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Résumés / Abstracts

Published online by Cambridge University Press:  25 January 2021

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Abstract

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Résumés / Abstracts
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© Éditions de l’EHESS

Zoltán Biedermann

Le jardin aux cartes qui bifurquent

La mer Caspienne vue de Venise et de Goa au xvie siècle

Cet article compare les représentations cartographiques de la région caspienne produites vers 1560 à Goa et à Venise, en faisant aussi référence à d’autres centres de cartographie tels que Lisbonne, Séville et Anvers. Il explore les logiques scientifiques, culturelles, techniques et commerciales qui ont conduit à des cartographies profondément dissemblables de la mer Caspienne et de ses environs dans différents lieux de production de cartes à la même époque. Il examine également les contrastes entre les cartographies maritime et terrestre à la Renaissance ainsi que les langages cartographiques associés à chacun de ces modes cartographiques. L’habitus des cartographes maritimes de Goa, Lisbonne et Séville différait profondément de celui des cartographes d’Italie, en particulier vénitiens, qui visaient une intégration de toutes les données disponibles dans le cadre d’une tradition de commentaires sur Ptolémée et entendaient produire des cartes imprimées hautement désirables pour un public de consommateurs de plus en plus nombreux. L’article propose ainsi une approche comparative des cartes tout en critiquant l’hypothèse selon laquelle les connaissances « circulent » entre les régions. Il défend une « histoire (dis)connectée » de la production et de la consommation des connaissances, éclairant des facteurs rarement étudiés qui furent à l’origine de la révolution de l’imprimerie cartographique.

In a Garden of Forking Maps: Mapping the Caspian in Sixteenth-Century Goa and Venice

This article compares the cartographic representations of the Caspian region produced around 1560 in Goa and Venice, with references to other centers of mapmaking such as Lisbon, Seville, and Antwerp. It explores the scientific, cultural, technical, and commercial logics that led to profoundly dissimilar cartographies of the Caspian and its surroundings in different centers of map production around the same time. It asks questions about the contrasts between maritime and terrestrial cartography in the Renaissance, and the cartographical languages associated with each of these cartographical modes. The habitus of maritime cartographers in Goa, Lisbon, and Seville differed profoundly, it is argued, from that of mapmakers in Italy, and particularly Venice, who aimed for an integration of all available data as part of a tradition of commenting on Ptolemy, and produced highly desirable printed maps for a growing consumer audience. The article thus advocates a comparative approach to maps, and critiques the assumption that knowledge “flows” between regions. It proposes instead a “(dis)connected history” of knowledge production and consumption to throw new light on the origins of the cartographic printing revolution.

Marie de Rugy

Des cartes autochtones en situation coloniale

Le cas du Tonkin à la fin du xixe siècle

À partir d’un corpus de cartes vietnamiennes conservées dans les Archives nationales de Hà Nội, cet article vise à répondre à une double interrogation, méthodologique et heuristique : comment analyser en historien des sources cartographiques détachées de leur contexte de production ; peut-on voir une spécificité du cas vietnamien dans l’appropriation des savoirs autochtones en situation coloniale ? En comparant ces cartes à celles des géographies royales vietnamiennes, en les croisant avec des sources coloniales françaises de la conquête du Tonkin (années 1880-1890), en analysant l’entremêlement des écritures – caractères chinois, vietnamien romanisé et français –, les codes visuels et la matérialité de ces documents, cette étude propose trois pistes fécondes et complémentaires pour l’histoire et l’anthropologie des savoirs. La spécificité vietnamienne réside d’abord dans l’existence de ce grand nombre de cartes, qui n’a d’équivalent ni dans les possessions coloniales en Afrique ni ailleurs en Asie du Sud-Est. Elle apparaît aussi dans les contextes de production des cartes, que la correspondance privée d’un officier, Fernand Bernard, et les journaux de marche militaires permettent de retracer : si les enquêtes orales dans les villages ou le renseignement sont des situations répandues, la sollicitation des fonctionnaires locaux, habitués à dresser des cartes pour le pouvoir, l’est moins. Finalement, l’étude de ces documents laisse entrevoir des formes de contact et une appropriation propres aux débuts de la colonisation, qui disparaissent ensuite.

