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La perte, le don, le butin
Civilisation stalinienne, aide etrangere et biens trophees dans l’Union sovietique des annees 1940
Published online by Cambridge University Press: 20 January 2017
Résumé
Cet article s’interesse a l’afflux et a la circulation d’objets venus de l’etranger dans l’Union sovietique des annees 1940, pour s’interroger sur cette variante sovietique de l’edification des objets en enjeu de guerre pendant la Seconde Guerre mondiale. Il montre comment les enjeux de la distribution d’une aide humanitaire recoupent celui de la (non)reconnaissance du genocide des juifs sovietiques sous l’occupation nazie, mais aussi celui des hierarchies sociales staliniennes. Il explicite les raisons pour lesquelles l’occultation de l’origine et des circonstances exactes qui presiderent a l’entree de ces objets dans les foyers sovietiques sert a maintenir dans l’ombre les exactions commises par les troupes de l’Armee rouge a l’egard des vaincu(e)s. Il corrige enfin l’image d’une societe sovietique qui decouvre pour la premiere fois le luxe et la modernite occidentale a la faveur de la guerre, en revenant sur la place et le sort de ce type d’objets dans la civilisation materielle stalinienne de l’entredeux- guerres.
Abstract
This article focuses on the influx and circulation of foreign objects in the Soviet Union during the 1940s in order to investigate the specific role of these objects during World War II. It reveals how the distribution of humanitarian aid intersected with both the (non)acknowledgement of the genocide of Soviet Jews during the Nazi occupation and Stalinist social hierarchies. It explains why effacing the origins and precise circumstances through which these objects entered Soviet homes served to hide the abuse the Red Army perpetrated against their defeated enemies. This article revises the image of a Soviet society that discovered luxury and Western modernity for the first time during the war by reconsidering the place and trajectory of these objects in Stalinist material culture of the interwar period.
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- Misère et enrichissement
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- Copyright © Les Éditions de l’EHESS 2013
Footnotes
Je remercie pour leur aide décisive Juliette Cadiot, François-Xavier Nérard, Gâbor Rittersporn, Brandon Schechter et Paul Schor.
References
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3- Sur les objets venus de l'étranger à la « faveur » de la guerre, voir Vera S. DUNHAM, In Stalin's Time: Middleclass Values in Soviet Fiction, Cambridge, Cambridge University Press, 1976Google Scholar, qui, à travers la lecture des oeuvres de fiction publiées dans les années 1940, a démontré comment, au sortir de la guerre, la direction stalinienne avait su créer un véritable pacte avec une large couche de la société soviétique en réhabilitant la quête d'un confort matériel conçu comme la juste récompense de ses sacrifices et de ses efforts, mais aussi de son allégeance politique. Pourtant, notre démarche est sensiblement différente puisqu'ici les textes littéraires, témoignages souvent indépassables des réalités d'une époque, mais aussi de leur perception commune, doivent aussi être compris comme des éléments constitutifs de l'imaginaire des auteurs et des acteurs de sources « primaires » qui ne constituent pas en elles-mêmes un récit.
4- Parmi une abondante littérature consacrée à la spoliation de la propriété juive et aux formes de restitution et de compensation, Dean, voir Martin, Robbing the Jews: The Confiscation of Jewish Property in the Holocaust, 1933-1945, Cambridge, Cambridge University Press, 2008 Google Scholar ; Constantin GOSCHLER et Philipp THER (dir.), Raub und Restitution. «Arisierung” und Rückerstattung des jüdischen Eigentums in Europa, Francfort-sur-le-Main, Fischer Taschenbuch Verlag, 2003 ; n° spécial « Spoliations en Europe », Revue d'histoire de la Shoah, 186, 2007. Sur le cas des juifs en France, parmi les nombreuses publications qui ont suivi les travaux de la Commission Mattéoli (Antoine PROST, Rémi SKOUTELSKY et Sonia ETIENNE, Aryanisation économique et restitutions, Paris, La Documentation française, 2000), Bruttmann, voir Tal, Aryanisation économique et spoliations en Isère, 1940-1944, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2010 Google Scholar; Douzou, Laurent, Voler les juifs. Lyon, 1940-1944, Paris, Hachette Littératures, 2002 Google Scholar ; Bot, Florent le, La fabrique réactionnaire. Antisémitisme, spoliations et corporatisme dans le cuir, 1930-1950, Paris, Presses de Sciences Po, 2007.Google Scholar La question des compensations reçues par les sinistrés est nettement moins explorée. Pour des jalons, voir en particulier Daniele Voldman, , La reconstruction des villes françaises de 1940 à 1954. Histoire d'une politique, Paris, L'Harmattan, 1997.Google Scholar
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9- 60% en 1943 selon Edward C. Carter, Archives d'État de la Fédération de Russie (Gosudarstvennyj Arhiv Rossijskoj federacii, ci-après GARF), fonds (ci-après f.) 8581, inventaire (ci-après op.) 2, dossier (ci-après d.) 59, feuille (ci-après 1.) 75.
10- GARF, f. 5283, op. 2a, d. 21, 1. 81, 86, 95 et d. 44, 1. 127v. Les origines familiales de Gruliev, en partie russe et juive, laissent supposer des connaissances linguistiques lui permettant de s'orienter a minima dans les réalités soviétiques et une sensibilité particulière au sort des juifs sur le territoire soviétique. En revanche, son attitude trop pressante incommoda durablement les responsables soviétiques.
11- GARF, f. 5283, op. 2a, d. 21, 1. 79-79v, 86 et 92-93. Les évacués juifs font aussi l'objet de demandes de Gruliev qui s'enquiert de leur situation dans la région de Saratov pour laquelle le Russian War Relief (RWR) prépare un programme d'aide, ibid., 1. 79- 79v (juil. 1944).
