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Environnement résidentiel et vieillissement en santé : le rôle de l’activité physique et de la participation sociale

Published online by Cambridge University Press:  06 May 2022

Marion Patte*
Affiliation:
Géographie-Cités – UMR 8504, Campus Condorcet 5, Cours des Humanités 93322 Aubervilliers Cedex, 75006, France
Basile Chaix
Affiliation:
Inserm, UMR-S 1136, Institut Pierre Louis d’Epidémiologie et de Santé Publique – Faculté de Médecine Site Saint-Antoine – 27, rue Chaligny 75012 Paris, France
Philippe Gerber
Affiliation:
Luxembourg Institute of Socio-Economic Research, Maison des Sciences Humaines, 11, Porte des Sciences L-4366 Esch-sur-Alzette / Belval, Luxembourg
Olivier Klein
Affiliation:
Luxembourg Institute of Socio-Economic Research, Maison des Sciences Humaines, 11, Porte des Sciences L-4366 Esch-sur-Alzette / Belval, Luxembourg
Camille Perchoux
Affiliation:
Luxembourg Institute of Socio-Economic Research, Maison des Sciences Humaines, 11, Porte des Sciences L-4366 Esch-sur-Alzette / Belval, Luxembourg
Julie Vallée
Affiliation:
Géographie-Cités – UMR 8504, Campus Condorcet 5, Cours des Humanités 93322 Aubervilliers Cedex, 75006, France
*
Corresponding author: La correspondance doit être transmise à l’adresse suivante : / Marion Patte UMR Géographie-Cités 13 rue du Four, Paris, 75006, France ([email protected])
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Résumé

Le vieillissement démographique est un des défis majeurs du 21e siècle. Il pose directement la question du « vieillissement en santé », un processus aidant les personnes âgées à rester en bonne santé et indépendantes le plus longtemps possible. L’influence des facteurs environnementaux sur ce processus peut varier selon les individus et leurs comportements. L’enchevêtrement de ces facteurs représente un défi autant théorique que méthodologique. Cet article a pour objectifs i) de quantifier les associations entre l’environnement physique et social du quartier des personnes âgées et leur vieillissement en santé et ii) d’examiner si leur activité physique et leur participation sociale jouent un rôle de médiation dans ces associations. Si certaines caractéristiques du quartier relatives à la réputation, l’accès aux services, et la cohésion sociale sont associées au vieillissement en santé, il existe un soutien limité à l’idée que les comportements tiennent un rôle d’intermédiaire dans cette relation.

Abstract

Abstract

Demographic aging one of the major challenges of the 21st century. It raises the issue of “healthy aging”, a process of helping elderly people remain in good health and independent as long as possible. The influence of environmental factors on this process can vary depending on individuals and their behaviour. The entanglement of these factors represents a theoretical as well as a methodological challenge. This paper aims to i) quantify the associations between the physical and social environment of elderly peoples’ neighbourhoods with their healthy aging, and ii) assess if their physical activity and their social participation are mediating this relation. The results show that, although some characteristics of the neighbourhood relating to the reputation, access to services, and social cohesion are associated with healthy aging, there is limited support for the idea that behaviour mediates the relation between context and health.

Type
Article
Copyright
© Canadian Association on Gerontology 2022

Introduction

Le vieillissement démographique fait partie des nouveaux défis auxquels sont confrontées les sociétés actuelles. À l’échelle mondiale, une hausse de l’espérance de vie et une augmentation de la proportion de personnes âgées ont été observées en lien avec une diminution de la mortalité et de la fertilité (Ined, 2018). Le Grand-Duché de Luxembourg n’échappe pas à ce processus de vieillissement démographique. Le nombre absolu de personnes âgées de 65 ans et plus a triplé en 50 ans, passant de 33 958 en 1961 à 99 986 en 2017 ; ce nombre pourrait encore grimper jusqu’à 200 000 en 2060 (Eurostat, 2018).

Étant donné son fort retentissement sur les régimes publics de retraite et sur l’assurance maladie, l’enjeu du vieillissement démographique est autant sanitaire qu’économique. La promotion d’une bonne santé est un élément clé de la réponse mondiale au vieillissement démographique. La mauvaise santé, les stéréotypes négatifs, et les obstacles à la participation des personnes âgées sont autant de facteurs qui les marginalisent, compromettent leur contribution à la société, et accroissent les coûts sociaux du vieillissement (OMS, 2012). Même si l’avancée en âge s’accompagne d’un risque plus élevé en termes de maladies chroniques et de situations de dépendance, ces phénomènes peuvent être prévenus ou retardés (Lalive d’Epinay & Spini, Reference Lalive d’Epinay and Spini2007).

Plusieurs modèles d’un vieillissement en santé ont été développés dans la littérature depuis plusieurs années (Cardinal, Langlois, Gagné, & Tourigny, Reference Cardinal, Langlois, Gagné and Tourigny2008). Un vieillissement en santé se définit comme « un processus permanent qui optimise les opportunités d’améliorer et de préserver la santé, le bien-être physique, social et mental, l’indépendance, la qualité de vie et qui facilite les transitions de vie réussies » (Health Canada, 2001). Tout en tenant compte des réalités multiples liées au vieillissement, l’identification des trajectoires d’un vieillissement en santé permet non seulement une exploration des facteurs de risque et de protection mais également une réflexion autour des interventions en santé publique efficaces, visant le maintien ou l’amélioration de la santé et de la capacité physique des personnes âgées (Richard, Barthélémy, Tremblay, Pin, & Gauvin, Reference Richard, Barthélémy, Tremblay, Pin and Gauvin2013). Le vieillissement n’est alors plus perçu comme une fatalité mais comme un processus positif, au cours duquel les personnes âgées auraient la possibilité d’optimiser leurs chances de rester en bonne santé. Le caractère composite du vieillissement en santé rend ce concept délicat à mesurer. Si une définition opérationnelle du vieillissement en santé comporte généralement la capacité et le fonctionnement physique (Depp & Jeste, Reference Depp and Jeste2006), les personnes âgées l’associent aussi à une bonne santé générale et à l’absence de limitation dans les tâches courantes de la vie quotidienne (Strain, Reference Strain1993). Le vieillissement en santé peut alors se définir comme un processus permettant aux personnes âgées de rester en bonne santé et indépendantes le plus longtemps possible. La santé est définie par l’Organisation Mondiale de la Santé comme « un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité » (OMS, 1946). Des personnes ayant plusieurs maladies peuvent s’estimer en bonne voire en très bonne santé. L’importance accordée à cette subjectivité dans la définition de la santé préconise l’utilisation d’indicateurs plus complexes de la santé que la simple prévalence de maladies. Des indicateurs de perception de la santé sont de ce fait très souvent utilisés, car ils incorporent plusieurs dimensions de la santé (biologique, mentale, fonctionnelle, spirituelle) (Ocampa, Reference Ocampa2010) et ils sont simples à recueillir (Camirand et al., Reference Camirand, Sermet, Dumitru and Guillaume2009). L’état de santé perçu jouit notamment d’un certain intérêt, car c’est un puissant prédicteur des maladies chroniques (Moller et al., Reference Moller, Kristensen and Hollnagel1996) et de la mortalité (Jylhä, Reference Jylhä2009). Cet indicateur de santé a été validé à plusieurs reprises et il est aujourd’hui reconnu comme une mesure fiable de la santé globale (Ocampa, Reference Ocampa2010). D’autres instruments de mesure comme l’indicateur d’indépendance tentent de tenir compte des répercussions de l’état de santé des individus sur leur fonctionnement dans la vie de tous les jours. Il ne faut pas confondre les termes d’indépendance et d’autonomie. L’indépendance renvoie à la capacité de vivre de manière indépendante dans son environnement habituel sans aide extérieure ou avec une aide minime alors que l’autonomie est la faculté de se gouverner soi-même c’est-à-dire décider de ce que l’on veut faire (Grimley Evans, Reference Grimley Evans1984). Ainsi, il est possible d’être autonome et de savoir ce que l’on veut faire sans pouvoir le réaliser physiquement. L’indépendance des personnes âgées est le plus souvent abordée selon une approche fonctionnelle, en fonction des différentes limitations qu’elles peuvent rencontrer au quotidien.

