telle que celles relatives à la biodiversité et au climat. Ces dernières ont permis d'adopter un nouveau cadre mondial pour la biodiversité et des mesures financières en matière de pertes et préjudices liés aux changements climatiques (CBD, 2022; UNFCCC, 2022 : par. 44–47).
D'autres rencontres internationales sur les enjeux environnementaux et des publications significatives sont attendues à partir de 2023 (IISD, 2023 : 19–22). À titre d'exemple, l'année 2023 verra la culmination du premier bilan global de l'Accord de Paris (CCNUCC, 2015 : 20). Ce dernier permettra de mettre en lumière l’écart entre le niveau des contributions nationales et les efforts à mobiliser pour atteindre les objectifs de l'Accord. Il sera aussi informé par la publication du 6e Rapport Synthèse du GIEC. Les conclusions du bilan global risquent également d’être utiles pour livrer un état des lieux et fournir une fondation à partir de laquelle les prochaines négociations climatiques et décisions pourront s'ancrer.
L'année 2023 marquera aussi l’évaluation de mi-mandat des ODD. Huit ans après l'adoption des 17 objectifs, un déploiement d'initiatives pour l'atteinte des ODD d'ici 2030 est à prévoir, ainsi qu'une mobilisation des connaissances pour identifier les défis et opportunités des années à venir. Pour encourager l'action et la collaboration, le Secrétaire-Général de l'ONU António Guterres a lancé l'appel pour l'organisation du « SDG Summit » en septembre 2023 pour marquer la mi-parcours de la mise en œuvre des ODD et d'un « Summit of the Future » en 2024 pour explorer des solutions aux enjeux mondiaux contemporains (UN News, 2022). D'autres moments clés sont à prévoir d'ici 2030, tels que les négociations sur la pollution du plastique, sur les forêts, sur l'exploitation minière des fonds marins, l'agenda de l'ONU au-delà de 2030, et les changements climatiques. Tout indique que les prochaines années et décennies seront déterminantes pour la gouvernance mondiale de l'environnement.
IV) Conclusion
Le présent article offre une revue historique des dernières décennies de gouvernance mondiale de l'environnement. Plusieurs constats peuvent être identifiés. Tout d'abord, la gouvernance mondiale de l'environnement est polycentrée. De nombreux centres décisionnels et paliers de gouvernance coexistent. Bien que cette caractéristique comporte plusieurs avantages reconnus (Ostrom, Reference Ostrom2010), elle mène aussi à d'importants défis organisationnels, structurels et logistiques. En effet, l'interconnexion entre les enjeux environnementaux et la nécessité de coordination des actions à de multiples échelles rendent parfois complexe la mise en place de plans d'action cohérents. Par exemple, depuis sa création, le PNUE dispose d'un mandat et d'un pouvoir limité en matière de coordination et peine à encourager la convergence des actions à travers les secteurs et les échelles de gouvernance (Ivanova, Reference Ivanova2010). De plus, pour des raisons similaires, la gouvernance mondiale de l'environnement est fragmentée (Biermann et al., Reference Biermann, Pattberg, van Asselt and Zelli2009). La fragmentation est accrue, notamment, par la multiplication des conventions internationales sur des enjeux spécifiques et la compartimentalisation des sphères de gouvernance (Choucri, Sundgren, et Haas, Reference Choucri, Sundgren and Haas1994; Zelli et van Asselt, Reference Zelli and van Asselt2013). Bien que la fragmentation comporte son lot d'avantages (Acharya, Reference Acharya2016; Haas, Reference Haas2004; Kellow, Reference Kellow2012), elle implique aussi des défis de coordination majeurs et la réduction de l'environnement à un silo parmi tant d'autres, plutôt que d'en faire un enjeu transversal. Ces deux premiers constats invitent une plus grande prise en compte des relations liant les échelles de gouvernance et de profondes réflexions quant à l'architecture de la gouvernance mondiale de l'environnement.