12- Dans un projet d'août 1945, Vladimir Kemenov, président de la Société pansoviétique pour le rapprochement culturel entre l'URSS et l'étranger (Vsesojuznoe Obscestvo Kul ‘turnoj Sviazi s zagranicej, VOKS), propose au Commissariat aux Affaires étrangères de faire visiter à Carter, outre les entrepôts locaux de RWR et les orphelinats bénéficiaires de son aide, les lieux emblématiques de la représentation officielle, à l'époque, du martyre de la ville qu'étaient le plan de reconstruction de la ville accompagné de l'architecte en chef, l'exposition « Défense de Leningrad » et les palais impériaux dévastés des environs. Signe supplémentaire de l'importance accordée à l'hôte américain et du rôle de cette visite officielle dans la mise en scène soviétique du sort de Leningrad, il prévoit également une rencontre avec le premier secrétaire du parti, Petr Popkov, qui a dirigé la ville pendant le siège, GARF, f. 5283, op. 2a, d. 44, 1. 126. Sur la construction stalinienne de la mémoire officielle du siège de Leningrad, voir Lisa Kirschenbaum, A., The Legacy of the Siege of Leningrad, 1941-1995: Myth, Memories, and Monuments, New York, Cambridge University Press, 2006.CrossRefGoogle Scholar
13- GARF, f. 5283, op. 2a, d. 44, 1. 148-152.
14- Shimon REDLICH, Propaganda and Nationalism in Wartime Russia: The Jewish Antifascist Committee in the USSR, 1941-1948, Boulder, East European Quarterly, 1982 Google Scholar ; Karel C. BERKHOFF, Motherland in Danger: Soviet Propaganda During World War II, Cambridge, Harvard University Press, 2012.Google Scholar
15- C'est-à-dire d'appartenance ethnique, selon le vocabulaire et les catégories soviétiques.
16- Altsuler, Mordehaj, Arad, Ichak et Krakowski, Smuel, Sovetskie evrei pisut Il'e Erenburgu 1943-1966, Jérusalem, Yad Vashem, 1993, p. 140–142 et 222, lettre du 22 juil. 1944.Google Scholar L'auteur de la lettre ne parle lui-même de la spécificité du sort des juifs sous l'Occupation qu'à demi-mot, à travers les chiffres encore incertains des victimes: sur les 200 000 juifs d'avant-guerre, il estime à 200 le nombre de ceux qui, comme lui, ont pu rentrer. Sur la discrimination à l'égard des survivants des ghettos d'Odessa lors de la distribution des dons américains, voir aussi la lettre de Tat'jana Mironovna Sapiro, juil. 1944, ibid., p. 143-144.
17- Kostyrcenko, Gennadij Vasil'evic, Gosudarstvennyj antisemitizm v SSSR ot nacala do kul'minacii, 1938-1953, Moscou, Mezdunarodnyj fond « Demokratija »/Materik, 2005, p. 52-57 (juin 1944)Google Scholar ; Redlih, Simon, Evrejskij antifasistskij komitet v SSSR 1941-1948. Dokumentirovannaja istorija, Moscou, Mezdunarodnye otnosenija, 1996, p. 123–125 (nov. 1944).Google Scholar
18- Sur le renouvellement, à la faveur de l'ouverture des archives, de cette question ancienne et toujours en débat, voir Gennadij Vasil'evic KOSTYRCENKO, Tajnajapolitika Stalina. V/ast’ i antisemitizm, Moscou, Mezdunaronye otnosenija, 2003, et Brandenberger, David, « Stalin's Last Crime? Recent Scholarship on Postwar Soviet Anti-Semitism and the Doctors’ Plot », Kritika: Explorations in Russian and Eurasian History, 6-1, 2005, p. 187–204.CrossRefGoogle Scholar
19- Gueorgi Fedorovitch Aleksandrov, le chef du secteur de la propagande au Comité central, oct. 1945, S. REDLIH, Evrejskij antifasistskijkomitet…, op. cit., p. 130. Il est l'auteur d'une note sur le monde artistique soviétique datée du 17 août 1942, qui est considérée comme l'une des premières manifestations explicites d'un antisémitisme d'État en Lnion soviétique. Note du 19 février 1947 de Grigori Choumeiko, responsable du secteur politique étrangère au Comité central, à Andrei Jdanov, à propos d'une demande formulée par des émigrés juifs d'origine ukrainienne d'établir des liens directs avec les communautés juives d'Lkraine, ibid., p. 135. Kostyrcenko, Voir G. V., Tajnajapolitika Stalina…, op. cit., et Laurent RUCKER, Staline, Israël et les juifs, Paris, PUF, 2001.Google Scholar
20- Redlih, S., Evrejskij antifasistskij komitet…, op. cit., p. 120.Google Scholar Sur le cas des Polonais, voir Gousseff, Catherine, « ‘ Kto nos, kto ne nos'. Théorie et pratiques de la citoyenneté à l'égard des populations conquises. Le cas des Polonais en URSS, 1939-1946 », Cahiers du monde russe, AA-Zß, 2003, p. 519–558 Google Scholar; sur celui des Arméniens, Mouradian, voir Claire, «L'immigration des Arméniens de la diaspora dans la RSS d'Arménie, 1946-1962», Cahiers du monde russe, 20-1, 1979, p. 79–110.CrossRefGoogle Scholar
21- Redlih, S., Evrejskij antifasistskij komitet…, op. cit., p. 115–116.Google Scholar
22- Sur les tentatives du Comité juif antifasciste de répondre aux attentes de ses correspondants étrangers, voir notamment les listes nominatives de juifs soviétiques rescapés pour différentes localités, envoyées par le Comité à l'étranger en 1944, qui feront partie des accusations dirigées contre lui après-guerre, GARF, f. 8114, op. 1, d. 973.