Le vieillissement en santé constitue un véritable enjeu auquel de nombreux travaux en sciences médicales, mais aussi en sciences sociales, tentent de répondre dans une perspective de prévenir non seulement les impacts négatifs du vieillissement sur la société, mais de garantir aussi aux personnes âgées une bonne santé. L’objectif général de cet article participe à ce courant en cherchant à mieux comprendre les relations entre l’environnement résidentiel et le vieillissement en santé. Il s’agit plus particulièrement de comprendre les mécanismes qui s’opèrent dans la relation entre l’environnement résidentiel et le vieillissement en santé, c’est-à-dire de distinguer les facteurs environnementaux des facteurs individuels qui sont impliqués dans cette relation. Dans un premier temps, un recensement des écrits rappelle les travaux menés sur les effets de quartier et plus particulièrement ceux étant destinés à mieux comprendre les mécanismes reliant l’environnement résidentiel aux individus. Ensuite, une mention de la problématique et de l’objectif de cette recherche sera faite avant de développer les données et les méthodes exploitées pour y répondre.

Les recherches s’accordent aujourd’hui sur le fait qu’une part de la variation de la santé est associée à l’environnement dans lequel vivent les individus, indépendamment des caractéristiques individuelles (Cummins, Stafford, Macintyre, Marmot, & Ellaway, Reference Cummins, Stafford, Macintyre, Marmot and Ellaway2005; Diez-Roux, Reference Diez-Roux2004; Diez-Roux & Mair, Reference Diez-Roux and Mair2010). Cette association s’observe chez les personnes de tous âges, mais les personnes âgées peuvent être plus touchées que les autres groupes de population. Elles sont en effet plus susceptibles d’être exposées aux caractéristiques de leur quartier dans la mesure où la sénescence s’accompagne d’une augmentation du risque de maladies chroniques, ce qui rend leur santé plus vulnérable et leur mobilité plus limitée. Deux grands aspects de l’environnement résidentiel sont susceptibles d’offrir des ressources favorables ou non à la santé : l’environnement physique (composantes naturelles et bâties) et l’environnement social (degré et nature des liens sociaux, normes et valeurs culturelles, réputation) (Diez-Roux & Mair, Reference Diez-Roux and Mair2010). Des caractéristiques bénéfiques en termes d’aspect esthétique, d’accès aux services, d’accès aux espaces verts, de marchabilité, de cohésion sociale, et de réputation sont souvent associées à une meilleure santé et à une activité physique et sociale plus élevée auprès de la population générale (Diez-Roux & Mair, Reference Diez-Roux and Mair2010) et chez les personnes âgées (Frank, Kerr, Rosenberg, & King, Reference Frank, Kerr, Rosenberg and King2010; Levasseur et al., Reference Levasseur, Gauvin, Richard, Kestens, Daniel and Payette2011). La relation entre l’environnement résidentiel et le niveau de limitation des personnes âgées est très peu étudiée, même si certains travaux attestent que les quartiers caractérisés par une moins bonne réputation sont associés à un risque plus élevé de limitations dans les activités quotidiennes chez les adultes et les personnes âgées (Balfour & Kaplan, Reference Balfour and Kaplan2002; Stafford, Chandola, & Marmot, Reference Stafford, Chandola and Marmot2007).

Néanmoins, les mécanismes impliqués dans la relation entre l’environnement résidentiel et la santé restent encore à explorer (Cummins, Curtis, Diez-Roux, & Macintyre, Reference Cummins, Curtis, Diez-Roux and Macintyre2007; Frohlich, Corin, & Potvin, Reference Frohlich, Corin and Potvin2001; Galster, Reference Galster, van Ham, Manley, Bailey, Simpson and Maclennan2012; Macintyre, Ellaway, & Cummins, Reference Macintyre, Ellaway and Cummins2002). Si de nombreuses études ont souligné l’influence du quartier de résidence sur la santé des individus, l’analyse des effets de milieu sur la santé s’apparente souvent à une « boite noire » (Susser & Susser, Reference Susser and Susser1996) car elle étudie principalement les relations directes entre l’environnement résidentiel et la santé sans prendre en considération les mécanismes par lesquels s’exerce cette influence. Autrement dit, la grande majorité des études identifie seulement les facteurs environnementaux agissant sur la probabilité de survenue d’une maladie sans tenir compte des interactions entre les composantes individuelles et contextuelles de ces inégalités de santé (Frohlich et al., Reference Frohlich, Corin and Potvin2001; Macintyre & Ellaway, Reference Macintyre, Ellaway, Kawachi and Berkman2003). Il devient alors important de distinguer ces différentes composantes et de clarifier ainsi les mécanismes en jeu dans la relation entre l’environnement et la santé (Galster, Reference Galster, van Ham, Manley, Bailey, Simpson and Maclennan2012; Macintyre et al., Reference Macintyre, Ellaway and Cummins2002; Sharkey & Faber, Reference Sharkey and Faber2014). Les associations entre les différentes caractéristiques de l’environnement résidentiel et le vieillissement en santé des personnes âgées sont probablement médiées par certains de leurs comportements. Les caractéristiques du quartier sont par exemple susceptibles d’offrir aux personnes âgées des opportunités d’exercice physique et d’interaction sociale réalisées à l’extérieur du domicile qui sont à leur tour susceptibles d’engendrer un meilleur niveau de santé et un niveau moindre de limitations dans les activités quotidiennes.

Le cadre conceptuel développé par Daniel, Moore, et Kestens (Reference Daniel, Moore and Kestens2008) peut contribuer à l’explication de ces mécanismes. Selon lui, les caractéristiques de l’environnement influencent la santé selon des mécanismes directs et indirects. L’influence est directe lorsque cette dernière a une conséquence physiologique sur l’état de santé des individus (O’Campo et al., Reference O’Campo, Wheaton, Nisenbaum, Glazier, Dunn and Chambers2015). L’influence directe de l’environnement sur la santé comprend généralement des éléments de l’environnement physique comme la qualité de l’air, le climat, ou encore des éléments liés à l’aménagement du territoire comme le bruit et le trafic. Par exemple, la pollution de l’air peut affecter la santé respiratoire des individus et provoquer des maladies cardiopulmonaires ou des cancers du poumon. Le taux de mortalité lié à ces problèmes de santé est associé au niveau de pollution atmosphérique (Hamanaka & Mutlu, Reference Hamanaka and Mutlu2018). L’influence de l’environnement est indirecte lorsque les facteurs environnementaux ont le potentiel d’influencer positivement ou négativement certains comportements individuels – tels que l’activité physique et la participation sociale – qui peuvent, à leur tour, être déterminants pour la santé (Daniel et al., Reference Daniel, Moore and Kestens2008). Des facteurs environnementaux tels que l’aspect esthétique et l’accès aux services de proximité peuvent par exemple encourager l’activité physique et la participation sociale des individus (Richard, Gauvin, Gosselin, & Laforest, Reference Richard, Gauvin, Gosselin and Laforest2008; Sallis et al., Reference Sallis, Cerin, Kerr, Adams, Sugiyama, Christiansen, Schipperijn, Davey, Salvo, Frank, De Bourdeaudhuij and Owen2020) qui sont susceptibles d’entrainer à leur tour de meilleurs résultats de santé (Daskalopoulou et al., Reference Daskalopoulou, Stubbs, Kralj, Koukounari, Prince and Prina2017; Raymond, Gagné, Sévigny, & Tourigny, Reference Raymond, Gagné, Sévigny and Tourigny2008). Les résultats concernant ces deux relations (environnement résidentiel – activité physique et sociale d’une part, état de santé d’autre part) ainsi que le cadre théorique proposé par Daniel et al. (Reference Daniel, Moore and Kestens2008) suggèrent que l’activité physique et la participation sociale des individus pourraient jouer un rôle d’intermédiaire dans la relation entre l’environnement et le vieillissement en santé des personnes âgées.