De plus, d'autres enjeux sont fréquemment priorisés aux dépens de l'environnement, tels que le développement et la croissance économiques. De ce fait, les ressources dédiées aux enjeux environnementaux sont souvent moindres que celles accordées à certains des déterminants mêmes des dégradations environnementales. Reconnus par certains comme des enjeux complémentaires, le développement économique et l'environnement ne font toujours pas office d'un niveau d'effort similaire malgré les initiatives visant à les réunir sous la notion de développement durable (Zaccai, Reference Zaccai2012). Finalement, comme le montre cette revue historique des dernières décennies, la gouvernance mondiale de l'environnement procède par changement incrémental. Cette logique comporte une gamme d'avantages notables (Lindblom, Reference Lindblom1959). Toutefois, les enjeux environnementaux prennent actuellement des proportions qui pourraient atteindre des points de non-retour (Rockström et al., Reference Rockström, Gupta, Qin, Lade, Abrams, Andersen and Armstrong McKay2023). Des réponses proactives d'envergure seront nécessaires dans les années à venir et invitent ainsi à remettre en question la logique incrémentale.
Les trois principaux défis de la gouvernance mondiale de l'environnement soulignés dans la première section, soit la longue durée des processus environnementaux, leur nature transfrontalière et leur imbrication dans des systèmes complexes, la rendent particulièrement ardue. En réponse à ces défis, de nombreuses conventions internationales ont été établies et des programmes de recherche et de collaboration mondiaux mis sur pieds. Ces derniers constituent aujourd'hui les fondations de la gouvernance mondiale de l'environnement. Néanmoins, plusieurs enjeux environnementaux peinent à être répondu (IPBES, 2019; Pörtner et al., Reference Pörtner, Roberts, Adams, Adler, Aldunce, Ali, Begum, Betts, Kerr and Biesbroek2022; Visseren-Hamakers et Kok, Reference Visseren-Hamakers, Kok, Visseren-Hamakers and Kok2022 : 3).
Les constats offerts par cette revue historique invitent à considérer de nouvelles approches pour voir à la gouvernance mondiale de l'environnement (Khagram et al., Reference Khagram, Nicholas, Bever, Warren, Richards, Oleson and Kitzes2010). Dans cette lignée, l’émergence d'initiatives visant à identifier les connexions entre les enjeux socio-environnementaux est prometteuse. Par exemple, la décision d'opérer une synergie entre les conventions de Bâle, de Rotterdam et de Stockholm présente un cas d’étude d'intérêt. De telles initiatives pourraient s’étendre au-delà des régimes de gouvernance spécifiques pour lier l'ensemble des enjeux environnementaux ainsi que les nombreux autres défis socio-économiques contemporains. De nouvelles formes de collaboration et d'action pourraient aussi être élaborées pour accroître la coordination à travers les échelles et les enjeux. Dans ce contexte, les sciences sociales et naturelles ont un rôle important à jouer. Une plus grande attention aux questions environnementales de leur part représente une occasion à saisir tout autant qu'un impératif pour informer la gouvernance de demain (Dauvergne et Clapp, Reference Dauvergne and Clapp2016; Green et Hale, Reference Green and Hale2017; Walker et al., Reference Walker, Barrett, Polasky, Galaz, Folke, Engström and Ackerman2009). L'enjeu est de taille et invite à repenser la gouvernance mondiale de l'environnement au-delà des frontières, tant étatiques que disciplinaires (Biermann et Kim, Reference Biermann and Kim2020; Ivanova et Roy, Reference Ivanova, Roy, Swart and Perry2007; Khagram, Reference Khagram2006; Latour, Reference Latour2004).
Remerciements
Je suis reconnaissant envers Philippe Chassé et Rosemarie Desmarais pour leurs commentaires sur des versions antérieures de ce manuscrit et pour les commentaires des évaluateurs anonymes qui ont aidé à affiner la visée de l'étude et les points clés.