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Résumés / Abstracts

Published online by Cambridge University Press:  26 October 2020

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Abstract

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Résumés / Abstracts
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© Éditions de l’EHESS

Reine-Marie Bérard

La politique du cadavre

Traitements funéraires et usages civiques des morts à la guerre en Grèce archaïque et classique

En partant de l’importance que revêt la matérialité du cadavre dans les rites funéraires grecs antiques, cet article aborde les problèmes spécifiques posés par la récupération et le traitement funéraire des corps des soldats morts à la guerre. Il tient compte d’une triple spécificité de la mortalité militaire : l’abondance inhabituelle des cadavres à prendre en charge ; l’articulation entre la corporéité brute du cadavre et la forte charge symbolique qui lui est associée ; enfin, l’opposition entre le caractère privé de la mort et la dimension collective de sa gestion en temps de guerre. L’objectif est de montrer comment le traitement funéraire des tués à la guerre en vient à constituer, à partir de l’époque archaïque et de manière centrale à l’époque classique, un élément fondamental dans la négociation de formes d’affiliations souples à la communauté politique, en réponse à une double évolution des catégories juridiques et des techniques militaires advenue au ve siècle avant J.-C. Le contrôle du cadavre du soldat devient alors un puissant instrument de définition et de cohésion des poleis, non seulement sur le champ de bataille face à l’ennemi, mais aussi dans la cité pour faire face à des moments de tension exacerbée. À travers le problème technique que pose le traitement du cadavre des soldats, ce sont ainsi les représentations politiques de la mort dans la cité et pour la cité et les mécanismes du contrôle de la cité en guerre qui sont appréhendés.

The Politics of the Corpse: Funerary Treatments and Civic Uses of War Dead in Archaic and Classical Greece

Considering that the materiality of the corpse played a central role in the funerary rituals of the ancient Greek world, this article explores the problems raised by the retrieval and funerary treatment of those killed in battle. It takes into account three specificities of military casualties: the unusually high number of corpses to deal with; the articulation between the crude corporeity of the dead body and its highly charged symbolic value; and the opposition between the private event of death and its collective regulation in wartime. The aim is to show how the funerary treatment of military casualties became a crucial means of negotiating adaptable modes of affiliation to the political community from the Archaic period on, and especially in the Classical period, as a reaction to the double evolution of legal statuses and military techniques that took place during the fifth century BCE. Controlling the corpses of military casualties thus became a powerful way to delimit the poleis and maintain its cohesion, not only before the enemy on the battlefield but also within the city itself at moments of high tension. By analyzing the practical aspects of the funerary management of war-dead and focusing on the materiality of the dead body, we can thus retrace the political representations of death in the city and for the city, and the mechanisms of control used in the city at war.

José Javier Ruiz Ibáñez et Gaetano Sabatini

Alliés, voisins et ennemis du roi d’Espagne

La puissante faiblesse de la Monarchie hispanique (1580-1620)

À la fin du xvie siècle, le roi d’Espagne et sa monarchie occupent aux yeux de l’Europe une position de prééminence. Non seulement de petits États, mais de nombreux mouvements insurrectionnels réclament son aide militaire et financière pour combattre leurs ennemis locaux et éviter d’être absorbés par leurs voisins. La Monarchie hispanique accroît alors sa capacité d’intervention en dehors de ses frontières, avec la possibilité d’incorporer de nouveaux territoires, tant en Europe qu’en Asie ou en Afrique ; à tout le moins, le pouvoir ibérique s’invite dans la politique intérieure de ces États, devenant un acteur supplémentaire de la scène politique locale. Cette sensation d’hégémonie est telle qu’elle nourrit en retour un puissant rejet : à de nombreux points du globe, jouer sur ce sentiment anti-espagnol devient un élément clef pour délégitimer des rivaux politiques et étayer les prétentions des vainqueurs dans les conflits civils de la fin du xvie siècle et du début du xviie siècle. Il faut dire que, dans une certaine mesure, l’hégémonie espagnole relevait d’un mirage : elle ne correspondait pas aux forces réelles du roi d’Espagne, mais plutôt à une image surévaluée du pouvoir de celui-ci, véhiculée par ceux qui placèrent en lui leurs espoirs ou leurs craintes. Analyser cette discordance entre représentation et réalité nous permet de comprendre, d’une part, comment la prédominance politique se fonde, pour partie, sur un imaginaire et des intérêts partagés, et, d’autre part, que son succès et son échec dépendent largement des illusions, des frustrations et des attentes divergentes qu’elle suscitait.

Allies, Neighbors, and Enemies of the King of Spain: The Powerful Weakness of the Spanish Monarchy (1580-1620)

By the end of the sixteenth century, there was an increasing perception in Europe that the king of Spain and his monarchy were in a position of hegemony. Many small states, as well as multiple insurrectional movements, requested his military and financial help to combat their enemies and avoid being absorbed by their neighbors. In this way, the Monarchy’s capacity for political intervention beyond its borders increased, as did its potential to incorporate new territories in Europe, Asia, and Africa—at the very least, the Iberian power became an active force in the domestic affairs of these states and an additional factor in the local political scene. On the other hand, this impression of Spain’s hegemony could also feed into a powerful rejection: across the globe, anti-Spanish feeling was used to discredit political rivals and bolster the claims of victors in the civil conflicts of the late sixteenth and early seventeenth centuries. Yet Spain’s hegemony was to some extent an illusion: it did not depend on the military forces that the king could mobilize, but rather on an overly powerful image constructed by those who projected their own hopes and fears onto him. An analysis of this discrepancy between representation and reality allows us to understand two important points: that political domination results at least in part from representations and common interest; and that its rise and fall are strongly conditioned by the illusions, frustrations, and divergent expectations it generates.