23- Cela explique la présence de nombreux documents sur cette question de l'aide dans le fonds d'archives du Comité conservé au GARF, dont les dossiers ont été soigneusement sélectionnés par le Ministerstvo Gossoudarstvennoï Bezopasnosti (ministère à la Sécurité gouvernementale), et de nombreux documents traduits (du yiddish notamment) et/ou recopiés. C'est ce que décrit longuement Abakoumov dans une note du 4 décembre 1950, dans laquelle il cite en particulier la lettre de Mikhoels du 28 octobre 1944 qui dénonçait l'indifférence de la Croix-Rouge soviétique à l'égard des juifs dans sa distribution de l'aide en provenance de l'étranger, Kostyrcenko, G. V., Gosudarstvennyj antisemitizm…, op. cit., p. 139–147.Google Scholar Curieusement, cette fameuse lettre de Mikhoels, évoquée comme un brouillon dans la note d'Abakoumov, est disponible dans le fonds d'archives du Comité dans sa version définitive, reçue par Molotov et annotée de sa main le 29 octobre 1944, plus exactement d'une « copie certifiée », Redlih, S., Evrejskij antifasistskij komitet…, op. cit., p. 122.Google Scholar
24- Renaissance facilitée par une nouvelle législation et un climat de plus grande tolérance dont profitèrent généralement les confessions représentées sur le sol soviétique. Yaacov Ro'I (éd.), Jews and Jewish Life in Russia and the Soviet Union, Ilford/Portland, F. Cass, 1995.
25- Ro'I, Yaacov, «The Reconstruction of Jewish Communities in the USSR, 1944-1947 », in Bankier, D. (éd.), The Jews Are Coming Back: The Return of the Jews to their Countries of Origin after WWII, Jérusalem/New York, Yad Vashem/Berghahn Books, 2005, p. 186–205, particulièrement p. 196-197.Google Scholar
26- GARF, f. 6991, op. 3, d. 28, 1. 227.
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28- J. REINISCH, «Internationalism in Relief…», art. cit. L'aide alimentaire pour les républiques de Biélorussie et d'Ukraine représentait respectivement 49% et 53% de l'aide envoyée par l'UNRRA en équivalent dollars US, venaient ensuite le matériel pour la reconstruction industrielle (29 et 28 %), l'aide en vêtements, textiles, chaussures (11, 5 et 9%), le matériel pour la reconstruction agricole (9%) et le matériel médical (1, 6 et 1, 3%), G. WOODBRIDGE (éd.), UNRRA…, op. cit., vol. 2, p. 250.
29- UNRRA, Economie Rehabilitation in the Ukraine, Operational Analysis Papers, 39, 1947, p. 68 et 72; Id., Economie Rehabilitation in Byelorussia, Operational Analysis Papers, 48, 1947, p. 42 et p. 49, n. 2. Selon ce dernier rapport, 70% des biens alimentaires vendus dans ces magasins en Biélorussie au printemps et à l'été 1946 provenaient de l'UNRRA, même si le gouvernement soviétique n'avait pas confirmé ce chiffre. Les autres sources d'approvisionnement, dans lesquelles les biens de l'UNRRA n'étaient pas commercialisés, étaient les fameux magasins d'alimentation gastronom, où se vendaient des biens de luxe non rationnés à des prix accessibles uniquement aux privilégiés de la société soviétique, ainsi que les marchés kolkhoziens, de fréquentation nettement plus démocratique, mais dont les prix étaient également incomparablement plus élevés que ceux des biens rationnés vendus dans les magasins d'État. Sur le système de distribution soviétique après-guerre, Hessler, voir J., A Social History of Soviet Trade…, op. cit. Google Scholar
30- UNRRA, Economie Rehabilitation in the Ukraine, op. cit., p. 77-78 ; Id., Economie Rehabilitation in Byelorussia, op. cit., p. 53–54.Google Scholar
31- Johnston, Timothy, Being Soviet: Identity, Rumour, and Everyday Life under Stalin, 1939-1953, Oxford, Oxford University Press, 2011, p. 95–97 CrossRefGoogle Scholar, qui néglige cependant l'omniprésence des zagranicnye podarki dans les rapports soviétiques des années 1940 l'aide envoyée par l'UNRRA en équivalent dollars US, venaient ensuite le matériel pour la reconstruction industrielle (29 et 28 %), l'aide en vêtements, textiles, chaussures (11, 5et 9%), le matériel pour la reconstruction agricole (9%) et le matériel médical (1, 6 et1, 3%), G. WOODBRIDGE (éd.), UNRRA…, op. cit., vol. 2, p. 250.
32- GARF, f. 9501, op. 5, d. 315, 1. 2-2v.
33- « Nous autres détenus, nous avions entendu parler de ces cadeaux d'outre-mer qui avaient jeté le trouble dans les sentiments des autorités du camp […]. Dans les listes, on désignait ces merveilles en laine sous l'appellation ‘seconde main', ce qui était bien plus expressif, on le comprend, que ‘usagés’ ou d'obscures initiales telles que é/u (été utilisé) qui ne sont compréhensibles que pour un homme de camp », Chalamov, Varlam, « Prêt-bail », Récits de la Kolyma, Lagrasse, Verdier, 2003, p. 506.Google Scholar
34- Sovetskaja zizn', 1945-1953, Moscou, ROSSPÈN, 2003, p. 83-88. Apparemment, les détenus du Goulag étaient aussi conscients d'être victimes de la rapacité des dirigeants locaux : « Les tailleurs en tricot usé, les pull-overs et les jumpers de seconde main collectés de l'autre côté de l'océan pour les détenus de la Kolyma avaient été raflés par les femmes de généraux de Magadan qui avaient failli en venir aux mains», V. CHALAMOV, « Prêt-bail », op. cit., p. 507.
35- Archives d'État de Russie de l'histoire sociale et politique (Rossijskij gosudarstvennyj arhiv social'no-politiceskoj istorii, ci-après RGASPI), f. 17, op. 122, d. 139, 1. 83-92.