Il est aujourd’hui communément admis que, si l’activité physique et la participation sociale sont des déterminants importants de la santé, l’environnement résidentiel peut également contribuer à influencer la santé et moduler le niveau d’activité physique et de participation sociale des individus. Néanmoins, peu de recherches ont encore examiné la complexité des interactions entre ces trois ensembles de déterminants individuels et environnementaux (Frohlich et al., Reference Frohlich, Dunn, McLaren, Shiell, Potvin, Hawe, Dassa and Thurston2007). Afin de mettre en lumière ces imprécisions et de comprendre selon quels processus les caractéristiques de l’environnement influencent la santé, cet article consiste, d’une part, à quantifier les associations entre les caractéristiques de l’environnement résidentiel des personnes âgées et leur vieillissement en santé, puis, d’autre part, à évaluer si ces caractéristiques de l’environnement – relatives à l’aspect esthétique, la réputation, l’accès aux services, la marchabilité, et la cohésion sociale – influencent indirectement leur vieillissement en santé par l’intermédiaire de leur activité physique et/ou de leur participation sociale. Autrement dit, il s’agit d’examiner si l’activité physique et/ou la participation sociale des personnes âgées jouent un rôle de médiateur dans la relation entre leur environnement résidentiel et leur vieillissement en santé.

Méthodes

Plan de sondage

Cette recherche utilise les données recueillies dans le cadre de l’enquête CURHA (Contrasted URban contexts in Healthy Aging) menée au Grand-Duché de Luxembourg auprès d’un échantillon représentatif de personnes âgées de 65 ans et plus. Pour cela, un plan d’échantillonnage a été défini selon 20 strates sociospatiales reposant notamment sur un fichier individuel administratif des assurés sociaux de l’Inspection Générale de la Sécurité Sociale. Tout d’abord, la sélection du terrain d’étude concerne les 39 communes urbaines et péri-urbaines localisées dans le sud-ouest du Luxembourg et qui rassemblent 90% de la population âgée (STATEC, 2019). Elles se répartissent en cinq strates spatiales (cf. Figure 1). Ces cinq strates spatiales se composent de la capitale (Luxembourg-Ville), la seconde ville du pays (Esch-sur-Alzette), les villes post-industrielles de la région Sud, et deux zones périurbaines, l’une (A) dotée d’un haut niveau d’aménités et l’autre (B) dotée d’un faible niveau d’aménités. Ces deux dernières strates spatiales ont été définies en fonction de trois critères spatiaux : la densité et la diversité liées à l’utilisation foncière fonctionnelle des terres (occupation du sol, types de construction, période de construction des bâtiments) et l’accessibilité en termes de destinations (diversité et proximité spatiale des équipements disponibles). La population de chacune de ces cinq strates est ensuite divisée selon deux groupes d’âge (entre 65 et 75 ans ; 75 ans et plus) et selon les deux sexes (cf. Figure 2) aboutissant à ces 20 strates sociospatiales. Afin d’obtenir une bonne représentativité au sein de la totalité de ces strates, environ 25 participants (une personne par ménage) ont été tirés au sort puis interrogés au sein de chacune d’entre elles. Au final, 471 personnes de 65 ans et plus ont été interrogées après avoir obtenu leur consentement. La campagne de recueil des données s’est déroulée d’avril 2015 à janvier 2016.

Figure 1. 5 strates spatiales sélectionnées dans l’enquête CURHA

Figure 2. Échantillonnage de l’enquête CURHA

Les questionnaires

L’enquête CURHA se compose notamment de deux questionnaires quantitatifs. Le questionnaire LuxCohort est un questionnaire d’auto-évaluation mené par une équipe d’enquêteurs selon un entretien personnel en face à face d’une durée moyenne d’une heure, à l’aide d’une méthode d’entretien assisté par ordinateur (Computer-Assisted Personal Interview, CAPI). Il est composé d’un ensemble de questions ayant été précédemment utilisées et validées et qui fournissent des informations sur le profil démographique des participants, leur statut socio-économique, leur état de santé, leur activité physique, et les caractéristiques perçues de leur quartier de résidence (Kestens et al., Reference Kestens, Chaix, Gerber, Desprès, Gauvin, Klein, Klein, Köppen, Lord, Naud, Patte, Payette, Richard, Rondier, Shareck, Sueur, Thierry, Vallée and Wasfi2016). Les participants ont également été invités à renseigner la localisation et la fréquence de visite de leurs lieux routiniers d’activité à partir d’une interface cartographique interactive d’un second questionnaire nommé VERITAS (Visualization and Evaluation of Regular Individual Travel destinations and Activity Spaces) (Chaix et al., Reference Chaix, Kestens, Perchoux, Karusisi, Merlo and Labadi2012). Comme pour le questionnaire LuxCohort, le questionnaire VERITAS est administré lors d’un entretien en face à face, les données sont saisies par les enquêteurs et confirmées par les participants. La durée moyenne de passation de ce questionnaire est d’une vingtaine de minutes. Étant donné le protocole relativement lourd de l’enquête CURHA, les personnes âgées ont été dédommagées de 20 euros. Par ailleurs, afin de limiter les biais d’information liés aux enquêteurs et de garantir un maximum de neutralité et d’homogénéité, les questionnaires ainsi que leur passation ont été standardisés, notamment grâce à la définition de concepts pouvant poser problème, à la rédaction d’un guide destiné aux enquêteurs et à leur formation. Dans le questionnaire LuxCohort, les informations concernant l’activité physique sont par exemple recueillies à partir d’un score utilisé internationalement et pour lequel les différents degrés d’intensité de l’activité physique (marche, activité soutenue) sont détaillés.

Mesures

▪ Vieillissement en santé

État de santé – Dans le questionnaire LuxCohort, les personnes âgées sont invitées à évaluer leur état de santé général à partir d’une échelle Likert en cinq points, 1 correspondant à la réponse la plus favorable et 5 la plus défavorable. Les personnes âgées qui rapportent une santé « Excellente », « Très bonne », ou « Bonne » sont considérées ici comme étant en bonne santé tandis que celles rapportant une santé « Passable » ou « Mauvaise » sont catégorisées comme étant en mauvaise santé. Ce regroupement constitue un indicateur fréquemment utilisé dans la littérature sur la santé. Il est d’autant plus utile dans le cadre de l’enquête CURHA que l’effectif total est de taille réduite (n = 471), limitant ainsi le risque d’une mauvaise estimation lors des analyses statistiques.

Niveau de dépendance – LuxCohort se compose du questionnaire MOS SF-36 (Medical Outcome Study-Short Form-36) qui permet d’évaluer entre autres la santé perçue, les douleurs physiques, la vitalité, et le niveau de limitation dans les activités quotidiennes. Ce questionnaire permet de calculer des scores pour chacune de ces dimensions. Ces scores peuvent varier entre 0 et 100, un score de 100 étant associé à un état de santé parfait. Ce questionnaire a été validé (Leplège, Ecosse, Pouchot, Coste, & Perneger, Reference Leplège, Ecosse, Pouchot, Coste and Perneger2001). L’échelle utilisée est celle destinée à évaluer le niveau de limitation des personnes âgées dans certaines activités telles que soulever et transporter des sacs de courses, monter plusieurs étages à la suite à pied, ou encore s’agenouiller ou faire plus d’un kilomètre à pied. Les modalités proposées sont les suivantes : « Oui, mon état de santé me limite beaucoup », « Oui, mon état de santé me limite un peu », « Non, mon état de santé ne me limite pas du tout ». Les scores attribués à chaque modalité (allant de 1 pour une forte limitation à 3 pour une absence de limitation) sont codés, additionnés, et transformés en un score final de capacité physique variant de 0 à 100 : un score élevé indique une faible limitation tandis qu’un score bas indique une forte limitation. Ce score final est ensuite catégorisé selon que les personnes âgées rapportent une absence ou une faible limitation (score > 60) et selon qu’elles rapportent une limitation modérée à soutenue (score ≤ 60).