Alessandro Buono

Tener persona

Sur l’identité et l’identification dans les sociétés d’Ancien Régime

Cet article vise à éclaircir les logiques qui présidaient aux opérations d’identification et de revendication de l’identité personnelle dans la Monarchie espagnole d’Ancien Régime, en les contextualisant au sein de la culture juridique de leur époque. J’analyserai les sources produites par les Juzgados de bienes de difuntos (« Tribunaux des biens des défunts »), chargés d’adjuger les héritages d’attribution incertaine, en vérifiant l’identité et la parenté des personnes impliquées dans des successions à échelle mondiale. Au lieu d’interpréter la « preuve d’identité » de manière évolutionniste, je chercherai à comprendre sa production en partant de la constatation que, durant l’Ancien Régime, la personnalité juridique se concevait comme une possession, revendiquée activement par son usage, publiquement exercé et reconnu. Il s’agira donc de montrer que l’identité était détenue, comme tout autre droit, à travers des « actes de possession », et non simplement grâce à des titres de propriété, considérés plutôt comme une façon de transcrire les actes de possession d’état. L’article avance donc que, dans les sociétés d’Ancien Régime, il fallait continuellement produire la preuve de sa propre identité, en raison non seulement de l’insuffisance des procédures bureaucratiques et des pratiques d’archivage des données, mais, surtout, d’une manière différente de posséder la « chose identité », c’est-à-dire d’une autre façon de « tenir personne ».

Tener persona: On Identity and Identification in Early Modern Societies

This article aims to clarify the logics that governed operations of identification and claims to personal identity under the early modern Spanish Monarchy by contextualizing them within ancien régime legal culture. It analyses the sources produced by the Juzgados de bienes de difuntos (Tribunals of property of deceased persons), responsible for adjudicating successions of uncertain attribution and verifying the identity and kinship of those involved in inheritance transmissions on a global scale. Rather than adopting an evolutionist interpretation of “proof of identity,” this paper seeks to understand its development, starting from the observation that before the late eighteenth century legal personality was conceived as a possession—that is, as a thing that was owned and actively claimed by its use, publicly exercised and acknowledged. It will be shown that identity was held, like any other right, through “acts of possession” and not simply through title deeds, which were instead seen as a way of transcribing acts of possession of status. The article therefore suggests that in the early modern era it was necessary to continually produce proof of one’s identity, not only because of inadequate bureaucratic procedures and data archiving practices, but above all due to a different relation to the “thing of identity,” or, in other words, a different way of “possessing personhood.”

Séverine Awenengo Dalberto

La première carte d’identité d’Afrique occidentale française (1946-1960)

Identifier et s’identifier au Sénégal au temps de la citoyenneté impériale

Cet article explore le projet et la mise en œuvre au Sénégal de l’arrêté général du 17 octobre 1949 qui institua en Afrique occidentale française (AOF) le port d’une carte d’identité fédérale. Ce projet correspondait à la volonté de généralisation et d’uniformisation de l’identification légale personnelle consécutive à la réforme de l’Empire après-guerre. La fin du régime de l’indigénat et l’octroi de la citoyenneté impériale requéraient en effet que s’établisse un rapport nouveau entre l’État et des individus singuliers, en rupture avec l’approche catégorielle qui avait jusqu’alors été au fondement du gouvernement impérial. Si, à travers l’analyse de l’extension de l’état civil dans les années 1950, l’historiographie a pu récemment éclairer les limites de la nouvelle gouvernementalité coloniale et l’ambivalence de la citoyenneté impériale, l’histoire de cette première carte d’identité est restée un angle mort de la recherche sur les dispositifs d’identification mis en place après-guerre. En mobilisant de nouveaux matériaux archivistiques et empiriques et par un changement d’échelle d’observation, cet article invite à poursuivre la réflexion entamée et à en nuancer certaines conclusions. Il s’attache non seulement à explorer la fabrique bureaucratique, sociale et politique de la carte d’identité, à questionner les régimes de véridiction de l’identité légale, mais aussi à éclairer la manière dont des Africains et des Africaines envisagèrent ces documents, qui furent aussi des supports d’expériences du monde social et, parfois, intime.

The First French West African Identity Card (1946-1960): Identifying

and Being Identified in Senegal in the Time of Imperial Citizenship

This article explores the project that became the decree of October 17, 1949, obliging inhabitants of West French Africa to carry a federal identity card, and its implementation in Senegal. This project echoed the desire to generalize and standardize personal legal identification following the postwar reform of the French Empire. The end of the Code de l’indigénat and the granting of imperial citizenship implied a new relationship between the state and individual persons, breaking away from the categorical approach previously at the core of imperial government. Historiography has highlighted the limits of this new colonial governmentality and the ambivalence of imperial citizenship, in particular through the analysis of the extension of the état civil (civil registry) in the 1950s. However, the history of this first identity card has been overlooked in research on the identification measures established after the war. Drawing on previously unused archival sources and empirical materials, and shifting the scale of analysis, this article seeks to extend this reflection and nuance some of the earlier findings. It explores the bureaucratic, social, and political fabric of the identity card and examines the regimes underpinning legal identity, while also seeking to shed light on the ways in which Africans perceived these documents, which were simultaneously sites of social and even intimate experiences.