36- Sur l'absence de reconnaissance par l'historiographie russe et, plus généralement, de la société russe à propos du comportement des soldats de l'Armée rouge en Allemagne, voir Oleg BUDNITSKII, « The Intelligentsia Meets the Enemy: Educated Soviet Officers in Defeated Germany, 1945» Kritika: Explorations in Russian and Eurasian History, 10-3, 2009, p. 629-682, p. 635 sq.
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38- Voir la lettre d'un soldat de l'Armée rouge, ancien kolkhozien arrivé en Prusse orientale: «Ils ont pris le bétail des meilleures fermes d'Europe. Leurs moutons sont les meilleurs mérinos russes, et leurs boutiques croulent sous les marchandises de tous les magasins et usines d'Europe. Dans un proche avenir, ces marchandises apparaîtront dans les boutiques russes et ce seront nos trophées », Merridale, Catherine, Les guerriers du froid. Vie et mort des soldats de l' Armée rouge, 1939-1945, Paris, Fayard, [2006] 2012, p. 345.Google Scholar
39- RGVA, f. 32900, op. 1, d. 458, 1. 42-42v, 94-95, 98 et 112-116.
40- Budnitskii, O., «The Intelligentsia Meets the Enemy… », art. cit., p. 633.Google Scholar
41- «Aucun scrupule n'était de mise. Aujourd'hui encore, les anciens combattants en parlent sans la moindre gêne, comme s'ils décrivaient un vide-greniers (sic) particulièrement intéressant. Obtenir ce qu'il y avait de mieux prouvait qu'on était débrouillard, qu'on se souciait de sa famille et qu'on était capable de faire face au nouveau monstre, le capitalisme », Merridale, C., Les guerriers du froid…, op. cit., p. 370.Google Scholar
42- La retouche dont fit l'objet la célèbre photo d'Evgueni Khaldei montrant un soldat de l'Armée rouge parvenu au sommet du Reichstag, dont le bras tenant le drapeau soviétique était initialement orné de plusieurs montres, ne va pas à l'encontre de cette idée de tolérance mais montre au contraire combien cette pratique était suffisamment répandue pour que Khaldei, ayant choisi son modèle, ne s'aperçoive qu'après coup de c e déta;i.
43- Sortant de la cave où elle s'est réfugiée à l'arrivée des Russes, une Berlinoise décrit ainsi une de ses premières visions de l'envahisseur, avant d'être victime de viols répétés quelques heures plus tard : « Sur la chaussée, des Russes ont enfourché des bicyclettes fraîchement volées. Ils s'apprennent mutuellement à rouler, se tiennent aussi raides sur leur selle que Susi, la femelle chimpanzé du zoo, et vont heurter des arbres, puis pouffent de rire comme des enfants », Une femme à Berlin. Journal, 20 avril-22 juin 1945, [2002] 2006. L'auteure de ce journal se plaît à souligner cette ambivalence. Voir également le récit autobiographique de Märai, Sândor sur les débuts de l'occupation soviétique en Hongrie, Mémoires de Hongrie, Paris, Albin Michel, [1972] 2004 Google Scholar, et roman, son Libération, écrit à la fin du siège de Budapest mais publié à titre posthume, Paris, Albin Michel, [2000] 2007.Google Scholar
44- Gelfand, Wladimir, Deutschland-Tagebuch, 1945-1946. Aufzeichnungen eines Rotarmisten, Berlin, Aufbau-Verlag, 2005, p. 78–82.Google Scholar Ce genre de scène est devenu un topos dans la description du bon Soviétique à l'égard d'une gent féminine allemande devenue peu farouche.
45- Les premiers appareils photos soviétiques étaient aussi rares que mythiques, puisque produits dans la colonie modèle pour orphelins (besprizorniki) baptisée Félix Dzerjinski. Les Fed-1 apparurent en 1934 et furent produits à raison d'un pour 500 habitants en 1937. Le matériel photographique était tout aussi déficitaire et coûteux, rendant la pratique amateur particulièrement limitée avant les années 1950, Narskij, I., Fotokartocka na pamjaf: semejnye istorii, fotograficeskie poslanija i sovetskoe detstvo (avtobio-istoriograficeskij roman), Tcheliabinsk, Enciklopedija, 2008, p. 317–318.Google Scholar
46- Fait révélateur du regard de la société russe contemporaine, y compris son intelligentsia, sur cet aspect de la guerre, la première photographie de groupe des trois enfants héros d'un roman récent est prise par un vieux médecin militaire patriote, détenteurd'un « superbe appareil-photo trophée », qui fait montre en privé de délicieuses manières prérévolutionnaires, Ulickaja, Ljudmila, Zelenyj safer, Moscou, Èksmo, 2011, p. 22–25.Google Scholar
47- Gelfand, W., Deutschland-Tagebuch…, op. cit., p. 205, 14 janv. 1946.Google Scholar
48- Ibid., p. 267, 22 mai 1946, et p. 302, 27 août 1946. Paradoxalement, c'est sans doute en mai 1946, au cours de sa fréquentation d'une famille polonaise cultivée originaire des régions annexées par l'URSS, qu'il fait cet apprentissage, ibid., p. 308, 11 sept. 1946.
49- Gelfand, W., Deutschland-Tagebuch…, op. cit., p. 306, 6 sept. 1946, et p. 308Google Scholar, 7 sept. 1946. Ces photographies d'occupation font écho à la pratique mieux connue, et sans doute beaucoup plus répandue, des soldats allemands en territoire occupé, photographiant aussi bien des jeunes filles que des scènes d'atrocités. Pourtant, il ne semble pas, à lire son journal, que W. Gelfand ait cherché à photographier les traces de la guerre.
50- Ibid., p. 269, lettre à sa mère du 27 mai 1946. Sans doute W. Gelfand avait-il des prédispositions : il se fait assidûment tirer le portrait chez des professionnels, envoie nombre de ses clichés à sa mère et à ses autres correspondantes. De même, il tapisse les murs de sa chambre en Allemagne de photos achetées ou récupérées.