▪ Environnement résidentiel

Au sein de LuxCohort, les personnes âgées ont été invitées à donner leur accord ou non vis-à-vis de certaines phrases caractérisant différents aspects de leur quartier comme la réputation, l’esthétique, l’accès aux services, la marchabilité, et la cohésion sociale. Les limites du quartier ne sont pas spécifiées et dépendent exclusivement de la perception des participants. Chacun des aspects du quartier est évalué selon une ou plusieurs mesures (cf. Tableau 1) dont la construction repose parfois sur des regroupements d’items. L’alpha de Cronbach (α) (Tavakol & Dennick, Reference Tavakol and Dennick2011) détermine si la cohérence interne des indices créés est suffisamment élevée pour que ces items soient analysés ensemble ou séparément.

Tableau 1: Construction des mesures de perception collective relatives aux différents aspects de l’environnement résidentiel

Une approche écométrique a été utilisée afin de créer des mesures de perception collectives du quartier (Chaix, Lindstrom, Rosvall, & Merlo, Reference Chaix, Lindstrom, Rosvall and Merlo2008). Des modèles multiniveaux à deux niveaux (individus, unités géographiques) ou trois niveaux (questions d’enquête, individus, unités géographiques) sont estimés avec comme variables dépendantes les réponses des individus aux questions d’enquête portant sur les différents aspects du quartier. Ces modèles multiniveaux permettent d’agréger les perceptions du quartier à l’échelle de chaque unité géographique de résidence, c’est-à-dire à l’échelle des quartiers administratifs pour la capitale Luxembourg-Ville, des localités pour la commune Esch-sur-Alzette, et autrement à l’échelle communale. L’effet aléatoire de chaque modèle multiniveau associé à l’unité géographique est ensuite utilisé comme variable de perception collective et correspond à la part de la variabilité qui ne peut pas être attribuée à l’individu. Ces variables de perception collectives reflètent ainsi des différences de perception selon les unités géographiques de résidence plutôt que selon les caractéristiques individuelles.

$$ Fiabilit\acute{e} =\frac{\mathrm{variance}\ \mathrm{quartier}}{\mathrm{variance}\ \mathrm{quartier}+\left(\frac{\mathrm{variance}\ \mathrm{individuelle}}{nombre\ moyen\ de\ personnes\ par\ unit\acute{e}\ g\acute{e} ographique}\right)+\hskip5em \left(\frac{\mathrm{variance}\ \mathrm{item}}{\mathrm{nomber}\ \mathrm{d}\mathit{\hbox{'}items\ }*\ nomber\ moyen\ de\ personnes\ par\ unit\acute{e}\ g\acute{e} ographique}\right)} $$

La fiabilité des indices écométriques (Mujahid, Diez-Roux, Morenoff, & Raghunathan, Reference Mujahid, Diez-Roux, Morenoff and Raghunathan2007) dépend à la fois de la corrélation intra-unité géographique (ICC) et du nombre de personnes enquêtées au sein de chacune de ces unités, les valeurs allant de 0 à 1. La fiabilité est élevée (proche de 1) lorsque la corrélation intra-unité géographique et la taille de l’échantillon par unité géographique sont élevées. Le protocole de mesure écométrique est conçu pour être mis en œuvre à l’échelle de quartiers assez larges. Les variables peuvent de ce fait être définies à l’échelle des quartiers pour Luxembourg-Ville, des localités pour Esch-sur-Alzette, et autrement à l’échelle communale, les personnes interrogées au sein de chaque commune restant spatialement proches les unes des autres. Une proportion égale à 0,4% des participants comptent un seul autre participant résidant au sein de la même unité géographique, 17% d’entre eux comptent 3–5 participants, 24% comptent 6–10 participants, et 59% résident au sein d’unités géographiques avec 11 participants ou plus. Les 471 personnes enquêtées résident au sein de 46 unités géographiques (une médiane égale à 6,5 par unité géographique et un intervalle inter-quartile allant de 4 à 14). Ces variables écométriques sont catégorisées en trois classes contenant chacune un nombre égal de participants.

▪ Comportements en santé

Durées hebdomadaires de marche à pied et d’activité physique d’intensité soutenue – L’activité physique autodéclarée est collectée à partir du PASE (Physical Activity Scale for Seniors) constitué d’une série de questions pour lesquelles les personnes âgées sont invitées à estimer la fréquence et la durée qu’elles consacrent à une variété d’activités physiques d’intensité variée au cours d’une semaine (Washburn, McAuley, Katula, Mihalko, & Boileau, Reference Washburn, McAuley, Katula, Mihalko and Boileau1999). Les participants sont par exemple interrogés sur leur fréquence hebdomadaire et leur durée quotidienne de marche à pied à l’extérieur du domicile (ex. pour se détendre, faire de l’exercice) et d’activité physique d’intensité soutenue (ex. marche rapide, marche avec sac à dos, jogging, natation, vélo). La durée hebdomadaire de marche à pied et d’activité physique d’intensité soutenue des personnes âgées s’obtient en multipliant leur fréquence de marche ou d’activité soutenue hebdomadaire – évaluée sur une échelle ordinale en quatre points : « jamais », « rarement (1–2 jours) », « parfois (3–4 jours) », « souvent (5–7 jours) » – par leur durée de marche ou d’activité soutenue quotidienne – évaluée sur une échelle ordinale en quatre points également : « moins de 30 minutes », « 30 minutes ou plus mais moins d’1h », « 1h ou plus mais moins de 2h », « plus de 2h » – le nombre d’heures étant converti en minutes. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (2018), les personnes âgées devraient pratiquer au cours de la semaine au moins 150 minutes d’activité d’intensité modérée ou au moins 75 minutes d’activité d’intensité soutenue, ou une combinaison équivalente d’activité d’intensité modérée et soutenue. La somme du nombre de minutes de marche obtenue est dichotomisée, selon que les personnes âgées marchent au moins 150 minutes par semaine ou non. Pour ce qui est de la durée hebdomadaire d’activité physique d’intensité soutenue, la grande majorité des personnes âgées ne pratique pas ce type d’activité (74,7%) ce qui explique que la mesure ne soit pas catégorisée selon les recommandations de l’OMS mais selon qu’elles aient une durée hebdomadaire d’activité soutenue nulle ou non.

Nombre de situations de rencontre fréquentes – Avec le questionnaire VERITAS, il est possible d’évaluer la participation sociale des personnes âgées définie comme leur implication dans des activités en interaction avec autrui (Levasseur, Richard, Gauvin, & Raymond, Reference Levasseur, Richard, Gauvin and Raymond2010). Les participants sont interrogés sur le type de lieux d’activité qu’ils fréquentent et sur leur fréquence de visite pour chacun de leurs lieux routiniers d’activité. Dans le cadre d’une visite chez autrui, d’une participation à une activité sportive, culturelle, ou associative, les personnes âgées sont susceptibles d’interagir avec d’autres personnes. La fréquence de visite en chacun de ces lieux d’activité est évaluée sur une échelle ordinale en trois points : « quotidiennement ou plusieurs fois par semaine », « plusieurs fois par mois (entre deux et quatre fois par mois) », « plus rarement (moins de deux fois par mois) ». Une visite fréquente s’entend d’une visite au moins hebdomadaire à l’égard d’une visite chez autrui et d’une activité sportive. Elle correspond à une visite au moins mensuelle à l’égard des activités culturelle ou associative qui sont susceptibles d’être des activités pratiquées moins souvent. La somme des lieux induisant une possible interaction avec autrui que les personnes âgées visitent fréquemment est calculée puis catégorisée en deux modalités selon que les personnes âgées ne comptent aucune situation de rencontre fréquente ou selon qu’elles en comptent une ou plusieurs.

▪ Caractéristiques démographiques et socio-économiques

Du fait de leur impact potentiel sur le vieillissement en santé, l’effet relatif à certaines caractéristiques démographiques et socio-économiques doit être contrôlé. Ces variables de contrôle correspondent au sexe, à l’âge (65–74 ans ; 75 ans et plus), au niveau d’éducation (nul et primaire ; secondaire ; postsecondaire) et à la satisfaction des ressources mensuelles du ménage (difficile ; facile).

