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Ghislain Otis, Jean Leclair et Sophie Thériault. La vie du pluralisme juridique. Paris: Librairie générale de droit et de jurisprudence, coll. Droit et Société – Recherches et Travaux, 2022, 280 pp.

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Ghislain Otis, Jean Leclair et Sophie Thériault. La vie du pluralisme juridique. Paris: Librairie générale de droit et de jurisprudence, coll. Droit et Société – Recherches et Travaux, 2022, 280 pp.

Published online by Cambridge University Press:  09 October 2024

Yan Sénéchal*
Affiliation:
Département de sociologie, Université de Montréal, Canada Email: [email protected]
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Abstract

Type
Book Review / Compte rendu
Creative Commons
Creative Common License - CCCreative Common License - BY
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© The Author(s), 2024. Published by Cambridge University Press on behalf of Canadian Law and Society Association/ Association Canadienne Droit et Société

La vie du pluralisme juridique est susceptible d’attirer l’attention des personnes qui s’intéressent à l’ontologie, à l’épistémologie et à la théorie du droit.

Ce remarquable ouvrage, publié chez « Droit et Société », est issu de l’imposante recherche partenariale États et cultures juridiques autochtones : un droit en quête de légitimité. Dirigé par le professeur Ghislain Otis, et ayant donné lieu à plusieurs publicationsFootnote 1, le projet Legitimus a rassemblé des chercheurs qui ont mené des enquêtes pluridisciplinaires, autour de trois thématiques prioritaires (la famille, le territoire et la justice), en Afrique, au Canada, en Europe centrale et dans le Pacifique Sud.

Un comité « intégrateur » a procédé à l’analyse comparative des données recueillies. Sa première restitution cartographiait les normativités juridiques présentes dans les régions étudiéesFootnote 2. Cette seconde synthèse interroge les interactions entre les univers autochtones et étatiques. Le comité a adopté une conception « conventionnaliste » qui s’inscrit dans l’horizon du « pluralisme juridique » : la réalité du droit est tributaire de sa définition par les sociétaires et son existence est irréductible à celle de l’État. L’étude empirique de la pluralité des formes de juridicité est opérationnalisée par le concept de « système juridique » qui désigne « un faisceau articulé, solidaire et interactif de valeurs, de principes, de règles, ainsi que de processus et d’acteurs qui concourent à la régulation des collectifs et au traitement des conflits en leur sein » (p. 20). Par-là s’éclaire l’acception proposée du pluralisme juridique, à savoir « une situation précise de pluralité normative caractérisée par l’application autonome et simultanée dans un même espace, à l’égard de la même situation et des mêmes personnes, d’un système juridique étatique et d’au moins un système juridique non étatique » (p. 8). La « gestion » de telles situations, c’est-à-dire l’adoption de mesures pour régler les conséquences qu’elles induisent, se révèle être le véritable objet de la recherche.

L’ouvrage propose un panorama des procédés, des paramètres et des effets de la gestion du pluralisme juridique. Dans la première partie, Ghislain Otis et Sophie Thériault construisent une typologie de ces « procédés », c’est-à-dire des « moyens » et des « actions » grâce auxquels un système juridique tient compte de la présence d’un autre système juridique. La gestion par « articulation », soit par « réception » ou par « retrait », désigne le fait pour un « système gestionnaire » de reconnaître les effets juridiques qui découlent de l’existence d’un « système de référence ». La gestion par « adaptation » rend compte des transformations opérées par un système gestionnaire, par « imitation » ou par « modulation », qui admet l’existence d’un système de référence auquel aucune validité juridique n’est cependant accordée. À ces deux types de procédés s’ajoute celui de la « non-gestion », observable dans les situations où un système juridique « ignore » un autre système juridique en faisant preuve d’« indifférence » à son égard.

Jean Leclerc analyse, dans la deuxième partie, les « paramètres » de la gestion du pluralisme juridique. Il détermine les causes qui influencent la mobilisation des procédés, en mettant l’accent sur les « opérateurs » de ces procédés dans les systèmes juridiques, ainsi que sur les « individus » qui relèvent de ces systèmes. Ces acteurs du pluralisme juridique disposent d’une marge de manœuvre relative, liée au contexte dans lequel ils évoluent (« mutabilité »), à la représentation qu’ils se font des systèmes auxquels ils sont confrontés (« cognition ») et à l’autorité dont sont investis ces systèmes (« capacité »). La « vitalité » des systèmes s’avère le facteur déterminant pour expliquer les agissements des acteurs en situation de pluralisme juridique, « selon que les systèmes juridiques étatiques ou non étatiques en présence sont forts ou faibles » (p. 167).

Les « effets » des procédés de gestion sur les systèmes et sur les individus sont examinés par Ghislain Otis dans la troisième partie. Ils varient en fonction des procédés retenus. Par exemple, la « réception par articulation » pourra causer une complexification juridique dans un système et une diversification des options juridiques pour un individu. La « non-gestion » du pluralisme juridique engendre également des effets, à commencer par une « relativisation » de la qualification juridique de la réalité.

Ce livre, qui aurait pu s’intituler plus justement La gestion de la pluralité juridique entre les sociétés autochtones et allochtones : procédés, paramètres et effets Footnote 3, constitue une contribution majeure au paradigme du pluralisme juridique.

L’important travail théorique entamé par les trois juristes pour éclairer les données empiriques recueillies mérite d’être souligné. Il sera intéressant de suivre l’éventuelle mise à l’épreuve de leur cadre analytique par d’autres chercheurs. En même temps, il faudrait poursuivre l’effort de théorisation, plusieurs notions concomitantes étant utilisées sans égard aux conceptions qu’elles supposent (pouvoir, gouvernance, régulation, ordre juridique, internormativité, effectivité, etc.).

L’ouvrage trace la voie à la conduite de nouvelles enquêtes portant sur d’autres sociétés allochtones et autochtones afin d’élargir la validité des analyses proposées. Les systèmes juridiques religieux représentent en outre une piste à explorer pour tester la portée heuristique de la recherche.

En définitive, cet ouvrage pourrait servir de modèle pour l’analyse et la mobilisation des connaissances produites dans le cadre de projets de recherche de grande ampleur.

References

1 Ghislain Otis, Voir notamment (dir.), La rencontre des systèmes juridiques autochtones et étatiques : confrontation ou coopération? / The Intersection of Indigenous Laws and State Law: Confrontation or Cooperation? (Québec : Presses de l’Université Laval, 2019)Google Scholar.

2 Otis, Ghislain (dir.), Contributions à l’étude des systèmes juridiques autochtones et coutumiers (Québec : Presses de l’Université Laval, 2018)CrossRefGoogle Scholar.

3 Le titre de la même publication traduite en langue anglaise s’en approche : Otis, Ghislain, Leclair, Jean, and Thériault, Sophie, Applied Legal Pluralism: Processes, Driving Forces and Effects (Londres : Routledge, 2023)Google Scholar.