Indigenous Maps in a Colonial Context: The Case of Late Nineteenth-Century Tonkin

Based on a corpus of Vietnamese maps held in the national archives at Hà Nội, this article aims to answer a double question, both methodological and heuristic: How can historians analyze cartographic sources detached from their context of production? And was the appropriation of indigenous knowledge during colonization specific to the Vietnamese case? By comparing these maps with those of Vietnamese royal geographies, crossing them with French colonial sources from the conquest of Tonkin (1880s–1890s), and analyzing the interweaving of different writing systems—Chinese characters, romanized Vietnamese, and French—as well as the visual codes and the materiality of these documents, this study suggests three fruitful and complementary directions for the history and anthropology of knowledge. The Vietnamese case is unique because the existence of such maps, in such large numbers, was unmatched in other colonial possessions in Africa or elsewhere in Southeast Asia. It is also unusual in terms of how these maps were produced, as revealed in the private correspondence of the officer Fernand Bernard and diaries of military expeditions. Although it was common practice to conduct oral inquiries in villages or draw on military intelligence, it was far less usual to be able to solicit local functionaries accustomed to creating maps for those in power. Finally, the study of these documents reveals forms of contact and appropriation that were specific to the early stages of colonization, and which subsequently disappeared.

Valérie Theis

Pratiques de l’écrit, pratiques de la carte

Rendre justice aux cartes médiévales et modernes (note critique)

La sortie du catalogue de l’exposition qui a eu lieu en 2019 aux Archives nationales, Quand les artistes dessinaient les cartes. Vues et figures de l’espace français, Moyen Âge et Renaissance, sous la direction de Juliette Dumasy-Rabineau, Nadine Gastaldi et Camille Serchuk, est l’occasion de revenir sur une production cartographique importante à partir de la fin du Moyen Âge, celle des cartes à grande échelle, envisagées ici pour l’espace français. Si le catalogue met l’accent sur la dimension artistique de ces cartes, le corpus choisi permet surtout de montrer que celles-ci s’inscrivaient dans des contextes documentaires plus vastes. L’ouvrage rend également compte de la diversité de leurs usages et de leur rôle récurrent dans le cadre du règlement de conflits devant la justice. Il donne un certain nombre d’éclairages, qui mériteraient d’être approfondis, concernant les commanditaires de ce type de cartes et invite, pour finir, à réfléchir sur quelques idées reçues quant aux représentations cartographiques de l’espace dans les sociétés médiévales et modernes, mais aussi dans les sociétés occidentales contemporaines.

Textual Practice, Cartographical Practice

Doing Justice to Medieval and Early Modern Maps (Review Article)

In 2019, the Archives nationales in Paris hosted the exhibition Quand les artistes dessinaient les cartes. Vues et figures de l’espace français, Moyen Âge et Renaissance (When Artists Drew Maps: Views and Plans of France from the Middle Ages and Renaissance), curated by Juliette Dumasy-Rabineau, Nadine Gastaldi, and Camille Serchuk. The publication of the catalog provides the occasion to revisit an important aspect of cartographic production from the late Middle Ages onwards, that of maps on a large scale, considered here for the French space. While the catalog emphasizes the artistic dimension of these maps, it also shows that they were part of larger documentary contexts. The volume describes the diversity of their uses and pays particular attention to their recurring role in resolving conflicts before the courts. It also provides a number of insights that would reward further research, including on who commissioned this type of map. Finally, it invites us to reflect on certain preconceived ideas concerning cartographical representations of space, not only in medieval and early modern societies but also in those of the West today.

Jan Dumolyn et Jelle Haemers

Mauvais Mercredi et Vendredi saint

Conflits politiques urbains et temps liturgique dans les Pays-Bas du Moyen Âge tardif

Cet article examine la manière dont les groupes sociaux représentaient les conflits politiques dans les Pays-Bas de la fin du Moyen Âge, en étudiant non seulement comment l’on se souvenait de ces événements, mais aussi comment ils pouvaient être recyclés et manipulés. Il a déjà été démontré que la politique de la fin du Moyen Âge devait être générationnelle, les personnes impliquées dans les révoltes conservant activement la mémoire des luttes de leurs prédécesseurs. Cette étude soutient cependant que les formes de ces mémoires cycliques des révoltes passées ont été façonnées par la matrice sociale et religieuse fondamentale qu’était le temps liturgique chrétien et qui se reflétait dans des noms aussi parlants que « Vendredi saint » ou « Mauvais Mercredi», donnés par les artisans urbains à leurs soulèvements. Cette pratique consistant à se souvenir des conflits politiques par l’utilisation des jours de la semaine, qui semble être une allusion au cycle de la Passion, est fréquemment attestée, en particulier dans la Flandre du xive siècle. L’étude de cet usage, ainsi que celle de la représentation et de l’utilisation de symboles liturgiques dans ces révoltes, montrent que les citoyens du Moyen Âge tardif n’étaient pas de simples récepteurs passifs des catégorisations ecclésiastiques du temps imposées d’en haut ; ils réinterprétaient activement les éléments chronologiques en façonnant et en modifiant la représentation des événements, politiques ou autres, en fonction des publics. Ainsi, les différentes manières de nommer les événements politiques importants témoignent de la façon dont les groupes sociaux ont forgé une représentation des passés communs au sein d’un « temps social » pertinent pour leur identité de groupe, même si ces discours étaient basés sur une conception chrétienne largement partagée du temps historique influencée par la pratique liturgique collective.