Analyses statistiques

Les analyses ont été menées à l’aide du logiciel SPSS 24.0. Des analyses descriptives sont réalisées en amont. Ensuite, une série d’analyses de régression ont été réalisées afin de tester l’hypothèse de recherche selon laquelle l’activité physique et la participation sociale des personnes âgées jouent un rôle de médiateur dans la relation entre leur environnement résidentiel et leur vieillissement en santé. Dans ce cadre, une variable médiatrice se définit comme « une variable de processus qui transmet, complètement ou partiellement, l’impact d’une variable indépendante initiale sur une variable dépendante » (El Akremi & Roussel, Reference El Akremi, Roussel, Roussel and Wacheux2005). La démarche d’analyse optée se base sur une méthode destinée à établir une série d’analyses de régression sur les liens entre les mesures autoévaluées liées à l’environnement résidentiel des personnes âgées (variables indépendantes X), leurs comportements en santé (variables potentiellement médiatrices M), et leur vieillissement en santé (variables dépendantes Y). Elle repose notamment sur le modèle développé par Baron and Kenny (Reference Baron and Kenny1986) selon lequel quatre conditions spécifiques sont à satisfaire pour pouvoir affirmer qu’une variable joue un rôle de médiateur (cf. Figure 3). Appliquées à cette recherche, les quatre conditions sont les suivantes :

  • - Les perceptions collectives du quartier sont significativement associées au vieillissement en santé (condition voie c),

  • - Les perceptions collectives du quartier sont significativement associées aux comportements en santé (voie a),

  • - Les comportements en santé sont significativement associés au vieillissement en santé après avoir statistiquement contrôlé l’association entre les perceptions collectives du quartier et le vieillissement en santé (voie b),

  • - L’association entre les perceptions collectives du quartier et le vieillissement en santé (voie c’) disparaît ou est atténuée après avoir statistiquement contrôlé l’association entre les comportements en santé et le vieillissement en santé.

Figure 3. Conditions de médiation par Baron and Kenny (Reference Baron and Kenny1986)

Lorsqu’une variable est médiateur de la relation X-Y, on dit que la variable X a un lien indirect sur la variable Y, c’est-à-dire qu’une partie au moins de l’influence de X sur Y passe par la variable M. Si l’influence de la variable M est contrôlée statistiquement, la relation X-Y disparaît lorsque la médiation est totale ou est atténuée lorsque la médiation est partielle (Baron & Kenny, Reference Baron and Kenny1986). Le rôle médiateur d’une variable M génère une décomposition de l’effet total (c) de la variable X sur la variable Y (correspondant au coefficient de régression du modèle de la 1re condition) en un effet direct (c’) (correspondant au coefficient de régression du modèle de la 4e condition) et un effet indirect (ab) (correspondant à la soustraction entre le coefficient de la 1re condition et le coefficient de la 4e condition). Le rôle de médiation joué par la variable M est déterminé par le rapport entre le pourcentage de l’effet médiateur (ab) et l’effet total (c) « 100*ab/c », égal à 100% si la médiation est totale (Ambler, Reference Ambler1998). En cas d’interaction entre la variable X et la variable M, la décomposition d’effet devient plus complexe. L’effet total (c) se décompose alors selon l’effet de X sur Y en l’absence de médiateur (c’), selon l’effet de médiation (ab), mais également selon l’effet d’interaction et l’effet de l’interaction médiée (VanderWeele, Reference VanderWeele2014).

Les conditions de médiation sont examinées à partir de trois modèles de régression. Les deux premiers modèles testent les deux premières conditions à satisfaire (voie c et voie a). Étant donné le nombre limité d’individus (n = 471), le choix des variables à intégrer dans ces modèles de régression dépend d’une procédure pas-à-pas ascendante au sens du critère d’Akaïke (Akaïke Information Criterion, AIC). Ce choix de stratégie s’explique par la recherche d’une certaine parcimonie afin d’éviter tout risque de sur-ajustement des données et de garantir une meilleure validité externe (Akaïke, Reference Akaïke, Petrov and Csaki1973). En d’autres termes, l’objectif est de sélectionner les modèles apportant le maximum d’information sur les variables dépendantes à partir du plus petit nombre de variables indépendantes. Le troisième et dernier modèle qui consiste à intégrer les variables potentiellement médiatrices teste les deux dernières conditions (voie b et voie c’).

Résultats

Caractéristiques de l’échantillon

Le Tableau 2 présente la distribution des participants selon les caractéristiques démographiques, socio-économiques, et sanitaires. Comme l’ayant souligné lors du plan de sondage, les participants sont équitablement répartis selon les deux groupes d’âge et de sexe. Près d’un tiers d’entre eux n’a jamais fait d’étude ou s’est arrêté au niveau primaire tandis que près de la moitié a atteint le secondaire et neuf personnes sur dix sont satisfaites des ressources mensuelles de leur ménage. Plus des deux tiers s’estiment en bonne santé et se déclarent peu ou pas limitées dans les activités instrumentales de la vie quotidienne.

Tableau 2: Caractéristiques démographiques, socio-économiques et sanitaires de l’échantillon (en pourcentages)

Associations entre les perceptions collectives du quartier et les comportements en santé (voie a)

Les Modèles 3.1, 3.2, et 3.3 (Tableau 3) sont construits afin de tester la voie (a) de la Figure 3, c’est-à-dire l’association entre les perceptions collectives du quartier et la chance des personnes âgées de déclarer un niveau d’activité physique et de participation sociale plus élevé, toutes choses égales par ailleurs quant à leurs caractéristiques démographiques et socio-économiques. Le fait d’accorder un grand intérêt commun à l’accès aux services dans le choix du quartier est positivement associé à la durée de marche à pied et au nombre de situations de rencontre fréquentes rapportés par les personnes âgées (Tableau 3, Modèles 3.1 et 3.3). La perception collective d’une meilleure cohésion sociale est également positivement associée au nombre de situations de rencontre fréquentes (Tableau 3, Modèle 3.3). Enfin, un plus grand intérêt commun accordé à la réputation dans le choix du quartier est positivement associé à la durée d’activité soutenue rapportée par les personnes âgées (Tableau 3, Modèle 3.2).

Tableau 3: Les variables associées aux niveaux d’activité physique (Modèles 3.1 et 3.2) et de participation sociale (Modèle 3.3) (test de la voie a)

Notes. *** p-value ≤ 0,01, ** 0,01 < p-value ≤ 0,05, * 0,05 < p-value ≤ 0,1, n.s. = non-significatif.

Odds. ratio = Rapports de cotes; IC = Intervalle de confiance ; N = Effectif total ; Log likelihood = Vraisemblance logarithmique ;

Prob > khi2 = Probabilité pour que la valeur du khi2 ne soit pas significative ; Pseudo R2 = mesure qui évalue la qualité de l’ajustement du modèle.

Associations entre les perceptions collectives du quartier avec l’état de santé et le niveau de limitation des personnes âgées (voie c)

Les Modèles 4.1 (Tableau 4) et 5.1 (Tableau 5) sont destinés à tester la voie (c) de la Figure 3, c’est-à-dire le lien direct entre les perceptions collectives du quartier et le risque que les personnes âgées s’estiment en mauvaise santé ou déclarent une limitation modérée à soutenue dans le cadre de leurs activités quotidiennes, toutes choses égales par ailleurs quant à leurs caractéristiques démographiques et socio-économiques. Un indice de réputation plus élevé – c’est-à-dire la perception collective d’un plus grand nombre de problèmes liés au désordre et à la sécurité au sein du quartier – est positivement associé à l’état de santé perçu des personnes âgées (Tableau 4, Modèle 4.1). A contrario, le fait d’accorder une plus grande importance commune à l’accès aux services dans le choix du quartier y est négativement associé (Tableau 4, Modèle 4.1). Aucune différence d’état de santé perçu n’est observée selon les différents niveaux collectivement perçus d’attrait esthétique, de marchabilité, et de cohésion sociale. Une meilleure perception collective de la cohésion sociale du quartier est négativement associée au niveau de limitation que les personnes âgées déclarent ressentir (Tableau 5, Modèle 5.1).