51- Outre des vêtements utilitaires, la mère de W. Gelfand lui passe commande d'un récepteur radio, ibid., p. 181, lettre du 15 nov. 1945.
52- Knysewskij, Pawel N., Moskaus Beute. Wie Vermögen, Kulturgüter und Intelligenz nach 1945aus Deutschland geraubt wurden, Munich, Olzog Verlag, 1995.Google Scholar
53- Budnitskii, O., «The Intelligentsia Meets the Enemy…», art. cit., p. 655.Google Scholar Sur la frénésie d'envoi de colis de la part des Allemands sous l'occupation, y compris depuis l'URSS et singulièrement l'Ukraine, voir Götz ALY, Comment Hitler a acheté les Allemands. Le III’ Reich, une dictature au service du peuple, Paris, Flammarion, 1995.
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55- Gelfand, W., Deutschland-Tagebuch…, op. cit., p. 180 Google Scholar, lettre à W. Gelfand de sa mère du 15 novembre 1945, où elle lui demande de ne plus adresser de courrier sur son lieu de travail, surtout quand il s'agit de colis.
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61- Gelfand, W., Deutschland-Tagebuch…, op. cit., p. 218 Google Scholar, lettre à sa mère du 26 janv. 1946: achat d'un «bon» récepteur à cinq lampes Röhren pour 4 000 marks; p. 280, 23 juin 1946 : un poste radio évalué à 2 000 marks qu'il échange contre deux costumes ; p зоо; a t testation du 28 août 1946.
62- Vaissié, Cécile, Russie: une femme en dissidence. Larissa Bogoraz, Paris, Pion, 2000, p. 39.Google Scholar
63- Valérie POZNER, « Le sort des films trophées saisis par les Soviétiques au cours de la Seconde Guerre mondiale », in Sumpf, A. et Laniol, V. (dir.), Saisies, spoliations et restitutions…, op. cit., p. 147–164.Google Scholar
64- Fürst, Juliane, Stalin's Last Generation: Soviet Post-War Youth and the Emergence of Mature Socialism, Oxford, Oxford University Press, 2010, notamment p. 200–249.CrossRefGoogle Scholar
65- Edele, M., Soviet Veterans of the Second World War…, op. cit., p. 91.Google Scholar
66- GARF, f. 5446, op. 49a, d. 467, 1. 12–18. Sur la politique de réparations, voir Fisch, Jörg, Reparationen nach dem Zwaten Weltkrieg, Munich, С. H. Beck, 1992.Google Scholar
67- GARF, f. 5446, op. 49a, d. 2848, 1. 1–3, je remercie Juliette Cadiot pour m'avoir signalé ce dossier. Sur la participation des responsables du commerce d'État au marché noir comme figure invariante du fonctionnement de l'économie soviétique, Kondratieva, voir Tamara, « Les personnes matériellement responsables sous le régime de propriété socialiste », in T. Kondratieva (Un.), Les Soviétiques. Unpouvoir, des régimes, Paris, Les Belles Lettres, 2011, p. 113–130.CrossRefGoogle Scholar
68- Sur l'implication personnelle de Staline dans la diminution du pouvoir de Ponomarenko à la tête de la Biélorussie à travers la nomination de Goussarov un an plus tôt, le 27 février 1947, Hlevnjuk, voir Oleg V. et al., Politbjuro CK VKP(b) i Sovet ministrov SSSR, 1945-1953, Moscou, ROSSPÈN, 2002, p. 47, n. 1.Google Scholar
69- Les dirigeants biélorusses sont également dénoncés pour leur détournement des ressources publiques afin de se faire construire des maisons particulières, démontrant ainsi le même désintérêt pour le malheur de leurs administrés, dont beaucoup sont forcés de vivre dans des huttes sous terre, et le même appât du gain, certains les louant ou les revendant à des prix « spéculatifs ».
70- GARF, f. 8131, op. 37, d. 3187, 1. 17, rapport du parquet de la région de Nikolaev (actuelle Mykolaïv), avril 1946.
71- Sur cette « guerre des services », voir Nikita PETROV, Pervyjpredsedatel’ KGB Ivan Serov, Moscou, Materik, 2005. Sauf mention, toutes les informations concernant cette affaire proviennent de cet ouvrage.
72- Pour se défendre, Serov accusa à son tour Abakoumov de s'être fait livrer à Moscou vingt wagons de butin alors que la guerre battait encore son plein, et affréter un avion chargé de biens trophées en direction d'une Crimée à peine libérée. Pourtant moins haut placé, Sidnev avoua l'utilisation des avions de la SVAG ou celui de Serov pour transporter ses abondantes prises et en meubler son appartement de Leningrad. Voir aussi l'utilisation répétée des avions des lignes régulières biélorusses ainsi que de l'avion personnel de Ponomarenko pour rapporter à Minsk plusieurs tonnes de tapis et autres biens précieux, RGASPI, f. 17, op. 122, d. 308, 1. 92.
73- Akinsha, Konstantin et Kozlov, Grigorii, Beautiful Loot: The Soviet Plunder of Europe's Art Treasures, New York, Random House, 1995 Google Scholar; P. N. KNYSEWSKIJ, Moskaus Beute…, op. cit. ; Margarita S. ZlNIC, Pohiscennye sokrovisca: vyvoz nacistami rossijskih kul'turnyh tsennostej, Moscou, In-t rossijskoj istorii RAN, 2003.
74- GARF, f. 5446, op. 49a, d. 243, 1. 38-39 et 51.
75- En revanche, trois personnes arrêtées dans le cadre de la même affaire sont relaxées lors de leur procès en octobre 1951, après plus de trois ans et demi de détention qui avaient conduit l'un d'entre eux dans les services psychiatriques de la prison.
74- GARF, f. 5446, op. 49a, d. 243, 1. 38-39 et 51.