Evil Wednesday and Good Friday

Urban Political Conflict and Liturgical Time in the Late Medieval Low Countries

This article explores the ways that social groups represented political strife in the late medieval Low Countries, considering how these events were remembered but also how they could be recycled and manipulated. It has already been shown that late medieval politics must have been generational, with those involved in revolts actively maintaining the memories of their predecessors’ struggles. This study argues, however, that the forms of these cyclical memories were also shaped by the fundamental social and religious matrix that was Christian liturgical time, as reflected in the telling names—such as “Good Friday” or “Evil Wednesday”—that urban craftsmen gave to their uprisings. This practice of remembering political conflicts with days of the week that seem to be allusions to the Passion cycle is frequently attested, especially in fourteenth-century Flanders. The study of such name-giving, along with the performance and use of liturgical symbols in revolts, shows that late medieval citizens were not merely passive receptors of ecclesiastical categorizations of time imposed from above; they also actively reinterpreted chronological elements as they shaped and altered the representation of events, political and otherwise, with specific audiences in mind. Ways of naming important political events thus offer an indication of how social groups constructed ideology to represent common pasts within a “social time” relevant to their group identities—even if those discourses were based on a widely shared Christian conception of historical time influenced by liturgical practice.

Simon Bittmann

Le temps du crédit

Endettement et stratification sociale en Illinois dans les années 1910

Cet article étudie les pratiques d’agences offrant aux travailleurs américains la possibilité d’accéder à des liquidités sur la base de leurs futurs revenus. L’historiographie a tour à tour associé ces prêts aux classes moyennes naissantes et à un crédit « moderne » ou à la classe ouvrière, associant la dette à la gestion d’urgences. Les données analysées, qui portent sur l’Illinois des années 1910, mettent plutôt en évidence trois types d’attitudes à l’égard du temps économique : à celui contraint des dettes pressantes s’oppose celui de la gestion budgétaire quotidienne et, enfin, celui de l’investissement. Loin de faire du crédit le marqueur d’une appartenance de classe et de dispositions économiques a priori, l’auteur considère l’attribution du crédit comme une épreuve de stratification. Ce prisme permet de dégager trois pôles au sein de l’espace social : un groupe modal et deux groupes extrêmes. Le premier est constitué d’ouvriers qualifiés, d’artisans et de salariés du public pour qui ces prêts représentent un substitut liquide et contractualisé au crédit affecté ou interpersonnel ; le deuxième est associé aux manœuvres et aux domestiques, à des faibles montants et à une forme d’instabilité salariale ; le troisième fait apparaître un crédit commercial, d’investissement ou destiné à couvrir des imprévus, octroyé à des salariés supérieurs et à des propriétaires de commerce. Cependant, ces trois groupes ne peuvent être statistiquement associés aux attitudes temporelles mises en exergue, ce qui souligne la coexistence d’horizons économiques différents au sein de chaque classe d’emprunteurs.

The Time of Credit: Debt and Social Stratification in 1910s Illinois

This article studies the credit practices of agencies offering small cash loans to American workers based on their future earnings. Recent historiography has associated these loans either with a nascent middle class and the birth of “modern” credit, or with the working class, equating debt with emergencies. In fact, the data analyzed here, based on Illinois agencies and borrowers in the 1910s, reveal three types of economic temporality: the bounded time of pressing debts contrasts with the continuous time of daily expenses, and, finally, the future time of investment. Far from associating credit with a predefined social class and economic dispositions a priori, this article considers credit allocation as a stratifying device. This analysis brings to light three distinct social groups: a large, modal group composed of skilled workers, craftsmen, and civil servants, who resorted to small loans as a contractual alternative to either affected or interpersonal credit, can be distinguished from two smaller groups at opposite ends of the spectrum. The first is associated with laborers and domestics, smaller amounts of money, and wage instability, whereas the second is linked to commercial credit, used by upper-level salaried workers and business owners for investment purposes or to meet an unforeseen liability. However, these three groups cannot be statistically associated with any one temporal rationality, emphasizing a complex layering of economic horizons within each class.