Tableau 4: Les variables associées à une mauvaise santé perçue sans (Modèle 4.1) (test de la voie c) ou avec les mesures d’activité physique et de participation sociale (Modèle 4.2) (test de la voie b et de la voie c’)

Notes. *** p-value ≤ 0,01, ** 0,01 < p-value ≤ 0,05, * 0,05 < p-value ≤ 0,1, n.s. = non-significatif.

Odds. ratio = Rapports de cotes; IC = Intervalle de confiance ; N = Effectif total ; Log likelihood = Vraisemblance logarithmique ; Prob > khi2 = Probabilité pour que la valeur du khi2 ne soit pas significative ; Pseudo R2 = mesure qui évalue la qualité de l’ajustement du modèle.

Tableau 5: Les variables associées à une limitation modérée à soutenue sans (Modèle 5.1) (test de la voie c) ou avec les mesures d’activité physique et de participation sociale (Modèle 5.2) (test de la voie b et de la voie c’)

Notes. *** p-value ≤ 0,01, ** 0,01 < p-value ≤ 0,05, * 0,05 < p-value ≤ 0,1, n.s. = non-significatif.

Odds. ratio = Rapports de cotes; IC = Intervalle de confiance ; N = Effectif total ; Log likelihood = Vraisemblance logarithmique ; Prob > khi2 = Probabilité pour que la valeur du khi2 ne soit pas significative ; Pseudo R2 = mesure qui évalue la qualité de l’ajustement du modèle.

Associations entre les comportements en santé et le vieillissement en santé (voie b)

Les Modèles 4.2 (Tableau 4) et 5.2 (Tableau 5) permettent de tester respectivement les voies (b) et (c’) de la Figure 3 : (b) tester l’association entre les comportements en santé et le risque des personnes âgées de s’estimer en mauvaise santé ou de déclarer une limitation modérée à soutenue dans le cadre de leurs activités quotidiennes ; (c’) contrôler si le lien direct entre les perceptions collectives du quartier et le vieillissement en santé des personnes âgées disparait (absence de significativité statistique) ou s’affaiblit (baisse de la valeur des Odds Ratio) sous le contrôle statistique de leurs comportements en santé. Si les durées de marche à pied et d’activité soutenue rapportées par les personnes âgées sont négativement associées à leur vieillissement en santé, leur participation sociale n’y est pas significativement associée (Tableaux 4 et 5, Modèles 4.2 et 5.2).

Associations entre les perceptions collectives du quartier et le vieillissement en santé médiées par les comportements en santé (voie c’)

Au regard de la dernière condition de médiation avancée par Baron and Kenny (Reference Baron and Kenny1986) correspondant à la voie (c’) de la Figure 3, les résultats ne permettent pas d’affirmer que la marche à pied joue un rôle de médiation dans la relation entre la perception de l’accès aux services de proximité et l’état de santé perçu des personnes âgées. En effet, le contrôle statistique de la durée hebdomadaire de marche à pied n’affecte pas substantiellement l’effet de l’importance commune accordée à la facilité d’accès aux services de proximité dans le choix du quartier sur l’état de santé perçu des personnes âgées (Tableau 4, Modèles 4.1 et 4.2).

Discussion et conclusion

Cette étude a pour objectif, d’une part, d’identifier les caractéristiques perçues de l’environnement résidentiel associées au vieillissement en santé et, d’autre part, de tester le rôle de médiateur joué par l’activité physique et la participation sociale dans cette relation entre l’environnement résidentiel et la santé. Globalement, les analyses ont permis de mettre en évidence que la perception de certains aspects du quartier tels que la réputation, l’accès aux services, et la cohésion sociale est associée au vieillissement en santé et que l’activité physique et la participation sociale ne sont pas des médiateurs de ces associations.

Bien que peu d’aspects du quartier soient significativement associés au vieillissement en santé, les résultats montrent que résider dans un quartier perçu comme ayant un meilleur accès aux services (un fort intérêt collectif porté à l’accessibilité des services de proximité dans le choix du quartier) est associé à un risque plus faible de s’estimer en mauvaise santé. A contrario, la perception d’une moindre réputation du quartier (perception collective d’un plus grand nombre de problèmes liés au désordre et à l’insécurité) est associée à un risque plus élevé de s’estimer en mauvaise santé. Enfin, la perception d’une meilleure cohésion sociale du quartier (perception collective de bonnes relations fraternelles entre les résidents) est associée à un risque moindre de souffrir d’une plus forte limitation dans les activités de la vie quotidienne.

Certains résultats sont cohérents avec les études précédemment menées, et d’autres non. En ce qui concerne la cohérence des résultats, la proximité perçue des ressources est associée à une meilleure santé (Poortinga, Dunstan, & Fone, Reference Poortinga, Dunstan and Fone2007) et stimule la marche à pied (Sugiyama et al., Reference Sugiyama, Giles-Corti, Summers, du Toit, Leslie and Owen2013, Reference Sugiyama, Howard, Paquet, Coffee, Taylor and Daniel2015). Chez les personnes âgées, la perception d’une plus grande disponibilité en ressources du quartier (nombre de services et d’équipements situés à une courte distance du domicile) est associée à une marche à pied plus élevée (Cerin, Nathan, van Cauwenberg, Barnett, & Barnett, Reference Cerin, Nathan, van Cauwenberg, Barnett and Barnett2017) et à une plus grande participation sociale (Levasseur et al., Reference Levasseur, Gauvin, Richard, Kestens, Daniel and Payette2011). De plus, en accord avec les résultats de cette étude, la perception d’un plus grand nombre de problèmes de réputation est associée dans la littérature à un risque plus élevé de mauvaise santé chez les personnes âgées (Bowling, Barber, Morris, & Ebrahim, Reference Bowling, Barber, Morris and Ebrahim2006). En ce qui concerne cette fois des différences de résultats, il apparait que si la perception de la réputation du quartier et de l’accès aux services ne sont pas ici significativement associés au niveau de limitation que les personnes âgées déclarent ressentir, ces dernières relations apparaissent souvent comme significatives. Ainsi, la perception d’un plus grand nombre de problèmes de réputation est associée chez les personnes âgées à un risque plus élevé de limitation dans les activités quotidiennes (Balfour & Kaplan, Reference Balfour and Kaplan2002). Les personnes âgées qui déclarent vivre au sein d’un quartier souffrant de problèmes multiples ont en effet deux fois plus de risques de se ressentir limitées. Par ailleurs, la perception d’une meilleure qualité des services (dont la proximité des magasins) et d’une disponibilité en services de transport est quant à elle associée à de plus grandes facilités dans la réalisation de leurs activités quotidiennes (Balfour & Kaplan, Reference Balfour and Kaplan2002; Bowling & Stafford, Reference Bowling and Stafford2007). En outre, bien que la relation entre la perception collective liée à la cohésion sociale du quartier et l’état de santé perçu des personnes âgées apparaisse comme non significative, la littérature rapporte que les individus estimant bien connaitre leurs voisins, interagir avec eux, et être solidaires en cas de besoin sont plus susceptibles de se considérer en bonne santé (Poortinga et al., Reference Poortinga, Dunstan and Fone2007), de ne pas fumer et de pratiquer la marche à pied (Echeverria, Diez-Roux, Shea, Borrell, & Jackson, Reference Echeverria, Diez-Roux, Shea, Borrell and Jackson2008). Enfin, chez les personnes âgées, une meilleure perception collective de la cohésion sociale du quartier leur permet de rester physiquement actives (Fisher, Li, Michael, & Cleveland, Reference Fisher, Li, Michael and Cleveland2004). Les valeurs communes et le sentiment de confiance que les personnes âgées partagent avec leurs voisins peuvent les encourager à faire de l’exercice physique régulièrement ensemble. De plus, si la perception collective d’une meilleure cohésion sociale est significativement associée à un risque moindre de se ressentir limité dans les activités, cette relation apparait pourtant comme non significative dans une étude menée par Bowling and Stafford (Reference Bowling and Stafford2007). Les auteurs expliquent cette non-significativité par le fait que si la cohésion sociale est évaluée à partir d’activités entreprises majoritairement à l’extérieur du domicile, le niveau de limitation est calculé à partir d’activités entreprises majoritairement à l’intérieur de celui-ci qui sont de ce fait susceptibles d’être peu influencées par les caractéristiques du quartier. Cette variation de résultats entre les deux recherches peut d’ailleurs s’expliquer par une échelle de limitation sensiblement différente, l’échelle utilisée dans cette recherche reposant sur des activités entreprises aussi bien à l’intérieur du domicile qu’à l’extérieur.