75- En revanche, trois personnes arrêtées dans le cadre de la même affaire sont relaxées lors de leur procès en octobre 1951, après plus de trois ans et demi de détention qui avaient conduit l'un d'entre eux dans les services psychiatriques de la prison.
77- Osokina, Elena, Zoloto dlja industrializacii: « TORGSIN», Moscou, ROSSPÈN, 2009, notamment p. 83–102 et 118-146.Google Scholar
78- « Exactement une minute plus tard un coup de pistolet claqua : les glaces disparurent, les vitrines et les tabourets s'évanouirent, le tapis se dissipa dans l'air, ainsi que le rideau. Le dernier à disparaître fut l'énorme tas de vieilles robes et de vieux souliers, et la scène redevint austère, vide et nue », Boulgakov, Mikhaïl, Le maître et Marguerite, trad, par С Ligny, Paris, R. Laffont, [1968] 2012, p. 242.Google Scholar
79- Ibid., p. 291-305.
80- Beaucoup des inventaires que nous analysons ici ont été rédigés par des personnes évacuées au début de la guerre vers l'Oural ou l'Asie centrale. Le rapport particulier que ces personnes pouvaient entretenir avec leurs biens tient à plusieurs raisons. Ayant laissé derrière elles l'essentiel de leurs biens, elles ne pouvaient qu'imaginer le pire, à savoir leur disparition dans leur intégralité, et pas seulement du fait de l'ennemi. La question de l'inventaire et de la conservation des biens propres laissés par les évacués avait donné lieu dès le début de la guerre à une série de décrets pour les protéger de tout accaparement par des voisins indélicats, GARF, f. 5446, op. 43a, d. 6328. Dans la réalité, la situation était bien plus confuse. Les évacués appartenaient pour beaucoup à l'élite soviétique, et parmi elle les personnes d'origine juive pouvaient doublement s'inquiéter du sort de leur patrimoine. Sur le profil social des évacués et leur expérience de la guerre, voir Manley, Rebecca, To the Tashkent Station: Evacuation and Survival in the Soviet Union at War, Ithaca, Cornell University Press, 2009.Google Scholar
81- Moine, Nathalie, « La commission d'enquête soviétique sur les crimes de guerre nazis : entre reconquête du territoire, écriture du récit de la guerre et usages justiciers », Le Mouvement social, 222-1, 2008, p. 81–109.CrossRefGoogle Scholar
82- Vaissié, C., Russie: une femme en dissidence…, op. cit., p. 61–62.Google Scholar
83- « Si l'on néglige quatre-vingt-dix millions de paysans qui préfèrent aux chaises les bancs de bois ou de terre et les poutres de soutènement des toits et - à l'est - les tapis et carpettes usés, il n'en reste pas moins de cinquante-trois millions d'hommes qui considèrent les chaises comme des objets de première nécessité », Ilia ILF et Petrov, Ievgeni, Les douze chaises, trad, par A. Préchac, Paris, Parangon, [1929] 2002, p. 148.Google Scholar
84- Grossman, Vassili, Vie et destin, in OEuvres, Paris, R. Laffont, 2006, p. 58–59.Google Scholar
85- Le salaire moyen d'un ouvrier dans les années 1930 est de 300 roubles.
86- GARF, f. 7021, op. 28, d. 68, acte 133. Bien évidemment, l'évaluation au prix du marché au moment de l'établissement de l'acte par les commissions fausse considérablement la perspective : le manteau a probablement été acheté à un prix beaucoup plus bas, en fonction du moment et surtout du mode d'acquisition. Voir Nathalie MOINE, « Évaluer les pertes matérielles des civils pendant la Seconde Guerre mondiale en URSS : vers la légitimation de la propriété privée ? », Histoire et Mesure (à paraître).
87- Parmi une abondante littérature sur ce point, voir Catriona KELLY et Vadim VOLKOV, « Directed Desires: Kul'turnosf and Consumption », in Kelly, C. et Shepherd, D. (éd.), Constructing Russian Culturein the Age of Revolution, 1881-1940, Oxford, Oxford University Press, 1998, p. 291–313.Google Scholar
88- Rappelons que les actes n'indiquent que très rarement la profession des sinistrés
89- GARF, f. 7021, op. 28, d. 68, acte 121.
90- GARF, f. 7021, op. 28, d. 31, 1. 142.
92- Sur le culte officiel dédié à Pouchkine, notamment lors de son jubilé de 1937, Platt, voir Kevin M. F. et Brandenberger, David (éd.), Epic Revisionism: Russian History and Literature as Stalinist Propaganda, Madison, University of Wisconsin Press, 2005.Google Scholar
93- On retrouve cet auteur parmi le viatique qu'emporte avec elle la mère de Strum lors de son entrée dans le ghetto de Berditchev. Il est constitué pour l'essentiel des livres qui lui sont les plus chers, aux côtés de photographies, de lettres et du strict nécessaire pour dormir, se nourrir et continuer à exercer sa profession de médecin. Sa description sert à rattacher Anna Semenovna à une intelligentsia de culture russe qui a une connaissance intime des auteurs de langue russe du XIXe siècle, mais fréquente aussi une certaine littérature française (elle donnera encore quelques leçons de français dans le ghetto), alors que la plèbe ukrainienne lui rappelle « ce qu‘[elle] avai[t] eu le temps d'oublier pendant des années de pouvoir soviétique: [elle] étai[t] une juive». V. GROSSMAN, Vie et destin…, op. cit., p. 59. On peut imaginer que le même type d'autoreprésentation fonctionne dans ces listes un peu sèches d'ouvrages. Cependant, à l'inverse d'Anna Semenovna, représentante d'une intelligentsia qui méprise les possessions matérielles, les sinistrés inscrivent ces références culturelles dans un type de confort matériel qui leur était sans doute tout aussi signifiant, au delà des enjeux de possibles compensations financières.