Après avoir contrôlé les différences démographiques et socio-économiques des personnes âgées de l’échantillon, peu d’aspects perçus du quartier restent significativement associés au vieillissement en santé. Le manque d’associations robustes entre les perceptions de l’environnement résidentiel et la santé est courant lorsque l’on tient compte à la fois des différences en termes socio-économiques, démographiques, et de quartier. De plus grands échantillons ont la puissance statistique de détecter un plus grand nombre d’effets du quartier mais la taille de ces effets est parfois susceptible d’être sous-estimée par un ajustement excessif, les variables individuelles généralement considérées comme des variables de confusion étant en effet susceptibles de constituer parfois des facteurs de médiation (Poortinga et al., Reference Poortinga, Dunstan and Fone2007). Les caractéristiques de l’échantillon peuvent également expliquer que les associations entre les perceptions de l’environnement résidentiel et la santé restent modestes. Dans le cas de cette recherche en particulier, plusieurs raisons peuvent jouer. Si la marchabilité du quartier est souvent associée dans la littérature à un indice de masse corporelle plus faible et à une durée d’activité physique plus élevée chez les personnes âgées (Frank et al., Reference Frank, Kerr, Rosenberg and King2010), dans cette recherche néanmoins, la perception collective de la marchabilité du quartier n’affecte pas le vieillissement en santé. Cette absence de différence en termes de santé et de dépendance peut s’expliquer en raison d’une sur-motorisation de la population luxembourgeoise. Dans cet échantillon, plus de trois personnes âgées sur cinq déclarent utiliser la voiture comme principal moyen de locomotion et seule une personne âgée sur dix utilise les transports en commun. La diffusion de l’automobile comme bien de consommation a été favorisée par les mutations structurelles des années 60 et 70 lorsque le pays est passé d’une économie industrielle, basée sur l’exploitation du gisement de minerai de fer dans le Sud-Ouest du pays, à une économie fortement tertiaire sous l’impulsion du secteur bancaire. Ces mutations économiques ont permis aux résidents de doubler leur niveau de vie et ont contribué au développement de la motorisation (Petit, Reference Petit2007). Une enquête mobilité au Luxembourg en 2017 confirme cette tendance en affirmant que le Luxembourg détient le record européen de l’usage de la voiture (Modu 2.0, 2018). Il apparait que 69% des trajets sont réalisés en voiture contre 14% qui sont réalisés à pied ou à vélo. De plus, les distances parcourues sont en moyenne très courtes, oscillant entre 0 et 1km. Les personnes âgées ont donc tendance à privilégier la voiture aux modes doux, même pour les trajets les plus courts. Il est de ce fait concevable que la marchabilité perçue du quartier ne joue aucun rôle sur leur vieillissement en santé.

Comme pour le vieillissement en santé, peu d’aspects perçus du quartier sont significativement associés à l’activité physique et la participation sociale rapportées par les personnes âgées. L’absence de relation entre la marche à pied, qui constitue la principale forme d’activité physique des personnes âgées, et les caractéristiques perçues du quartier peut également s’expliquer par la forte motorisation de la population. En ce qui concerne les relations significatives, on observe que la perception collective de plus hauts niveaux d’accès aux services et de cohésion sociale du quartier est associée à la participation sociale des personnes âgées (Richard et al., Reference Richard, Gauvin, Gosselin and Laforest2008) tandis que la perception collective de plus hauts niveaux de réputation et d’accès aux services est associée à leur activité physique (Gauvin et al., Reference Gauvin, Richard, Kestens, Shatenstein, Daniel, Moore, Mercille and Payette2012; van Cauwenberg et al., Reference Van Cauwenberg, De Bourdeaudhuij, De Meester, Van Dyck, Salmon, Clarys and Deforche2011). Si l’activité physique est fortement corrélée au vieillissement en santé, il apparait surprenant que la participation sociale n’y soit pas associée, car ces deux comportements constituent selon la littérature des déterminants importants du vieillissement en santé (Daskalopoulou et al., Reference Daskalopoulou, Stubbs, Kralj, Koukounari, Prince and Prina2017; Raymond et al., Reference Raymond, Gagné, Sévigny and Tourigny2008). Des différences en termes de définition et d’évaluation de la participation sociale peuvent expliquer cette variabilité des résultats. Plusieurs définitions sont en effet associées à la participation sociale des individus et cette diversité conceptuelle se reflète dans les outils utilisés par les chercheurs pour mesurer ou quantifier la participation sociale. Chez les personnes âgées en particulier, elle peut se mesurer en fonction de la quantité des interactions sociales en contexte individuel ou de groupe, de la quantité des activités collectives, des actions de bénévolat, et des actions liées à une implication sociopolitique (Raymond et al., Reference Raymond, Gagné, Sévigny and Tourigny2008). Les activités de bénévolat qui impliquent un engagement auprès de groupes vulnérables et l’agencement de projets intergénérationnels peuvent jouer un rôle plus important sur la santé des personnes âgées que les interactions en contexte de groupe qui n’impliquent pas forcément le partage d’un projet commun. Enfin, parmi les aspects perçus du quartier significativement associés à l’activité physique et la participation sociale des personnes âgées, la réputation, l’accès aux services, et la cohésion sociale du quartier sont associés à leur état de santé et leur niveau de limitation (Balfour & Kaplan, Reference Balfour and Kaplan2002; Wen Cagney, & Christakis, Reference Wen, Cagney and Christakis2005). Le contrôle statistique des mesures d’activité physique et de participation sociale n’affecte pas les relations directes entre les perceptions collectives du quartier et le vieillissement en santé. Les résultats n’apportent donc pas de soutien à l’idée qu’il existe un lien indirect entre les caractéristiques perçues de l’environnement résidentiel et le vieillissement en santé des personnes âgées médié par leur activité physique et leur participation sociale.

Le fait que l’activité physique et la participation sociale ne jouent qu’un effet médiateur nul ou modeste dans la relation entre la perception de l’environnement résidentiel et la santé se retrouve dans la littérature. Selon plusieurs études, certaines d’entre-elles étant également menées à partir du modèle de médiation développé par Baron and Kenny (Reference Baron and Kenny1986), les mesures d’activité physique n’affectent pas substantiellement les associations entre l’environnement résidentiel perçu et certains résultats en santé tels que la qualité de vie, l’obésité, et la perception de l’état de santé physique ou mental (Poortinga, Reference Poortinga2006; van den Berg et al., Reference Van den Berg, Van Poppel, Van Kamp, Ruijsbroek, Triguero-Mas, Gidlow, Nieuwenhuijsen, Grazuleviciene, Van Mechelen, Kruize and Maas2017; Timmermans et al., Reference Timmermans, van der Pas, Schaap, Cooper, Edwards, Gale, Deeg and Dennison2017). Une autre étude (Mohan, Twigg, Barnard, & Jones, Reference Mohan, Twigg, Barnard and Jones2005) montre que l’activité physique mais également le tabagisme, la consommation d’alcool, et l’alimentation ne jouent qu’un rôle de médiation partiel dans la relation entre la perception du capital social et la santé des individus. Un résultat similaire est observé par Mohnen, Völker, Flap, and Groenewegen (Reference Mohnen, Völker, Flap and Groenewegen2012) à l’exception que la relation directe entre la perception relative au capital social du quartier et les résultats en santé des individus est cette fois significativement médiée par leur activité physique. Enfin, peu d’études se sont encore penchées sur le rôle de médiation joué par la participation sociale. Une étude menée par Sugiyama, Leslie, Giles-Corti, and Owen (Reference Sugiyama, Leslie, Giles-Corti and Owen2008) sur les mécanismes opérant dans la relation entre la perception du niveau de verdure au sein du quartier et la santé physique et mentale des individus trouve que cette relation est partiellement médiée par le nombre de jours durant lesquels les individus interagissent avec leurs voisins. Le fait qu’une grande partie des associations entre les perceptions de l’environnement et de la santé ne s’explique pas par l’activité physique ou la participation sociale des individus suggère que d’autres médiateurs puissent être impliqués tels que la participation à des soins de santé préventifs (ex : vaccinations contre la grippe, les méningites, les pneumonies), la consommation d’alcool et de tabac, ou bien encore des habitudes alimentaires. Des recherches supplémentaires doivent être menées afin d’analyser le rôle de ces médiateurs potentiels.