94- II s'agit de « Un matin dans une forêt de pins » du peintre Ivan Ivanovitch Chichkine (1832-1898), exposé à la galerie Tretiakov de Moscou et reproduit d'innombrables fois jusqu'à nos jours, notamment sur les boîtes de chocolat sortant de la célèbre fabrique « Krasnyi Oktiabr ».
95- 1 . ILF et I. PETROV, Les douze chaises, op. cit.
96- Dans le roman d'I. Ilf et I. Petrov, les douze chaises ont appartenu à un certain Vorobianinov, maréchal de la noblesse reconverti en employé de l'État civil après la révolution. Apprenant que l'une d'entre elles contenait un trésor inestimable, point de départ de l'intrigue du roman, il se remémore le salon disparu de son ancienne demeure provinciale : « II revoyait distinctement le salon de son hôtel particulier, la disposition symétrique des meubles de noyer aux pieds galbés, le parquet ciré, brillant comme un miroir, le vieux piano à queue marron et, aux murs, les daguerréotypes des plus illustres de ses aïeux, dans leurs petits cadres ovales noirs », I. ILF et Petrov, I., Les douze chaises, op. cit., p. 26.Google Scholar Souvenirs éculés pour les deux satiristes, cette nostalgie ne devait pourtant pas paraître si ridicule aux yeux de certains de leurs lecteurs.
97- La reconceptualisation ambitieuse des modes de vie des années 1920, restée très théorique mais pour laquelle chaque détail comptait, alla jusqu'à dénoncer, par exemple, la production de services à thé pour un nombre déterminé de convives (six ou douze selon les conventions), qui tendait à conserver un mode de sociabilité tourné vers l'espace domestique privé, plutôt que de promouvoir la fréquentation exclusive de l'espace collectif de la cantine. V. S., «Oformlenie byta. Proizvodstvennye organizacii ne raskacalis’ », Iskusstvo v massy, 4, 1930, p. 22-23, cité Kettering, dans Karen, « ‘Ever More Cosy and Comfortable': Stalinism and the Soviet Domestic Interior, 1928-1938 », Journal of Design History, 10-2, 1997, p. 119-135, ici p. 126.CrossRefGoogle Scholar Le fait qu'Evdokia Samoïlovna affiche un service à thé, à la fois d'une matière de prix mais aussi destiné à un grand nombre de convives, montre combien les prescriptions avaient un effet limité, mais aussi comment le contexte de la guerre a permis une inversion des valeurs en matière de possession matérielle.
98- GARF, f. 7021, op. 100, d. 71, acte 184. Lorsqu'elle rédige sa déclaration, E. Iantovskaïa vit dans une baraque à Tchirtchik, une ville nouvelle d'Ouzbékistan, à une trentaine de kilomètres de Tachkent, séparée de son mari perdu de vue depuis la première étape de l'évacuation, dans l'Oural. Comme tant d'autres évacués, son niveau de vie a chuté, même si elle déclare toucher 1 200 roubles par mois. Sa lettre est marquée par un virulent patriotisme soviétique « antiboche », mais sa motivation principale tient sans doute à sa volonté farouche de se faire indemniser, jusqu'à insérer dans l'inventaire, entre couverts et casseroles, six dents en or et six couronnes. Il ne faut pas se laisser surprendre, de manière anachronique, par cette dernière indication, donnée qui plus est par une évacuée de nationalité juive. La valeur marchande des dents en or n'est en effet pas une découverte des profanateurs de cadavres. En cas de besoin, une personne pouvait envisager de se les faire arracher et de les revendre, ou de les échanger contre du pain et d'autres produits de première nécessité, voir « Svershilos'. Prishli nemtsy! » Ideinyi kollaboratsionizm v SSSR v period Velikoi Otechestvennoi voiny, Moscou, ROSSPÈN, 2012, p. 98 (respectivement 26 novembre et 2 décembre 1941).
99- L'indication de mobilier d'enfant est extrêmement rare dans les inventaires. Un évacué de Kharkov, Iakov Moïseievitch Gourevitch, mentionne un divan pour enfant, une petite table et trois chaises pour ses deux filles. Il appartient à un milieu aisé tourné vers la modernité en divers domaines : un piano de prix côtoie une collection de 200 disques et des objets domestiques électriques (four, plaques de cuisine, fer à repasser…), GARF, f. 7021, op. 100, d. 53, acte 171. Les jouets sont également à peu près absents des inventaires. Dmitri Nikolaevitch Golovastikov, ingénieur dans une usine de construction de machines à Voronej, présente un profil un peu semblable : 250 disques, un appareil radio, des lectures fort sérieuses (technique, politique, un peu de littérature), mais aussi deux poupées de porcelaine aux yeux qui se ferment, deux « Ded moroz » et même une guirlande électrique pour sapin de Noël, ce qui n'a rien d'anodin puisque ces derniers ne sont de nouveau autorisés qu'à partir de 1936, GARF, f. 7021, op. 100, d. 71, acte 194. On rencontre un peu plus souvent des vélos pour enfants. Sur la rareté des jouets dans l'URSS stalinienne, Catriona, voir Kelly, Children's ‘World: Growing Up Russia, 1890-1991, New Haven, Yale University Press, 2007.Google Scholar
100- GARF, f. 7021, op. 100, d. 53, acte 158.
101- GARF, f. 7021, op. 100, d. 71, acte 166. 102-GARF, f. 7021, op. 100, d. 71, acte 194.
103- GARF, f. 7021, op. 28, d. 31, 1. 20. Ivan Konstantinovitch Aïvazovski (1817–1900), grand amateur de marines, peintre romantique russe tout aussi populaire avant la révolution que dans les années 1930 ; il est par exemple cité parmi les peintres dont les oeuvres reproduites embellissent au mieux un intérieur soviétique, pour peu que l'amateur fasse l'acquisition d'une reproduction de qualité telle qu'en édite à l'époque IZOGIZ, dans un article de la fin des années 1930 caractéristique des leçons de bon goût extrêmement rigides prescrites dans la revue et destinées aux femmes de la classe moyenne soviétique, Kravcenko, K., « O kartinah i reprodukcijah », Obscestvennica, 15, 1937, p. 17–19 Google Scholar; Arkhip Ivanovitch Kouindji, paysagiste russe, 1842-1910.