Cette étude doit supporter un certain nombre de limitations qu’il est important de rappeler. Étant donné la nature transversale de l’enquête CURHA, aucune relation causale ne peut être déterminée entre les caractéristiques perçues de l’environnement résidentiel et le vieillissement en santé. En outre, l’ensemble des données exploitées est de nature autodéclarées et peut faire l’objet de biais de mémorisation et de déclaration. Ce risque est d’autant plus important concernant les données de santé potentiellement biaisées par le type de pathologies dont souffrent les individus, leur sexe, leur âge, et leurs niveaux social et d’éducation. Les individus ayant un haut niveau social sont par exemple susceptibles d’avoir un diagnostic plus sévère vis-à-vis de leur état de santé en raison d’une plus grande attente en termes de bonne santé (Moesgaard, Salomon, Tandon, & Murray, Reference Moesgaard, Salomon, Tandon, Murray, Murray, Salomon, Mathers and Lopez2002). Afin de vérifier ces biais potentiels vis-à-vis des données de santé, des corrélations sont réalisées entre les deux données exploitées sur l’état de santé et le niveau de limitation, basées sur des questions assez subjectives, avec des données plus objectives. L’état de santé est corrélé avec le nombre de handicaps et la fréquence de visites chez les professionnels de santé tandis que le niveau de limitation est corrélé à la présence d’un soutien dans les tâches quotidiennes. Les corrélations positives valident le choix de ces deux variables et indiquent qu’elles mesurent bien une certaine réalité. Afin d’éviter au maximum les biais potentiels relatifs aux données sanitaires, comportementales, et contextuelles, les futures recherches devraient se pencher sur des mesures objectives. L’utilisation d’un dynamomètre qui est destiné à évaluer la capacité musculaire des individus permettrait par exemple une mesure objective des données de santé (Sirven & Sermet, Reference Sirven and Sermet2009). Facile d’utilisation, le dynamomètre s’utilise en position assise et coude fléchi à 90 degrés. Il doit être tenu dans la main dominante où la mesure sera réalisée deux fois afin de retenir la valeur maximale. Par ailleurs, les résultats de cette recherche montrent que peu d’aspects perçus du quartier sont associés aux comportements des personnes âgées et à leur vieillissement en santé. Seules les perceptions relatives à l’environnement social telles que l’accessibilité, la réputation, et la cohésion sociale y sont en effet significativement associées. Le recours à la perception de l’environnement résidentiel constitue un bon indicateur du rapport que les individus entretiennent avec leur environnement, de la façon dont ils sont exposés et vivent ou interagissent avec leur quartier. À ce titre, les mesures de perception peuvent saisir certains aspects de l’environnement bénéfiques ou néfastes pour la santé que les mesures objectives ne peuvent pas. D’un autre côté, les mesures objectives peuvent saisir des aspects structurels importants de l’environnement que les personnes ne peuvent pas percevoir. Les informations obtenues à partir d’un Système d’Information Géographique sur le réseau piétonnier, la végétation, ou la topographie peuvent par exemple influer sur l’activité physique des personnes âgées et sur leur santé. Afin de contrôler et d’enrichir les résultats obtenus, il serait donc judicieux de mener d’autres recherches examinant simultanément l’effet de mesures objectives et subjectives sur la santé des personnes âgées.

Cette recherche dispose également de plusieurs atouts. L’emploi d’une approche écométrique destinée à mesurer les différents aspects du quartier en constitue une force majeure (Chaix et al., Reference Chaix, Lindstrom, Rosvall and Merlo2008). En considérant les différences individuelles de réponse, les différences dans le nombre de participants enquêtés par quartier et la dépendance entre les réponses d’enquête des participants vivant dans un même quartier, cette approche consiste à générer une évaluation collective des caractéristiques du quartier à partir de perceptions individuelles. Elle permet notamment d’éviter le biais de même source qui peut découler de la relation entre deux mesures autodéclarées (en l’occurrence ici les caractéristiques du quartier et la santé). Par exemple, des personnes âgées en mauvaise santé sont plus à risque de mal percevoir leur quartier et de déclarer un plus grand nombre de problèmes ou un faible niveau de cohésion sociale. Par ailleurs, dans l’optique d’une meilleure compréhension des effets de l’environnement sur la santé des individus, l’analyse de médiation contribue à clarifier un peu plus cette « boite noire ». Elle permet d’affirmer si oui ou non les résultats sont concordants avec le modèle proposé et s’il est donc important ou non de prendre en considération la variable potentiellement médiatrice pour tenter d’expliquer le lien entre la variable indépendante et la variable dépendante. Cette analyse de médiation permet ainsi de concevoir un croquis plus précis de la manière dont les pratiques de l’espace interfèrent dans la relation entre le quartier et le vieillissement en santé. Finalement, les résultats de cette recherche permettent une meilleure compréhension de la manière dont l’aménagement de l’environnement résidentiel peut ou non améliorer les conditions du vieillissement. Plusieurs implications politiques significatives peuvent découler de ce constat. Dans l’optique d’un maintien ou d’un développement de la réputation et de la cohésion sociale à l’échelle du quartier, les politiques devraient par exemple se doter de cibles précises favorisant par exemple la mobilisation pour lutter contre l’isolement, l’insuffisance des réseaux sociaux et familiaux, ou encore l’intégration de nouveaux arrivants. Le quartier représente un lieu d’action privilégié, car il constitue celui auquel les individus s’identifient le plus et celui où ils vivent davantage la convivialité et la solidarité. Les organismes communautaires peuvent constituer quant à eux des outils essentiels à la mise en place de ces différentes stratégies. Afin de contribuer cette fois à développer l’accessibilité aux services de proximité, un exemple d’action politique serait d’encourager les individus à s’installer à proximité de zones concentrant magasins, services, et équipements, puis à élaborer des jonctions piétonnes sécurisées entre leurs domiciles et ces zones de services.

References

Références

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Figure 0

Figure 1. 5 strates spatiales sélectionnées dans l’enquête CURHA

Figure 1

Figure 2. Échantillonnage de l’enquête CURHA

Figure 2

Tableau 1: Construction des mesures de perception collective relatives aux différents aspects de l’environnement résidentiel

Figure 3

Figure 3. Conditions de médiation par Baron and Kenny (1986)

Figure 4

Tableau 2: Caractéristiques démographiques, socio-économiques et sanitaires de l’échantillon (en pourcentages)

Figure 5

Tableau 3: Les variables associées aux niveaux d’activité physique (Modèles 3.1 et 3.2) et de participation sociale (Modèle 3.3) (test de la voie a)

Figure 6

Tableau 4: Les variables associées à une mauvaise santé perçue sans (Modèle 4.1) (test de la voie c) ou avec les mesures d’activité physique et de participation sociale (Modèle 4.2) (test de la voie b et de la voie c’)

Figure 7

Tableau 5: Les variables associées à une limitation modérée à soutenue sans (Modèle 5.1) (test de la voie c) ou avec les mesures d’activité physique et de participation sociale (Modèle 5.2) (test de la voie b et de la voie c’)