104- De son côté, l'État soviétique ne semble pas avoir jamais envisagé d'inclure dans la liste des oeuvres d'art prises par l'ennemi, et susceptibles d'être restituées ou compensées, autre chose que les oeuvres en provenance des musées et autres institutions publiques. Akinsha, Voir Konstantin, « Stalin's Decrees and Soviet Trophy Brigades: Compensation, Restitution in Kind, or ‘Trophies’ of War?», International Journal of Cultural Property, 17-2, 2010, p. 195–216.CrossRefGoogle Scholar
105- Sans doute est-il encore trop tôt pour que ces Soviétiques ordinaires aient pris la mesure du tournant opéré par le Kremlin en matière religieuse, Chumachenko, Tatiana A., Church and State in Soviet Russia: Russian Orthodoxy from World War II to the Krushchev Years, éd. et trad, par E. E. Roslof, Armonk, M. E. Sharp, 2002.Google Scholar
106- GARF, f. 7021, op. 100, d. 53, acte 243.
107- « Quel mobilier voulez-vous ? Celui du commerçant Anguélov, marchand de première guilde ? s'i-i-i-il vous plaît. [… ] », Saisi chez Anguélov, le 18 décembre 1918 : un piano à queue Becker n” 97012, avec son tabouret capitonné ; bureaux, deux ; garde-robes, quatre, dont deux en acajou ; chiffonier, un… etc. […] « Nous avons aussi une lettre V […] Tout de suite, Vm, Vn, Voritski, n° 48238. Vorobianinov Hippolyte Matveievitch, votre Papa, dieu ait son âme, était un homme au grand coeur… » Piano à queue Becker n” 54809; vases chinois de la manufacture française de Sèvres, quatre ; tapisserie d'Aubusson, huit, de dimensions variées ; tapisseries des Gobelins, deux : Bergère et Berger ; tapis turkmènes, deux, et de Khorossan, un ; ours empaillé avec son plat, un ; chambre à coucher complète, douze pièces ; salle à manger, seize pièces ; salon, quatorze pièces en noyer, signées Gambs, I. ILF et Petrov, I., Les douze chaises, op. cit., p. 106–107.Google Scholar
108- Sur les pratiques de saisie de mobilier au lendemain de la révolution, voir l'admirable reconstitution menée par Larissa ZAKHAROVA pour un immeuble cossu de Petrograd, « Le 26-28 Kamennoostrovski. Les tribulations d'un immeuble en révolution », in Meaux, L. de (dir.), Saint-Pétersbourg. Histoire, promenades, anthologie et dictionnaire, Paris, R. Laffont, 2003, p. 473–505.Google Scholar
109- Aux récits et témoignages s'ajoutent des clichés célèbres sur lesquels figurent les représentants des anciennes élites, se tenant debout sur un trottoir dans l'attente du chaland, contraints de se défaire de leurs derniers biens pendant la guerre civile pour se procurer le minimum vital.
110- Le directeur de l'asile de vieillards pour lequel avait été attribuée une des douze chaises la revend ainsi à un des personnages du roman qui se fait passer pour un perekoupchtchik, c'est-à-dire, aux yeux de la législation soviétique, un spéculateur servant d'intermédiaire en achetant illégalement un bien, qu'il fût ou non propriété d'État, pour le revendre à un client et empocher la différence, I. ILF et I. PETROV, Les douze chaises, op. cit., p. 84.
111- Le roman nous fait connaître le destin d'un autre lot de chaises de Gambs, recher- chées par erreur par un pope cupide : saisies chez une femme de général de Stargorod, elles ont été attribuées à un particulier, le « camarade Brouns, ingénieur », qui quitte la ville en 1923 pour Kharkov, emportant tout son mobilier « auquel il semblait tenir beaucoup », puis Rostov où il met sa « haute qualification » au service d'une grande cimenterie, avant d'être demandé par les raffineries de Bakou, le mobilier de la générale ornant désormais sa confortable datcha, noyée dans la végétation tropicale d'une colline surplombant Batoumi, faisant de Brouns un avatar des élites coloniales, ibid., p. 110, 183, 246 et 341-345.
112- Ce qui n'empêche pas le régisseur du théâtre en question d'en faire commerce en les revendant clandestinement à des particuliers, ici les héros en quête désespérée du lot, ibid., p. 169, 196-200 et 334.
113- La version russe de l'article de L. ZAKHAROVA, « Le 26-28 Kamennoostrovski… », art. cit., s'intitule également « Les douze chaises », tant le roman, et donc sa morale, sont indissociablement liés dans les consciences soviétiques et post-soviétiques, dès l'époque de sa parution et jusqu'à nos jours, au sort des biens des anciennes élites tsarsistes.
114- « Tout est là ! Tout Stargorod ! Tout le mobilier ! Saisi chez Untel, à telle date, donné à Untel, le tant. Et voici le registre alphabétique, véritable miroir de la vie. […] Tout est là, toute la ville. Pianos, fauteuils, ottomanes, poufs, canapés, lustres, miroirs… Nous avons même la vaisselle », I. ILF et Petrov, I., Les douze chaises, op. cit., p. 10 Google Scholar
115- Cette disparition est évidemment d'une rapidité variable selon les milieux, l'âge, etc. La nostalgie qui se développe pour le monde matériel soviétique est loin d'interrompre cette disparition, tant elle participe d'un mode de commercialisation occidentale.
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Translation available: Of Loss and Loot: Stalin-Era Culture, Foreign Aid, and Trophy Goods in the Soviet Union during the 1940s*